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Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
{T 0/2} 
5P.460/2006 /frs 
 
Arrêt du 17 janvier 2007 
IIe Cour de droit civil 
 
Composition 
M. et Mmes les Juges Raselli, Président, 
Nordmann et Hohl. 
Greffier: M. Braconi. 
 
Parties 
X.________ SA, 
recourante, représentée par Me Alexandre Montavon, avocat, 
 
contre 
 
Y.________ SA, 
intimée, représentée par Me Christian Luscher, avocat, 
1ère Section de la Cour de justice du canton de Genève, case postale 3108, 1211 Genève 3. 
 
Objet 
art. 9 et 29 Cst. (mainlevée d'opposition), 
 
recours de droit public [OJ] contre l'arrêt de la 1ère Section de la Cour de justice du canton de Genève 
du 28 septembre 2006. 
 
Faits: 
A. 
A.a Par ordonnance du 27 octobre 2003, le Président du Tribunal de commerce de Marrakech a condamné la société X.________ SA à payer à Y.________ SA la somme de 22'000'100 dirhams marocains, avec intérêts à 6%. Cette ordonnance a été confirmée le 6 juillet 2004 par la Cour de commerce de Marrakech. 
A.b Se fondant sur ces décisions, Y.________ SA a fait notifier le 14 juillet 2005 à X.________ SA un commandement de payer la somme de 3'094'247 fr., plus intérêts à 6% dès le 18 octobre 2002, auquel la poursuivie a formé opposition. 
Le 20 mars 2006, la poursuivante a sollicité du Tribunal de première instance de Genève l'exequatur de l'arrêt de la Cour de commerce de Marrakech du 6 juillet 2004 et la mainlevée définitive de l'opposition au commandement de payer; elle a produit notamment les deux décisions marocaines sous forme d'expéditions complètes et authentiques, ainsi qu'un courrier de l'Ambassade du Maroc en Suisse du 26 février 2006 indiquant que, d'après le Ministère marocain de la Justice, l'arrêt dont l'exequatur était requis ne pouvait faire l'objet d'un recours ordinaire, qu'un éventuel pourvoi en cassation n'aurait pas d'effet suspensif, sauf à titre exceptionnel - à savoir en matière d'état, d'immatriculation et en cas de faux incident -, et que, en conclusion, aucun recours ne pouvait faire obstacle à l'exécution d'une décision prise par une Cour d'appel de commerce. 
 
La poursuivie a soutenu que l'arrêt en question n'était pas exécutoire, alléguant avoir introduit à l'encontre de cette décision les procédures suivantes: 
- un pourvoi en cassation déposé le 22 février 2005 auprès de la Cour Suprême de Rabat, sans demande d'octroi de l'effet suspensif; 
- une action en rétractation déposée le 18 mai 2006 auprès du Tribunal de première instance de Marrakech; 
- une demande de suspension à l'exécution déposée le 18 mai 2006 auprès de la Cour d'appel de commerce de Marrakech. 
B. 
Par jugement du 29 juin 2006, le Tribunal de première instance de Genève a reconnu et déclaré exécutoire en Suisse l'arrêt de la Cour de commerce de Marrakech du 6 juillet 2004 et prononcé la mainlevée définitive de l'opposition au commandement de payer. 
La poursuivie a appelé de ce jugement le 29 juin 2006. À l'appui de sa réponse, la poursuivante a produit cinq pièces nouvelles, à savoir un extrait du Code de procédure civile marocain portant sur la procédure de rétractation (pièce n° 16), une expédition complète et authentique de l'arrêt de la Cour Suprême de Rabat du 17 mai 2006 rejetant le pourvoi en cassation de la poursuivie (pièce n° 17a), ainsi que sa traduction (pièce n° 17b), une expédition complète et authentique de l'ordonnance du Président de la Cour d'appel de commerce de Marrakech du 6 juillet 2006 rejetant la demande de suspension à l'exécution (pièce n° 18a), ainsi que sa traduction (pièce n° 18b). Lors de l'audience de plaidoiries du 6 septembre 2006, la poursuivie a requis que lesdites pièces soient écartées du dossier, pour cause de tardiveté. 
 
Statuant le 28 septembre 2006, la Cour de justice, après avoir admis la recevabilité des pièces susmentionnées, a rejeté l'appel. 
C. 
Agissant par la voie du recours de droit public au Tribunal fédéral pour violation des art. 9 et 29 al. 2 Cst., X.________ SA conclut, avec suite de frais et dépens, à l'annulation de cet arrêt. 
 
Y.________ SA conclut, avec suite de frais et dépens, au rejet du recours. 
D. 
Par ordonnance présidentielle du 20 novembre 2006, l'effet suspensif a été attribué au recours. 
 
Le Tribunal fédéral considère en droit: 
1. 
La décision attaquée ayant été rendue avant l'entrée en vigueur, le 1er janvier 2007 (RO 2006 1205, 1242), de la loi fédérale du 17 juin 2005 sur le Tribunal fédéral (LTF; RS 173.110), l'ancienne loi d'organisation judiciaire (OJ) s'applique en l'espèce (art. 132 al. 1 LTF). 
2. 
Le Tribunal fédéral vérifie d'office et librement la recevabilité du recours dont il est saisi (ATF 132 III 747 consid. 4 p. 748). 
2.1 Interjeté en temps utile contre un prononcé de mainlevée définitive de l'opposition rendu en dernière instance cantonale (ATF 120 la 256 consid. 1a p. 257; 98 la 527 consid. 1 p. 532), le recours est recevable sous l'angle des art. 84 al. 2, 86 al. 1, 87 et 89 al. 1 OJ. 
2.2 Dans un recours de droit public, les faits et les moyens de preuve nouveaux sont en principe irrecevables (ATF 129 I 49 consid. 3 p. 57 et les citations). Le Tribunal fédéral s'en tient aux faits constatés par la juridiction cantonale, à moins que le recourant ne démontre que ces constatations sont arbitrairement fausses ou lacunaires (ATF 118 la 20 consid. 5a p. 26). Il s'ensuit que les compléments ou précisions que la recourante apporte à l'état de fait de l'arrêt attaqué sont irrecevables, sous réserve des griefs motivés conformément aux exigences posées à l'art. 90 al. 1 let. b OJ (cf. à ce sujet: ATF 125 I 492 consid. 1b p. 495 et les arrêts cités). 
3. 
La recourante se plaint tout d'abord d'une violation de son droit d'être entendue garanti par l'art. 29 al. 2 Cst. En substance, elle reproche à la Cour de justice de ne pas s'être prononcée sur son moyen déduit de l'atteinte à l'ordre public (procédural) suisse; ce moyen était pertinent, puisque la jurisprudence admet l'intervention de la clause de réserve lorsque le jugement étranger a été obtenu ensuite d'un comportement frauduleux (en l'espèce, la souscription de deux lettres de change par des personnes qui n'avaient jamais eu de pouvoir de représentation et qui étaient, de surcroît, des employés de l'intimée). 
3.1 Le droit d'être entendu découlant de l'art. 29 al. 2 Cst. implique, en particulier, l'obligation pour le juge de motiver au moins sommairement sa décision, afin que le justiciable puisse en saisir la portée et recourir à bon escient; le juge n'est, cependant, pas tenu de discuter tous les moyens invoqués par les parties, mais il peut, au contraire, se limiter à ceux qui apparaissent pertinents (ATF 129 I 232 consid. 3.2 p. 236 et les arrêts cités). 
3.2 La cour cantonale a exposé que la reconnaissance d'une décision étrangère doit être refusée si elle est manifestement incompatible avec l'ordre public suisse (art. 27 al. 1 LDIP), c'est-à-dire lorsqu'elle heurte de manière intolérable les conceptions suisses de la justice, soit à cause du contenu matériel de ladite décision, soit en raison de la procédure dont elle est issue (art. 27 al. 2 LDIP). En tant que clause d'exception, la réserve d'ordre public s'interprète de façon restrictive, spécialement en matière de reconnaissance et d'exécution de jugements étrangers, où sa portée est plus restreinte que pour l'application directe du droit étranger. 
 
Il est vrai que l'arrêt attaqué ne comporte aucune motivation expresse au sujet de l'ordre public, mais rappelle les conditions de sa mise en oeuvre (cf. consid. 4.2). Cependant, il faut admettre que la juridiction cantonale a implicitement nié que ces conditions fussent réalisées "en l'espèce" (cf. consid. 5). Le grief s'avère mal fondé. 
4. 
La Cour de justice a admis le caractère exécutoire de l'arrêt de la Cour de commerce de Marrakech du 6 juillet 2004 sur la base d'un double raisonnement. D'une part, les pièces produites en appel confirmaient que l'arrêt en cause était exécutoire. D'autre part, même si ces pièces n'avaient pas été produites ou déclarées recevables, l'issue du litige ne s'en serait pas trouvée modifiée. En effet, le courrier de l'Ambassade du Maroc en Suisse (pièce n° 9), produit par l'intimée à l'appui de sa requête, qui retranscrit la position du Ministère marocain de la Justice, constituait - dans l'optique du premier juge - une preuve déterminante que le pourvoi en cassation est une voie de recours extraordinaire et qu'aucun recours ne peut faire obstacle à l'exécution d'un arrêt rendu par une Cour d'appel de commerce; partant, l'intimée a bien satisfait à ses obligations découlant de l'art. 29 al. 1 let. b LDIP. Au surplus, le Tribunal de première instance a retenu que la recourante n'avait pas démontré qu'une requête en suspension à l'exécution avait été formée devant la juridiction compétente, ni que le dépôt d'une pareille action entraînait l'octroi de l'effet suspensif, l'intéressée s'étant contentée de prétendre que cette mesure avait été accordée, mais sans en apporter la preuve. 
4.1 Concernant la première motivation, la recourante fait grief à la cour cantonale d'avoir conclu au caractère exécutoire de l'arrêt en question sur le vu de pièces (n° 18a et 18b; cf. supra, let. B) se rapportant à des circonstances qui n'existaient pas lorsque le premier juge a statué; or, les règles applicables à l'appel extraordinaire en procédure genevoise prohibent "l'invocation de faits et la production de moyens de preuve survenus postérieurement au jugement de première instance". 
4.2 D'après la jurisprudence, une décision est arbitraire lorsqu'elle est manifestement insoutenable, méconnaît gravement une norme ou un principe juridique clair et incontesté, ou heurte de manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité; il ne suffit pas qu'une solution différente soit concevable, voire préférable; une telle décision n'est, de surcroît, annulée que si elle se révèle arbitraire, non seulement dans ses motifs, mais aussi dans son résultat (ATF 132 III 209 consid. 2.1 p. 211 et les arrêts cités). 
4.3 Saisie d'un appel extraordinaire pour violation de la loi, au sens de l'art. 292 al. 1 let. c LPC/GE - ouvert en l'occurrence (arrêt 5P.65/1991 du 25 juin 1991, consid. 3b et les citations) -, la Cour de justice doit se placer dans la situation où se trouvait le premier juge lorsqu'il a rendu la décision attaquée et ne peut donc, en principe, fonder sa conviction sur des pièces produites pour la première fois en appel (ATF 106 Ia 88 consid. 1 p. 91/92 et les arrêts cités). Toutefois, cette règle souffre des exceptions, en particulier lorsque ces pièces nouvelles se rapportent à un domaine où l'examen a lieu d'office ou qu'elles tendent à réfuter un argument inopiné que le poursuivi a soulevé à l'audience de plaidoirie en première instance (Bertossa/Gaillard/Guyet/Schmidt, Commentaire de la loi de procédure civile du canton de Genève du 10 avril 1987, vol. II, n. 6 ad art. 292 LPC/GE et la jurisprudence citée). 
 
En l'occurrence, la recourante fonde toute son argumentation sur cette dernière hypothèse (i.e. "moyen inattendu"), mais ne démontre pas en quoi il serait arbitraire d'admettre que l'exception relative aux pièces nouvelles se rapportant à un "domaine où l'examen a lieu d'office" - ici la détermination du caractère exécutoire (Gilliéron, Commentaire de la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite, vol. I, n. 12 et 124 ad art. 81 LP; cf. ATF 105 III 43 consid. 2a p. 44 et l'arrêt cité [pour les décisions administratives]) - vaut pour les faits nouveaux proprement dits (cf. Guldener, Schweizerisches Zivilprozessrecht, 3e éd., p. 490 in principio; Yung, Des faits nouveaux en appel, in: SJ 60/1938 p. 578 ss, spéc. 581 et les références). Faute d'être suffisamment motivée sur ce point, la critique est irrecevable (art. 90 al. 1 let. b OJ; ATF 125 I 492 consid. 1b p. 495 et les arrêts cités). 
4.4 La première motivation de l'arrêt déféré résiste au grief d'arbitraire, en sorte qu'il devient superflu d'examiner si la Cour de justice a violé l'art. 9 Cst. en considérant que le caractère exécutoire de la décision étrangère résultait également de la lettre de l'Ambassade du Maroc en Suisse (cf. ATF 130 III 321 consid. 6 p. 328). 
5. 
En conclusion, le présent recours doit être rejeté dans la mesure où il est recevable. Les frais et dépens incombent à la recourante (art. 156 al. 1 et 159 al. 1 OJ). 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce: 
1. 
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable. 
2. 
Un émolument judiciaire de 10'000 fr. est mis à la charge de la recourante. 
3. 
La recourante versera à l'intimée une indemnité de 10'000 fr. à titre de dépens. 
4. 
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la 1ère Section de la Cour de justice du canton de Genève. 
Lausanne, le 17 janvier 2007 
Au nom de la IIe Cour de droit civil 
du Tribunal fédéral suisse 
Le Président: Le Greffier: