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Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
{T 0/2} 
1P.222/2003 /col 
 
Arrêt du 14 mai 2003 
Ire Cour de droit public 
 
Composition 
MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour et Président du Tribunal fédéral, Féraud et Fonjallaz. 
Greffier: M. Thélin. 
 
Parties 
A.________, 
recourant, représenté par MMes Hrant Hovagemyan et Kieu-Oanh Nguyen, avocats, place du Bourg-de-Four 25, 1204 Genève, 
 
contre 
 
B.________ SA, 
SI C.________, 
SI D.________, 
SI E.________, 
SI F.________, 
SI G.________, 
représentées par Me Guy Fontanet, avocat, rue du Rhône 84, 1204 Genève, 
 
H.________, 
I.________ AG, 
représentés par Me Daniel Tunik, avocat, Grand'Rue 25, case postale 5560, 1211 Genève 11, 
 
Juge d'instruction du canton de Genève, case postale 3344, 1211 Genève 3, 
Procureur général du canton de Genève, place du Bourg-de-Four 1, case postale 3565, 1211 Genève 3, 
Cour de justice du canton de Genève, Chambre d'accusation, place du Bourg-de-Four 1, case postale 3108, 1211 Genève 3. 
 
Objet 
détention préventive; accès au dossier 
 
recours de droit public contre l'ordonnance de la Chambre d'accusation du 4 avril 2003. 
 
Faits: 
A. 
En février 2002, les autorités judiciaires genevoises ont ouvert une enquête pénale contre Pierre-André A.________, prévenu notamment de faux dans les titres et escroquerie au préjudice de diverses sociétés qui se sont constituées parties civiles. A.________ est inculpé depuis le 28 mars 2002, de sorte qu'en principe, selon le droit cantonal applicable, les opérations de l'enquête sont contradictoires et le dossier est accessible aux parties et à leurs conseils. Par la suite, d'autres plaintes furent encore déposées contre A.________, en particulier le 24 février 2003, pour des infractions qu'il aurait commises dans la gestion de sociétés dont il était l'organe, récemment faillies, et dont les plaignantes étaient créancières. 
Dans le cours de ses opérations, le Juge d'instruction a entendu plusieurs témoins lors de son audience du 5 mars suivant, à laquelle A.________, bien que dûment convoqué, ne s'est pas présenté. A l'issue de l'audience, le juge ordonna la suspension du droit de prendre part aux actes d'enquête et d'accéder au dossier, tant pour les parties que pour les conseils ("supersuspension" de l'instruction contradictoire). Cette mesure, prise d'abord pour une durée d'un mois et ultérieurement prolongée, n'a pas été contestée. Elle était motivée, essentiellement, par la nécessité d'empêcher A.________ de faire échec aux actes d'instruction restant à accomplir, compte tenu que selon l'une des déclarations dernièrement recueillies, il avait tenté de suborner un témoin. Le juge ordonna ensuite, le surlendemain, une perquisition tendant à la saisie de documents comptables dont A.________, sommé de les produire, avait annoncé qu'il les remettrait volontairement mais tardait à s'exécuter. La police judiciaire procéda à la perquisition le 20 mars, toutefois sans succès car les documents ne se trouvaient pas dans les locaux visités. 
B. 
En exécution d'un mandat d'amener, A.________ fut interpellé et, après interrogatoire, conduit à l'audience du Juge d'instruction le 28 mars 2003. Ce magistrat lui a alors signifié une inculpation complémentaire correspondant à la plainte pénale du 24 février, l'a derechef interrogé puis l'a placé en détention préventive. A cette occasion, A.________ a déclaré qu'il avait entre-temps ramené les documents à produire, de sorte que la perquisition put être répétée, cette fois utilement, le 1er avril. A l'issue de la même audience, A.________ a demandé la désignation d'un avocat d'office car celui précédemment constitué avait résilié son mandat depuis le 17 mars. 
C. 
Le Juge d'instruction a ensuite requis la Chambre d'accusation d'autoriser la prolongation de la détention préventive au delà de huit jours, en raison de la nécessité d'entendre plusieurs témoins et d'analyser la documentation enfin saisie; il faisait état du risque de collusion qui avait déjà motivé la suspension de l'instruction contradictoire, et d'un risque de réitération consécutif au nombre des infractions en cause. 
A l'audience de la Chambre d'accusation du 4 avril 2003, A.________ était assisté de Me Kieu-Oanh Nguyen, avocate qui avait été désignée d'office deux jours auparavant et n'avait pas pu prendre connaissance du dossier constitué par le précédent conseil. Juste avant de plaider, l'avocate a pu lire la demande de prolongation de la détention et le procès-verbal d'audience du 27 mars; en raison de la "supersuspension" ordonnée depuis le 5 mars, le reste du dossier officiel ne lui était pas accessible. A.________ a aussi pris la parole lui-même pour s'opposer à son maintien en détention. 
Statuant par ordonnance du même jour, la Chambre d'accusation a autorisé la prolongation de la détention pour trois mois, soit jusqu'au 4 juillet 2003. Elle a admis les risques de collusion et de réitération invoqués par le Juge d'instruction, ainsi qu'un risque de fuite consécutif aux liens de l'inculpé avec un pays étranger. 
D. 
Agissant par la voie du recours de droit public, A.________ requiert le Tribunal fédéral d'annuler l'ordonnance de la Chambre d'accusation. Invoquant les art. 29 Cst. et 5 par. 4 CEDH, il se plaint d'une violation de son droit d'accéder au dossier dans la procédure de prolongation de la détention, et d'une motivation insuffisante de l'ordonnance. Ses moyens portent exclusivement sur ces points de procédure; il ne tente pas de contester la détention sur la base des garanties constitutionnelles ou conventionnelles en matière de liberté personnelle. 
Une demande d'assistance judiciaire est jointe au recours. 
Invités à répondre, la Chambre d'accusation, le Procureur général et les intimées représentées par Me Guy Fontanet proposent le rejet du recours; les intimés représentés par Me Daniel Tunik déclarent s'en rapporter à justice mais ils développent néanmoins des observations défavorables au recours. 
Le recourant a enfin déposé une réplique par laquelle il persiste dans ses critiques. 
 
Le Tribunal fédéral considère en droit: 
1. 
1.1 Aux termes de l'art. 5 par. 4 CEDH, toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d'obtenir qu'un tribunal statue à bref délai sur la légalité de sa détention, et ordonne sa libération si elle est illégale. 
Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, toute procédure relevant de cette disposition doit en principe respecter, "autant que possible dans les circonstances d'une enquête pénale", les exigences fondamentales d'un procès équitable consacrées par l'art. 6 CEDH; il s'agit en particulier du droit à une procédure contradictoire et à l'égalité des armes entre l'accusation et le prévenu en détention. Celui-ci doit, en particulier, jouir d'une "possibilité suffisante" de prendre connaissance des dépositions et autres éléments de preuve à la base des soupçons dirigés contre lui. Cela s'applique également en présence d'un risque de collusion, c'est-à-dire lorsque certains de ces éléments doivent être gardés secrets afin d'empêcher des suspects d'altérer des preuves et de compromettre, par là, l'établissement de la vérité. Même dans ce cas, des informations essentielles pour apprécier la légalité de la détention doivent être fournies au défenseur "d'une manière adaptée à la situation" (CourEDH, arrêt Lietzow c. Allemagne du 13 février 2001, ch. 44, 46 et 47; voir aussi les arrêts Chahal c. Royaume-Uni du 15 novembre 1996, Rec. 1996 V 1831, ch. 131, et Lamy c. Belgique du 30 mars 1989, série A n° 151, ch. 29). 
1.2 La jurisprudence du Tribunal fédéral consacre des principes analogues en rapport avec la garantie du droit d'être entendu inscrite à l'art. 29 al. 2 Cst. Le droit d'accès au dossier, qui est un élément de cette garantie (ATF 129 I 85 consid. 4.1 p. 88; 126 I 7 consid. 2b p. 10), n'a pas de portée absolue. Dans le cas d'une enquête pénale, l'accès au dossier peut être refusé en raison d'un risque de collusion, mais l'autorité ne peut alors s'y référer pour motiver une décision de maintien en détention que dans la mesure où elle a communiqué au prévenu les pièces susceptibles d'influer de manière décisive sur cette décision. La communication doit porter non seulement sur les éléments propres à justifier la détention, mais aussi sur ceux qui pourraient autoriser le prévenu à s'y opposer. Au besoin, l'autorité peut supprimer les informations devant impérativement rester secrètes, ou n'en révéler que l'essentiel. Le prévenu doit avoir l'occasion de présenter ses arguments (ATF 115 Ia 293 consid. 5c p. 304; arrêts 1P.336/1991 du 20 juin 1991 in RDAT 1992 I 166, consid. 3b; 1P.625/1991 du 18 octobre 1991 in SJ 1992 p. 188, consid. 1b in fine p. 190; 1P.184/1996 du 12 avril 1996 in Plädoyer 1996 n° 3 p. 68, consid. 2a; 1P.243/2000 du 5 mai 2000, consid. 2a) et, ensuite, une décision de prolongation de la détention doit être motivée, afin que l'autorité ne se laisse pas guider par des considérations subjectives ou étrangères à la cause, et que le prévenu puisse apprécier la portée du prononcé et le contester efficacement, s'il y a lieu, devant une instance supérieure (ATF 112 Ia 107 consid. 2b p. 109; voir aussi ATF 126 I 97 consid. 2b p. 102, 125 II 369 consid. 2c p. 372, 124 II 146 consid. 2a p. 149). 
2. 
A l'appui de ses conclusions, le recourant fait valoir que le dossier de l'enquête pénale est constitué de quatre gros classeurs, dont son avocate n'a pu consulter que deux pièces juste avant l'audience de la Chambre d'accusation, de sorte qu'elle s'est trouvée absolument hors d'état de prendre réellement part au débat concernant la justification de la détention préventive. 
On observe qu'avant le 5 mars 2003, le dossier pouvait être consulté par le prévenu ou son conseil, de sorte que certaines des pièces mentionnées dans l'ordonnance attaquée peuvent être considérées, semble-t-il, comme connues de la défense alors même qu'elles n'étaient pas accessibles pour la préparation de l'audience de la Chambre d'accusation. Il s'agit d'un procès-verbal d'audience du Juge d'instruction du 20 septembre 2002, d'un rapport d'expertise daté du 15 novembre suivant et aussi des premières plaintes pénales et de leurs annexes, auxquelles l'ordonnance renvoie de façon indirecte par l'énumération des inculpations correspondantes. Certes, Me Nguyen n'avait été désignée d'office que deux jours auparavant et elle n'avait eu pratiquement aucune possibilité d'étudier l'affaire; en particulier, elle n'avait pas pu examiner les documents ou copies conservés par le précédent conseil. Une décision de la Chambre d'accusation doit toutefois impérativement intervenir avant l'expiration d'un délai de huit jours dès le placement du prévenu en détention préventive (art. 35 CPP gen.), et celui-ci peut en tout temps présenter une demande de mise en liberté (art. 151 al. 2 CPP gen.), par exemple s'il n'a pas disposé du temps nécessaire à la préparation de sa défense avant l'audience de prolongation. Au regard de cette réglementation établie essentiellement dans l'intérêt du prévenu en détention, qui lui garantit un examen rapide de sa situation par un organe indépendant du Juge d'instruction, un renvoi de l'audience n'entrait pas en considération et il ne s'imposait pas non plus d'adapter les modalités de l'accès au dossier par égard aux difficultés inhérentes au changement d'avocat. 
Néanmoins, les garanties conférées par les art. 5 par. 4 CEDH et 29 al. 2 Cst. n'ont pas été respectées. Ni la demande de prolongation de la détention, ni le procès-verbal d'audience du 27 mars 2003 ne contenaient des informations substantielles sur les plus récents développements de l'enquête, propres à justifier, le cas échéant, l'incarcération du prévenu, et la défense n'était pas non plus en mesure de mettre en évidence d'éventuels éléments favorables à ce dernier. Le premier de ces documents n'avait qu'une portée purement formelle et l'autre n'apportait, non plus, aucune information nouvelle à la défense, puisqu'il s'agissait d'un procès-verbal d'audition du prévenu même. Contrairement à l'opinion que la Chambre d'accusation développe dans sa réponse au recours, il est sans importance que la défense n'ait pas insisté pour obtenir l'accès au dossier, car la remise des documents précités indiquait sans ambiguïté qu'elle ne serait pas autorisée à consulter d'autres pièces et qu'elle ne serait pas non plus informée d'une autre manière. 
3. 
Lorsque le Tribunal fédéral constate que la procédure de prolongation de la détention n'a pas satisfait aux garanties constitutionnelles ou conventionnelles en cause, il n'en résulte pas obligatoirement que le prévenu doive être immédiatement remis en liberté (ATF 116 Ia 60 consid. 3b p. 64; 115 Ia 293 consid. 5g p. 308; 114 Ia 88 consid. 5d p. 93). Dans la présente affaire, le recourant ne prend d'ailleurs pas de conclusions à cette fin. Pour rétablir une situation conforme au droit, il appartiendra à la Chambre d'accusation de statuer à nouveau sur la demande de prolongation de la détention, à bref délai et dans le respect desdites garanties. 
4. 
Les intimées qui ont pris des conclusions tendant au rejet du recours doivent acquitter, outre l'émolument judiciaire, les dépens à allouer à la partie qui obtient gain de cause. Il n'est donc pas nécessaire de statuer sur la demande d'assistance judiciaire présentée par celle-ci. 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce: 
1. 
Le recours est admis et l'ordonnance attaquée est annulée. 
2. 
Les intimées représentées par Me Fontanet acquitteront, solidairement entre elles: 
a) un émolument judiciaire de 2'000 fr.; 
b) une indemnité de 1'200 fr. à verser au recourant à titre de dépens. 
3. 
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties, au Juge d'instruction, au Procureur général et à la Cour de justice du canton de Genève. 
Lausanne, le 14 mai 2003 
Au nom de la Ire Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
Le président: Le greffier: