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Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
{T 0/2} 
1P.708/2003 /col 
 
Arrêt du 27 janvier 2004 
Ire Cour de droit public 
 
Composition 
MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour et Président du Tribunal fédéral, Nay, Vice-président du Tribunal fédéral, Aeschlimann, Reeb et Fonjallaz. 
Greffier: M. Zimmermann. 
 
Parties 
X.________, 
recourant, représenté par Me Philippe A. Grumbach, avocat, 
 
contre 
 
Direction de la Prison de Champ-Dollon, 
1226 Thônex, 
Tribunal administratif de la République et canton 
de Genève, rue du Mont-Blanc 18, case postale 1956, 1211 Genève 1. 
 
Objet 
art. 8, 9, 10 al. 2, 27 et 36 Cst. (exigences du contrôle de sécurité), 
 
recours de droit public contre l'arrêt du Tribunal administratif de la République et canton de Genève du 21 octobre 2003. 
 
Faits: 
 
A. 
X.________ est avocat à Genève. Le 12 novembre 2002, accompagné de deux avocats stagiaires de son étude, il s'est rendu à la prison de Champ-Dollon pour y conférer avec l'un de ses clients. A l'entrée de la prison, il a été soumis au contrôle de sécurité, consistant pour lui à franchir un portique équipé d'un magnétomètre. A plusieurs reprises, cet appareil a émis un signal sonore indiquant la présence de métal. X.________ a vidé ses poches et s'est délesté de plusieurs objets qu'il portait sur lui. En vain: l'alarme s'est déclenchée à chaque fois qu'il est passé sous le portique. L'huissier de service lui a alors demandé de retirer soit sa ceinture, soit ses chaussures, ce qu'il a refusé de faire, tout en offrant de se soumettre à une fouille corporelle. Appelé à sa demande, le directeur adjoint de la prison a confirmé à X.________ qu'il ne serait admis dans le secteur réservé aux visiteurs qu'après avoir franchi avec succès l'épreuve du magnétomètre. Sur ces entrefaites, l'avocat a quitté les lieux. 
X.________ a entrepris le refus de la prison de le laisser rencontrer son client devant le Tribunal administratif du canton de Genève, qui l'a débouté par arrêt du 21 octobre 2003, en considérant, en bref, que l'obligation pour les visiteurs de la prison de se soumettre au contrôle de sécurité, selon les modalités prévues, ne violait pas la liberté personnelle garantie par la Constitution. 
 
B. 
Agissant par la voie du recours de droit public, X.________ demande au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt du 21 octobre 2003. Il invoque les art. 8, 9, 10, 27 et 36 Cst. 
Le Tribunal administratif se réfère à son arrêt. Le directeur de la prison de Champ-Dollon conclut au rejet du recours. 
 
Le Tribunal fédéral considère en droit: 
 
1. 
Le recours de droit public exige un intérêt actuel et pratique à l'annulation de la décision attaquée, respectivement à l'examen des griefs soulevés (art. 88 OJ; ATF 127 III 41 consid. 2b p. 42; 120 Ia 165 consid. 1a p. 166; 118 Ia 46 consid. 3c p. 53, 488 consid. 1a p. 490, et les arrêts cités). Cet intérêt fait défaut en particulier lorsque l'acte de l'autorité a été exécuté (ATF 125 II 86 consid. 5b p. 97; 120 Ia 165 consid. 1a p. 166; 106 Ia 151 consid. 1a p. 152/153, et les arrêts cités). Le Tribunal fédéral renonce toutefois à faire de l'intérêt actuel une condition de recevabilité du recours de droit public lorsque cette exigence l'empêcherait de contrôler un acte qui peut se reproduire en tout temps, qui, en raison de la brève durée de ses effets, échapperait toujours à sa censure et lorsqu'il existe un intérêt public important à résoudre la question de principe que soulève le recours (ATF 127 I 164 consid. 1a p. 166; 125 I 394 consid. 4b p. 397; 124 I 231 consid. 1b p. 233, et les arrêts cités). Tel est le cas en l'espèce. L'atteinte dont se plaint le recourant est consommée. Elle peut cependant se renouveler lors d'une prochaine visite à la prison. Un contrôle judiciaire immédiat est impossible et l'intérêt public commande de trancher le point de savoir s'il est compatible avec la Constitution d'obliger le visiteur de la prison à subir un contrôle de sécurité impliquant pour lui, le cas échéant, de devoir enlever sa ceinture ou de se déchausser. 
Il y a lieu d'entrer en matière. 
 
2. 
Le recourant reproche au Tribunal administratif d'avoir constaté arbitrairement les faits. Selon l'arrêt attaqué, l'huissier de la prison aurait demandé au recourant de retirer sa ceinture ou de se déchausser. Le recourant prétend au contraire qu'il aurait été invité à enlever simultanément sa ceinture et ses chaussures. 
La différence entre ces deux versions est de taille. La première confirmerait que pour régler la difficulté provenant du déclenchement persistant du magnétomètre, l'autorité a opté pour une approche graduelle consistant à faire enlever une par une les pièces d'habillement pouvant comporter des éléments métalliques, jusqu'au point de réduire l'appareil au silence. La deuxième version confirmerait que l'obligation faite en pareil cas au visiteur d'enlever sa ceinture (au risque de voir tomber ses pantalons sur ses chevilles) doublée de celle de marcher en chaussettes (voire pieds nus, selon l'habitude ou la saison) pourrait dénoter l'intention d'intimider ou d'humilier la personne ainsi exposée aux regards. 
Dans son recours cantonal, le recourant a présenté la même version des faits que devant le Tribunal fédéral. Sa thèse a été contestée par le directeur de la prison selon ses observations du 20 décembre 2002. Invité à répliquer, le recourant a simplement maintenu sa position, sans critiquer pour autant celle de l'intimé. Se fondant sur la prémisse que le recourant n'avait pas véritablement objecté sur ce point, le Tribunal administratif a fait sienne la relation des faits présentée par l'intimé, telle qu'elle est décrite également dans le rapport établi le jour même de l'incident par l'huissier de la prison. Il s'est pour le surplus dispensé d'investiguer plus avant sur ce point, en entendant les témoins de la scène, mesure que le recourant n'a au demeurant pas réclamée. Le Tribunal administratif aurait sans doute pu d'office clarifier les faits (cf. art. 19 de la loi genevoise sur la procédure administrative, du 12 septembre 1985 - LPA, applicable par renvoi de l'art. 76 de la même loi). La solution retenue en l'espèce, même critiquable, n'en est pas insoutenable pour autant. 
 
3. 
Le recourant se prévaut de sa liberté personnelle. 
 
3.1 Tout être humain a droit à la liberté personnelle, notamment à l'intégrité physique et psychique et à la liberté de mouvement (art. 10 al. 2 Cst.; ATF 126 I 112 consid. 3a p. 114; 124 I 40 consid. 3a p. 42, 85 consid. 2 p. 86/87, 170 consid. 2b p. 171/172, 336 consid. 4a p. 338, et les arrêts cités). Ce droit n'est toutefois pas absolu: des restrictions sont admissibles si elles reposent sur une base légale, sont ordonnées dans l'intérêt public et respectent le principe de la proportionnalité (art. 36 Cst.; ATF 127 I 6 consid. 6 p. 18; 126 I 112 consid. 3a p. 115; 124 I 40 consid. 3a p. 42, 80 consid. 2c p. 81, 170 consid. 2b p. 171/172, 176 consid. 5a p. 177, 203 consid. 2b p. 204/205, 336 consid. 4c p. 340, et les arrêts cités). 
 
3.2 La seule question à trancher est celle de savoir s'il est conforme à la Constitution d'obliger la personne dont le magnétomètre signale qu'elle porte sur elle des objets métalliques, d'enlever sa ceinture, puis ses chaussures. Le recourant prétend qu'il était exposé, pour le cas où le magnétomètre persistait à se déclencher, à un déshabillage complet. Il s'agit là toutefois d'une pure conjecture. 
La mesure contestée porte atteinte à la sphère privée de la personne qui y est soumise. Pour l'avocat empêché de rendre visite à son client, cette mesure restreint également sa liberté économique, garantie par l'art. 27 Cst. Tel qu'il est formulé, ce grief n'a toutefois pas de portée propre par rapport à la liberté personnelle. Quant au droit de conférer librement avec son défenseur (cf. art. 32 al. 2 Cst. et art. 6 par. 3 let. c CEDH; ATF 126 I 153 consid. 4 p. 159 ss), il n'est pas en cause, car seul l'accusé en est le titulaire. 
 
3.3 L'atteinte doit reposer sur une base légale formelle lorsqu'elle est grave (art. 36 al. 1, deuxième phrase, Cst.; ATF 126 I 112 consid. 3b p. 116; 124 I 34 consid. 3b p. 37, 40 consid. 3b p. 42/43, 80 consid. 2c p. 81/82). A défaut, le Tribunal fédéral examine sous l'angle restreint de l'arbitraire l'existence d'une base légale (ATF 129 I 173 consid. 2.2 p. 177; 126 I 112 consid. 3b p. 116, et les arrêts cités), laquelle peut se trouver, en pareil cas, dans des actes de rang infra-légal ou dans une clause générale (ATF 123 I 112 consid. 7a p. 124; 122 I 360 consid. 5b/bb p. 363/364, et les arrêts cités). Pour le surplus, le Tribunal fédéral vérifie librement si un intérêt public ou les droits de tiers justifient la restriction à la liberté personnelle, et si celle-ci est conforme au principe de la proportionnalité (ATF 128 II 259 consid. 3.3 p. 269). 
La gravité de l'atteinte se détermine selon des critères objectifs (ATF 128 II 259 consid. 3.3 p. 269). N'ont pas été considérés comme graves le prélèvement de cheveux (arrêt 1P.528/1995 du 19 décembre 1995, consid. 2b, publié in EuGRZ 1996 p. 470), une prise de sang (ATF 124 I 80 consid. 2d p. 82), ainsi que l'établissement et la conservation, aux fins d'identification, de données personnelles, telles que des photographies (ATF 120 Ia 147 consid. 2b p. 150; 107 Ia 138 consid. 5a p. 145), ou des profils ADN (ATF 128 II 259 consid. 3.3 p. 269/270). En revanche, la médication forcée constitue une atteinte grave à la liberté personnelle (ATF 127 I 6 consid. 5g p. 17; 126 I 112 consid. 3a p. 115). Au regard de ces exemples, l'obligation de retirer sa ceinture ou ses chaussures ne saurait être tenue pour une restriction grave à la sphère privée. 
 
3.4 La loi genevoise sur l'organisation et le personnel de la prison, du 21 juin 1984, ne dit rien du contrôle des visiteurs. Elle délègue au Conseil d'Etat la tâche de fixer le régime intérieur de la prison (art. 1 al. 3). A cette fin, l'exécutif cantonal a édicté un règlement, du 30 septembre 1985, dont l'art. 7 prévoit que les personnes admises à pénétrer dans la prison de Champ-Dollon, notamment les visiteurs et les avocats, justifient de leur identité (al. 1) et se conforment aux prescriptions en vigueur dans l'établissement et aux ordres de la direction (al. 2). Il incombe notamment à celle-ci, selon l'art. 3 al. 1 let. g du règlement d'exécution de la loi, du 30 septembre 1985, d'assurer la sécurité des détenus, du personnel et de l'établissement. 
L'appréciation du Tribunal administratif, selon lequel ces normes donnent une base légale suffisante au contrôle de sécurité, n'est pas arbitraire. L'installation d'un détecteur de métal vise à empêcher que soient introduits dans l'enceinte de la prison des objets qui pourraient servir d'armes ou de moyens de communication avec l'extérieur. Il y va de la sécurité du personnel et des détenus, ainsi que du bon ordre de l'établissement, dont la sauvegarde entre dans la mission de la direction de la prison. L'art. 7 al. 2 du règlement sur le régime intérieur de la prison, combiné avec l'art. 3 al. 1 let. g du règlement d'exécution de la loi, fournit une base légale suffisante à la mesure consistant à n'admettre dans la prison que les visiteurs dont le magnétomètre indique qu'ils ne portent pas sur eux des objets métalliques et, à défaut, à exiger de la personne qui déclenche de façon persistante le signal sonore, qu'elle retire sa ceinture ou ses chaussures. Eu égard à son pouvoir d'examen limité (consid. 3.3 ci-dessus), il n'y a pas lieu pour le Tribunal fédéral d'intervenir. 
 
3.5 A raison, le recourant ne conteste pas que la mesure litigieuse répond à l'intérêt public. Il la tient cependant pour disproportionnée. 
3.5.1 Selon le principe de la proportionnalité, une restriction aux droits constitutionnels doit être limitée à ce qui est nécessaire pour atteindre le but poursuivi, adéquate et supportable pour la personne visée; la mesure est disproportionnée s'il est possible d'atteindre le même résultat par un moyen moins incisif (ATF 129 I 12 consid. 9.1 p. 24; 129 V 267 consid. 4.1.2 p. 271; 128 I 92 consid. 2b p. 95, et les arrêts cités). 
3.5.2 A l'entrée de la prison, le visiteur est soumis à un contrôle de sécurité, dont les étapes sont les suivantes: la personne n'est pas fouillée avant de passer sous le portique; si le magnétomètre n'émet aucun signal, elle est autorisée à pénétrer dans le secteur de la prison ouvert aux visiteurs. Sinon, elle est invitée à déposer les objets métalliques qu'elle porte sur elle et qui ont pu déclencher l'alarme (étui à cigarettes, briquet, plume, stylographe, téléphone portable, épingle à cravate, boutons de manchette, lunettes, clés, bijoux, colifichets, etc.). Si, malgré cela, l'appareil persiste à signaler la présence de métal, comme en l'espèce, on peut admettre qu'il faille envisager l'hypothèse que cela puisse provenir de pièces métalliques de la ceinture ou des chaussures (boucles, pointes, cloutages, etc.). Enfin, l'huissier procède à un ultime contrôle par le moyen d'un détecteur portatif. Comme le recourant a refusé d'obtempérer à l'ordre de retirer sa ceinture ou ses chaussures, il n'y a pas lieu de trancher le point de savoir si le visiteur peut être contraint d'enlever encore d'autres pièces de son habillement, pour le cas où, sans chaussures, ni ceinture, il ferait encore déclencher l'alarme. Il n'est pas davantage nécessaire de déterminer l'étendue du contrôle lorsque le visiteur prétend que la cause du signal se trouve dans des pièces de métal incorporées (prothèses, broches chirurgicales, stimulateur cardiaque, etc.). Il suffit de constater qu'en l'occurrence, le recourant a été soumis à un contrôle de sécurité aménagé de manière graduelle, répondant à la double exigence de l'efficacité et de la protection de la sphère privée. Dans la mesure où le recourant n'a pas été sommé de but en blanc de se défaire de ses chaussures et de sa ceinture, mais seulement après plusieurs tentatives infructueuses de franchissement du portique de sécurité, l'autorité cantonale a agi de la manière la plus respectueuse du droit à la liberté personnelle que possible. Compte tenu du fait qu'elle intervenait après d'autres mesures (tout aussi idoines, mais inefficaces), la restriction dont se plaint le recourant est conforme au principe de la proportionnalité. 
Le recourant a offert spontanément de se soumettre à une fouille corporelle, impliquant une palpation du corps à travers les vêtements. Or, une telle mesure restreint la liberté personnelle de manière beaucoup plus sensible que celle critiquée en l'occurrence (cf. ATF 109 Ia 146). 
 
3.6 Sous l'angle de la proportionnalité et de l'égalité de traitement, le recourant dénonce que les avocats puissent être soumis au contrôle de sécurité. Indépendamment du fait que le recourant n'a pas remis en discussion le principe de ce contrôle, mais seulement l'une de ses modalités, le grief est de toute façon mal fondé. 
Il y a inégalité de traitement lorsque, sans motifs sérieux, deux décisions soumettent deux situations de fait semblables à des règles juridiques différentes; les situations comparées ne doivent pas nécessairement être identiques en tous points, mais leur similitude doit être établie en ce qui concerne les éléments de fait pertinents pour la décision à prendre (ATF 129 I 113 consid. 5.1 p. 125/126, 265 consid. 3.2 p. 268/269, 346 consid. 6 p. 357, et les arrêts cités). En l'occurrence, le recourant critique le fait que certains visiteurs (soit les juges, les policiers et les gardiens de la prison) sont dispensés du contrôle auquel les avocats sont exposés. Or, à la différence des avocats, les policiers et les gardiens de prison sont des agents publics, soumis à un devoir d'obéissance et de fidélité à l'égard du pouvoir exécutif auquel ils sont subordonnés. En outre, leur mission dans la prison est limitée à l'accomplissement de tâches précises. Ils ne s'entretiennent pas librement avec les détenus, comme les avocats ont le droit de le faire. Les besoins du service, la mise en oeuvre rapide et efficace du contrôle des visiteurs (de l'ordre de 40'000 par an), justifient de ne pas y soumettre les policiers et les gardiens de prison. Quant aux juges, leur exemption du contrôle de sécurité se justifie par leur fonction et par la sauvegarde de l'indépendance du pouvoir judiciaire. 
 
4. 
Le recours doit ainsi être rejeté. Les frais en sont mis à la charge du recourant (art. 156 OJ). Il n'y a pas lieu d'allouer des dépens (art. 159 OJ). 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce: 
 
1. 
Le recours est rejeté. 
 
2. 
Un émolument judiciaire de 2000 fr. est mis à la charge du recourant. 
 
3. 
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire du recourant, à la Direction de la Prison de Champ-Dollon et au Tribunal administratif de la République et canton de Genève. 
Lausanne, le 27 janvier 2004 
Au nom de la Ire Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
Le président: Le greffier: