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Ecriture agrandie
 
 
Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
{T 0/2} 
 
1C_665/2013  
   
   
 
 
 
Arrêt du 24 mars 2014  
 
Ire Cour de droit public  
 
Composition 
MM. les Juges fédéraux Fonjallaz, Président, 
Merkli et Karlen. 
Greffier: M. Kurz. 
 
Participants à la procédure 
1. A.________, 
2. B.________, 
3. C.________, 
4. D.________, 
5. E.________, 
6. F.________, 
7. G.________, 
8. H._______ _, 
9. I.________, 
10. J.________, 
tous représentés par Me Amélie Piguet, avocate, 
recourants, 
 
contre  
 
Fondation K.________,  
L.________, représentés par Me Romain Jordan, avocat, 
 
M.________ S.A.,  
représentée par Me François Bellanger, avocat. 
 
Commune de Chêne-Bougeries, représentée par Me David Lachat, avocat,  
intimés, 
 
Conseil d'Etat de la République et canton de Genève,  
 
Objet 
Annulation d'une délibération municipale par le Conseil d'Etat, qualité pour recourir, 
 
recours contre l'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre administrative, du 11 juin 2013. 
 
 
Faits:  
 
A.   
Le 28 août 2012, L.________ a promis-vendu à M.________ SA la parcelle n° 491 de la commune de Chêne-Bougeries, pour le prix de 20'500'000 fr. plus une donation de 8'500'000 fr. en faveur de la Fondation K.________. Sur intervention de l'Office cantonal du logement, le prix de vente a été ramené à 19'360'00' fr., correspondant à une estimation effectuée en octobre 2010. L'Etat de Genève a fait savoir, le 2 novembre 2012, qu'il renonçait à exercer son droit de préemption. 
 
B.   
Lors de sa séance du 28 novembre 2012, le Conseil communal de Chêne-Bougeries a décidé de charger le Conseil administratif (contre l'avis de celui-ci) d'exercer le droit de préemption communal. Par arrêté du 5 décembre 2012, le Conseil d'Etat du canton de Genève a invalidé cette délibération. Afin de préserver le site et de limiter les dépenses, le projet communal comportait moins de logements que celui de l'acquéreur, soit 150 au lieu de 250; il ne présentait dès lors pas un intérêt public suffisant et contrevenait aux objectifs du plan directeur cantonal en cours d'élaboration. Contre cet arrêté, onze conseillers municipaux ont recouru auprès de la Chambre administrative de la Cour de justice du canton de Genève. 
Par arrêt du 11 juin 2013, la Chambre administrative a déclaré le recours irrecevable. La délibération municipale n'était pas le résultat d'une initiative populaire et n'était pas soumise au référendum; le recours pour violation des droits politiques n'était donc pas ouvert. L'autorité communale pouvait recourir contre l'annulation de la délibération, mais ne l'avait en l'occurrence pas fait. Les conseillers communaux n'étaient pas touchés plus que quiconque contre la décision du Conseil d'Etat et n'avaient donc pas la qualité pour exercer un tel droit de recours. 
 
C.   
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, les auteurs du recours cantonal (à l'exception de l'un d'entre eux) demandent au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt cantonal, de dire qu'ils ont qualité pour recourir et de renvoyer la cause à la Chambre administrative afin qu'elle statue sur le fond. 
La cour cantonale a renoncé à présenter des observations. Le Conseil d'Etat et la commune de Chêne-Bougeries, par son Conseil administratif, M.________ SA, L.________ et la Fondation K.________ concluent au rejet du recours. 
Les recourants et la commune de Chêne-Bougeries ont déposé des observations complémentaires. 
 
 
Considérant en droit:  
 
1.   
Le recours est fondé sur l'art. 82 let. a LTF. Il est dirigé contre un arrêt final (art. 90 LTF) rendu en dernière instance cantonale (art. 86 al. 1 let. d LTF) dans une cause relevant du droit public. Les recourants, dont le recours cantonal a été déclaré irrecevable, ont qualité au sens de l'art. 89 LTF pour contester ce prononcé, indépendamment de leur qualité pour agir sur le fond. 
 
2.   
Dans un grief formel, les recourants reprochent à la Chambre administrative d'avoir violé leur droit d'être entendus. Dans leurs observations complémentaires du 26 avril 2013, ils estimaient que l'admission de leur recours cantonal pourrait leur procurer un avantage idéal en ce sens que cela permettrait de rétablir la vérité: contrairement à ce que retenait le Conseil d'Etat, l'exercice du droit de préemption communal ne tendait pas à réaliser moins de logements. La cour cantonale n'aurait pas statué sur ce grief. 
 
2.1. Le droit d'être entendu garanti par l'art. 29 al. 2 Cst. implique notamment pour l'autorité l'obligation de motiver sa décision. Selon la jurisprudence, il suffit que le juge mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidé et sur lesquels il a fondé sa décision, de manière à ce que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause. Il n'a pas l'obligation d'exposer et de discuter tous les faits, moyens de preuve et griefs invoqués par les parties, mais peut au contraire se limiter à l'examen des questions décisives pour l'issue du litige (ATF 139 IV 179 consid. 2.2 p. 183; 137 II 266 consid. 3.2 p. 270; 136 I 229 consid. 5.2 p. 236).  
 
2.2. L'argument dont se prévalent les recourants figurait dans des observations complémentaires, en réponse à la contestation concernant leur qualité pour recourir. Pour l'essentiel, les recourants prenaient position sur deux arrêts rendus dans ce domaine par la cour cantonale. Celle-ci s'est prononcée à ce sujet en relevant d'une part que les droits politiques des recourants n'étaient pas en jeu dans un tel contexte, et d'autre part qu'en tant que conseillers municipaux, ceux-ci n 'étaient pas touchés plus que quiconque par l'arrêté attaqué, dès lors qu'un éventuel droit de recours devait être exercé par la commune elle-même. Cette dernière appréciation se rapportait également au droit de rectification dont se prévalaient les recourants, puisqu'il appartenait le cas échéant à l'autorité communale de défendre ses propres délibérations et d'en exposer au besoin les motifs. L'argument, au demeurant peu développé par les recourants, n'appelait dès lors pas de motivation spécifique.  
 
3.   
Sur le fond, invoquant l'art. 29 al. 1 Cst. ainsi qu'une application arbitraire de l'art. 60 al. 1 de la loi genevoise sur la procédure administrative (LPA/GE), les recourants reprochent à la Chambre administrative d'avoir commis un déni de justice en leur déniant la qualité pour recourir contre l'arrêté du Conseil d'Etat. En tant que membres du Conseil communal dont la délibération avait été annulée, ils pouvaient se prévaloir d'un intérêt digne de protection; ils invoquaient également leur droit de vote. Les recourants relèvent que selon un arrêt de la Chambre administrative rendu en 2010, les conseillers municipaux pourraient se prévaloir de leurs droits politiques à l'encontre de l'annulation d'une délibération municipale. Selon un autre arrêt rendu en février 2013, des conseillers municipaux auraient qualité pour agir lorsque, comme en l'espèce, le conseil municipal charge le conseil administratif de recourir contre l'annulation d'une délibération par le Conseil d'Etat. 
 
3.1. L'art. 60 al. 1 LPA/GE reconnaît notamment la qualité pour recourir aux personnes suivantes: a) les parties à la procédure qui a abouti à la décision attaquée; b) toute personne qui est touchée directement par une décision et a un intérêt personnel digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée; d) les organes compétents des communes, établissements et corporations de droit public lorsqu'ils allèguent une violation de l'autonomie que leur garantit la loi et la constitution; e) les autorités, personnes et organisations auxquelles la loi reconnaît le droit de recourir. Comme l'exige l'art. 111 al. 1 LTF pour les causes susceptibles d'être portées devant le Tribunal fédéral, les lettres a et b de cette disposition correspondent à l'art. 89 al. 1 LTF.  
L'intérêt personnel digne de protection consiste dans l'utilité pratique que l'admission du recours apporterait au recourant, en lui évitant de subir un préjudice de nature économique, idéale, matérielle ou autre que la décision attaquée lui occasionnerait (ATF 138 III 537 consid. 1.2.2 p. 539). Un intérêt seulement indirect à son annulation ou à sa modification n'est pas suffisant (ATF 138 V 292 consid. 4 p. 296). La qualité pour recourir d'un tiers, qui n'est pas le destinataire de la décision attaquée, ne peut être admise que de façon très limitée. Elle suppose que le tiers soit lui-même atteint de manière particulière par le prononcé litigieux (ATF 139 II 279 consid. 2.2 p. 282; 137 III 67 consid. 3.5 p. 74). 
 
3.2. En l'occurrence, à l'instar de tout membre d'une autorité dont une décision se trouve remise en cause par l'instance supérieure, les membres du conseil communal ne sont pas personnellement touchés par l'annulation d'une délibération. Les recourants n'indiquent d'ailleurs nullement quel préjudice d'ordre économique ou idéal il pourraient retirer d'une annulation de l'arrêté du Conseil d'Etat. Ils ne sont pas intéressés à titre personnel à l'exercice du droit de préemption de la commune. Ils contestent certes les motifs retenus par le Conseil d'Etat, mais, qu'il s'agisse de l'application correcte du droit ou de l'établissement des faits, cela ne saurait constituer un intérêt personnel et digne de protection au sens de l'art. 60 al. 1 let. b LPA/GE.  
L'arrêt attaqué retient que les recourants ne peuvent pas se prévaloir de leurs droits politiques dans la mesure où la délibération municipale n'était pas issue d'une initiative populaire. Les recourants ne contestent pas cette appréciation. Le parallèle avec l'arrêt de la Chambre administrative de 2010 est par ailleurs sans pertinence, dès lors que celui-ci se rapportait au processus même de délibération du conseil communal. Quant à l'arrêt de 2013, il confirme lui aussi que seul le conseil administratif communal a qualité pour contester l'annulation, par le Conseil d'Etat, d'une délibération municipale (art. 70 al. 5 de la loi cantonale sur l'administration des communes). Qu'il exerce effectivement ce droit de recours, ou qu'il y soit invité par le conseil municipal, ne change rien à la qualité pour agir des recourants. Il n'y a aucune contradiction dans la jurisprudence cantonale à ce sujet. 
 
3.3. L'arrêt attaqué procède dès lors d'une application du droit cantonal dénuée d'arbitraire. La décision d'irrecevabilité ne constitue pas non plus un déni de justice formel puisqu'elle repose sur une interprétation soutenable du droit cantonal de procédure.  
 
4.   
Le recours doit par conséquent être rejeté. Conformément à l'art. 66 al. 1 LTF, les frais de la cause sont mis à la charge des recourants, de même que des indemnités de dépens allouées aux intimés M.________ SA, ainsi que L.________ et la Fondation K.________ (art. 68 al. 2 LTF). Il n'est en revanche pas alloué de dépens à la commune de Chêne-Bougeries (art. 68 al. 3 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:  
 
1.   
Le recours est rejeté. 
 
2.   
Les indemnités de dépens suivantes sont mises à la charge solidaire des recourants: 
 
2.1. 2'000 fr. en faveur de l'intimée M.________ SA;  
 
2.2. 2'000 fr. en faveur des intimés L.________ et la Fondation K.________ d'autre part.  
 
3.   
Les frais judiciaires, arrêtés à 1'000 fr., sont mis à la charge des recourants. 
 
4.   
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties et de la Commune de Chêne-Bougeries, au Conseil d'Etat et à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre administrative. 
 
 
Lausanne, le 24 mars 2014 
 
Au nom de la Ire Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président: Fonjallaz 
 
Le Greffier: Kurz