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[AZA 0/2] 
 
4C.107/2001 
 
Ie COUR CIVILE 
**************************** 
 
20 août 2001 
 
Composition de la Cour: M. Walter, président, M. Leu, 
M. Corboz, Mme Klett et Mme Rottenberg Liatowitsch, juges. 
Greffière: Mme Godat Zimmermann. 
 
_________________ 
 
Dans la cause civile pendante 
entre 
L.________, demanderesse et recourante, représentée par Me Pierre Hack, avocat à Lausanne, 
 
et 
1. le Bureau X.________, 
 
2. B.________, 
défendeurs et intimés, représentés par Me Jean-Luc Colombini, avocat à Lausanne; 
(responsabilité civile automobile; invalidité; perte de gain) 
Vu les pièces du dossier d'où ressortent 
les faits suivants: 
 
A.- L.________, ressortissante portugaise, est née le 4 février 1964. Au bénéfice d'un permis B, elle a travaillé en Suisse en 1988. Elle y est revenue en 1992 pour occuper un emploi de serveuse; elle était alors munie d'un permis A, valable jusqu'au 30 septembre 1992. Elle a conservé ce poste au-delà de cette date; en novembre 1992, son salaire mensuel s'élevait à 2400 fr. 
 
Le 17 novembre 1992, L.________, passagère d'un véhicule immatriculé en Espagne et conduit par B.________, a été victime d'un accident de circulation près de Lausanne. 
Sérieusement blessée, elle a été hospitalisée plus de deux mois, puis transférée dans un établissement médico-social, où elle a suivi un traitement de physiothérapie. Depuis l'accident, elle souffre de troubles psychiques invalidants. 
 
Pour lui permettre de se soigner en Suisse, l'Office vaudois de contrôle des habitants et de police des étrangers a accordé à L.________ plusieurs autorisations de séjour de courte durée. Le 21 août 1995, il lui a refusé une nouvelle autorisation et lui a imparti un délai de départ. Par arrêt du 30 juillet 1996, le Tribunal administratif du canton de Vaud a rejeté un recours de L.________ et lui a fixé un délai au 15 septembre 1996 pour quitter le territoire vaudois. 
 
Par jugement du 12 juin 1996, le Tribunal de police du district de Lausanne a condamné B.________ pour lésions corporelles graves par négligence; la Cour de cassation pénale du Tribunal cantonal a rejeté le recours formé par le conducteur. 
 
B.- Par demande du 5 novembre 1996, L.________ a ouvert action contre l'assurance Y.________, assureur apériteur, et B.________. Elle concluait au paiement par les défendeurs, solidairement, de la somme de 574 639 fr.15, plus intérêts. 
 
A la suite d'une convention de substitution de parties, le Bureau X.________ (ci-après: le Bureau) a pris la place de l'assurance Y.________ au procès. 
 
Par jugement du 19 juin 2000 dont les considérants ont été notifiés le 14 février 2001, la Cour civile du Tribunal cantonal du canton de Vaud a condamné les défendeurs, solidairement entre eux, à payer à la demanderesse la somme de 54 500 fr., plus intérêts. 
 
C.- L.________ interjette un recours en réforme au Tribunal fédéral. Elle conclut à la réforme du jugement du 19 juin 2000 en ce sens que les défendeurs doivent lui payer solidairement la somme de 214 060 fr., plus intérêts. 
 
Par décision du 28 mai 2001, la Cour de céans a admis la demande d'assistance judiciaire de la demanderesse, limitée à la dispense des frais judiciaires et des sûretés pour les dépens. 
 
Le Bureau et B.________ proposent le rejet du recours dans la mesure où il est recevable. 
 
Considérant en droit : 
 
1.- Seule est litigieuse devant le Tribunal fédéral la perte de gain déterminante pour calculer le dommage consécutif à l'invalidité. La réduction de deux tiers opérée en vertu de l'art. 44 CO sur les dommages-intérêts dus à la demanderesse et le montant de 5000 fr. alloué à titre de réparation morale ne sont pas contestés. 
 
Pour arrêter le dommage subi par la demanderesse en raison de son incapacité de travail jugée totale et permanente, la cour cantonale est partie d'une perte de gain de 1000 fr. par mois. Ignorant quand la demanderesse serait retournée au Portugal si elle n'avait pas été blessée, les juges précédents relèvent que, de toute manière, elle aurait déjà dû quitter la Suisse à la date de l'accident, son permis étant échu. Comme elle n'a pas respecté les conditions de l'autorisation de travail, la demanderesse n'est pas fondée à invoquer le revenu mensuel de 2400 fr. qu'elle réalisait à l'Auberge communale. La cour cantonale a ensuite appliqué l'art. 42 al. 2 CO pour déterminer le gain que la demanderesse aurait pu réaliser comme serveuse au Portugal. 
S'inspirant de la jurisprudence rendue à l'égard de lésés de nationalité italienne ou espagnole, elle a estimé justifié de procéder à une réduction de plus de 50% sur le revenu obtenu en Suisse par la demanderesse. 
 
Selon la décision attaquée, la perte de gain entre l'accident et le jugement, dont la date est fixée théoriquement au 31 mai 2000, est ainsi de 90 433 fr. Après l'imputation des indemnités journalières LAA/LAC versées jusqu'au 31 janvier 1994 et de la rente AI allouée dès le 1er novembre 1993, soit 76 555 fr. au total, le dommage passé a été arrêté à 13 878 fr. Compte tenu de la réduction de deux tiers, la demanderesse s'est vu allouer un premier montant (arrondi) de 4500 fr. à titre de dommages-intérêts. 
 
La cour cantonale a calculé le dommage futur également sur la base d'une perte de gain annuelle de 12 000 fr. 
En application de la table 20 de Stauffer/Schaetzle, le dommage capitalisé a été fixé à 249 120 fr., dont il convenait d'imputer la rente AI capitalisée, soit 111 191 fr.40. Après avoir réduit de deux tiers le résultat obtenu de 137 928 fr.60, les juges précédents ont accordé à la demanderesse un second montant (arrondi) de 45 000 fr. à titre de dommages-intérêts. 
 
2.- a) Dans un premier moyen, la demanderesse critique les juges cantonaux pour avoir admis qu'elle serait retournée au Portugal pour y gagner sa vie même sans la survenance de l'accident. Elle fait valoir que son invalidité l'a précisément empêchée d'obtenir un permis de séjour en Suisse et que sa vie aurait pris un cours très différent si l'accident n'avait pas eu lieu. En effet, il ressort des faits retenus dans le jugement attaqué que la demanderesse "voulait gagner sa vie en Suisse" et que "son plaisir était d'avoir [son] modeste travail et de subvenir à ses besoins". Selon la demanderesse, la situation irrégulière dans laquelle elle se trouvait en novembre 1992 ne permettait pas à la cour cantonale de déduire qu'elle serait très rapidement retournée gagner sa vie au Portugal si elle n'avait pas été atteinte dans sa capacité de gain. Les juges cantonaux auraient dû bien plutôt rechercher si, sans la survenance de l'accident, la demanderesse aurait pu exercer une activité lucrative en Suisse en situation régulière. Or, la réponse aurait été positive si l'on se réfère à la législation sur le séjour des étrangers. A cet égard, la demanderesse insiste sur le peu de gravité de l'infraction qu'elle a commise et soutient qu'elle aurait pu, si elle n'était pas devenue invalide, obtenir facilement, en tant que ressortissante de l'Union européenne, un nouveau permis A dans le domaine de l'hôtellerie, puis, après quatre ans, un permis B. 
 
b) En vertu de l'art. 46 al. 1 CO, applicable par renvoi de l'art. 62 al. 1 LCR, la victime de lésions corporelles a droit à la réparation du dommage qui résulte de son incapacité de travail totale ou partielle, ainsi que de l'atteinte portée à son avenir économique. Le préjudice s'entend au sens économique; est déterminante la diminution de la capacité de gain. Selon la jurisprudence, le dommage consécutif à l'invalidité doit, autant que possible, être établi de manière concrète (ATF 117 II 609 consid. 9 p. 624; 113 II 345 consid. 1a p. 347; 100 II 298 consid. 4a p. 304; 99 II 214 consid. 3a p. 216; arrêts non publiés du 13 juillet 2000 reproduit in SJ 2001, p. 110 ss et du 15 décembre 1993 reproduit in SJ 1994, p. 275 ss). Cela implique en particulier de tenir compte de facteurs - indépendants de l'accident - de diminution de la capacité de gain du lésé, tel le retour prévisible d'un travailleur immigré dans un pays connaissant des conditions salariales moins favorables que la Suisse (ATF 100 II 352 consid. 6 p. 357; cf. également ATF 97 II 123 consid. 6 p. 131 in fine; arrêt non publié du 10 mars 1981, reproduit in JdT 1981, p. 457 ss). Encore faut-il qu'il existe des indices selon lesquels le lésé serait rentré dans son pays après un certain temps et qu'il y aurait réalisé un revenu plus bas (Schaetzle/Weber, Kapitalisieren - Handbuch zur Anwendung der Barwerttafeln, 5e éd., n. 2.292, p. 137; Brehm, Berner Kommentar, n. 63a ad Vorbemerkungen zu Art. 45 und 46 OR). 
 
 
La fixation du dommage ressortit en principe au juge du fait. Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral n'intervient que si l'autorité cantonale a méconnu la notion juridique du dommage (ATF 116 II 480 consid. 3a) ou s'est laissé guider par des critères erronés (ATF 113 II 345 consid. 1 p. 346 et les arrêts cités). 
 
 
c) Au moment de l'accident, la demanderesse ne disposait plus d'une autorisation valable de travailler en Suisse. 
Sur ce point, la situation est différente des exemples cités ci-dessus. En pareil cas, il appartenait à la demanderesse d'apporter les éléments permettant de rendre vraisemblable que, sans la survenance de l'accident, elle serait restée en Suisse et y aurait exercé une activité de manière régulière. Or, aucun indice figurant dans le jugement attaqué ne laisse supposer que la demanderesse aurait entrepris des démarches afin de régulariser sa situation. Certes, la cour cantonale retient que la demanderesse voulait gagner sa vie en Suisse; cependant, selon une autre constatation du jugement attaqué, la demanderesse a affirmé elle-même qu'elle était restée au-delà du 30 septembre 1992 à la demande de son patron, ce qui tend à relativiser son intention de demeurer ici. En outre, elle avait déjà travaillé en Suisse en 1988, mais était retournée rapidement dans son pays. 
 
Conformément à l'art. 28 al. 1 let. a de l'ordonnance limitant le nombre des étrangers (OLE; RS 823. 21), une autorisation saisonnière peut, sur demande, être transformée en autorisation à l'année pour des ressortissants d'États de l'Union européenne lorsque le requérant a travaillé en Suisse régulièrement comme saisonnier pendant trente-six mois au total au cours des quatre dernières années consécutives. En l'espèce, rien n'autorise toutefois à présumer que, en l'absence d'atteinte à sa capacité de gain, la demanderesse, en situation irrégulière, aurait cherché à remplir ces conditions, puis, le cas échéant, demandé un permis B, ni qu'il eût été donné une suite favorable à cette requête. 
 
Un long séjour en Suisse en situation légale ne pouvait ainsi être tenu pour probable. Dans ce contexte, la solution de la cour cantonale consistant à faire abstraction du salaire réalisé en Suisse pour fixer le préjudice n'apparaît nullement contraire au droit fédéral, singulièrement au principe du calcul concret du dommage. Le premier moyen doit être rejeté. 
 
3.- a) Dans un second moyen, qualifié de très subsidiaire, la demanderesse reproche à la cour cantonale d'avoir ignoré que, depuis l'entrée en vigueur des accords de Schengen, les ressortissants des États de l'Union européenne sont libres de s'installer et de travailler dans tout autre pays de l'Union. Ainsi, même en admettant que la demanderesse en bonne santé ne serait pas nécessairement demeurée en Suisse, il n'y aurait pas eu de raison de se fonder sur le revenu d'une serveuse au Portugal; en effet, la demanderesse aurait certainement cherché à travailler dans un autre pays européen où les salaires sont plus élevés qu'au Portugal, par exemple dans les pays du Nord de l'Europe, dont les revenus et le coût de la vie seraient tout à fait comparables à ceux de la Suisse. Il s'agirait là d'un fait notoire, ressortant de l'Annuaire statistique de la Suisse 2000 (p. 160). 
 
Dans le même ordre d'idées, la demanderesse invoque également les accords bilatéraux, concernant notamment la libre circulation des personnes, passés entre la Suisse et les États de l'Union européenne. 
 
b) La perte de gain d'un lésé correspond à ce qu'il aurait pu gagner s'il n'avait pas été atteint dans sa capacité de gain et/ou son avenir économique. Comme on l'a vu, la cour cantonale pouvait admettre, sans violer le droit fédéral, que la demanderesse aurait quitté la Suisse si l'accident n'était pas survenu. En pareille hypothèse, la perte de gain est présumée correspondre, plus particulièrement pour calculer le dommage futur, à ce que le lésé aurait pu gagner après être rentré dans son pays. En règle générale, s'il estime ce revenu plus bas que le gain réalisable en Suisse, le juge fixera un montant global, sans faire une comparaison en pourcent (ATF 100 II 352 consid. 6; cf. également 97 II 123 consid. 5; arrêt précité du 10 mars 1981; Stauffer/Weber, op. 
cit. , n. 2.292 et 2.294, p. 137; Brehm, op. cit. , n. 63 ad Vorbemerkungen zu Art. 45 und 46 OR; Bussy & Rusconi, Commentaire du code suisse de la circulation routière, 3e éd., ch. 2.2c ad art. 62 LCR, p. 573). 
 
 
Dans cette perspective, la possibilité pour un ressortissant d'un État de l'Union de travailler dans n'importe quel autre pays européen ou même en Suisse ne saurait être considérée de manière abstraite. Il n'y aura lieu de la prendre en compte que si celui qui s'en prévaut fournit des éléments concrets permettant de tenir pour éminemment probable un emploi dans un pays déterminé autre que le sien. Sans cette exigence de base, le juge serait conduit à calculer la perte de gain de tout citoyen européen sur la base d'un salaire européen moyen, ce qui ne manquerait pas d'aboutir à des résultats sans rapport avec la réalité. Un tel mode de procéder serait d'autant plus injustifiable que la proportion de citoyens communautaires établis sur le territoire d'un État membre autre que leur pays d'origine est relativement faible (5,5 millions sur une population totale de 370 millions, soit 1,5%; cf. Nguyen, L'Accord bilatéral sur la libre circulation des personnes et le droit de la police des étrangers, in RDAF 2001, p. 135). 
 
En l'espèce, il n'a nullement été établi - et rien dans les faits constatés par la cour cantonale ne permet de le retenir - que la recourante aurait travaillé dans un État de l'Union autre que le Portugal si l'accident n'était pas survenu. En conséquence, c'est à juste titre que les juges précédents s'en sont tenus à l'appréciation du salaire que la demanderesse aurait pu réaliser dans son pays en tant que serveuse. Le moyen se révèle là aussi mal fondé. 
Sur le vu de ce qui précède, le recours ne peut être que rejeté. 
 
4.- Conformément à la décision sur l'assistance judiciaire, la demanderesse sera dispensée de payer les frais de la procédure devant le Tribunal fédéral, sans qu'il y ait lieu d'octroyer des honoraires à son avocat (art. 152 al. 1 OJ). En revanche, comme elle succombe, elle devra verser aux défendeurs une indemnité à titre de dépens (art. 159 al. 1 OJ). 
 
Par ces motifs, 
 
le Tribunal fédéral : 
 
1. Rejette le recours et confirme le jugement attaqué; 
 
2. Dit qu'il n'est pas perçu de frais; 
 
3. Dit que la demanderesse versera aux défendeurs, créanciers solidaires, une indemnité de 4000 fr. à titre de dépens; 
4. Communique le présent arrêt en copie aux mandataires des parties et à la Cour civile du Tribunal cantonal du canton de Vaud. 
 
____________ 
Lausanne, le 20 août 2001 ECH 
 
Au nom de la Ie Cour civile 
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE: 
Le Président, 
 
La Greffière,