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Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
{T 0/2} 
1P.531/2002 /col 
 
Arrêt du 27 mars 2003 
Ire Cour de droit public 
 
MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour 
et Président du Tribunal fédéral, Reeb, Féraud, Catenazzi 
et Fonjallaz. 
Greffier: M. Jomini. 
 
Michael B.________, 1298 Céligny, 
recourant, représenté par Me Henri-Philippe Sambuc, avocat, avenue Antoinette 11, 1234 Vessy, 
 
contre 
 
Département de l'aménagement, de l'équipement et du logement de la République et canton de Genève, intimé, rue David-Dufour 5, case postale 22, 1211 Genève 8 
Commune de Céligny, 1298 Céligny, partie intéressée, 
représentée par Me Lucien Lazzarotto, avocat, quai des Bergues 23, 1201 Genève 
Tribunal administratif de la République et canton de Genève, rue des Chaudronniers 3, 1204 Genève 
 
art. 29 al. 2 Cst. (amende administrative) 
 
recours de droit public contre l'arrêt du Tribunal administratif de la République et canton de Genève du 27 août 2002. 
 
Faits: 
A. 
Michael B.________ est un membre de la communauté des gens du voyage suisses. Il est officiellement domicilié à Versoix, au chemin du Molard, sur une place de stationnement occupée par des gens du voyage et des forains. 
Le 16 avril 1999, Michael B.________ a acheté la parcelle n° xxx du registre foncier, à Céligny, dans la zone agricole. Ce bien-fonds a une contenance de 6'809 m2. A la date de l'acquisition, il n'était pas bâti, à l'exception d'un petit hangar vétuste. Ce terrain est bordé par un ruisseau (le Brassu) et une forêt. 
B. 
A plusieurs reprises dès le mois de septembre 1999, le département de l'aménagement, de l'équipement et du logement de la République et canton de Genève (ci-après: le département cantonal) a constaté que Michael B.________ avait procédé à des travaux sur sa parcelle, sans requérir les autorisations de construire nécessaires. Ce dernier a progressivement aménagé des chemins et une place pour caravanes, transformé l'ancien hangar et construit la "nouvelle église tsigane de Céligny" (constituée d'une série de containers sur des plots) ainsi qu'un chalet en bois. Plusieurs caravanes et roulottes ont été installées et Michael B.________ vit désormais à cet endroit avec sa famille. 
Le département cantonal a rendu, entre le 17 septembre 1999 et le 12 mars 2002, huit décisions ordonnant la suspension des travaux, la remise en état du terrain, l'évacuation des caravanes et des containers, la démolition du chalet en bois et des parties transformées du hangar existant. Ces "mesures administratives" sont fondées sur les art. 129 ss de la loi cantonale sur les constructions et les installations diverses (LCI). Le département cantonal a en outre refusé, le 25 octobre 2000, une autorisation de construire requise pour les installations de cette "zone d'habitat temporaire". 
Le département cantonal a par ailleurs prononcé à l'encontre de Michael B.________ les sanctions administratives suivantes, fondées sur les art. 137 ss LCI: 
- amende de 10'000 fr. le 1er octobre 1999; 
- amende de 5'000 fr. le 18 avril 2000; 
- amende de 2'500 fr. le 12 mars 2001; 
- amende de 20'000 fr. le 7 novembre 2001; 
- amende de 5'000 fr. le 24 juin 2002. 
C. 
Michael B.________ a recouru contre toutes ces décisions au Tribunal administratif cantonal. Toutes les causes ont été jointes devant cette juridiction. 
Une délégation du Tribunal administratif a procédé le 25 août 2000 à une inspection locale à Céligny. Michael B.________ a été entendu dans ses explications. Il a indiqué notamment que sa famille - son épouse, ses enfants, son père, ses frère et soeur et leurs conjoints et enfants - occupait quatre caravanes et utilisait une roulotte comme dépôt de matériel; ils avaient quitté le Molard à Versoix parce que l'existence y était invivable, la place étant insuffisante pour deux cent quatre-vingt personnes qui y résidaient (environ cent soixante Tsiganes et cent vingt forains). Dans ses écritures au Tribunal administratif, Michael B.________ a fait valoir, en substance, qu'il appartenait à l'Etat de Genève de créer des places de stationnement adéquates pour les gens du voyage. Or, à cause de la passivité des autorités, il se trouvait lui-même, au Molard, dans un état de nécessité (au sens de l'art. 34 CP), ce qui l'autorisait à prendre des mesures propres à mettre fin à une situation dégradante. Il se prévalait également à ce propos, en se référant à l'art. 32 CP, de faits justificatifs non prévus par la loi. 
Michael B.________ a requis à plusieurs reprises du Tribunal administratif qu'il effectue un transport sur place (inspection locale) au Molard à Versoix. Cette mesure d'instruction n'a pas été ordonnée. 
La commune de Céligny a été partie à la procédure devant le Tribunal administratif. 
Le Tribunal administratif a statué en un seul arrêt, rendu le 27 août 2002, sur tous les recours formés par Michael B.________ contre les mesures administratives et les sanctions administratives prononcées par le département cantonal, ainsi que contre le refus de l'autorisation de construire demandée a posteriori. Il a admis partiellement ces recours en tant qu'ils étaient dirigés contre les sanctions administratives, et il a ramené à 20'000 fr. le montant unique de l'amende, au lieu de 42'500 fr. représentant le total des cinq amendes infligées entre le 1er octobre 1999 et le 24 juin 2002. Pour le reste, le Tribunal administratif a confirmé les décisions entreprises et mis à la charge du recourant un émolument de 1'500 fr. ainsi que des dépens, par 1'000 fr., à payer à la commune de Céligny. 
D. 
Michael B.________ a formé, contre l'arrêt du Tribunal administratif, un recours de droit administratif et un recours de droit public. 
S'agissant des sanctions administratives prononcées contre lui (seule question à examiner dans le présent arrêt), il prend, dans les deux recours, les mêmes conclusions, et demande au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt attaqué ainsi que les décisions du département cantonal. Il se plaint, pour l'essentiel, d'une violation du droit d'être entendu, ses arguments tirés d'un état de nécessité ou de l'existence de faits justificatifs n'ayant pas été examinés. Il soutient également que, pour statuer sur cette question, la cour cantonale aurait dû prendre connaissance des conditions d'existence au Molard en effectuant une inspection locale à cet endroit. 
Le département cantonal et la commune de Céligny concluent au rejet des recours, dans la mesure où ils sont recevables. 
Le Tribunal administratif se réfère à son arrêt, sans prendre de conclusions. 
 
Le Tribunal fédéral considère en droit: 
1. 
Dans la présente affaire, le département cantonal a pris d'une part des décisions tendant à la suppression de constructions et d'installations réalisées par le recourant sans autorisation (mesures administratives, d'après la terminologie du droit cantonal - art. 129 ss LCI), et il a d'autre part infligé des amendes au recourant, à cause de ces travaux illicites (sanctions administratives, au sens des art. 137 ss LCI). La même autorité administrative cantonale est compétente pour prendre les deux types de décisions; dans les deux cas, le recours au Tribunal administratif est ouvert (cf. art. 150 LCI). La mesure administrative et la sanction administrative constituent cependant, en pareil cas, deux objets bien distincts qui auraient pu donner lieu à deux décisions séparées et indépendantes l'une de l'autre. Aussi le Tribunal fédéral doit-il, en l'espèce, statuer par un arrêt séparé sur les conclusions du recourant tendant à l'annulation des sanctions administratives. 
Les amendes infligées au recourant sont fondées exclusivement sur le droit cantonal. La voie du recours de droit public, pour violation de droits constitutionnels des citoyens (art. 84 al. 1 let. a OJ), est ouverte, à l'exclusion de toute autre voie de recours au Tribunal fédéral, notamment celle du recours de droit administratif. Cette dernière est ouverte en revanche en tant que le recourant conteste les mesures administratives ordonnées pour supprimer des ouvrages ne pouvant pas bénéficier, en zone agricole, d'une dérogation selon les art. 24 ss de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire (LAT; RS 700 - cf. art. 34 al. 1 LAT); cela fera l'objet d'un autre arrêt (cause connexe 1A.205/2002). Dans le cas particulier - s'agissant de la contestation des sanctions administratives -, les conditions de recevabilité du recours de droit public (art. 86 à 90 OJ) sont manifestement remplies et il y a lieu d'entrer en matière. 
2. 
Le recourant se plaint d'une violation du droit d'être entendu garanti à l'art. 29 al. 2 Cst. Il se réfère à l'"objection des faits justificatifs" qu'il avait soulevée devant le Tribunal administratif - en faisant valoir, en substance, que les conditions d'existence sur la place de stationnement des forains et des gens du voyage à Versoix étaient insalubres, risquées et dégradantes à un point tel qu'il ne lui restait plus qu'à s'installer, avec sa famille, sur sa parcelle agricole -, tout en proposant une inspection locale au Molard comme mode de preuve de ses allégations. Il reproche au Tribunal administratif d'avoir refusé de procéder à cette inspection des lieux et de n'avoir traité son objection ni expressément ni implicitement. 
2.1 Le droit d'être entendu, selon l'art. 29 al. 2 Cst. (qui reprend les garanties déduites de l'art. 4 aCst.), inclut le droit de s'expliquer avant qu'une décision ne soit prise à son détriment, de fournir des preuves quant aux faits de nature à influer sur la décision, d'avoir accès au dossier, de participer à l'administration des preuves, d'en prendre connaissance et de se déterminer à leur propos (ATF 127 III 576 consid. 2c p,. 578; 126 I 15 consid. 2a/aa p. 16 et les arrêts cités). La jurisprudence constitutionnelle du Tribunal fédéral a également déduit du droit d'être entendu le droit d'obtenir une décision motivée. L'autorité n'est toutefois pas tenue de prendre position sur tous les moyens des parties; elle peut se limiter aux questions décisives. Il suffit, de ce point de vue, que les parties puissent se rendre compte de la portée de la décision prise à leur égard et, le cas échéant, recourir contre elle en connaissance de cause (ATF 126 I 97 consid. 2b p. 102; 124 II 146 consid. 2a p. 149 et les arrêts cités). 
2.2 Dans l'arrêt attaqué, le Tribunal administratif a considéré que les amendes administratives avaient une nature pénale, et qu'elles devaient donc être fixées en tenant compte des principes du code pénal. Les sanctions ont été prononcées en l'espèce sur la base du droit cantonal, pour des contraventions aux prescriptions cantonales d'administration (cf. art. 335 ch. 1 al. 2 CP), et la loi genevoise prévoit en pareil cas, sous certaines réserves, l'application par analogie des dispositions générales du code pénal suisse (art. 1 al. 2 de la loi pénale genevoise). 
Dans ce système, il appartient donc au Tribunal administratif, saisi d'un recours contre une décision prise par le département cantonal sans audition préalable de l'intéressé, de se prononcer, comme seule autorité judiciaire dotée d'un libre pouvoir d'examen, sur les faits justificatifs invoqués. Il peut s'agir d'un état de nécessité (cf. art. 34 CP), d'un devoir de fonction ou de profession (cf. art. 32 CP), éventuellement d'un état de légitime défense (cf. art. 33 CP) ou encore d'autres faits justificatifs non prévus par la loi, admis à certaines conditions par la jurisprudence pénale (cf. ATF 127 IV 166 consid. 2b p. 169; 113 IV 4 consid. 3 p. 7). Les éléments que l'auteur invoque comme "faits justificatifs" peuvent également, le cas échéant, influencer la quotité de la peine, qui d'après les principes généraux du code pénal est fixée en tenant compte des mobiles de l'intéressé (art. 63 CP). 
2.3 Dans les considérants de son arrêt, le Tribunal administratif a traité brièvement les griefs relatifs aux sanctions administratives prononcées contre le recourant. Il a rappelé quelques principes ou conditions applicables aux amendes: l'existence d'une faute, la proportionnalité, la nécessité de faire preuve de sévérité, le large pouvoir d'appréciation de l'autorité administrative, l'obligation de prononcer une amende unique plutôt que des amendes successives contre l'auteur de plusieurs contraventions (art. 68 CP par analogie). Le Tribunal administratif ne s'est en revanche pas exprimé sur les faits justificatifs invoqués par le recourant: il n'a pas expliqué si, et le cas échéant dans quelle mesure, le besoin ressenti par le recourant et sa famille de quitter l'emplacement du Molard à Versoix avait une influence soit sur l'appréciation, sous l'angle pénal, de l'illicéité de l'occupation de la parcelle de Céligny, soit sur l'appréciation de la culpabilité du recourant. On ne voit pas non plus, dans l'arrêt attaqué, de considérations implicites sur l'état de nécessité allégué ni sur l'éventuelle sauvegarde d'intérêts légitimes. Ces arguments du recourant n'étant pas dénués d'emblée de pertinence, l'autorité judiciaire cantonale aurait dû, au moins brièvement, les examiner. En omettant cette analyse, le Tribunal administratif a violé le droit d'être entendu du recourant. Ce vice ne peut pas être réparé dans la procédure du recours de droit public; c'est pourquoi il faut admettre les conclusions du recourant au sujet des sanctions administratives infligées par le département cantonal. 
Dans ces conditions, il n'y a pas lieu de se prononcer sur la nécessité d'une inspection locale à Versoix. Il n'est en effet pas exclu que cette preuve soit superflue, compte tenu des déclarations faites par le recourant à la délégation du Tribunal administratif le 25 août 2000, lesquelles n'ont pas été contestées, et éventuellement du caractère notoire pour des magistrats genevois des conditions d'existence au Molard. Les autres griefs de violation des droits constitutionnels n'ont pas non plus à être examinés. 
3. 
Il s'ensuit que le recours de droit public doit être admis et que l'arrêt attaqué doit être annulé en tant qu'il condamne le recourant à une amende de 20'000 fr. 
Il ne se justifie pas, en revanche, d'annuler l'arrêt attaqué en tant qu'il condamne le recourant aux frais et dépens de la procédure cantonale. Il faut en effet considérer que la répartition des frais et dépens a été décidée en fonction du sort des griefs contre les mesures administratives (art. 129 ss LCI) et le refus de l'autorisation de construire, objet principal de la contestation devant le Tribunal administratif (cf. cause 1A.205/ 2002), et non pas en fonction de la question accessoire des sanctions administratives (art. 137 ss LCI). 
4. 
Le présent arrêt doit être rendu sans frais (art. 156 al. 2 OJ). Le recourant, assisté d'un avocat, a droit à des dépens, à la charge de l'Etat de Genève (art. 159 al. 1 et 2 OJ). 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce: 
 
1. 
Le recours de droit public est admis et l'arrêt rendu le 27 août 2002 par le Tribunal administratif de la République et canton de Genève est partiellement annulé, en tant qu'il condamne le recourant à une amende au montant unique de 20'000 fr. 
2. 
Le présent arrêt est rendu sans frais. 
3. 
Une indemnité de 1'000 fr., à payer au recourant à titre de dépens, est mise à la charge de l'Etat de Genève. 
4. 
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires du recourant et de la commune de Céligny, au Département de l'aménagement, de l'équipement et du logement et au Tribunal administratif de la République et canton de Genève. 
Lausanne, le 27 mars 2003 
Au nom de la Ire Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le président: Le greffier: