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Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
{T 0/2} 
6S.277/2003 /pai 
 
Arrêt du 23 septembre 2003 
Cour de cassation pénale 
 
Composition 
MM. et Mme les Juges Schneider, Président, 
Karlen et Brahier Franchetti, Juge suppléante. 
Greffière: Mme Angéloz. 
 
Parties 
A.________, 
B.________, 
recourants, 
tous deux représentés par Me Blaise Galland, avocat, Promenade-Noire 3, 2001 Neuchâtel 1, 
 
contre 
 
Ministère public du canton de Neuchâtel, 
rue du Pommier 3, case postale 2672, 2001 Neuchâtel 1. 
 
Objet 
Délit manqué d'extorsion, 
 
pourvoi en nullité contre l'arrêt de la Cour de cassation pénale du Tribunal cantonal du canton de Neuchâtel du 1er juillet 2003. 
 
Faits: 
A. 
Par courrier du 14 février 2002, adressé au Ministère public du canton de Neuchâtel, C. P.________ a dénoncé A.________ et B.________ pour extorsion et contrainte. 
 
Il exposait que, dans le cadre de la mise aux enchères publiques de l'immeuble où il habite et exploite un commerce et sur lequel il jouit d'un droit de préemption, A.________ et B.________ l'avaient contacté ainsi que son épouse, leur proposant de s'engager à ne pas enchérir lors de la vente de cet immeuble, en échange de quoi les époux P.________ leur verseraient une commission, calculée en fonction du prix d'achat obtenu. Il indiquait avoir craint de voir le prix de l'immeuble grimper inutilement s'il ne se pliait pas aux exigences de A.________ et B.________ et avoir compris, après avoir reçu de ceux-ci une proposition écrite de convention, que leur seul but était de lui extorquer une commission s'ils parvenaient à acquérir l'immeuble pour un prix intéressant. Il produisait en annexe une convention du 4 février 2002, signée par lui-même et son épouse ainsi que par A.________ et B.________, selon laquelle ces derniers s'engageaient à ne pas enchérir et les époux P.________ à leur verser solidairement, en compensation, une commission en cas d'achat, fixée entre 75'000 et 0 francs, en fonction du prix obtenu, entre 450'000 et 600'000 francs. 
B. 
Par jugement du 3 septembre 2002, le Tribunal de police du district du Val-de-Ruz a acquitté A.________ et B.________ au bénéfice du doute. Il a relevé que les époux P.________ n'avaient pas subi de dommage, puisqu'ils avaient finalement pu acquérir l'immeuble aux enchères pour le prix de 780'000 francs. Il devait à tout le moins être admis au bénéfice du doute que les conditions des art. 156 et 181 CP n'étaient pas réalisées, dès lors que C. P.________, qui avait reconnu que l'acquisition de l'immeuble n'était pas vitale pour lui et qui savait que la banque en voulait au minimum 620'000 francs, n'avait pris aucun risque en signant la convention du 4 février 2002, laquelle ne prévoyait le versement d'une commission que pour autant que le prix ne dépasse pas 600'000 francs; au demeurant, il avait déclaré ne pas s'être senti menacé. 
C. 
Par arrêt du 1er juillet 2003, la Cour de cassation pénale du Tribunal cantonal neuchâtelois a admis le pourvoi en cassation formé par le Ministère public contre ce jugement, annulé ce dernier dans la mesure où il libérait les prévenus de l'infraction à l'art. 156 CP et renvoyé la cause au premier juge pour fixation de la peine. Elle a considéré, en bref, que les conditions d'un délit manqué d'extorsion étaient réalisées dans le cas d'espèce. 
D. 
A.________ et B.________ se pourvoient en nullité au Tribunal fédéral. Invoquant une violation des art. 156 et 181 CP, ils concluent à l'annulation de l'arrêt attaqué et sollicitent par ailleurs l'effet suspensif. 
 
Ils ont déposé parallèlement un recours de droit public, qui a été rejeté dans la mesure où il était recevable par arrêt de ce jour (6P.102/2003). 
 
Le Tribunal fédéral considère en droit: 
1. 
Saisie d'un pourvoi en nullité, qui ne peut être formé que pour violation du droit fédéral (art. 269 PPF), la Cour de cassation contrôle l'application de ce droit sur la base d'un état de fait définitivement arrêté par l'autorité cantonale (cf. art. 277bis et 273 al. 1 let. b PPF). Le raisonnement juridique doit donc être mené sur la base des faits retenus dans la décision attaquée; les griefs fondés sur un autre état de fait sont irrecevables (ATF 126 IV 65 consid. 1 p. 66/67; 124 IV 53 consid. 1 p. 55, 81 consid. 2a p. 83 et les arrêts cités). 
2. 
Invoquant une violation de l'art. 156 CP, les recourants contestent la réalisation des éléments objectifs de cette infraction. 
2.1 L'art. 156 ch. 1 CP réprime le comportement de celui qui, dans le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un enrichissement illégitime, aura déterminé une personne à des actes préjudiciables à ses intérêts pécuniaires ou à ceux d'un tiers, en usant de violence ou en la menaçant d'un dommage sérieux. Pour que cette infraction soit objectivement réalisée, il faut donc que l'auteur, par un moyen de contrainte, ait déterminé une personne à accomplir un acte portant atteinte à son patrimoine ou à celui d'un tiers. 
La loi prévoit deux moyens de contrainte: la violence - qui n'entre pas en considération en l'espèce - et la menace d'un dommage sérieux. La menace est un moyen de pression psychologique; elle peut être expresse ou tacite et être signifiée par n'importe quel moyen. Quant au dommage, il peut toucher n'importe quel intérêt juridiquement protégé. Il faut toutefois qu'il soit sérieux, c'est-à-dire que la perspective de l'inconvénient soit de nature à entraver le destinataire dans sa liberté de décision; la question doit être tranchée en fonction de critères objectifs, c'est-à-dire non pas d'après les réactions du destinataire d'espèce, mais en recherchant si la perspective de l'inconvénient est propre à amener un destinataire raisonnable à adopter un comportement qu'il n'aurait pas eu s'il avait joui de toute sa liberté de décision (cf. ATF 122 IV 322 consid. 1a p. 325 s.; 120 IV 17 consid. 2a/aa p. 19 et les arrêts cités). 
 
L'usage de la contrainte doit avoir déterminé la personne visée à accomplir un acte préjudiciable à ses intérêts pécuniaires ou à ceux d'un tiers. Cela implique d'abord que la personne visée ait conservé une certaine liberté de choix et se lèse elle-même ou lèse autrui par son acte (Corboz, Les infractions en droit suisse, vol. I, Berne 2002, art. 156 CP n° 18 et art. 146 CP n° 28; Stratenwerth, Schweizerisches Strafrecht, Partie spéciale I, 5ème éd. Berne 1995, § 17 n° 6 s. et § 15 n° 31 s.). Il faut en outre un dommage, c'est-à-dire une lésion du patrimoine sous la forme d'une diminution de l'actif, d'une augmentation du passif, d'une non-augmentation de l'actif ou d'une non-diminution du passif (cf. ATF 122 IV 279 consid. 2a p. 281; 121 IV 104 consid. 2c p. 107). 
 
L'extorsion suppose un lien de causalité entre ces divers éléments. Autrement dit, l'usage de la contrainte doit avoir été la cause de l'acte préjudiciable aux intérêts pécuniaires, lequel doit être la cause du dommage (Corboz, op. cit. art. 156 CP n° 21). 
 
Sur le plan subjectif, il faut que l'auteur ait agi intentionnellement, le dol éventuel étant suffisant, et dans le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un enrichissement illégitime. 
2.2 Le délit manqué (art. 22 al. 1 CP) est une forme de tentative au sens large (cf. art. 21 ss CP). Selon la jurisprudence, il y a tentative au sens large lorsque l'auteur a réalisé tous les éléments subjectifs de l'infraction et qu'il a manifesté sa décision de la commettre, sans toutefois que les éléments constitutifs objectifs soient tous réalisés. La tentative au sens large implique donc que tous les éléments subjectifs de l'infraction soient réunis, en premier lieu l'intention - à cet égard, le dol éventuel suffit - et, le cas échéant, les autres conditions subjectives (dessein d'enrichissement, etc.), alors que les éléments objectifs font, au moins partiellement, défaut (cf. ATF 128 IV 18 consid. 3b p. 21; 122 IV 246 consid. 3a p. 248; 120 IV 199 consid. 3e p. 206). 
2.3 L'arrêt attaqué retient la réalisation d'un délit manqué d'extorsion, et non d'une extorsion consommée. La question n'est donc pas de savoir si le comportement des recourants réalise tous les éléments constitutifs, aussi bien objectifs que subjectifs, d'une extorsion, mais si, agissant intentionnellement et dans un dessein d'enrichissement illégitime, ils ont commencé l'exécution de cette infraction, manifestant ainsi leur décision de la commettre, quand bien même les éléments objectifs feraient, en tout ou en partie, défaut. 
2.4 L'arrêt attaqué constate que les recourants ont contacté les époux P.________ dans le cadre de la mise aux enchères de l'immeuble où ils habitent et exploitent un commerce et sur lequel ils jouissent par ailleurs d'un droit de préemption, leur proposant de s'engager à ne pas enchérir lors de la vente de cet immeuble en échange du versement d'une commission calculée en fonction du prix d'achat obtenu. Il constate également que les recourants, qui sont des professionnels de l'immobilier, savaient que les époux P.________ étaient très intéressés à acquérir l'immeuble, qu'ils savaient aussi qu'ils n'avaient eux-mêmes que peu de chances de l'acquérir, vu le droit de préemption dont jouissaient les époux P.________, et que rien d'ailleurs n'indique qu'ils aient été réellement intéressés à le faire. 
 
Les recourants donnaient ainsi à entendre que, sauf versement d'une commission par les époux P.________, ils participeraient à la vente aux enchères pour y faire grimper le prix de l'immeuble. Une telle démarche était propre à faire craindre aux époux P.________ de devoir débourser un prix inutilement élevé pour qu'ils puissent acquérir l'immeuble qu'ils convoitaient. Elle revenait donc à exercer sur eux une pression psychologique limitant leur liberté de décision; ils étaient placés devant l'alternative de devoir choisir entre le versement d'une commission aux recourants ou le risque de payer un prix élevé pour acquérir l'immeuble. Or, compte tenu de la manière dont la commission avait été calculée par les recourants, il apparaissait logiquement préférable pour les époux P.________ de la verser plutôt que de refuser de le faire. En effet, selon la proposition des recourants, les époux P.________ devaient verser une commission dégressive allant de 75'000 à 0 francs pour un prix obtenu allant de 450'000 à 600'000 francs; autrement dit, s'ils acceptaient de la verser, ils s'exposaient à débourser, au maximum, une somme totale de 525'000 francs, soit 75'000 francs à titre de commission et 450'000 francs pour l'immeuble, alors qu'ils risquaient de payer beaucoup plus si les recourants intervenaient aux enchères pour faire grimper le prix de l'immeuble. La proposition des recourants, telle qu'elle était formulée, ne pouvait donc guère qu'être acceptée par les époux P.________, qui étaient ainsi amenés à verser une somme d'argent, non pas à l'ayant droit à titre de paiement du prix de l'immeuble, mais aux recourants en contre-partie de leur renonciation à enchérir. Certes, les époux P.________ savaient que la banque voulait au minimum 620'000 francs pour l'immeuble, qu'ils n'excluaient donc pas de devoir débourser, et il ne pouvait par ailleurs leur échapper que la renonciation des recourants à venir enchérir ne suffisait pas à exclure que le prix de l'immeuble ne grimpe lors des enchères, à l'initiative d'autres personnes pouvant y participer. Le cas échéant, ils n'auraient toutefois, conformément à la convention, aucune commission à verser aux recourants, alors qu'ils évitaient à tout le moins que ces derniers, comme ils menaçaient de le faire, ne viennent enchérir. Ils avaient donc de toute manière intérêt à accepter de signer la convention plutôt que de s'en abstenir. Les recourants ont donc, en toute connaissance de cause et dans le dessein de se procurer un enrichissement illégitime, recouru à un procédé qui revenait à exercer une pression psychologique sur les époux P.________, laquelle était propre à entraver leur liberté de décision et à les déterminer ainsi à accomplir un acte préjudiciable à leurs intérêts pécuniaires. 
 
La manoeuvre a toutefois échoué, non pas cependant parce que les recourants ne seraient pas allés jusqu'au bout de leur activité coupable, mais parce que, ce nonobstant, ils n'ont pas atteint le résultat nécessaire à la réalisation de l'infraction. En effet, les époux P.________ ont finalement acquis l'immeuble pour un prix de 780'000 francs, donc pour un montant supérieur au maximum prévu par la convention, de sorte qu'ils n'ont pas eu à verser de commission aux recourants. Que le résultat dommageable ne se soit pas produit n'infirme toutefois pas la réalisation de l'infraction retenue, soit un délit manqué d'extorsion, les recourants ayant manifesté leur intention de commettre cette infraction, dont les éléments subjectifs sont en tout cas réalisés (cf. supra, consid. 2.2). 
2.5 Pour le contester, les recourants allèguent vainement que C. P.________ ne s'est pas senti menacé. L'arrêt attaqué considère que, dans le cas d'espèce, ces termes, compte tenu des explications données par les époux P.________, doivent manifestement être compris dans leur sens étroit. Il s'agit là d'une question d'appréciation des preuves, qui ne peut être rediscutée dans un pourvoi en nullité (art. 269 PPF; ATF 124 IV 81 consid. 2a p. 83; 123 IV 184 consid. 1a p. 186; 118 IV 309 consid. 2b p. 317) et dont les recourants n'ont aucunement démontré dans leur recours de droit public parallèle qu'elle serait arbitraire (cf. arrêt 6P.102/2003, consid. 4.3). Pour les motifs exposés ci-dessus (cf. supra, consid. 2.4), c'est en vain aussi qu'ils objectent que les époux P.________ savaient que la banque voulait au moins 620'000 francs pour l'immeuble et ne pouvaient exclure l'intervention d'autres enchérisseurs. Enfin, que la pression psychologique exercée sur les époux P.________ ait été propre, dans les circonstances de l'espèce, à les déterminer à signer la convention proposée pouvait être admis sans violation du droit fédéral (cf. supra, consid. 2.4); on ne voit au demeurant pas, et les recourants ne le disent pas, pourquoi les époux P.________ auraient signé la convention, acceptant de verser une commission aux recourants, s'ils n'avaient craint que sans cela le prix de l'immeuble grimpe inutilement lors des enchères. Quant aux faits retenus, les recourants ne sauraient s'en plaindre dans leur pourvoi en nullité (cf. supra, consid. 1); à cet égard, alléguer, ainsi qu'ils le font, que la cour cantonale aurait "volontairement" rendu son arrêt sur la base de faits incomplets et inexacts relève de la témérité, d'autant que les recourants n'ont pu démontrer d'arbitraire quant aux faits retenus dans leur recours de droit public parallèle. 
2.6 Les conditions de l'infraction retenue étant réalisées, une éventuelle condamnation des recourants pour tentative de contrainte, n'entre pas en considération, l'extorsion absorbant la contrainte en tant que lex specialis. Le grief de violation de l'art. 181 CP, également soulevé par les recourants, est donc privé de fondement. 
3. 
Le pourvoi doit ainsi être rejeté dans la mesure où il est recevable et les recourants, qui succombent, supporteront les frais, à parts égales entre eux et solidairement (art. 278 al. 1 et 245 PPF; art. 156 al. 7 OJ). 
 
La cause étant tranchée, la requête d'effet suspensif devient sans objet. 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce: 
1. 
Le pourvoi est rejeté dans la mesure où il est recevable. 
2. 
Un émolument judiciaire de 2'000 francs est mis à la charge des recourants, qui le supporteront à parts égales entre eux et solidairement. 
3. 
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire des recourants, au Ministère public du canton de Neuchâtel et à la Cour de cassation pénale du Tribunal cantonal du canton de Neuchâtel. 
Lausanne, le 23 septembre 2003 
Au nom de la Cour de cassation pénale 
du Tribunal fédéral suisse 
Le président: La greffière: