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Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
{T 0/2} 
6S.397/2005 /rod 
 
Arrêt du 13 novembre 2005 
Cour de cassation pénale 
 
Composition 
MM. les Juges Schneider, Président, 
Kolly et Zünd 
Greffière: Mme Kistler. 
 
Parties 
Procureur général du canton du Jura, 
2900 Porrentruy 2, 
recourant, 
 
contre 
 
X.________, 
intimé, représenté par Me Alain Schweingruber, avocat, 
 
Objet 
Prescription (viols et actes d'ordre sexuel avec un enfant), 
 
pourvoi en nullité contre l'arrêt de la Cour pénale du Tribunal cantonal du canton du Jura du 25 août 2005. 
 
Faits: 
A. 
Par jugement du 10 février 2005, le Tribunal correctionnel jurassien a déclaré X.________ coupable d'actes d'ordre sexuel avec des enfants (art. 187 CP) et de viols (art. 190 CP) commis à réitérées reprises à Delémont de 1989 à 1994, au préjudice de Y.________. Il a condamné X.________ à une peine de cinq ans de réclusion et a adjugé à la partie civile une somme de 20'000 fr. à titre d'indemnité pour tort moral et de 11'754.65 fr. à titre d'indemnité pour ses frais de défense. 
 
En résumé, le tribunal a retenu que X.________ a vécu dès 1980 en ménage commun avec Z.________, qui avait une enfant d'un précédent mariage, Y.________, née le 8 février 1979. Dès 1989, il a fait subir à Y.________ des actes sexuels complets, sans toutefois éjaculer en elle, la nuit en l'absence de sa mère, à raison d'une fois au moins par semaine, hormis durant les vacances, puis, selon une fréquence moins rapprochée, soit environ tous les deux mois, dès le courant du mois de novembre 1992 (époque à laquelle la mère a quitté son emploi à l'imprimerie) jusqu'en février 1994 (époque à laquelle la victime a eu 15 ans). Le 17 février 2003, Y.________ a dénoncé à la police les actes dont elle avait été victime de 1989 à 1994. 
B. 
Statuant le 25 août 2005 sur appel du condamné, la Cour pénale du Tribunal cantonal du canton du Jura a renoncé à donner suite, en raison de la prescription de l'action pénale, aux préventions d'actes d'ordre sexuel avec des enfants et de viols pour les faits commis avant septembre 1992. Elle a retenu à la charge de X.________ les seuls faits commis d'octobre 1992 à février 1994 et réduit la peine de réclusion de cinq ans à trois ans et demi, confirmant le jugement de première instance pour le surplus. 
C. 
Contre cet arrêt cantonal, la substitute du Ministère public jurassien dépose un pourvoi en nullité devant le Tribunal fédéral. Faisant valoir une violation des règles sur la prescription (art. 71 let. b CP), elle conclut à l'annulation de l'arrêt attaqué. 
 
Le Tribunal fédéral considère en droit: 
 
1. 
1.1 L'art. 270 let. c PPF habilite l'accusateur public du canton à se pourvoir en nullité. L'accusateur public est la personne ou l'autorité qui, en vertu du droit cantonal, est chargée, en qualité de partie, de défendre l'intérêt public devant le juge pénal cantonal de dernière instance (ATF 131 IV 142 consid. 1 p. 143). En l'occurrence, le droit jurassien institue, pour l'ensemble du territoire cantonal, un seul Ministère public, composé du procureur général et d'un substitut (art. 43 de la loi jurassienne d'organisation judiciaire du 23 février 2000; RS 181.1). Le substitut représente donc le Ministère public jurassien, qui est compétent pour tout le territoire jurassien, de sorte qu'il faut admettre sa qualité pour se pourvoir en nullité selon l'art. 270 let. c PPF. 
1.2 Saisi d'un pourvoi en nullité, le Tribunal fédéral contrôle l'application du droit fédéral (art. 269 PPF) sur la base exclusive de l'état de fait définitivement arrêté par l'autorité cantonale (cf. art. 277bis et 273 al. 1 let. b PPF). Le raisonnement juridique doit se fonder sur les faits retenus dans la décision attaquée, dont le recourant ne peut s'écarter. 
 
Le Tribunal fédéral n'est pas lié par les motifs invoqués, mais il ne peut aller au-delà des conclusions du recourant (art. 277bis PPF). Celles-ci, qui doivent être interprétées à la lumière de leur motivation, circonscrivent les points litigieux (ATF 126 IV 65 consid. 1 p. 66). 
2. 
Le Ministère public dénonce la violation de l'art. 71 let. b CP, aux termes duquel la prescription court du jour où le dernier acte a été commis, si l'activité coupable s'est exercée à plusieurs reprises. Selon lui, les actes reprochés à l'intimé, qui se sont étendus de 1989 à 1994, constituent une unité d'action, juridique et naturelle, au sens de la nouvelle jurisprudence, de sorte que la prescription doit commencer à courir, pour l'ensemble de ces actes, à partir du dernier acte commis, soit depuis 1994. 
2.1 Pour déterminer si plusieurs infractions doivent être considérées comme une entité au sens de l'art. 71 let. b CP, c'est-à-dire comme une activité globale pour laquelle le délai de prescription commence à courir du jour où le dernier acte a été commis, l'ancienne jurisprudence se fondait sur la figure de l'unité sous l'angle de la prescription (verjährungsrechtliche Einheit); plusieurs infractions devaient être considérées comme une entité, si elles étaient identiques ou analogues, si elles avaient été commises au préjudice du même bien juridiquement protégé et si elles procédaient d'un comportement durablement contraire à un devoir permanent de l'auteur, sans que l'on soit toutefois en présence d'un délit continu au sens de l'art. 71 let. c CP (art. 71 al. 3 aCP; ATF 127 IV 49 consid. 1b p. 54). 
 
Dans l'ATF 131 IV 83, le Tribunal fédéral a notamment observé que la notion de comportement durablement contraire à un devoir permanent n'avait pas toujours été appliquée de manière rigoureuse, en ce sens qu'il avait parfois été attribué trop peu de poids à l'exigence que ce devoir doit expressément, ou à tout le moins implicitement, faire partie des éléments constitutifs de l'infraction, ce qui avait conduit à étendre le champ d'application des dispositions sur la prescription. La notion de comportement durablement contraire à un devoir permanent constituait au demeurant un critère relativement vague et peu clair, rendant difficile une définition de l'unité de la prescription. Aussi, le Tribunal fédéral a-t-il décidé d'abandonner la figure de l'unité de la prescription (ATF 131 IV 83 consid. 2.4.4 p. 93). 
2.2 La suppression de cette figure n'implique cependant pas que l'on puisse renoncer à considérer que, dans certains cas, plusieurs actes délictueux forment juridiquement un tout. Dorénavant, plusieurs actes distincts doivent être considérés comme une entité, d'une part, en cas d'unité naturelle d'action et, d'autre part, en cas d'unité juridique d'action. 
 
L'unité juridique d'action (tatbestandliche Handlungseinheit) existe lorsque le comportement défini par la norme présuppose, par définition, de fait ou typiquement, la commission d'actes séparés (mehraktige Delikte, tel le brigandage, art. 140 CP), mais aussi lorsque la norme définit un comportement durable se composant de plusieurs actes (par exemple les délits de gestion fautive, art. 165 CP, ou de services de renseignements politiques ou économiques, art. 272 et 273 CP) ou lorsqu'on se trouve en présence d'un délit continu (Dauerdelikt) (ATF 131 IV 83 consid. 2.4.5 p. 93). 
 
Il y aura unité naturelle d'action (natürliche Handlungseinheit), lorsque des actes séparés procèdent d'une décision unique et apparaissent objectivement comme des événements formant un ensemble en raison de leur relation étroite dans le temps et dans l'espace. Ainsi, l'unité naturelle d'action vise la commission répétée d'infractions - par exemple, une volée de coups - ou la commission d'une infraction par étapes successives - par exemple, le sprayage d'un mur avec des graffitis pendant plusieurs nuits successives -, une unité naturelle étant cependant exclue si un laps de temps assez long s'est écoulé entre les différents actes, quand bien même ceux-ci seraient liés entre eux (ATF 131 IV 83 consid. 2.4.5 p. 94). 
2.3 
2.3.1 Pour le Ministère public, les actes reprochés à l'intimé forment une unité juridique d'action. Il soutient que la réalisation des infractions définies aux art. 187 et 190 CP présuppose la commission d'actes séparés. En effet, selon lui, d'une manière typique, l'abuseur exerce son comportement dans la durée; il crée d'abord les conditions d'une contrainte d'ordre psychologique, par un climat de confiance, pour obtenir ensuite l'acceptation de l'enfant à des actes d'ordre sexuel sur une certaine durée. 
 
Cette argumentation méconnaît cependant la définition de l'unité juridique d'action. En effet, cette unité est donnée si le comportement - qui est défini par la loi - présuppose l'accomplissement d'actes séparés ou un comportement durable. En d'autres termes, la commission d'actes séparés ou le comportement durable doivent, expressément ou implicitement, ressortir de la définition légale de l'infraction. Les versions allemande ("wenn der Täter die strafbare Tätigkeit zu verschiedenen Zeiten ausführt") et italienne de l'art. 71 let. b CP ("se il reato è stato eseguito mediante atti successivi") disposent ainsi que l'infraction elle-même doit être exercée en des moments différents. 
 
Or, tel n'est le cas ni du viol ni des actes d'ordre sexuel avec des enfants, puisque ces infractions sont déjà réalisées par la commission d'un seul acte sexuel ou d'ordre sexuel. Ce sont des crimes dit instantanés, consommés par l'acte sexuel ou l'acte d'ordre sexuel. Ils ne supposent ni un comportement durable composé de plusieurs actes séparés ni ne constituent un délit continu qui durerait pendant toute la relation illicite. Dans ces circonstances, l'on ne saurait retenir une unité d'action. Le fait que les actes sexuels à l'égard des enfants sont souvent des actes répétés et planifiés qui durent pendant des mois, voire des années, ne modifie en rien la nature de ces infractions. 
2.3.2 Contrairement à ce que soutient le Ministère public, les actes reprochés à l'intimé ne constituent pas non plus une unité d'action dite naturelle. Cette notion doit être interprétée restrictivement, pour éviter de réintroduire sous une autre forme la figure du délit successif ou celle d'unité du point de vue de la prescription. Elle ne sera donc admise qu'à la double condition que les faits punissables procèdent d'une décision unique et se traduisent, dans le temps et dans l'espace, par des actes suffisamment rapprochés pour former un tout (ATF 118 IV 91 consid. 4a p. 93; 111 IV 144 consid. 3b p. 149). La durée sur laquelle s'étendront les actes punissables devra être relativement limitée. 
 
En l'espèce, l'intimé a certes adopté un comportement d'abuseur et impliqué sa victime dans un processus lui permettant de parvenir à ses fins. Il n'en demeure pas moins que les actes reprochés à l'intimé constituent des actes séparés et ponctuels, qui se sont déroulés à des moments différents durant plusieurs années. L'intimé devait saisir le moment propice lui permettant de passer à l'acte, soit notamment s'assurer de l'absence de la mère et de la demi-soeur de la victime; cela suppose, à chaque reprise, une nouvelle décision de la part de l'auteur de passer à l'acte le moment venu. Dans ces conditions, il doit être admis que les infractions imputées à l'intimé constituent des actes séparés, procédant de décisions distinctes, ce qui exclut une unité naturelle d'action au regard de la nouvelle jurisprudence. 
2.4 Les nouvelles dispositions sur la prescription, qui sont entrées en vigueur le 1er octobre 2002, ont modifié la durée du délai de prescription et son calcul. 
 
En cas d'infractions contre l'intégrité sexuelle sur des enfants de moins de 16 ans, notamment au sens de l'art. 187 CP et de l'art. 190 CP, les nouvelles règles sur la prescription s'appliquent avec effet immédiat. En effet, l'alinéa 4 de l'art. 70 CP dispose que la prescription de l'action pénale est fixée, pour ces infractions, selon les alinéas 1 à 3 de l'art. 70 CP si elle n'est pas encore échue lors de l'entrée en vigueur de la nouvelle loi (1er octobre 2002). 
 
L'ancien droit fixe, pour une infraction punissable comme en l'espèce de la réclusion, la prescription ordinaire à dix ans (art. 70 al. 2 aCP; cf. aussi art. 187 ch. 6 aCP) et la prescription absolue à quinze ans (art. 72 ch. 2 aCP). Selon la jurisprudence, le délai préférentiel de cinq ans prévu à l'art. 187 ch. 5 aCP (par la loi du 21 juin 1991, entrée en vigueur le 1er octobre 1992 (RO 1992 p. 1670) et abrogée par la loi du 21 mars 1997, entrée en vigueur le 1er septembre 1997 (RO 1997 p. 1626)) n'était pas applicable lorsque - comme en l'espèce - l'auteur avait usé de moyen de contrainte ou exercé des pressions psychiques sur l'enfant âgé de moins de 16 ans (ATF 127 IV 86). Il s'ensuit que les actes d'ordre sexuel commis avant le 1er octobre 1992 étaient atteints par la prescription ordinaire de dix ans lors de l'entrée en vigueur du nouveau droit, soit le 1er octobre 2002, l'enquête n'ayant pas été encore ouverte à cette date. 
 
Pour les actes postérieurs, d'octobre 1992 à février 1994, qui n'étaient pas prescrits, les nouvelles dispositions sur la prescription s'appliquent avec effet immédiat. S'agissant de crimes frappés d'une peine de réclusion, le délai de prescription est de quinze ans (art. 70 al. 1 let. b CP). L'alinéa 3 de l'art. 70 CP précise que la prescription ne court plus si, avant son échéance, un jugement de première instance a été rendu. Le 10 février 2005, soit lors du jugement de première instance, la prescription de quinze ans n'était pas acquise, de sorte que les actes commis d'octobre 1992 à février 1994 n'étaient pas prescrits. L'art. 70 al. 2 CP qui prévoit qu'en cas d'infractions contre l'intégrité sexuelle sur des enfants de moins de 16 ans, la prescription de l'action pénale court en tout cas jusqu'au jour où la victime a 25 ans, n'est pas applicable en l'espèce, puisque la victime avait plus de 25 ans au moment du jugement de première instance. 
2.5 En résumé, il faut admettre que la prescription court de manière séparée pour chaque acte sexuel. Les actes commis de 1989 à septembre 1992 étaient prescrits lors de l'entrée en vigueur du nouveau droit de la prescription. En revanche, les actes postérieurs, d'octobre 1992 à février 1994, sont régis par le nouveau droit de la prescription, qui fixe la durée du délai de prescription à quinze ans, délai qui n'était pas échu lors du jugement de première instance. 
3. 
Au vu de ce qui précède, le pourvoi doit être rejeté. 
 
Il n'est pas réclamé de frais au Ministère public qui succombe (art. 278 al. 2 PPF). 
 
Il n'y a pas lieu d'allouer d'indemnité à l'intimé qui n'a pas déposé de mémoire dans la procédure devant le Tribunal fédéral. 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce: 
1. 
Le pourvoi est rejeté. 
2. 
Il n'est pas perçu de frais ni alloué d'indemnité. 
3. 
Le présent arrêt est communiqué en copie au Procureur général du canton du Jura, au mandataire de l'intimé et à la Cour pénale du Tribunal cantonal jurassien. 
Lausanne, le 13 novembre 2005 
Au nom de la Cour de cassation pénale 
du Tribunal fédéral suisse 
Le président: La greffière: