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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
{T 0/2} 
 
1C_141/2013  
   
   
 
 
 
Arrêt du 5 septembre 2013  
 
Ire Cour de droit public  
 
Composition 
MM. les Juges fédéraux Fonjallaz, Président, 
Merkli et Eusebio. 
Greffière: Mme Mabillard. 
 
Participants à la procédure 
Etat de Genève, représenté par son Conseil d'Etat, rue de l'Hôtel-de-Ville 2, 1211 Genève 3,  
représenté par Me Nicolas Wisard, avocat, 
recourant, 
 
contre  
 
Mme A.A.________ et M. B.A.________, 
représentés par Me Gérard Brütsch, avocat, 
intimés, 
 
Commission cantonale de conciliation et d'estimation en matière d'expropriation, p.a. Tribunal administratif de première instance du canton de Genève, rue Ami-Lullin 4,  
case postale 3888, 1211 Genève 3. 
 
Objet 
Fixation de l'indemnité d'expropriation à la suite de l'exercice par l'Etat de Genève de son droit de préemption qualifié selon la loi générale sur le logement, 
 
recours contre l'arrêt de la Cour de justice du canton de Genève, Chambre administrative, 1ère section, du 11 décembre 2012. 
 
 
Faits:  
 
A.   
Le 19 avril 1985, le Grand Conseil genevois a adopté une loi modifiant le régime des zones de construction sur le territoire de la commune de Lancy et déclarant d'utilité publique l'extension de divers équipements communaux. Il a aussi approuvé le plan n° 27'534-543 des zones de construction. L'acquisition des droits nécessaires aux réalisations d'utilité publique pouvait être poursuivie par la voie d'expropriation. La modification effective des zones de construction s'opérerait par arrêté du Conseil d'Etat publié dans la Feuille d'avis officielle. 
 
B.   
Le 10 juillet 1985, Mme A.A.________ et M. B.A.________ (ci-après : les époux A.________) ont acquis pour 525'000 fr. la parcelle n° 1'141 de la commune de Lancy, d'une surface totale de 616 m2, située en zone 5 de développement 3. Sur la parcelle étaient construits une villa de 49 m2 de surface au sol et de 523 m3, érigée dans la première partie du 20ème siècle, disposant de deux niveaux hors sol, de combles aménagés en chambre ainsi que d'un sous-sol comprenant un bureau, un garage de 22 m2 et de 73 m3 ainsi qu'un dépôt de 24 m2 et de 79 m3. 
 
Le 7 octobre 2010, Me C.________, notaire, a instrumenté un acte portant promesse de vente de la parcelle et des bâtiments précités aux époux B.________ pour un prix de 1'350'000 fr. 
 
Le 5 novembre 2010, le département cantonal des constructions et des technologies de l'information, devenu depuis le département de l'urbanisme (ci-après : le département), a informé les parties à la promesse de vente que le Conseil d'Etat étudiait la possibilité de se porter acquéreur de la parcelle n° 1'141 et leur demandait de se déterminer sur le prix de 1'350'000 fr. qui paraissait élevé. 
 
Les époux B.________ ont confirmé qu'ils projetaient d'acquérir la propriété des époux A.________ aux fins d'y résider à titre personnel. 
 
Le 12 novembre 2010, l'office cantonal du logement (ci-après : l'OLO) a estimé le bien immobilier à une valeur de 1'040'000 fr. 
 
Le 15 novembre 2010, les époux A.________ ont transmis au Conseil d'Etat trois estimations de deux agences immobilières d'une part, et de l'Union des banques suisses (ci-après : UBS), d'autre part, selon lesquelles leur bien valait de 1'350'000 fr. à 1'400'000 fr. 
 
C.   
Le 7 décembre 2010, le Conseil d'Etat a décidé d'exercer son droit de préemption et de se porter acquéreur de ladite parcelle. Aucun recours n'a été formé contre cette décision. 
 
Par arrêté du 6 avril 2011, le Conseil d'Etat a décrété l'expropriation de la parcelle des époux A.________ au profit de l'Etat de Genève. 
 
Le 12 avril 2011, le département a saisi la commission cantonale de conciliation et d'estimation en matière d'expropriation (ci-après: la commission), afin que celle-ci fixe de manière définitive le prix d'acquisition de la parcelle préemptée. 
 
Après avoir procédé à un transport sur place, la commission a décidé, le 26 septembre 2011, de fixer l'indemnité d'expropriation due par l'Etat de Genève aux époux A.________ à 1'255'000 fr. avec intérêts de 5 % dès le 7 décembre 2010. 
 
Le Conseil d'Etat a porté sa cause devant la Chambre administrative de la Cour de justice du canton de Genève (ci-après : la Cour de justice) qui, après avoir procédé à un transport sur place en présence des parties, a rejeté le recours du Conseil d'Etat par arrêt du 11 décembre 2012. La cour cantonale a retenu, en substance, que les prix au m2 pour le terrain et au m3 pour la villa retenus par la commission n'étaient pas arbitraires. 
 
D.   
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, le Conseil d'Etat demande au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt du 11 décembre 2012 et de renvoyer la cause à la Cour de justice pour reprise de l'instruction et nouvelle décision dans le sens des considérants. Le recourant se plaint pour l'essentiel d'un établissement incorrect des faits et d'une violation arbitraire du droit cantonal de l'expropriation.  
 
La Cour de justice s'en rapporte à justice quant à la recevabilité du recours et persiste dans les considérants et le dispositif de son arrêt. Les intimés concluent au rejet du recours. Le recourant et les intimés ont répliqué, respectivement dupliqué; ils persistent dans leurs motifs et conclusions. 
 
Par ordonnance du 28 février 2013, le Juge présidant de la Ire Cour de droit public a admis la requête d'effet suspensif contenue dans le recours. 
 
 
Considérant en droit:  
 
1.   
Dirigé contre une décision rendue par une autorité cantonale de dernière instance en matière d'expropriation formelle fondée sur du droit cantonal, le recours est en principe recevable comme recours en matière de droit public conformément aux art. 82 ss LTF, aucune des exceptions prévues à l'art. 83 LTF n'étant réalisée. Le Conseil d'Etat a pris part à la procédure devant la Cour de justice et est particulièrement touché par l'arrêt attaqué, qui fixe une indemnité d'expropriation d'un montant supérieur à ce qu'il estime devoir verser. Il a donc la qualité pour agir au sens de l'art. 89 al. 1 LTF. Pour le surplus, les autres conditions de recevabilité sont remplies, si bien qu'il y a lieu d'entrer en matière. 
 
2.   
Le recourant reproche à la Cour de justice d'avoir établi les faits de manière manifestement incorrecte et incomplète. 
 
2.1. Le Tribunal fédéral statue en principe sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF), sous réserve des cas prévus par l'art. 105 al. 2 LTF. Il ne peut s'en écarter que si les constatations de ladite autorité ont été établies de façon manifestement inexacte - notion qui correspond à celle d'arbitraire au sens de l'art. 9 Cst. (ATF 137 I 58 consid. 4.1.2 p. 62; 136 II 304 consid. 2.4 p. 314) - ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF), et pour autant que la correction du vice soit susceptible d'influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF). S'il entend s'écarter des constatations de fait de l'autorité précédente, le recourant doit expliquer de manière circonstanciée en quoi les conditions d'une exception prévue par l'art. 105 al. 2 LTF sont réalisées.  
 
2.2. En l'espèce, le recourant reproche à la Cour de justice de ne pas avoir exposé de manière détaillée le contenu du rapport d'évaluation du 23 septembre 2011 et de la liste des "transactions comparatives sur Lancy" qui y était jointe. Il présente un résumé de ces pièces, en soulignant les éléments qu'il estime importants et que la Cour de justice aurait dû, à son avis, prendre en compte. Le recourant ne conteste pas que la Cour de justice a pris connaissance de ces pièces, lesquelles ont été mentionnées dans l'arrêt attaqué. On ne voit au demeurant pas en quoi la reproduction détaillée de celles-ci aurait permis d'arriver à un résultat différent. Le recourant reproche en réalité à la Cour de justice d'avoir procédé à une appréciation erronée des faits contenus dans ces pièces, ce qui constitue une question de droit qui doit être examinée avec le fond. Il en est de même des faits allégués en procédure et qui n'auraient pas été retenus par la Cour de justice; en faisant grief aux juges cantonaux de ne pas avoir tenu compte de diverses transactions qu'il avait expressément documentées, le recourant critique moins les faits tels qu'ils ont été établis que leur appréciation juridique.  
 
Mal fondé, le recours doit être rejeté sur ce point et le Tribunal fédéral est lié par les faits retenus dans l'arrêt attaqué, conformément à l'art. 105 al. 1 LTF
 
3.   
Dans un grief d'ordre formel qu'il convient d'examiner en premier lieu, le recourant se plaint d'un déni de justice formel. Il fait valoir que la Cour de justice s'est limitée à valider la décision de la commission sans exercer le contrôle qui lui appartenait, en se réfugiant derrière la prétendue marge d'appréciation de la commission. Or, aucune loi genevoise n'imposerait à la Cour de justice de limiter son examen à l'arbitraire. 
 
Il ressort de l'arrêt attaqué que la Cour de justice n'a pas voulu limiter sa cognition. Elle a en effet expressément rappelé, au consid. 5e, qu'elle disposait d'un pouvoir d'examen étendu, à savoir d'une pleine cognition en fait et en droit. Les juges cantonaux ont certes confirmé à une reprise l'appréciation de la commission en estimant qu'elle était "soutenable, et demeur[ait] dans les limites du pouvoir d'appréciation conféré à la commission par la LEx-GE". Plus loin, l'arrêt attaqué a jugé que les prix retenus par la commission n'étaient "pas arbitraires". Malgré cette formulation, il apparaît que la Cour de justice a bel et bien procédé à un contrôle effectif du dossier, considérant en substance que la méthode de calcul utilisée par la commission échappait à la critique et que la fixation de l'indemnité était correcte. Le présent grief doit par conséquent être écarté. 
 
4.   
Au fond, le recourant soutient que la valeur vénale de la parcelle concernée a été estimée sur des bases erronées; il fait ainsi grief à la Cour de justice d'avoir mal appliqué la méthode comparative, en fixant le montant de l'indemnité sur la base de comparaisons inadéquates. 
 
En vertu de l'art. 26 al. 2 Cst., une pleine indemnité est due en cas d'expropriation ou de restriction de la propriété qui équivaut à une expropriation. Les art. 14 ss de la loi genevoise du 10 juin 1933 sur l'expropriation pour cause d'utilité publique (LEx-GE) reprennent ce principe et règlent les détails de l'indemnisation. Comme le recourant ne prétend pas que ces dernières dispositions de droit cantonal lui accorderaient une protection plus étendue que celle découlant de l'art. 26 Cst., ses griefs doivent en principe être examinés sous l'angle du droit constitutionnel fédéral. 
 
Saisi d'un recours en matière de droit public portant sur une indemnité d'expropriation, le Tribunal fédéral examine librement le point de savoir si le montant de l'indemnité a été fixé correctement et si le droit constitutionnel à une indemnisation pleine et entière a été respecté (art. 26 al. 2 Cst.; cf. ATF 122 I 168 consid. 2c p. 173). Il observe toutefois une certaine retenue quand il s'agit d'apprécier des questions techniques pour lesquelles les autorités inférieures disposent de connaissances spécifiques. Cela vaut dans tous les cas lorsque celles-ci ont examiné les éléments essentiels à la base de la décision et mené les investigations nécessaires de manière approfondie et détaillée (ATF 138 II 77 consid. 6.4 p. 89 et les références). 
 
5.   
En vertu de l'art. 18 LEx-GE, l'indemnité comprend notamment la pleine valeur vénale du droit exproprié. Est déterminante la valeur au jour de l'arrêté d'expropriation (art. 23A LEx-GE). 
 
Comme l'a rappelé la Cour de justice, la valeur vénale d'un bien est la valeur qui lui est attribuée dans des circonstances normales, à une époque déterminée et à l'occasion d'un échange d'ordre économique. Selon la jurisprudence, la valeur vénale d'un bien est le prix que le propriétaire d'un immeuble exproprié aurait objectivement pu obtenir sur le marché, au jour déterminant, pour une aliénation privée (ATF 122 II 246 consid. 4a p. 250). 
 
5.1. Pour établir l'indemnité d'expropriation, la commission a utilisé la méthode comparative, selon laquelle la valeur vénale des terrains est fixée sur la base des prix payés pour des fonds semblables; elle implique de rechercher, parmi les transactions récentes intervenues dans la région peu avant le dies aestimandi, les prix payés pour des fonds de même nature, de même qualité et de même situation (cf. ATF 122 II 246 consid. 4a p. 250, 337 consid. 5a p. 344; 122 I 168 consid. 3a p. 173 s. et les références citées dans ces arrêts). La commission a ensuite pondéré la valeur intrinsèque ainsi obtenue avec la valeur de rendement de l'immeuble. Le recourant ne conteste pas l'application de cette méthode, mais le choix des chiffres et des transactions comparatives.  
 
5.2. La commission s'est basée sur des transactions comparatives identifiées de 2007 à 2010 dans un rayon de moins d'un kilomètre et d'un niveau se rapprochant du bien évalué (transactions publiées dans la Feuille d'avis officielle) pour parvenir à un prix du terrain seul de 1'212 fr., montant arrondi à 1'200 fr./m2. La Cour de justice a confirmé ce montant, relevant que le choix des transactions comparatives ne prêtait pas le flanc à la critique, notamment quant aux critères de proximité géographique et à leur caractère récent. La valeur ainsi obtenue était par ailleurs comprise dans la fourchette des prix du marché de l'immobilier dans le périmètre considéré de la commune de Lancy, à savoir de 950 à 1'300 fr./m2.  
 
Le recourant critique cette appréciation. Il reproche à la commission de n'avoir pas tenu compte du régime de zone applicable à chacune des parcelles sur lesquelles il a fait porter son analyse. Il estime que les terrains situés en zone de développement, comme c'est le cas du terrain litigieux, ne peuvent pas être comparés aux biens-fonds classés en zone "ordinaire". Cette argumentation ne saurait être suivie. En effet, la valeur vénale correspond au prix que le propriétaire d'un immeuble exproprié aurait objectivement pu obtenir sur le marché, pour une aliénation privée; or le recourant ne démontre pas en quoi les différentes caractéristiques de la zone de développement considérée (obligation de procéder par PLQ, caractère contraignant de celui-ci, droit de préemption de l'Etat, par exemple) déprécieraient la valeur de la parcelle et affecteraient négativement son prix d'achat par un acquéreur privé. En tous les cas, comme l'ont relevé la commission puis la Cour de justice, le montant maximum du terrain de 1'000 fr./m2 calculé par l'office cantonal du logement pour la zone de développement 3 n'avait pas à être retenu, car il s'agissait du prix maximum arrêté par l'Etat dans le cadre du plan financier d'un projet appelé à remplacer la villa existante, et non pas d'un montant maximum arrêté pour l'achat du bien immobilier appelé à disparaître. Dans ces conditions, il n'y a pas lieu de remettre en question le choix des transactions comparatives, ni le montant de 1'200 fr./m2 ainsi obtenu. 
 
5.3. Le recourant estime ensuite que le prix de 1'000.-/m3 pour la détermination de la valeur de la villa est totalement arbitraire. Cette valeur ne correspondrait en rien aux valeurs statistiquement admises à travers l'ensemble de la Suisse pour des bâtiments érigés dans la première partie du 20ème siècle.  
 
En réalité, ce montant de 1'000.-/m 3 tient compte du taux de vétusté de la villa (- 25 %), ce qui ramène à 750.-/m3 le prix finalement retenu pour déterminer la valeur de la villa. Ce montant apparaît ainsi admissible, si on le compare au prix au m3 des transactions comparatives sur la commune de Lancy, auxquelles se réfèrent le recourant. D'après ce tableau comparatif, le prix au m3 des villas prises en comparaison s'élève de 800 à 900.-/m3, ce montant étant d'autant plus élevé que la construction est récente (900.-/m3 pour les objets construits entre 1996 et 2000 et 800.-/m3 pour la villa construite entre 1981 et 1985). Le montant de 750.-/m3 retenu au final pour la villa litigieuse, construite dans la première partie du 20ème siècle, échappe dès lors à la critique. 
 
6.   
Il résulte de ce qui précède que le recours doit être rejeté. En tant qu'il succombe et qu'il défend un intérêt patrimonial, le Conseil d'Etat est tenu de supporter les frais judiciaires (art. 66 al. 1 et 4 LTF). Il devra en outre verser une indemnité à titre de dépens aux intimés qui obtiennent gain de cause avec l'assistance d'un avocat (art. 68 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:  
 
1.   
Le recours est rejeté. 
 
2.   
Les frais judiciaires, fixés à 4'000 fr., sont mis à la charge du Conseil d'Etat. 
 
3.   
Une indemnité de dépens de 6'000 fr., à charge du Conseil d'Etat, est allouée aux intimés. 
 
4.   
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour de justice du canton de Genève, Chambre administrative, 1ère section. 
 
 
Lausanne, le 5 septembre 2013 
 
Au nom de la Ire Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président: Fonjallaz 
 
La Greffière: Mabillard