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[AZA 0] 
 
1P.135/2000 
 
Ie COUR DE DROIT PUBLIC 
********************************************** 
 
22 mars 2000 
 
Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président, 
Jacot-Guillarmod et Favre. Greffier: M. Kurz. 
 
__________ 
 
Statuant sur le recours de droit public 
formé par 
L.________, représenté par Me Pascal Junod, avocat à Genève, 
 
contre 
l'ordonnance rendue le 8 février 2000 par la Chambre d'accusation du canton de Genève; 
 
(détention préventive) 
 
Vu les pièces du dossier d'où ressortent 
les faits suivants: 
 
A.- L.________, ressortissant suisse né en 1966, se trouve en détention préventive à Genève depuis le 23 août 1999 sous l'inculpation d'infraction à l'art. 19 de la loi fédérale sur les stupéfiants. Le 8 août 1999, S.________ et D.________ avaient été arrêtées à la douane de Bardonnex au volant d'un véhicule prêté par L.________, en possession de 2 kg de cocaïne. La drogue, dissimulée dans la roue de secours, provenait de Madrid et était destinée au marché zurichois. 
 
La détention préventive de L.________ a été prolongée par décisions de la Chambre d'accusation genevoise des 27 août 1999 et 9 novembre 1999, en raison des risques de collusion et de fuite. 
 
B.- Par ordonnance du 8 février 2000, la Chambre d'accusation a autorisé une nouvelle prolongation de la détention, jusqu'au 8 mai 2000. Les charges ont été jugées suffisantes compte tenu des circonstances dans lesquelles L.________ avait accepté d'accompagner D.________ en Espagne, et lui avait laissé sa voiture à disposition pour le retour en Suisse. L'instruction n'était pas encore achevée et le risque de fuite a été retenu, nonobstant la nationalité suisse du prévenu, compte tenu de sa propension à voyager malgré son manque apparent de ressources. 
 
C.- L.________ forme un recours de droit public contre cette ordonnance; il en demande l'annulation, ainsi que sa mise en liberté immédiate. 
 
La Chambre d'accusation se réfère aux considérants de son ordonnance. Le Procureur général conclut au rejet du recours. Le recourant a eu l'occasion de répliquer. 
Considérant en droit : 
 
1.- Le recours est interjeté dans le délai et les formes utiles contre une décision rendue en dernière instance cantonale, le recourant ayant par ailleurs qualité pour agir (art. 88 OJ). Le recourant conclut à sa mise en liberté immédiate. 
Par exception à la nature essentiellement cassatoire du recours de droit public, cette conclusion est recevable (ATF 124 I 327 consid. 4 p. 332). 
 
2.- Une mesure de détention préventive n'est compatible avec le droit constitutionnel, aujourd'hui essentiellement l'art. 31 Cst. , et le droit international, en particulier l'art. 5 CEDH, que si elle repose sur une base légale (art. 31 al. 1 et art. 36 al. 1 Cst.), soit en l'espèce l'art. 34 du code de procédure pénale genevois (CPP/GE). Elle doit en outre répondre à un intérêt public et respecter le principe de la proportionnalité (art. 36 al. 2 et 3 Cst. ; ATF 123 I 268 consid. 2c p. 270). Pour que tel soit le cas, la privation de liberté doit être justifiée par les besoins de l'instruction, un risque de fuite ou un danger de collusion ou de réitération (cf. art. 34 let. b et c CPP/GE). La gravité de l'infraction - et l'importance de la peine encourue - ne sont, à elles seules, pas suffisantes (ATF 117 Ia 70 consid. 4a). Préalablement à ces conditions, il doit exister à l'égard de l'intéressé des charges suffisantes (ATF 116 Ia 144 consid. 3). Cette dernière exigence coïncide avec la règle de l'art. 5 par. 1 let. c CEDH, qui autorise l'arrestation d'une personne s'il y a des raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis une infraction. 
 
S'agissant d'une restriction grave à la liberté personnelle, le Tribunal fédéral examine librement ces questions, sous réserve toutefois de l'appréciation des preuves, revue sous l'angle restreint de l'arbitraire (ATF 123 I 268 consid. 2d p. 271). L'autorité cantonale dispose ainsi d'une grande liberté dans l'appréciation des faits (ATF 114 Ia 283 consid. 3, 112 Ia 162 consid. 3b). 
 
3.- Invoquant principalement l'interdiction de l'arbitraire (art. 9 Cst.), ainsi que les art. 10, 31 Cst. et 5 CEDH, le recourant critique l'appréciation des preuves opérée par la cour cantonale. Il soutient que les charges retenues à son encontre reposeraient sur les seules déclarations de ses coïnculpées S.________ et D.________, qui seraient contradictoires et fantaisistes, alors que ses propres explications, claires et constantes, seraient corroborées par d'autres témoins. 
 
a) Appelé à se prononcer sur la constitutionnalité d'une décision de maintien en détention préventive, le Tribunal fédéral n'a pas à procéder à une pesée complète des éléments à charge et à décharge, ni à apprécier la crédibilité des personnes ou des éléments de preuve mettant en cause le prévenu. Il doit uniquement examiner s'il existe des indices sérieux de culpabilité justifiant une telle mesure (ATF 116 Ia 143 consid. 3c p. 146). L'intensité des charges n'est par ailleurs pas la même aux divers stades de l'instruction pénale; si des soupçons encore peu précis peuvent être suffisants dans les premiers temps de l'enquête, la perspective d'une condamnation doit apparaître vraisemblable après l'accomplissement des actes d'instruction envisageables (arrêt non publié F. du 27 novembre 1991, non reproduit sur ce point in SJ 1992, 191). 
 
b) En l'espèce, le recourant se livre à une critique appellatoire des dépositions de ses deux coïnculpées. Ses arguments relèvent de l'examen du fond auquel l'autorité de jugement aura à se livrer. Même si leurs dépositions ne sont pas dénuées d'ambiguïtés, S.________ et D.________ ont clairement affirmé que le recourant avait organisé la livraison de la cocaïne, après avoir été mis en contact avec un fournisseur de nationalité colombienne. Comme le relève la cour cantonale, l'attitude du recourant, consistant à se rendre à Madrid et à loger chez un revendeur de cocaïne, avant de décider de partir au Brésil avec son épouse et de laisser sa voiture à deux femmes "connues des services de police" afin de la ramener en Suisse, permet de nourrir à son encontre des soupçons légitimes. S'agissant de trafic de stupéfiants, il arrive fréquemment que les personnes impliquées se chargent mutuellement et tentent de minimiser leur rôle. A ce stade, l'argumentation à décharge du recourant ne permet donc pas de nier la réalité des indices recueillis à son encontre. Partant, l'appréciation de la cour cantonale ne saurait être qualifiée d'insoutenable. 
 
4.- Le recourant conteste ensuite l'existence des risques de collusion, de fuite et de réitération. 
 
a) Le maintien du prévenu en détention peut être justifié par l'intérêt public lié aux besoins de l'instruction en cours, par exemple lorsqu'il est à craindre que l'intéressé ne mette sa liberté à profit pour faire disparaître ou altérer les preuves, ou qu'il prenne contact avec des témoins ou d'autres prévenus pour tenter d'influencer leurs déclarations. 
On ne saurait toutefois se contenter d'un risque de collusion abstrait, car ce risque est inhérent à toute procédure pénale en cours et doit, pour permettre à lui seul le maintien en détention préventive, présenter une certaine vraisemblance (ATF 123 I 31 consid. 3c p. 36, 117 Ia 257 consid. 4c p. 261). L'autorité doit ainsi indiquer, au moins dans les grandes lignes et sous réserve des opérations à conserver secrètes, quels actes d'instruction elle doit encore effectuer, et en quoi la libération du prévenu en compromettrait l'accomplissement (cf. ATF 123 I 31 consid. 2b p. 33/34, 116 Ia 149 consid. 5 p. 152). 
 
 
aa) Le recourant estime que toutes les personnes impliquées ont été largement entendues. L'instruction a été clôturée le 11 février 2000, soit trois jours après le prononcé de l'ordonnance attaquée. On ne pourrait par conséquent invoquer les besoins liés aux actes d'enquête complémentaires; les renseignements relatifs aux antécédents du recourant auraient pu être recueillis depuis longtemps. 
 
bb) Les "éventuels actes complémentaires" et la production des antécédents du recourant ne suffisent pas pour admettre le risque de collusion. On ignore en effet en quoi pourraient consister les compléments d'enquête, et surtout en quoi la mise en liberté du recourant pourrait en compromettre le résultat. Il apparaît toutefois, sur le vu des déclarations contradictoires des inculpés, que le recourant pourrait mettre sa liberté à profit pour tenter de faire pression sur l'un ou l'autre des protagonistes. Le 24 septembre 1999, le recourant a écrit dans ce sens à son épouse, la menaçant, ainsi que sa famille, et on ne peut exclure qu'il ne tente des démarches similaires, dans la perspective des débats qui, selon le Procureur général, auront lieu prochainement puisque l'ordonnance de renvoi a été rendue le 3 mars 2000. 
 
b) Le risque de fuite ne peut, lui non plus, être écarté. Celui-ci ne doit pas s'apprécier sur la seule base de la gravité de l'infraction, même si la perspective d'une longue peine privative de liberté permet souvent d'en présumer l'existence (ATF 125 I 60 consid. 3a p. 62 et les arrêts cités); il doit s'analyser en fonction d'un ensemble de critères tel le caractère de l'intéressé, sa moralité, ses ressources, ses liens avec l'Etat qui le poursuit et ses contacts avec l'étranger (ATF 117 Ia 69 consid. 4 et les arrêts cités). 
 
Le recourant, de nationalité suisse, soutient qu'il aurait des attaches suffisantes avec la Suisse: son épouse, sa famille et surtout sa fille, qu'il voyait régulièrement avant son arrestation. Toutefois, la cour cantonale a retenu que le recourant se trouvait dans une situation personnelle instable et qu'il manifestait une propension à voyager malgré une absence apparente de ressources. Or, on ne trouve rien, dans le recours, qui vienne contredire cette appréciation. 
Compte tenu du récent renvoi en jugement du recourant, la perspective d'une éventuelle condamnation - pour un trafic portant sur une quantité importante de stupéfiants - s'est encore rapprochée, ce qui augmente d'autant le risque de fuite. 
 
c) L'affirmation des risques de fuite et de collusion dispense d'examiner s'il existe également un risque de réitération. 
 
5.- Le recourant se plaint d'une violation de l'art. 8 Cst. Il voit une inégalité de traitement dans le fait que son épouse, présente lors du voyage en Espagne, et maîtrisant l'espagnol - au contraire du recourant -, n'a pas été inquiétée. 
Le grief n'est toutefois pas suffisamment motivé. L'art. 
 
90 al. 2 let. b OJ impose en effet au recourant de préciser en quoi consiste la violation alléguée. Or, les mises en cause des deux coïnculpées portent exclusivement sur le recourant, et celui-ci n'indique pas sur la base de quels autres éléments les soupçons auraient dû se porter également sur son épouse. 
 
6.- Le recourant se plaint enfin d'une violation de la présomption d'innocence (art. 32 al. 1 Cst. et 6 par. 2 CEDH). L'ordonnance de prolongation de la détention du 9 novembre 1999 relève que le recourant "minimise notablement sa participation au trafic concerné". Il y voit une déclaration prématurée de culpabilité. 
 
a) L'autorité chargée d'examiner la légalité de la détention préventive viole la présomption d'innocence lorsqu'elle déclare le prévenu, sans réserve et sans nuance, coupable des infractions qui lui sont reprochées, tenant ainsi sa culpabilité pour acquise et préjugeant de l'appréciation du juge du fond. Dans les motifs de sa décision, le juge de la détention doit user d'une réserve particulière; tout au plus peut-il faire état de soupçons étayés (ATF 124 I 327 consid. 3b p. 331 et la jurisprudence citée). 
 
b) Les griefs du recourant ne se rapportent pas à l'ordonnance attaquée, mais à une précédente décision, du 9 novembre 1999, qui n'a pas été attaquée. Si le recourant prétend en déduire que la cour cantonale est prévenue à son encontre, on ne comprend pas pourquoi il n'a pas réagi avant, en usant des moyens qui étaient à sa disposition (recours, récusation) pour faire cesser une telle prévention. Le recours est donc irrecevable à cet égard. Ne le serait-il pas que le recours serait de toute façon mal fondé. En effet, la décision du 9 novembre 1999 ne transgresse pas la présomption d'innocence: en évoquant la participation du recourant au trafic de drogue, la Chambre d'accusation ne fait que reprendre les soupçons justifiant la détention préventive, sans faire apparaître comme certaine une condamnation du recourant. 
Certes synthétique, la formule utilisée par la Chambre d'accusation tend uniquement à relever les dénégations du recourant quant à son rôle dans le trafic qui lui est reproché. 
Le terme de "participation" ne doit d'ailleurs pas forcément s'entendre au sens du droit pénal: il n'est pas contesté que le véhicule prêté par le recourant a bien été utilisé pour tenter d'importer des stupéfiants en Suisse, ce qui suffit pour admettre une "participation", même involontaire, à l'infraction. 
 
7.- Sur le vu de ce qui précède, le recours de droit public doit être rejeté, dans la mesure où il est recevable. 
Conformément à l'art. 156 al. 1 OJ, un émolument judiciaire est mis à la charge du recourant, qui succombe. 
 
Par ces motifs, 
 
le Tribunal fédéral : 
 
1. Rejette le recours dans la mesure où il est recevable. 
 
2. Met à la charge du recourant un émolument judiciaire de 2000 fr. 
 
3. Communique le présent arrêt en copie au mandataire du recourant, au Ministère public et à la Chambre d'accusation du canton de Genève. 
 
___________ 
Lausanne, le 22 mars 2000 KUR/col 
 
Au nom de la Ie Cour de droit public 
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE: 
Le Président, 
 
Le Greffier,