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[AZA 0/2] 
 
4C.145/1994 
 
Ie COUR CIVILE 
************************ 
 
Séance du 12 février 2002 
 
Composition de la Cour: M. Walter, président, M. Corboz, 
Mme Klett, Mme Rottenberg Liatowitsch et M. Favre, juges. 
Greffière: Mme Aubry Girardin. 
 
___________ 
 
Dans la cause qui oppose 
 
Dame R.________, représentée par Me Charles-Henri de Luze, avocat à Lausanne, 
 
demanderesse, 
 
à 
l'Étatde V a u d, par le Président du Conseil d'État, à 
Lausanne, représenté par Me Jacques Michod, avocat à Lausanne, 
 
défendeur; 
 
(procès direct; indemnité pour détention injustifiée) 
Vu les pièces du dossier d'où ressortent 
les faits suivants: 
 
A.- De nationalité espagnole, dame R.________ est née en 1960. 
 
Le 21 mars 1986, alors qu'elle séjournait à Lausanne avec son ami, A.________, dame R.________ a été arrêtée et placée en détention préventive, pour infraction grave à la loi fédérale sur les stupéfiants (ci-après: LStup). Elle a été détenue jusqu'à son jugement. 
 
Le 14 octobre 1986, le Tribunal correctionnel du district de Lausanne a condamné A.________ à deux ans et demi de réclusion pour infraction grave à la LStup; il a en revanche libéré dame R.________ du chef d'inculpation de trafic de stupéfiants et mis à sa charge une partie des frais de la cause, à concurrence de 4'567 fr., les juges lui reprochant d'avoir contribué à prolonger l'enquête. Sa libération immédiate a également été ordonnée. 
 
Par arrêt du 22 décembre 1986, la Cour de cassation pénale du Tribunal cantonal vaudois a réformé le jugement rendu par le Tribunal correctionnel, en libérant dame R.________ de toute participation aux frais de justice, au motif que l'on ne pouvait lui faire grief d'avoir nié les faits qui lui étaient reprochés. 
 
B.- Le 14 octobre 1987, dame R.________ a fait notifier à l'État de Vaud un commandement de payer pour un montant de 200'000 fr. avec intérêt à 5 % à partir du 30 juin 1986, plus les frais. Elle a indiqué, comme cause de la créance, une indemnité et des dommages-intérêts pour détention injustifiée du 21 mars au 14 octobre 1986 (208 jours). L'État de Vaud a formé une opposition totale à ce commandement de payer. 
 
De 1988 à 1993, dame R.________ a renouvelé chaque année cette poursuite. Pour sa part, l'État de Vaud s'est toujours opposé aux commandements de payer qui lui ont été notifiés. 
 
Parallèlement, les parties ont cherché à parvenir à une transaction. Le 23 juin 1989, l'État de Vaud a offert 5'000 fr. pour solde de tout compte. 
 
C.- Par demande déposée le 15 avril 1994, dame R.________ a introduit un procès direct devant le Tribunal fédéral. Elle conclut, avec suite de frais et dépens, à ce qu'il soit dit que l'État de Vaud est son débiteur et lui doit immédiatement la somme de 200'000 fr. avec intérêt à 5 % dès le 30 juin 1986 et à ce que l'opposition formée par celui-ci à son commandement de payer notifié le 20 août 1993 (poursuite n° ... ) soit définitivement levée. 
 
Le 22 avril 1994, la Ie Cour civile du Tribunal fédéral a admis la requête d'assistance judiciaire formée par dame R.________ et a désigné Me Charles-Henri de Luze comme avocat d'office. 
 
Dans sa réponse, l'État de Vaud a conclu au rejet des conclusions de la demande, tout en réservant l'offre déjà formulée le 23 juin 1989 et correspondant au versement d'un montant de 5'000 fr. à titre d'indemnité pour détention injustifiée. 
 
Les parties ont confirmé leur position dans leur réplique et duplique respectives. 
 
L'audience préparatoire s'est tenue le 6 juillet 1995. Les parties n'ont pas apporté de complément à leurs moyens. Il a été convenu de procéder à l'interrogatoire de dame R.________ à Lausanne, d'entendre des témoins par voie de commission rogatoire et d'ordonner la production du dossier de la procédure pénale. La décision quant à l'expertise comptable requise par la demanderesse a été réservée une fois l'administration des autres moyens de preuve terminée. 
 
Le dossier pénal a été produit et les parties ont eu la possibilité de le consulter. 
 
Les parties se sont entendues sur les questions à poser aux témoins interrogés par voie de commission rogatoire. 
Le questionnaire a été traduit en espagnol. 
 
Le 8 juillet 1996, dame R.________ a fourni une liste de témoins qu'elle a modifiée le 10 octobre 1996. Finalement, ellearequisl'auditiondehuitpersonnessetrouvantenEspagne, àsavoir : D.________, E.________, B.________ , F.________, G.________, H.________, I.________ et J.________. 
 
Le 25 octobre 1996, le Tribunal fédéral a procédé à l'envoi des commissions rogatoires relatives à l'audition des témoins précités. 
 
Certaines de ces commissions rogatoires ont pu être exécutées, d'autres pas. 
 
Le 27 mars 1998, le Juge délégué a demandé aux parties si elles renonçaient à l'audition des témoins n'ayant pu être entendus. Il a également évoqué la possibilité d'interroger la demanderesse par voie de commission rogatoire. Enfin, il a relevé qu'une expertise tendant à déterminer le dommage serait difficilement praticable. 
Les parties ne se sont pas prononcées. Elles ont demandé la prolongation du délai qui leur était fixé, en invoquant l'existence de pourparlers transactionnels. 
 
Le 22 décembre 1998, le Juge délégué a imparti aux parties un délai pour qu'elles indiquent les preuves dont elles demandaient l'administration. 
 
Le 24 décembre 1998, l'État de Vaud a sollicité l'apport de pièces par la demanderesse. 
 
Le 4 janvier 1999, dame R.________, se référant à la lettre du Juge délégué du 27 mars 1998, a sollicité l'audition des témoins n'ayant pas encore été entendus et sa propre audition, dont elle admettait qu'elle puisse se dérouler par commission rogatoire. 
 
Par ordonnance du 20 janvier 1999, le Juge délégué a imparti un délai à dame R.________ pour qu'elle produise les pièces requises par l'État de Vaud, celles-ci étant considérées comme pertinentes, et pour qu'elle communique la liste des témoins dont l'audition était encore sollicitée, ainsi que la liste des questions proposées pour son propre interrogatoire par voie de commission rogatoire. 
 
Le 19 mars 1999, dame R.________ a énuméré les témoins qu'elle estimait devoir encore être entendus en Espagne et elle a précisé qu'elle maintenait sa requête tendant à la réalisation d'une expertise. 
 
Le 31 mars 1999, les commissions rogatoires se rapportant aux témoins non encore entendus ont été envoyées par le Tribunal fédéral. 
 
Le 21 juin 1999, dame R.________ a remis au Juge délégué les pièces requises dans l'ordonnance du 20 janvier 1999. La traduction française de ces pièces a été fournie à l'État de Vaud le 30 juillet 1999. 
 
Le 14 janvier 2000, le Juge délégué a demandé au Ministère de la justice espagnole si les auditions relatives aux commissions rogatoires envoyées le 31 mars 1999 avaient déjà eu lieu. 
 
Le 30 mai 2000, le Ministère de la justice a transmis les documents se référant à l'audition des témoins requis, sous réserve de J.________. 
 
Le 16 juin 2000, le Juge délégué a écrit au Ministère de la justice espagnole pour savoir ce qu'il en était de cette dernière commission rogatoire, tout en avertissant les parties que si celle-ci n'était pas de retour dans un délai de deux ans à compter de son envoi du 31 mars 1999, il considérerait qu'elle ne pouvait être exécutée. Le 10 janvier 2001, il a renouvelé sa requête auprès des autorités espagnoles. 
 
Par ordonnance du 11 avril 2001, le Juge délégué a déclaré la clôture de la procédure probatoire. Il a précisé qu'il renonçait au témoignage de J.________, dès lors que son audition par commission rogatoire s'était révélée impossible dans un délai raisonnable. Quant à l'interrogatoire des parties, il ne paraissait pas s'imposer, car celles-ci avaient eu amplement l'occasion de s'exprimer par l'intermédiaire de leurs conseils. Enfin, le juge a relevé que l'expertise ne se justifiait pas au vu des éléments réunis, tout en rappelant qu'il était toujours possible d'ordonner une telle mesure si nécessaire. 
 
Les parties ont choisi de déposer un mémoire final plutôt que de plaider. 
 
Dans sa dernière écriture, dame R.________ a confirmé les conclusions chiffrées prises en début de procédure, tout en ajoutant aux postes du dommage invoqués dans sa demande, une indemnité pour tort moral et le remboursement des frais des poursuites intentées depuis 1987. 
 
Pour sa part, l'État de Vaud a repris ses conclusions tendant au rejet des prétentions de dame R.________, rappelant qu'il avait offert 5'000 fr. à la demanderesse. 
 
Considérant en droit : 
 
1.- La recevabilité de l'action est examinée d'office (art. 3 al. 1 PCF). 
 
a) La possibilité pour un particulier de saisir, à certaines conditions, directement le Tribunal fédéral en cas de litige avec un canton reposait sur l'art. 42 al. 1 OJ. Par modification du 23 juin 2000, entrée en vigueur le 1er janvier 2001, cette voie de droit a été abrogée, sans que le législateur ne prévoie de dispositions transitoires (RO 2000 p. 2719 ss). Il convient par conséquent d'appliquer le principe général qui se dégage de l'art. 171 al. 1 OJ, selon lequel les anciennes dispositions en matière de compétence continuent de régir les affaires portées devant le Tribunal fédéral avant l'entrée en vigueur du nouveau droit (cf. Poudret/ Sandoz, COJ V, Berne 1992, art. 171 OJ no 1). La recevabilité de la demande sera donc examinée sous l'angle de l'art. 42 aOJ. 
 
b) Dirigée contre un canton, la présente action est de nature civile au sens de l'art. 42 aOJ, même si elle repose sur du droit public cantonal (cf. ATF 111 II 149 consid. 1; 107 Ib 155 consid. 1); elle porte sur une valeur litigieuse de plus de 8'000 fr. et elle a été présentée en temps utile (cf. ATF 118 II 206 consid. 2b). Elle apparaît donc comme recevable. 
 
2.- La demanderesse conclut au versement d'un montant total de 200'000 fr., somme qu'elle n'a pas modifiée en cours d'instance. En revanche, dans son écriture finale, elle requiert pour la première fois une indemnité pour tort moral qu'elle évalue à 80'000 fr. au minimum, ainsi que le remboursement des frais des poursuites successives qu'elle a engagées de 1987 à 1993. 
 
Selon l'art. 3 al. 2 1ère phrase PCF, le juge ne peut aller au-delà des conclusions des parties ni fonder son jugement sur d'autres faits que ceux qui ont été allégués dans l'instance. En revanche, le juge chargé d'appliquer le droit n'est pas lié par la motivation juridique des parties (Walder-Richli, Zivilprozessrecht, 4e éd. Zurich 1996, p. 215 no 2). 
 
Contrairement à ce que laisse entendre le défendeur, l'indemnité à titre de réparation pour tort moral requise ne constitue pas une modification de la demande initiale, dès lors qu'elle se rapporte aux mêmes faits, qu'elle n'implique pas de nouveaux moyens de preuves et qu'elle n'entraîne pas d'amplification des conclusions. Elle peut ainsi être considérée comme une précision de la motivation que la demanderesse était libre d'apporter (cf. Thomas Hugi Yar, Direktprozesse, in Prozessieren vor Bundesgericht, Bâle 1998, p. 258 no 7.28), même dans son écriture finale. 
 
Il n'en va en revanche pas de même de la demande en remboursement des frais des poursuites renouvelées chaque année depuis 1987. En effet, si les frais engagés avant l'ouverture du procès, notamment en vue de rechercher une solution transactionnelle, peuvent constituer un élément du dommage (cf. ATF 97 II 259 consid. 5a), leur remboursement supposerait en l'espèce de compléter les éléments du dossier, afin de déterminer si cette succession de commandements de payer se justifiait par l'existence de pourparlers entre les parties. La demanderesse ne pouvait donc inclure cette prétention au stade de son écriture finale. Quant aux frais de la poursuite en cours, il convient de rappeler que l'art. 68 LP est applicable. 
 
3.- La demanderesse fonde son action sur la responsabilité de l'État de Vaud pour le préjudice subi à la suite de son incarcération. 
 
a) Selon une jurisprudence constante, ni le droit constitutionnel fédéral, ni le droit conventionnel n'exigent de manière générale de l'État qu'il indemnise les particuliers victimes d'une incarcération en soi licite, mais qui se révèle par la suite injustifiée (arrêt du Tribunal fédéral du 29 septembre 2000 dans la cause B. contre État de Genève, publié in SJ 2001 I p. 118 consid. 2a et les références citées). Dans les causes relevant de la justice pénale fédérale, une telle indemnisation est en revanche prévue (cf. art. 122 et 176 PPF; RS 312. 0). La présente affaire ne concernant pas ce domaine, elle doit être envisagée sous l'angle du droit cantonal vaudois. 
 
b) L'art. 67 al. 1 CPP vaud. prévoit que "celui qui a été détenu et qui a bénéficié par la suite d'un non-lieu ou d'un acquittement peut obtenir de l'État une indemnité à raison du préjudice que lui a causé son incarcération". Cette disposition institue une responsabilité causale de l'État. 
Ainsi, un prévenu mis en détention préventive, puis acquitté - ou bénéficiant d'un non-lieu - peut réclamer à l'État la réparation du préjudice subi du fait de sa détention, sans avoir à établir l'illicéité de son incarcération, ni une faute du magistrat qui l'a ordonnée (jurisprudence cantonale publiée in JT 1994 III 93 consid. 2a; JT 1978 III 23 s. consid. 
1; confirmée par le Tribunal fédéral le 9 novembre 1979 dans la cause B. contre État de Vaud, publiée in JT 1981 III 34 consid. 2b et c). 
 
En l'occurrence, la demanderesse, qui a été détenue préventivement puis acquittée, a donc en principe droit à obtenir une indemnisation sur la base de l'art. 67 al. 1 CPP vaud. Celle-ci peut comprendre des dommages-intérêts et une indemnité pour tort moral à raison de la détention (ATF 112 Ib 446 consid. 3a). 
 
4.- En ce qui concerne ses prétentions en réparation du dommage, la demanderesse soutient en substance que son incarcération l'a empêchée de poursuivre l'exploitation d'un bar-discothèque qu'elle avait ouvert en février 1985 à X.________, dans la province de Barcelone, et pour l'aménagement duquel elle avait consenti à des investissements importants. Cet établissement, dans lequel elle employait un barman et du personnel auxiliaire en fin de semaine, lui aurait procuré un revenu net moyen de 572'877 pesetas par mois. Or, comme elle n'avait pu s'acquitter du loyer des locaux dans lesquels se situait son bar durant sa détention, le propriétaire avait réaffecté les lieux. La demanderesse allègue également que sa détention l'a plongée dans un profond état dépressif, rendant impossible la recherche d'un nouveau travail depuis sa sortie de prison jusqu'au début 1988; ce n'est finalement qu'en novembre 1988 qu'elle a trouvé une activité lucrative qu'elle a exercé jusqu'en juin 1989. Celle-ci lui a procuré 62'071 pesetas par mois, soit bien moins que les revenus qu'elle aurait pu tirer de l'exploitation de son bar-discothèque. Dame R.________ demande ainsi, à titre de dommages-intérêts, le remboursement des investissements liés à l'aménagement intérieur de son établissement public, une compensation pour la perte des revenus que lui aurait rapportés celui-ci de janvier 1986 à juillet 1992, sous déduction du salaire qu'elle a été en mesure de percevoir depuis octobre (recte: novembre) 1988, ainsi qu'une indemnité pour la perte de gain future, au motif qu'elle aurait pu exploiter son bar jusqu'à l'âge de 60 ans. 
 
a) S'agissant des dommages-intérêts, l'art. 67 al. 4 in fine CPP vaud. renvoie aux règles ordinaires en matière de responsabilité; les tribunaux vaudois en ont déduit que la détermination du montant du dommage était régie par les art. 42 ss CO, applicables à titre de droit cantonal supplétif (JT 1994 III 93 consid. 2a; 1978 III 21 consid. 1 p. 24). Saisi d'actions directes au sens de l'art. 42a OJ, le Tribunal fédéral a considéré qu'il n'y avait pas de raison de s'écarter de cette interprétation convainquante de l'art. 67 CPP vaud. (ATF 112 Ib 446 consid. 4a p. 454; arrêt du Tribunal fédéral op. cit. , in JT 1981 III 34 consid. 2c). 
 
b) Conformément aux principes généraux, le dommage correspond à la diminution involontaire de la fortune nette. Il peut consister dans une réduction de l'actif, en une augmentation du passif ou dans un gain manqué; il correspond à la différence entre le montant actuel du patrimoine et le montant que celui-ci aurait atteint si l'événement dommageable ne s'était pas produit (ATF 127 III 73 consid. 4c p. 76, 403 consid. 4a p. 405, 543 consid. 2b p. 546; 126 III 388 consid. 11a p. 393). Le responsable n'est tenu de réparer que le dommage qui se trouve dans un rapport de causalité adéquate avec l'acte qui fonde sa responsabilité (cf. ATF 121 III 350 consid. 7a). Il appartient ainsi au lésé de prouver non seulement l'existence et l'étendue du dommage, mais aussi le lien de causalité entre celui-ci et l'événement à la base de son action. Lorsque le montant exact du dommage ne peut être établi, l'art. 42 al. 2 CO facilite la charge de la preuve, dans la mesure où il permet au juge de le déterminer équitablement en considération du cours ordinaire des choses et des mesures prises par la partie lésée. Celle-ci n'est cependant pas dispensée d'alléguer et de prouver, dans la mesure où cela est possible et exigible, toutes les circonstances qui plaident en faveur de la survenance d'un dommage, permettant et facilitant ainsi son évaluation (ATF 122 III 219 consid. 3a p. 221 et les arrêts cités). Concernant le lien de causalité, la victime n'a certes pas à le démontrer avec une exactitude scientifique; elle doit cependant établir que le dommage invoqué se rapporte avec une vraisemblance prépondérante au comportement en cause (cf. ATF 113 Ib 420 consid. 3; 107 II 269 consid. 1b p. 273). 
 
c) S'agissant des pertes liées à la fermeture du bar-discothèque de X.________, on ne peut admettre le bien-fondé de la demande. 
 
En premier lieu, il convient de souligner, comme le relève pertinemment le défendeur, que les éléments du dossier ne permettent pas d'affirmer avec certitude que la demanderesse exploitait personnellement ce bar. En effet, il est troublant qu'interrogée sur ses activités dans le cadre de la procédure pénale, la demanderesse n'ait jamais mentionné qu'elle aurait été propriétaire d'un établissement public ou qu'elle en aurait assumé la gérance, pas plus qu'elle n'a fait état d'une activité rémunérée régulière à l'époque de son arrestation. Elle a seulement indiqué qu'elle travaillait comme barmaid à Y.________ et qu'elle donnait un coup de main à sa mère, qui avait un commerce dans cette localité. Or, on ne voit manifestement pas quel intérêt aurait eu la demanderesse à mentir sur ces points et celle-ci ne peut soutenir qu'elle n'a pas compris les questions qui lui étaient posées, puisqu'elle était assistée d'un interprète durant son interrogatoire. Quant à A.________, également arrêté à Lausanne le 21 mars 1986, il a pour sa part indiqué qu'il était notamment propriétaire d'un établissement public dans la province de Barcelone et, dans l'un des carnets d'adresses saisis en cours d'enquête, le bar-discothèque situé à X.________ était cité sous son nom. Certes, l'autorisation d'exploiter l'établissement, les taxes d'ouverture et les divers documents officiels produits par la demanderesse la mentionnent toujours en tant que tenancière. Elle n'a toutefois pas été en mesure de fournir une quelconque attestation fiscale ou une déclaration de revenu démontrant qu'elle aurait effectivement touché le bénéfice non négligeable provenant de l'exploitation de cet établissement, si l'on en croit le livre de caisse produit. Il reste que, des sept témoins entendus par commission rogatoire, six ont indiqué que la demanderesse exploitait bien un bar-discothèque à X.________. Ceux-ci n'ont pourtant pas été interrogés sur le point précis de savoir si la demanderesse s'occupait concrètement des activités de cet établissement. D.________, la soeur de la demanderesse, a souligné que C.________, son mari, était également responsable de la gestion du bar, mais elle ignorait si cela figurait sur un document. Dans un tel contexte, on peut sérieusement douter qu'il ait été établi à satisfaction de droit que la demanderesse exploitait elle-même un bar-discothèque à X.________. 
 
Au demeurant, même si l'on devait admettre que la demanderesse exerçait effectivement une telle activité, celle-ci n'est pas parvenue à démontrer le lien de causalité entre le dommage lié à la fermeture du bar-discothèque et sa détention. En effet, il ressort du dossier qu'elle a ouvert son bar le 3 février 1985, mais qu'elle en a cessé l'exploitation le 1er janvier 1986. Dans sa réplique, la demanderesse a expliqué qu'à la suite du décès de son père au début de l'année 1986, elle n'a plus été en état d'exploiter son établissement. Au moment de son arrestation, le 21 mars 1986, le bar était donc déjà fermé depuis plusieurs semaines. La demanderesse affirme toutefois qu'elle avait l'intention d'ouvrir à nouveau cet établissement en avril 1986. A l'exception de G.________, la fille d'une amie, les témoins entendus par commission rogatoire ont confirmé que la demanderesse avait bien cette intention. Ces déclarations doivent toutefois être appréciées avec réserve, dès lors qu'elles ne reposent pas sur des faits tangibles, mais qu'elles ne font que retranscrire des éléments subjectifs. En effet, il est difficile de savoir si les témoins, interrogés plus de dix ans après les faits, se souviennent que la demanderesse avait pour projet la réouverture de l'établissement public en avril 1986, parce que celle-ci en avait parlé avant cette date ou parce qu'elle l'avait évoqué par la suite. Hormis ces témoignages, la demanderesse n'a produit aucune pièce concrétisant son intention. Or, on peut légitimement concevoir que, quelques jours avant d'ouvrir un bar-discothèque qui, selon la demanderesse, employait un barman et du personnel auxiliaire en fin de semaine, le gérant doit avoir accompli certaines démarches pour s'assurer la présence de collaborateurs et l'approvisionnement des lieux. En outre, on imagine mal que la demanderesse ait pu se trouver à Lausanne en vacances à la fin du mois de mars 1986, tout en envisageant sérieusement de reprendre l'exploitation d'un bar-discothèque en avril de la même année. Par conséquent, force est de constater que celle-ci n'a pas démontré de manière convainquante qu'elle s'apprêtait à ouvrir un établissement public au moment de son arrestation en Suisse. Le dommage invoqué en relation avec la cessation de l'exploitation du bar-discothèque n'apparaît donc pas comme la conséquence de l'arrestation, suivie de la détention de la demanderesse à partir du 21 mars 1986, de sorte que celle-ci ne peut prétendre à en obtenir réparation dans le cadre de la présente procédure. 
 
d) Même si la demanderesse n'est pas parvenue a apporter la preuve que sa privation de liberté lui aurait fait perdre les revenus du bar-discothèque situé à X.________, rien n'indique que celle-ci était à même de subvenir à ses besoins sans travailler. Si elle n'avait pas été incarcérée, elle aurait été en mesure, durant les 208 jours de sa détention, d'occuper un emploi rémunéré du genre de celui qu'elle a exercé durant quelques mois entre 1988 et 1989. Il faut donc admettre que, selon le cours ordinaire des choses, la demanderesse aurait pu gagner mensuellement 62'071 pesetas. Son incarcération ayant duré du 21 mars au 14 octobre 1986, soit six mois trois/quarts, elle peut prétendre à 418'979, 25 pesetas. Compte tenu de la modestie de cette rémunération, il est équitable de tenir compte, pour la conversion, du cours au jour de son incarcération, qui lui est plus favorable. A cette époque, 100 pesetas valaient 1,3336 fr., ce qui équivaut à un revenu de 827, 80 par mois, soit 5'587, 50 fr. au total. Il y a lieu de déduire de cette somme un montant représentant les dépenses épargnées par la demanderesse en raison de sa détention. Celui-ci peut être évalué à 300 fr. par mois soit à 2'025 fr. au total, compte tenu du fait que la demanderesse habitait alors chez sa mère. Le montant de la perte de gain est ainsi fixé, ex aequo et bono, à 3'600 fr. 
 
e) La demanderesse soutient également que sa détention l'a plongée dans un état dépressif qui l'a empêchée d'envisager l'exercice d'une quelconque activité professionnelle avant le début de l'année 1988. 
 
Pour étayer ses dires, elle se fonde uniquement sur les témoignages issus des commissions rogatoires, sans produire le moindre certificat médical, ni attestation démontrant qu'elle aurait suivi un traitement pour soigner une dépression. Les seules déclarations de proches, dont il n'est pas invoqué qu'ils aient des connaissances médicales, ne sont pas suffisantes pour prouver que la demanderesse se soit trouvée dans un état dépressif tel qu'il l'aurait empêchée d'envisager toute activité professionnelle jusqu'à la fin 1987. De surcroît, avant son incarcération, la demanderesse a soutenu avoir déjà été incapable de travailler à la suite du décès de son père, de sorte que, même si sa dépression devait être tenue pour établie, rien n'indique qu'elle soit dans un rapport de causalité avec la détention subie. 
 
f) Quant à l'indemnité pour perte de gain future, elle se rapporte à la fermeture du bar-discothèque de X.________, dont on a vu qu'elle ne pouvait être imputée à la détention subie en 1986 (cf. supra let. c). Elle est donc dépourvue de tout fondement et confine même à la témérité, dans la mesure où la demanderesse cherche ainsi à être indemnisée jusqu'à l'âge de soixante ans, sur la base de revenus, ressortant d'un simple livre de caisse, qu'elle prétend avoir réalisés sur une période de onze mois seulement, alors qu'elle était âgée de vingt-cinq ans. 
 
5.- S'agissant du tort moral, la demanderesse requiert enfin le versement d'un montant de 80'000 fr. au minimum, alléguant que sa détention a entraîné un état dépressif qui a duré plus d'un an et que sa détention a eu un effet négatif sur ses connaissances espagnoles. 
 
a) Le droit cantonal ne contient pas de disposition particulière concernant l'évaluation du tort moral, de sorte qu'il y a lieu de s'inspirer des principes issus de l'art. 49 CO appliqué à titre de droit cantonal supplétif. 
 
b) En matière de détention injustifiée, la jurisprudence a confirmé que le montant de l'indemnité doit être fixée en fonction de la gravité de l'atteinte portée à la personnalité (ATF 113 IV 93 consid. 3a p. 98). Il faut tenir compte de toutes les circonstances, notamment des effets négatifs de la détention sur l'intégrité physique, psychique ou encore sur la réputation (ATF 112 Ib 446 consid. 5b/aa p. 458). L'activité professionnelle du lésé doit être prise en compte dans cette appréciation (arrêt du Tribunal fédéral du 8 mars 1999 dans la cause M. contre C. publié in Rivista di diritto amministrativo e tributario ticinese - RDAT - 1999 II 15, consid. 5b; ATF 113 IV 93 consid. 3a p. 98). Il appartient au demandeur d'invoquer et de prouver les atteintes subies (ATF 117 IV 209 consid. 4b p. 218). Le Tribunal fédéral considère en principe qu'un montant de 200 fr. par jour en cas de détention injustifiée de courte durée constitue une indemnité appropriée, dans la mesure où il n'existe pas de circonstances particulières qui pourraient fonder le versement d'un montant inférieur ou supérieur (arrêt non publié du Tribunal fédéral du 5 mai 1997 dans la cause B. contre Ministère public fédéral, consid. 5b; confirmé notamment par arrêt non publié du 19 septembre 2001 dans la cause B. contre Ministère public fédéral, consid. 6b/bb). Lorsque la détention injustifiée s'étend sur une longue période, ce qui est le cas en l'espèce, puisque la demanderesse a été privée de liberté durant 208 jours, la jurisprudence a précisé qu'une augmentation linéaire du montant accordé dans les cas de détentions plus courtes n'est pas adaptée, car le fait de l'arrestation et de la détention pèse d'un poids en tout cas aussi important que l'élément de durée pour apprécier l'atteinte que subit la personne incarcérée (cf. ATF 113 Ib 155 consid. 3b; cf. Peter Münch, Bemessung der Genugtuung für ungerechtfertigten Freiheitsentzug, RJB 1998 p. 237 ss, 238). Même si cette règle peut s'avérer inappropriée dans certaines circonstances, il n'y a aucune raison de s'en écarter dans la présente cause. 
 
c) En l'espèce, la demanderesse soutient que sa détention l'a plongée dans un état dépressif qui a duré jusqu'à la fin de l'année 1987. Comme déjà indiqué en relation avec les dommages-intérêts requis (cf. supra consid. 4e), elle ne fournit aucun certificat médical attestant son état, mais se fonde uniquement sur les témoignages de ses proches, ce qui n'est pas suffisant pour retenir que la demanderesse ait été perturbée par sa détention de façon particulièrement plus grave ou davantage que n'importe qui placé dans les mêmes conditions. 
 
La demanderesse laisse également entendre que son inculpation a eu des effets négatifs sur les tiers. Elle ne fait cependant état d'aucun élément concret, comme des articles de journaux locaux évoquant son arrestation, à l'appui de cette affirmation. Elle se contente de mentionner le proverbe "il n'y a pas de fumée sans feu", ce qui est parfaitement impropre à démontrer que la détention aurait porté atteinte à la réputation de la demanderesse dans la région où elle vit. 
 
Enfin, au moment de son arrestation, la demanderesse a indiqué qu'elle se trouvait dans un état dépressif à la suite du décès de son père et qu'elle n'était pas en mesure de travailler, de sorte que sa détention n'a pas eu pour effet d'interrompre brusquement une activité professionnelle. 
 
Par conséquent, hormis la détention elle-même et sa durée, il n'y a pas d'autres éléments déterminants dans l'appréciation du préjudice moral subi par la demanderesse. Compte tenu des principes énumérés ci-dessus, il paraît équitable de lui allouer une indemnité de 30'000 fr. à ce titre. 
 
6.- Il reste à déterminer si la demanderesse a commis une faute concomitante de nature à réduire, voire à supprimer les montants du dommage matériel et du tort moral tels qu'ils viennent d'être fixés, comme le prétend à titre subsidiaire le défendeur. 
 
Selon l'art. 44 alinéa 1 CO, applicable en l'espèce (ATF 112 Ib 446 consid. 4a p. 454), le juge peut réduire les dommages-intérêts ou même de n'en point allouer, lorsque des faits dont la partie lésée est responsable ont contribué à créer le dommage, à l'augmenter, ou qu'ils ont aggravé la situation du débiteur. Sous réserve d'exceptions qui n'entrent pas en ligne de compte dans le cas présent, ces faits doivent pouvoir être imputés à une faute de la victime; il faut que celle-ci ait eu subjectivement un comportement répréhensible (ATF précité, loc. cit. ). Pour savoir si le comportement du prévenu libéré peut entraîner la suppression ou la réduction de la réparation à laquelle il a droit, le Tribunal fédéral a précisé qu'il faut tenir compte des particularités de la responsabilité en cas de détention injustifiée et adopter, mutatis mutandis, les mêmes critères que ceux qui permettent de dire s'il y a lieu de mettre les frais de justice à la charge du prévenu au bénéfice d'une décision de non-lieu ou d'un acquittement, ou encore de renoncer à l'imputation de la détention préventive subie par le condamné (cf. ATF 112 Ib 446 consid. 4c p. 456). Concernant les frais de justice, la jurisprudence considère qu'il est possible de les imputer au prévenu libéré lorsque celui-ci a clairement violé une norme de comportement écrite ou non écrite résultant de l'ordre juridique suisse, dont il doit répondre selon une application par analogie des principes découlant de l'art. 41 CO, et qu'il a ainsi donné lieu à la procédure pénale ou compliqué son déroulement (ATF 119 Ia 332 consid. 1b p. 334; 116 Ia 162 consid. 2d p. 171 et consid. 2e p. 175). Un comportement critiquable uniquement du point de vue de l'éthique ne suffit pas (cf. ATF 116 Ia 162 consid. 2a et b). 
 
En l'espèce, le défendeur se prévaut de l'attitude de la demanderesse durant l'enquête pénale, reproduisant un extrait du jugement du 14 octobre 1986 rendu par le Tribunal correctionnel, qui avait mis une partie des frais de la procédure à la charge de l'accusée en lui reprochant son "attitude oppositionnelle". La Cour de cassation pénale cantonale a toutefois annulé le jugement précité sur ce point, relevant que la demanderesse, qui s'était contentée de nier les faits, n'avait pas adopté un comportement fautif. De cette appréciation, dont la Cour de céans n'a aucune raison de s'écarter, dès lors que le défendeur lui-même ne la critique pas, on ne peut déduire que la demanderesse ait adopté au cours de la procédure une attitude justifiant une réduction ou, a fortiori, la suppression de l'indemnisation à laquelle elle a droit en raison de sa détention injustifiée, conformément aux principes exposés ci-dessus. 
 
7.- En résumé, le dommage et le tort moral auxquels la demanderesse peut prétendre se montent à 33'600 fr. au total. Cette somme portera intérêt au taux annuel de 5 % dès la date moyenne du 1er juillet 1986 (ATF 112 Ib 460 consid. 4c/bb in fine). 
 
Comme le juge civil saisi d'une action au fond portant sur le paiement d'une somme faisant l'objet d'une poursuite peut prononcer la mainlevée définitive de l'opposition formée au commandement de payer (cf. ATF 107 III 60 consid. 3), il y a lieu de donner suite aux conclusions de la demanderesse allant dans ce sens. Par conséquent, l'opposition formée par le défendeur au commandement de payer que lui a fait notifier la demanderesse le 20 août 1993 sera définitivement levée à concurrence de 33'600 fr. avec intérêt au taux annuel de 5 % dès le 1er juillet 1986. 
 
8.- La demanderesse a eu gain de cause sur le principe, mais a obtenu un peu moins du cinquième de ce qu'elle réclamait. Quant au défendeur, il a, sous réserve d'un montant de 5'000 fr. offert à bien plaire, conclu au rejet des conclusions de la demande. Dans ces conditions, il y a lieu de répartir l'émolument judiciaire, auquel s'ajoutent les frais de traduction, par moitié à la charge de chacune des parties et de compenser les dépens (art. 156 al. 2 et 3, ainsi que 159 al. 3 OJ, applicables par renvoi de l'art. 69 al. 1 PCF). 
 
La part des frais mise à la charge de la demanderesse, qui s'est vu accorder le bénéfice de l'assistance judiciaire, sera supportée par la Caisse du Tribunal fédéral (art. 152 al. 1 OJ), laquelle versera également les honoraires à l'avocat d'office (art. 152 al. 2 OJ), le tout sous réserve de remboursement ultérieur (art. 152 al. 3 OJ). 
 
Par ces motifs, 
 
le Tribunal fédéral : 
 
1. Admet partiellement la demande; 
 
Condamne le défendeur à payer à la demanderesse la somme de 33'600 fr. avec intérêt au taux annuel de 5 % dès le 1er juillet 1986; 
 
Dit que l'opposition formée par le défendeur au commandement de payer notifié le 20 août 1993 (poursuite n° ... de l'Office des poursuites de Lausanne-Est) est définitivement levée jusqu'à concurrence de la somme de 33'600 fr., avec intérêt au taux annuel de 5 % dès le 1er juillet 1986; 
 
2. Rejette la demande pour le surplus; 
 
3. Met un émolument judiciaire de 9'000 fr. et des frais de traduction de 1'770 fr. à la charge des parties, à raison d'une moitié chacune. Dit que la part de ces frais mise à la charge de la demanderesse sera supportée par la Caisse du Tribunal fédéral; 
 
4. Dit que la Caisse du Tribunal fédéral versera à Me Charles-Henri de Luze la somme de 10'000 fr. à titre d'honoraires d'avocat d'office; 
 
5.Communiqueleprésentarrêtencopieauxmandatairesdesparties. 
 
__________ 
 
Lausanne, le 12 février 2002 
ECH 
 
Au nom de la Ie Cour civile 
du TRIBUNAL FÉDÉRAL SUISSE: 
Le Président, 
 
La Greffière,