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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
4A_201/2022  
 
 
Arrêt du 14 avril 2023  
I  
 
Composition 
Mmes les Juges fédérales 
Jametti, Présidente, Kiss et May Canellas, 
greffière Monti. 
 
Participants à la procédure 
A.________, 
représentée par Me Yann Oppliger, avocat, 
recourante, 
 
contre  
 
Conservateur du Registre foncier de [...], 
intimé, 
 
1. X.________ SA, 
2. Y.________ SA, 
toutes deux représentées par 
Me Isabelle Salomé Daïna, avocate, 
parties intéressées. 
 
Objet 
droit de préaffermage des descendants du bailleur 
(art. 5 LBFA), 
 
recours en matière civile contre l'arrêt rendu le 8 avril 2022 par la Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal vaudois (FO.2021.0004). 
 
 
Faits :  
 
A.  
 
A.a. La société anonyme X.________ SA (ci-après: la société) est statutairement dévolue à l'exploitation de domaines agricoles et viticoles. Elle est propriétaire d'un domaine agricole à [...] (VD) comprenant des vignes et des prés-champs.  
Depuis 1980, les actions de cette société étaient réparties entre quatre personnes, dont B.________. En 1989 a été fondée une entité dénommée Y.________ SA (ci-après: la holding), laquelle a reçu l'entier du capital-actions de la société. Les anciens actionnaires de celle-ci (ou leurs héritiers) détiennent des participations pratiquement égales dans la holding. 
 
A.b. Le 10 mars 2003, la société a conclu un bail à ferme agricole avec A.________, fille de la prénommée. Elle s'est adjoint les services de son mari M.________, qui avait déjà oeuvré comme exploitant du domaine.  
En 2015, la société a notifié une résiliation de bail pour justes motifs, qui a été déclarée nulle. 
Par la suite, elle a signifié un congé ordinaire, donnant lieu à un nouveau litige. En première instance, le congé a été déclaré valable pour le 31 décembre 2016, mais prolongé jusqu'au 31 décembre 2022. 
 
A.c. La société a noué des relations avec [...] SA, active dans l'immobilier et le commerce de vins.  
Le couple A.________ et M.________ s'est inquiété de la présence de cette entreprise. Il a entamé diverses démarches pour protéger ses intérêts. 
 
B.  
 
B.a. Le 10 novembre 2020, A.________ a déposé une réquisition d'inscription visant à mentionner au registre foncier un droit de préaffermage sur l'entreprise agricole, en vertu de l'art. 5 de la loi fédérale sur le bail à ferme agricole (LBFA; RS 221.213.2) et des art. 4 ss de la loi vaudoise d'application (LVLBFA; BLV 221.313). La prénommée estimait avoir la qualité de "descendant du bailleur" comme fille de B.________. A son sens, cette dernière devait être considérée comme la véritable bailleresse dès lors qu'elle détenait 25 % de la holding et officiait comme administratrice dans cette entité et la société, qui étaient toutes deux des sociétés familiales.  
Le conservateur du registre foncier a rejeté cette réquisition le 11 novembre 2020 en objectant que la bailleresse était la société qui, en tant que telle, n'avait pas de descendant. 
Le Département vaudois des finances et des relations extérieures a confirmé cette décision. 
 
B.b. Par arrêt du 8 avril 2022, la Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal vaudois a rejeté le recours interjeté dans la mesure où il était recevable.  
 
C.  
A.________ saisit le Tribunal fédéral d'un recours en matière civile visant à mentionner au registre foncier un droit de préaffermage sur l'entreprise agricole composée de diverses parcelles énoncées dans sa réquisition. 
La cour de céans a renoncé à mettre en oeuvre un échange d'écritures. 
Par ordonnance présidentielle du 13 mai 2022, la requête d'effet suspensif a été rejetée au motif que cette mesure était inapte à sauvegarder les intérêts en cause. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Les conditions de recevabilité du recours en matière civile sont réalisées sur le principe, notamment en ce qui a trait au délai de recours (art. 46 al. 1 let. a et 100 al. 1 LTF) et à la valeur litigieuse minimale de 30'000 fr. (art. 74 al. 1 let. b LTF). 
 
2.  
Le litige porte sur l'inscription au registre foncier d'une mention selon laquelle la recourante bénéficie d'un droit de préaffermage sur l'entreprise agricole propriété de la société. 
Le Tribunal cantonal a confirmé en dernier lieu le refus opposé par le conservateur du registre. Ses motifs peuvent se résumer ainsi: 
Les parcelles concernées appartiennent à la société, qui ne peut avoir des "descendants". Si la mère de la recourante détient 25 % des actions de la holding chapeautant la société, ceci ne fait pas d'elle la propriétaire/bailleresse de ces parcelles. Le fait qu'elle soit administratrice des deux entités n'y change rien. La recourante n'ayant pas qualité de "descendant du bailleur" au sens de l'art. 5 LBFA, elle ne saurait requérir l'inscription d'un droit de préaffermage. 
La recourante dénonce une interprétation erronée ou arbitraire de l'art. 5 LBFA. Elle se plaint aussi d'une inégalité de traitement. 
 
3.  
 
3.1. Aux termes de l'art. 5 LBFA,  
"1 Les cantons peuvent instituer un droit de préaffermage sur les entreprises agricoles pour les descendants du bailleur qui entendent les exploiter eux-mêmes et en sont capables. 
2 Le descendant ne pourra toutefois opposer le droit de préaffermage à un tiers que si ce droit est mentionné au registre foncier. 
3 Pour le surplus, les cantons règlent les détails et la procédure." 
Le canton de Vaud a fait usage de cette faculté aux art. 4 ss LVLBFA. 
 
3.2. La recourante prône une interprétation dynamique du terme "descendant" figurant à l'art. 5 LBFA, fondée sur le but poursuivi par le législateur plutôt que la lettre d'une disposition dont la rédaction remonte à plus de quarante ans. Il conviendrait de "lever le voile" entourant les deux sociétés et de considérer sa mère comme la propriétaire économique de l'entreprise, forte de ses 25 % d'actions dans la holding (elle-même en mains du capital-actions de la société) et de sa qualité d'administratrice dans les deux entités.  
Il n'est pas possible de lui emboîter le pas. Le législateur fédéral, à l'art. 5 LBFA, fait clairement référence aux "descendants" du bailleur (" Nachkommen des Verpächters ";" discendenti del locatore "), ce qui évoque un lien de filiation au sens du droit civil. Il s'agissait d'éviter les situations choquantes où, en raison de brouilles familiales, un père refusait de remettre l'exploitation de son domaine à son enfant et préférait prendre un fermier extérieur à la famille (cf. Message du 11 novembre 1981 concernant la loi fédérale sur le bail à ferme agricole, FF 1982 I 284; JEAN-MICHEL HENNY, La loi fédérale sur le bail à ferme agricole, in: Communications de droit agraire 1985, p. 120). L'opinion publique avait été fortement sensibilisée par quelques cas douloureux dont la presse s'était saisie (cf. CLAUDE PAQUIER-BOINAY, Le contrat de bail à ferme agricole: conclusion et droit de préaffermage, 1991, p. 215). Le droit de préaffermage vise avant tout à assurer la transition entre le moment où un descendant est à même de reprendre l'exploitation du domaine et celui où il héritera de ce bien. Il permet d'éviter qu'en raison de conflits familiaux, un exploitant doive quitter le domaine familial durant plusieurs années avant de pouvoir revenir l'exploiter à la mort du propriétaire (cf. PAQUIER-BOINAY, op. cit., p. 219 i.f. -220; HENNY, op. cit., ibidem). La doctrine ne s'exprime pas sur le cas où l'entreprise agricole appartient à une société commerciale plutôt qu'à une personne physique; l'expression "descendants" utilisée par le législateur paraît bien avoir enterré, par sa clarté, toute forme de controverse à ce sujet (cf. STUDER/HOFER, Le droit du bail à ferme agricole, 1988, p. 74 ss ad art. 5 LBFA et PAQUIER-BOINAY, op. cit., p. 219 s., lesquels se réfèrent uniquement aux descendants du bailleur par référence au rapport de filiation avec le bailleur). Le Message du Conseil fédéral n'entrevoyait d'ailleurs rien d'autre (Message précité, FF 1982 I 284).  
Cela étant, même si, par hypothèse, l'on admettait de "percer le voile" formé par les deux personnes morales, l'on se heurterait au constat que l'actionnaire considérée ne détient qu'une participation minoritaire. Dans un tel cas, le descendant en cause n'a pas l'expectative de devenir propriétaire du domaine par succession au moment du décès de son parent. Il héritera tout au plus des actions de celui-ci et restera un actionnaire minoritaire. Or, telle est bien la situation à laquelle la recourante est confrontée puisque sa mère ne détient que 25 % des actions de la holding qui chapeaute la société propriétaire du domaine. Que les autres actions soient détenues par des oncles ou tantes, respectivement par des cousins, ne sert pas la cause de la recourante, qui brandit vainement l'argument qu'il s'agirait d'une société familiale. Tout au contraire, le fait que des cousins de la recourante aient d'ores et déjà hérité des actions de leur père démontre bien que la recourante ne s'inscrit pas dans la même ligne de succession. La présente situation n'est donc en rien comparable avec celle envisagée par le législateur, soit le règlement d'une situation transitoire jusqu'à la dévolution successorale au descendant désireux et capable d'exploiter le domaine. Enfin, la recourante ne peut en déduire de règle générale s'agissant de toute personne morale qui aurait été intercalée, la configuration du cas d'espèce étant assez spécifique. 
Certes, ce système légal n'est pas immuable. Le Conseil fédéral avait d'ailleurs imprimé l'intention de procéder à des changements dans son projet PA22+ (Politique agricole à partir de 2022), englobant notamment la révision des lois fédérales sur le droit foncier rural (LDFR) et sur le bail à ferme agricole: il relevait que si moins de 1 % des entreprises agricoles étaient gérées par des personnes morales, de plus en plus d'agriculteurs envisageaient la possibilité de créer une société anonyme, une société à responsabilité limitée ou une société en commandite par actions. Il a également mis le doigt sur une des problématiques induites par la création d'une telle entité, à savoir qu'une personne morale ne peut en aucun cas avoir des liens de parenté avec une personne physique. Il s'ensuit que l'apport d'un immeuble ou d'une entreprise agricoles dans une personne morale est soumis à autorisation (cf. Rapport explicatif de l'Office fédéral de l'agriculture du 14 novembre 2018, en vue de la Consultation relative à la Politique agricole à partir de 2022, p. 125). Dans ce cadre et entre autres nouveautés, le Conseil fédéral avait proposé d'étendre le droit de préemption aux descendants du détenteur d'au moins 25 % du capital-actions (Rapport précité, p. 126; avant-projet de révision de la LDFR du 14 novembre 2018, art. 45a). Paradoxalement, il n'a pas proposé de modification correspondante du droit de préaffermage concédé aux descendants par l'art. 5 LBFA, alors même qu'il existe un lien entre les deux institutions (cf. Message précité, FF 1982 I 284: "La structure du droit de préaffermage est, pour l'essentiel, conforme à celle du droit de préemption des articles 6 ss LPR [loi sur le maintien de la propriété foncière rurale, réd.]"; MANUEL MÜLLER, Les dispositions de droit privé de la loi fédérale sur le bail à ferme agricole, in: Communications de droit agraire 1987, p. 38). 
Quoi qu'il en soit, l'extension en question n'a pas été reprise dans le projet soumis au Parlement (FF 2020 4131; FRANZ WOLF, Die Revision des bäuerlichen Bodenrechts, Botschaft AP 2022+, in: Jusletter du 30 mars 2020, p. 3). En outre, après que le Conseil fédéral eut suggéré de "découpler" la révision partielle du droit foncier rural du reste du projet PA22+, la Commission de l'économie et des redevances du Conseil des Etats a renoncé à entrer en matière sur la modification de la LDFR; elle a chargé le Conseil fédéral d'effectuer un nouvel examen approfondi et de soumettre un projet distinct au Parlement (motion 22.4253). C'est dire qu'il n'est pas encore mûr et ne saurait servir d'assise à la thèse de la recourante. 
Il n'y a donc, selon le droit positif, aucune violation du droit fédéral dont la recourante serait fondée à se plaindre. L'enseignement qu'elle croit tirer d'arrêts du Tribunal fédéral ayant trait à d'autres concepts de la LDFR ne lui est d'aucun secours (l'ATF 140 II 233 porte sur l'aliénation de parts d'une personne morale détenant une entreprise agricole et sur le régime d'autorisation des art. 61 ss LDFR). Quant à l'inégalité de traitement dont elle se prétend victime, le Tribunal fédéral n'en cerne pas la nature en lisant le bref chapitre que lui consacre le recours. Ce grief est donc irrecevable (art. 106 al. 2 LTF; ATF 134 II 244 consid. 2.2). 
En bref, la recourante n'a pas qualité de descendante de la bailleresse au sens de l'art. 5 LBFA, ce qui entraîne le rejet de sa réquisition d'inscription au registre foncier, comme la cour cantonale l'a jugé à bon droit. 
 
4.  
Le recours doit être rejeté dans la mesure où il est recevable. La recourante supportera les frais de procédure (art. 66 al. 1 LTF) mais sera dispensée de verser des dépens puisqu'aucun échange d'écritures n'a été ordonné. 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable. 
 
2.  
Les frais de procédure, fixés à 5'000 fr., sont mis à la charge de la recourante. 
 
3.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties, aux sociétés X.________ SA et Y.________ SA, à la Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal vaudois, à la Direction générale vaudoise de l'agriculture, de la viticulture et des affaires vétérinaires, à l'Office fédéral de la justice et à l'Office fédéral de l'agriculture. 
 
 
Lausanne, le 14 avril 2023 
 
Au nom de la I re Cour de droit civil  
du Tribunal fédéral suisse 
 
La Présidente : Jametti 
 
La Greffière : Monti