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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
                 
 
 
1B_435/2019  
 
 
Arrêt du 16 janvier 2020  
 
Ire Cour de droit public  
 
Composition 
MM. les Juges fédéraux Chaix, Président, 
Fonjallaz et Müller. 
Greffier : M. Kurz. 
 
Participants à la procédure 
A.________, représenté par Me Guerric Canonica, avocat, 
recourant, 
 
contre  
 
B.________, représentée par Mes Robert Assaël et Alec Reymond, avocats, 
intimée, 
 
Ministère public de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 
1213 Petit-Lancy. 
 
Objet 
refus d'ordonner à une partie de garder le silence sur la procédure, 
 
recours contre l'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre pénale de recours, du 3 juillet 2019 (ACPR/506/2019 P/6899/2018). 
 
 
Faits :  
 
A.   
Le 13 avril 2018, B.________ a déposé plainte pénale à Genève contre A.________ pour contrainte, séquestration, contrainte sexuelle aggravée, viol aggravé et toute autre infraction. Par courrier du 29 juin 2018, A.________ s'est plaint des interventions dans la presse du conseil de la plaignante. Invoquant la présomption d'innocence et la régularité de la procédure, il demandait au Ministère public d'enjoindre à l'avocat en question de garder le silence. Cette requête a été renouvelée le 12 juillet 2018, A.________ relevant notamment que le conseil de la plaignante continuait de s'exprimer régulièrement dans la presse. B.________ s'est opposée à cette requête le 20 août 2018. 
Par ordonnance du 11 septembre 2018, le Ministère public a refusé d'ordonner à la partie plaignante et à ses conseils de garder le silence sur la procédure pénale. Le même jour, il a ouvert une procédure pénale contre A.________ pour viol et contrainte sexuelle. 
Le 5 octobre 2018, la Chambre pénale de recours de la Cour de justice genevoise a rejeté le recours formé par A.________ contre cette ordonnance, considérant sur le fond que les conditions permettant de prononcer une obligation de garder le secret à la charge de la partie plaignante et de ses mandataires n'étaient pas remplies. Par arrêt du 6 mars 2019 (1B_509/2018), le Tribunal fédéral a annulé cette décision, A.________ n'ayant pas eu l'occasion de répliquer aux observations déposées par la plaignante. Statuant à nouveau après correction du vice, la Chambre pénale de recours a derechef rejeté le recours par arrêt du 3 juillet 2019. 
 
B.   
Agissant par la voie du recours en matière pénale, A.________ demande au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt cantonal et d'ordonner à la plaignante et à ses conseils de garder le silence sur la procédure et les personnes impliquées dès ce jour et jusqu'à nouvel avis de la direction de la procédure, ou pour une période définie dont le Tribunal fédéral fixera la durée. 
La Chambre pénale de recours persiste dans sa décision et renonce à des observations. Se référant à son ordonnance et à l'arrêt attaqué, le Ministère public conclut au rejet du recours. La plaignante conclut à l'irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet. Dans leurs écritures ultérieures, le recourant et la plaignante persistent dans leurs conclusions. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.   
L'arrêt attaqué a été rendu par une autorité cantonale statuant en tant que dernière instance cantonale (art. 80 LTF) dans le cadre d'une procédure pénale. Le recours a été déposé en temps utile (art. 100 al. 1 LTF) et, par conséquent, la voie du recours en matière pénale est en principe ouverte (art. 78 ss LTF). 
 
1.1. S'agissant d'une décision ne mettant pas un terme à la procédure pénale, elle revêt un caractère incident et le recours n'est recevable qu'aux conditions de l'art. 93 al. 1 let. a LTF, l'hypothèse prévue à l'art. 93 al. 1 let. b LTF n'entrant pas en considération dans le cas d'espèce. En matière pénale, le préjudice irréparable au sens de la disposition susmentionnée se rapporte à un dommage de nature juridique qui ne puisse pas être réparé ultérieurement par un jugement final ou une autre décision favorable au recourant (ATF 144 IV 127 consid. 1.3.1 p. 130).  
A cet égard, le recourant estime que la campagne médiatique menée par l'intimée et ses avocats porterait non seulement atteinte à son honneur et sa réputation, mais serait susceptible d'influencer négativement l'instruction et le procès à venir, en violation du principe de présomption d'innocence dont il devrait pouvoir bénéficier. L'intimée relève pour sa part qu'aucun indice de partialité des autorités de poursuite n'aurait été invoqué. 
La question de savoir si l'existence d'un préjudice irréparable est ainsi suffisamment démontrée peut toutefois demeurer indécise en l'espèce, compte tenu du sort du recours sur le fond. 
 
1.2. La mesure requise par le recourant auprès du Ministère public consiste en une obligation faite à l'intimée et à ses avocats de garder le silence sur la procédure, pour une durée déterminée, en application de l'art. 73 al. 2 CPP. Il s'agit d'une mesure destinée à régler provisoirement les obligations d'une partie à la procédure, dans un but de protection de l'autre partie. On peut donc y voir une mesure provisionnelle au sens de l'art. 98 LTF, et il ne s'agit pas d'une des mesures de contrainte prévues à l'art. 196 CPP pour lesquelles la jurisprudence renonce à l'application de l'art. 98 LTF en raison de l'atteinte aux droits fondamentaux qu'elles occasionnent. Seule dès lors pourrait être invoquée la violation des droits constitutionnels. La question peut elle aussi demeurer indécise car, même s'il n'est pas limité à la violation des droits constitutionnels (et en particulier à une violation arbitraire de l'art. 73 CPP), le recours doit être rejeté.  
 
1.3. Dans ses observations, l'intimée évoque la parution, au mois de septembre 2019, d'un livre intitulé " Devoir de vérité " dans lequel le recourant évoque notamment les faits qui lui sont reprochés ainsi que les raisons pour lesquelles l'intimée aurait selon lui déposé plainte. Il s'agit toutefois d'une pièce nouvelle au sens de l'art. 99 al. 1 LTF, dont il ne peut être tenu compte.  
 
2.   
Le recourant se plaint en premier lieu d'un établissement manifestement inexact des faits. Il entend ainsi préciser certains points (la portée d'une demande de consultation de dossier, limitée à la procédure de recours, l'interprétation d'un motif de recours concernant les risques pour la procédure pénale) et relève que, contrairement à ce que soutient la cour cantonale, les informations parues dans la presse ne se limitaient pas à annoncer le dépôt d'une plainte et l'ouverture d'une instruction: il mentionne plusieurs articles de presse allant bien au-delà de ces informations objectives et condamnant explicitement le recourant. Le contenu de la plainte pénale aurait par ailleurs été explicitement reproduit dans la presse. Il serait aussi erroné de retenir que le recourant aurait lui aussi librement mené une campagne de presse, puisqu'il ne se serait jamais exprimé sur la procédure pénale ouverte en Suisse. 
 
2.1. Le Tribunal fédéral conduit son raisonnement juridique sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF). Il ne peut s'en écarter que si les faits ont été établis de façon manifestement inexacte ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF), soit pour l'essentiel de façon arbitraire au sens de l'art. 9 Cst. L'appréciation des preuves est arbitraire ou manifestement inexacte au sens de l'art. 97 al. 1 LTF lorsqu'elle est en contradiction avec le dossier ou contraire au sens de la justice et de l'équité ou lorsque l'autorité ne tient pas compte, sans raison sérieuse, d'un élément propre à modifier la décision, se trompe sur le sens et la portée de celui-ci ou, se fondant sur les éléments recueillis, en tire des constatations insoutenables. Pour qu'une partie puisse demander une rectification de l'état de fait cantonal, il faut encore que celle-ci soit susceptible d'influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF; ATF 142 I 135 consid. 1.6 p. 144 s.). Le Tribunal fédéral n'entre en matière sur les moyens fondés sur la violation de droits fondamentaux, dont l'interdiction de l'arbitraire, que s'ils ont été invoqués et motivés de manière précise, les critiques de nature appellatoire étant irrecevables (art. 106 al. 2 LTF; ATF 143 IV 500 consid. 1.1 p. 503 et les références citées).  
 
2.2. Sur les deux premiers points (portée d'une demande de consultation du dossier et appréciation des motifs du recours cantonal se rapportant aux risques pour la procédure pénale) on ne voit guère - et le recourant ne l'explique pas - quelle influence une rectification des faits pourrait avoir sur le fond de la cause, qui concerne une injonction à l'égard de la partie plaignante.  
S'agissant de la teneur des articles de presse, ils reprennent le contenu de la plainte déposée à Genève (article du 13 avril 2018) que la presse a apparemment pu consulter. Il s'agit donc d'éléments factuels (se rapportant au contenu de la plainte) et décrits comme tels. Les autres articles évoqués par le recourant contiennent les déclarations du précédent conseil de la plaignante dans le cadre d'une interview. Les articles parus en septembre 2018 font état de l'ouverture formelle d'une instruction et des rapports entre les enquêtes en Suisse et en France. Dans l'ensemble de ces coupures de presse, les allégations de la plaignante sont mentionnées comme telles et lorsqu'une appréciation sur la crédibilité du recourant est émise, il s'agit des propos de l'ex-avocat de la plaignante, également retranscrits comme tels. La cour cantonale n'a donc pas versé dans l'arbitraire en retenant que les informations parues dans la presse se limitaient pour l'essentiel à annoncer le dépôt de la plainte - y compris son contenu - puis l'ouverture d'une instruction. Le grief doit être écarté. 
 
3.   
Sur le fond, le recourant se plaint d'une violation des art. 73 al. 2 CPP en lien avec les art. 6 par. 2 CEDH, 32 al. 1 Cst. et 10 al. 1 CPP, dispositions garantissant la présomption d'innocence. Il relève qu'une campagne de presse virulente peut conduire à une violation de cette garantie et risque d'influencer la conduite de l'instruction, puis les juges appelés à statuer. Si la simple communication d'un dépôt de plainte ou de l'ouverture d'une instruction ne sont pas couvertes par le secret de l'instruction, la phase de l'enquête devrait rester secrète. En l'occurrence, de nombreuses fuites auraient eu lieu et il conviendrait d'interdire à la partie plaignante de communiquer jusqu'à ce que l'origine de ces fuites ait été déterminée. Le recourant relève que les informations parues dans la presse ne se limiteraient pas au dépôt de plainte et à l'ouverture de l'instruction, mais le présenteraient comme un criminel manipulateur et dangereux. Il insiste sur le caractère systématique des interventions dans la presse, dont la cour cantonale aurait omis de tenir compte. Une application de l'art. 73 al. 2 CPP s'imposerait dans ce cas, l'information au public pouvant être assurée par la direction de la procédure. 
 
3.1. L'art. 69 CPP consacre le principe de la publicité de la justice, et des audiences en particulier, conformément aux art. 30 al. 3 Cst. et 6 par. 1 CEDH (ATF 143 I 194 consid. 3.1 p. 197). La procédure préliminaire fait toutefois exception à ce principe (art. 69 al. 3 let. a CPP). Repris de la plupart des droits de procédure cantonaux, le secret de l'enquête est motivé par les nécessités de protéger les intérêts de l'action pénale (en prévenant les risques de collusion ainsi que le danger de disparition et d'altération de moyens de preuve) ainsi que les intérêts des parties à la procédure, notamment le prévenu qui bénéficie de la présomption d'innocence garantie aux art. 6 par. 2 CEDH, 32 al. 1 Cst. et 10 al. 1 CPP (cf. également art. 74 al. 3 CPP). Il s'agit en outre de protéger le processus de formation de l'opinion et de prise de décision (ATF 126 IV 236consid. 2c/aa, p. 245) en garantissant l'impartialité du pouvoir judiciaire (arrêts CEDH  Weber c.  Suisse, du 22 mai 1990;  Dupuis et autres c.  France, du 7 juin 2007;  Tourancheau et July c.  France, du 24 novembre 2005). D'autres intérêts privés doivent aussi être pris en compte, notamment ceux de la victime qui bénéficie d'une protection accrue en vertu notamment de la LAVI et des art. 117 et 152 CPP (arrêt 6B_256/2012 du 27 septembre 2012 consid. 2.3).  
Selon l'art. 73 al. 1 CPP, les membres des autorités pénales et leurs collaborateurs ont le devoir de garder le silence sur les faits qui parviennent à leur connaissance dans le cadre d'une procédure pénale. Il s'agit d'une obligation absolue, découlant du secret de fonction au sens de l'art. 320 CP (STEINER/ARN, in Jeanneret/Kuhn/Perrier Depeursinge, Commentaire romand CPP, 2ème éd. Bâle 2019, n° 9 et 10 ad art. 73). En revanche, les parties et autres participants à la procédure (à l'exception du ministère public) ne font en principe l'objet d'aucune interdiction de communiquer les faits dont ils ont connaissance dans le cadre de la procédure; ils bénéficient du droit, garanti par l'art. 16 Cst., de s'exprimer librement sur l'affaire, et ce droit ne peut être restreint qu'aux conditions de l'art. 36 Cst., soit en présence d'une base légale et d'un intérêt public, et dans le respect du principe de proportionnalité. En vertu de l'art. 73 al. 2 CPP, la direction de la procédure peut obliger la partie plaignante, d'autres participants à la procédure ainsi que leurs conseils juridiques, sous commination de la peine prévue à l'art. 292 CP, à garder le silence sur la procédure et sur les personnes impliquées, lorsque le but de la procédure ou un intérêt privé l'exige. Cette obligation doit être limitée dans le temps. La direction de la procédure doit faire preuve de retenue dans le prononcé d'une telle injonction, puisque le principe consacré par le CPP est celui de la liberté d'expression. Le silence ne saurait ainsi être imposé aux parties que pour des motifs importants, notamment en présence d'indices concrets d'un risque d'influence sur le cours de la procédure ou d'un risque d'atteinte aux droits de la personnalité d'une autre partie (STEINER/ARN, op. cit., n° 24 ad art. 73; SAXER/THURNHERR in Niggli/Heer/Wiprächtiger, Basler Kommentar StPO, 2ème éd. Bâle 2014, nos 15 s. ad art. 73; arrêt 1B_315/2014 du 11 mai 2015 consid. 4.3). 
 
3.2. En l'occurrence, les articles parus dans la presse font état du dépôt de la plainte, tout en exposant son contenu, évidemment de nature - comme toute plainte pénale - à porter atteinte à la personnalité de la personne visée; il s'agit là toutefois d'éléments antérieurs à l'ouverture de l'enquête, la plaignante demeurant libre de présenter sa propre version des faits. Certains articles font état d'une mise en prévention, d'une audition de la plaignante ou de changement d'avocats du prévenu. Il s'agit d'indications formelles, sans révélations quant au contenu même de l'instruction ou aux faits révélés par les investigations (cf. STEINER/ARN, op. cit., n° 25 ad art. 73). Les appréciations quant à la crédibilité du recourant émanent du précédent conseil de l'intimée, lequel était d'ailleurs principalement visé par la demande du 29 juin 2018. Ses propos sont clairement repris comme la simple opinion de celui-ci.  
Cela étant, la cour cantonale a retenu que rien ne permettait d'affirmer que l'intimée ou ses conseils aient été la source des fuites et informations parues dans la presse et le recourant n'apporte, dans son grief relatif à l'établissement des faits, aucun argument pour contredire cette affirmation. Il ressort également du dossier que le recourant et ses avocats ne manquent pas eux aussi de s'exprimer dans la presse. La défense du recourant en France s'exprime largement dans les médias et le recourant, assisté de deux avocats à Genève, n'est pas dépourvu des moyens de procéder de même en Suisse: ses précédents avocats se sont eux aussi exprimés dans les médias et, en réponse à l'annonce d'une mise en prévention, ses avocats actuels ont fait paraître un démenti par communiqué de presse. Dans ces conditions, il n'y a pas à craindre une information unilatérale par les médias, préjudiciable à la présomption d'innocence ou au déroulement de la procédure. 
 
4.   
Sur le vu de ce qui précède, le recours est rejeté, en tant qu'il est recevable. Conformément aux art. 66 al. 1 et 68 al. 1 LTF, les frais judiciaires sont mis à la charge du recourant, de même que l'indemnité de dépens alloués à l'intimée, qui obtient gain de cause avec l'assistance de mandataires professionnels. 
 
 
 Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
 
1.   
Le recours est rejeté, dans la mesure où il est recevable. 
 
2.   
Une indemnité de dépens de 2'000 fr., est allouée à l'intimée B.________, à la charge du recourant 
 
3.   
Les frais judiciaires, arrêtés à 2'000 fr., sont mis à la charge du recourant. 
 
4.   
Le présent arrêt est communiqué aux parties, au Ministère public et à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre pénale de recours. 
 
 
Lausanne, le 16 janvier 2020 
 
Au nom de la Ire Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Chaix 
 
Le Greffier : Kurz