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Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
{T 0/2} 
1A.29/2002/col 
1A.30/2002 
1A.31/2002 
1A.32/2002 
1A.33/2002 
 
Arrêt du 17 mai 2002 
Ire Cour de droit public 
 
Les juges fédéraux Aemisegger, président de la Cour et vice-président du Tribunal fédéral, 
Reeb, Féraud, 
greffier Zimmermann. 
 
D.________, (1A.29/2002) 
la société S.________, (1A.30/2002) 
la société Y.________, (1A.31/2002) 
la société A.________, (1A.32/2002) 
la société M.________, (1A.33/2002) 
recourants, tous représentés par Me Alain Bruno Lévy, avocat, 17, rue Toepffer, 1206 Genève, 
 
contre 
 
Juge d'instruction du canton de Genève, case postale 3344, 1211 Genève 3, 
Chambre d'accusation du canton de Genève, place du Bourg-de-Four 1, case postale 3108, 1211 Genève 3. 
 
entraide judiciaire internationale en matière pénale à la Turquie 
 
(recours de droit administratif contre l'ordonnance de la Chambre d'accusation du canton de Genève du 19 décembre 2001) 
 
Faits: 
A. 
Le 5 octobre 2000, la banque HSBC Republic Bank (ci-après: HSBC) à Genève a fait au Bureau de communication en matière de blanchiment d'argent (ci-après: le Bureau) une communication au sens de l'art. 9 de la loi fédérale concernant la lutte contre le blanchiment d'argent dans le secteur financier, du 10 octobre 1997 (LBA; RS 955.0). HSBC a signalé que le ressortissant turc D.________, poursuivi en Turquie pour des détournements de fonds commis au détriment de la banque E.________, était titulaire de comptes ouverts auprès d'elle. 
 
Le 30 octobre 2000, l'avocat zougois X.________ a fait une communication semblable, en signalant au Bureau que les sociétés Y.________ et A.________ dont D.________ et des tiers étaient les ayants droit, avaient reçu des fonds de la banque E.________. 
 
Le Bureau a transmis ces informations au Procureur général du canton de Genève, qui a ouvert une information pénale du chef de blanchiment d'argent. 
 
Dans le cadre de cette procédure désignée sous la rubrique P/13405/2000, le Juge d'instruction du canton de Genève a ordonné la saisie de la documentation relative aux comptes suivants: 
auprès de HSBC: 
1) n° aaa, dont D.________ est le titulaire; 
2) n° bbb, dont D.________ est le titulaire; 
auprès de la Discount Bank and Trust Company, à Genève: 
3) n° ccc, dont D.________ est le titulaire; 
4) n° ddd, dont la société S.________ est la titulaire et D.________ l'ayant droit; 
5) n° eee, dont la société M.________ est la titulaire et D.________ l'ayant droit; 
auprès de l'UBS à Zoug: 
6) n° fff, dont la société A.________, est la titulaire et D.________ l'ayant droit; 
7) n° ggg, dont la société Y.________, est la titulaire et D.________ l'ayant droit. 
 
Le 19 mars 2001, l'Office fédéral de la justice (ci-après: l'Office fédéral) a, en application de l'art. 67a de la loi fédérale du 20 mars 1981 sur l'entraide internationale en matière pénale (EIMP; RS 351.1), informé spontanément le Ministère turc de la justice que, dans le cadre de la procédure pénale ouverte à Genève, il avait été établi que D.________ détenait ou avait détenu des comptes auprès de la Discount Bank, d'HSBC et de l'UBS. Les transactions effectuées sur ces comptes pourraient présenter un lien avec les faits à l'origine de l'arrestation de D.________ en Turquie. Pour le cas où les autorités turques voulaient en savoir davantage, l'Office fédéral les a invitées à lui adresser une demande d'entraide judiciaire. 
B. 
Le 4 avril 2001, le Ministère de la justice de la République de Turquie a adressé à l'Office fédéral une demande d'entraide judiciaire pour les besoins de l'enquête menée par la Cour de sûreté de l'Etat à l'encontre de D.________. Selon un exposé joint à la demande, établi par Ercan Cengiz, Procureur auprès de la Cour de sûreté de l'Etat, D.________ avait dirigé la banque E.________ du 4 mai 1998 jusqu'au 22 décembre 1999, date de sa reprise par le Fonds d'assurance des dépôts et de l'épargne. Durant cette période, D.________ et ses complices auraient détourné des fonds de la banque E.________, pour un montant total de 642 trillions de livres turques, correspondant à 1'200'000'000 USD. A raison de ces faits, D.________ serait poursuivi des chefs d'organisation en vue de commettre des malversations et d'escroquerie qualifiée. Une partie de ces fonds aurait été utilisée à des fins personnelles et acheminée sur des comptes bancaires à l'étranger. La demande tendait à la remise de la documentation relative aux comptes détenus ou contrôlés par D.________ en Suisse, visés dans la communication du 19 mars 2001. 
 
L'Office fédéral a délégué l'exécution de la demande au Juge d'instruction chargé de la procédure P/13405/2000. 
 
Le 7 mai 2001, le Juge d'instruction a rendu une décision d'entrée en matière. 
 
Le 21 juin 2001, à la demande de l'Office fédéral, l'Etat requérant a précisé que D.________ était poursuivi pour gestion déloyale au sens de l'art. 1 de la loi n° 4422, de malversation au sens des art. 22 et 23 de la loi sur les banques et d'escroquerie au sens de l'art. 503 al. 1 du Code pénal turc. Ces délits auraient été commis en bande organisée selon l'art. 313 al. 1 du Code pénal turc. 
 
Le 10 juillet 2001, le Juge d'instruction a clos la procédure en ordonnant la transmission à l'Etat requérant de la documentation relative aux comptes saisis dans le cadre de la procédure P/13405/2000. Il a réservé le principe de la spécialité. 
Le 19 décembre 2001, la Chambre d'accusation du canton de Genève a rejeté les recours formés par D.________, les sociétés S.________, Y.________, A.________ et M.________ contre les décisions des 7 mai et 10 juillet 2001, qu'elle a confirmées. 
C. 
Agissant séparément par la voie du recours de droit administratif, D.________, la société S.________, la société Y.________, la société A.________ et la société M.________ demandent principalement au Tribunal fédéral d'annuler les décisions des 19 décembre, 10 juillet et 7 mai 2001. A titre subsidiaire, ils requièrent que l'Etat requérant soit invité à compléter la demande. Ils invoquent les art. 29 al. 2 Cst., 2 et 14 CEEJ, 28, 64 et 67a EIMP. D.________ soulève en outre le grief tiré de l'art. 2 EIMP
La Chambre d'accusation se réfère à sa décision. Le Juge d'instruction et l'Office fédéral proposent le rejet des recours. 
 
Invités à répliquer, les recourants ont maintenu leurs conclusions. 
 
Le Tribunal fédéral considère en droit: 
1. 
Les recours sont formés contre des décisions identiques rendues dans la même procédure et soulèvent, pour l'essentiel, les mêmes griefs. Il se justifie de les joindre et de statuer en un seul arrêt (cf. ATF 127 V 29 consid. 1 p. 33, 156 consid. 1 p. 157; 123 II 18 consid. 1 p. 20). 
2. 
2.1 L'entraide entre la Confédération suisse et la République de Turquie est régie par la Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale (CEEJ; RS 0.351.1), conclue à Strasbourg le 20 avril 1959, entrée en vigueur le 20 mars 1967 pour la Suisse et le 22 septembre 1969 pour la Turquie. Les dispositions de ce traité l'emportent sur le droit autonome qui régit la matière, soit l'EIMP et son ordonnance d'exécution (OEIMP; RS 351.11). Les dispositions de celles-ci restent cependant applicables aux questions non réglées, explicitement ou implicitement, par le droit conventionnel, et lorsque le droit interne est plus favorable à l'entraide que la Convention (ATF 123 II 134 consid. 1a p. 136; 122 II 140 consid. 2 p. 142; 120 Ib 120 consid. 1a p. 122/123, 189 consid. 2a p. 191/192, et les arrêts cités). Est en outre réservé le respect des droits fondamentaux (ATF 123 II 595 consid. 7c p. 617). 
2.2 La voie du recours de droit administratif est ouverte contre la décision confirmant la transmission de la documentation bancaire à l'Etat requérant (cf. art. 25 al. 1 EIMP). Elle est aussi ouverte, simultanément avec le recours dirigé contre la décision de clôture (art. 80d EIMP), contre les décisions incidentes antérieures (art. 80e EIMP), et contre la transmission spontanée d'informations faite en application de l'art. 67a EIMP (ATF 125 II 238 consid. 6a p. 247, 356 consid. 3a p. 361). 
2.3 Les recourants ont qualité pour agir, au sens de l'art. 80h let. b EIMP, mis en relation avec l'art. 9a let. a OEIMP, contre la transmission de la documentation relative aux comptes bancaires dont ils sont les titulaires (ATF 127 II 198 consid 2d p. 205; 126 II 258 consid. 2d/aa p. 260; 125 II 356 consid. 3b/bb p. 362, et les arrêts cités). Ils sont aussi recevables à contester, au travers de la décision de clôture, la transmission spontanée d'informations selon l'art. 67a EIMP (ATF 125 II 356 consid. 3b/bb p. 362; 125 II 238 consid. 6a p. 247). D.________ a en outre qualité pour soulever le grief tiré de l'art. 2 EIMP (ATF 125 II 356 consid. 3b/bb p. 362; cf. aussi ATF 115 Ib 68 consid. 6 p. 86/87). 
2.4 Les conclusions qui vont au-delà de l'annulation de la décision sont recevables (art. 25 al. 6 EIMP et 114 OJ; ATF 122 II 373 consid. 1c p. 375; 118 Ib 269 consid. 2e p. 275; 117 Ib 51 consid. 1b p. 56, et les arrêts cités). Le Tribunal fédéral examine librement si les conditions pour accorder l'entraide sont remplies et dans quelle mesure la coopération internationale doit être prêtée (ATF 123 II 134 consid. 1d p. 136/137; 118 Ib 269 consid. 2e p. 275). Il statue avec une cognition libre sur les griefs soulevés sans être toutefois tenu, comme le serait une autorité de surveillance, de vérifier d'office la conformité de la décision attaquée à l'ensemble des dispositions applicables en la matière (ATF 123 II 134 consid. 1d p. 136/137; 119 Ib 56 consid. 1d p. 59). 
3. 
Selon les recourants, l'exposé des faits joint à la demande serait insuffisant. 
3.1 La demande d'entraide doit indiquer l'organe dont elle émane et le cas échéant, l'autorité pénale compétente (art. 14 al. 1 let. a CEEJ et 28 al. 2 let. a EIMP); son objet et ses motifs (art. 14 al. 1 let. b CEEJ et 28 al. 2 let. b EIMP); la qualification juridique des faits (art. 14 al. 2 CEEJ et 28 al. 2 let. c EIMP); la désignation aussi précise et complète que possible de la personne poursuivie (art. 14 al. 1 let. c CEEJ et 28 al. 2 let. d EIMP), ainsi que le lieu, la date et le mode de commission de l'infraction (art. 10 al. 2 OEIMP). Les indications fournies à ce titre doivent simplement suffire pour vérifier que la demande n'est pas d'emblée inadmissible (ATF 116 Ib 96 consid. 3a p. 101; 115 Ib 68 consid. 3b/aa p. 77). 
3.2 Ces conditions ne sont manifestement pas remplies en l'espèce. La demande du 4 avril 2001 se borne à confirmer que des poursuites sont engagées en Turquie contre D.________, accusé d'avoir détourné à son profit personnel des fonds appartenant à la banque E.________ dont il assumait la direction. La demande indique les dispositions légales applicables et précise la mission confiée aux autorités suisses. Toutefois, hormis le montant faramineux du préjudice subi, elle ne contient pas le moindre élément permettant de déterminer comment de tels détournements auraient pu être commis, ni de description, même succincte, du mode opératoire, des mécanismes mis en place, du rôle exact joué par D.________ et par ses complices, dont on ne sait pas, au demeurant, qui ils sont. Sur le vu de la demande, l'autorité suisse n'est pas en mesure d'examiner si la condition de la double incrimination est remplie, ni de vérifier l'application du principe de la proportionnalité. Que la demande ait été, comme en l'espèce, présentée à la suite d'une transmission spontanée d'informations selon l'art. 67a EIMP, ne diminue en rien les exigences de motivation posées aux art. 14 CEEJ et 28 EIMP. L'Office fédéral aurait pu, dans sa communication du 19 mars 2001, signaler ce point aux autorités turques, de manière à prévenir toute difficulté à cet égard. 
3.3 Les recours doivent être admis pour ce seul motif et les décisions attaquées annulées. Cela n'implique pas nécessairement que l'entraide doive être refusée à la Turquie. L'Etat requérant peut en effet être invité à remédier aux défauts formels de la demande, en complétant l'exposé des faits (art. 28 al. 6 EIMP). Il appartiendra à l'Office fédéral, auquel il convient de renvoyer les causes (auxquelles est joint le dossier cantonal d'exécution de la demande) selon l'art. 114 al. 2 OJ appliqué par analogie, d'envisager une démarche en ce sens auprès de l'Etat requérant. S'il réclamait un complètement de la demande, l'Office fédéral devra saisir cette occasion pour inviter l'Etat requérant à préciser en outre, pièces à l'appui, l'état de la procédure ouverte contre D.________. Dans leur réplique du 22 avril 2002 en effet, les recourants ont allégué que la Cour de sûreté de l'Etat se serait déclarée incompétente pour connaître du cas de D.________, le 1er mars 2002; la Cour d'assises d'Istanbul aurait à son tour décliné sa compétence, le 27 mars 2002, et ce conflit serait en voie d'être tranché par la Cour de cassation. Si le dessaisissement de la Cour de sûreté de l'Etat devait se confirmer, la situation pourrait se présenter sous un jour différent, s'agissant notamment du grief relatif à la situation des droits de l'homme dans l'Etat requérant. Afin d'accélérer le traitement de la procédure, conformément au principe de célérité gouvernant celle-ci (art. 17a al. 1 EIMP), il paraîtrait adéquat que l'Office fédéral statue lui-même selon l'art. 79a let. c EIMP, en rendant le cas échéant une nouvelle décision d'entrée en matière et de clôture, après avoir reçu le complément de la demande. La documentation bancaire réclamée par l'Etat requérant étant d'ores et déjà réunie, l'intervention des autorités cantonales pourrait constituer un allongement inutile de la procédure, compte tenu aussi des délais dans lesquels la Chambre d'accusation traite les recours qui lui sont soumis. Contre la décision de l'Office fédéral, les recourants pourront, le cas échéant, former un recours de droit administratif. Ils ne sauraient sous cet aspect se plaindre d'une violation du droit à un double degré de juridiction que la loi ne leur garantit pas en l'occurrence. 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce: 
 
1. 
Les causes 1A.29/2002, 1A.30/2002, 1A.31/2002, 1A.32/2002 et 1A.33/2002 sont jointes. 
2. 
Les recours sont admis et les décisions attaquées annulées. Les causes sont renvoyées à l'Office fédéral pour nouvelle décision au sens des considérants 3.2 et 3.3. 
3. 
Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire. 
4. 
L'Etat de Genève versera aux recourants une indemnité globale de 7'500 fr. à titre de dépens. 
5. 
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire des recourants, au Juge d'instruction et à la Chambre d'accusation du canton de Genève, ainsi qu'à l'Office fédéral de la justice (B 125 749). 
Lausanne, le 17 mai 2002 
Au nom de la Ire Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le président: Le greffier: