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Ecriture agrandie
 
 
Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
4A_308/2022  
 
 
Arrêt du 20 septembre 2022  
 
Ire Cour de droit civil  
 
Composition 
Mmes et M. les Juges fédéraux 
Hohl, Présidente, Niquille et Rüedi. 
Greffier : M. Douzals. 
 
Participants à la procédure 
République de A.________, 
représentée par Me Mathilde Ram-Zellweger, avocate, 
recourante, 
 
contre  
 
B.________, 
représenté par Me Manuel Bolivar, avocat, 
intimé. 
 
Objet 
contrat de travail; immunité de juridiction, 
 
recours en matière civile contre l'arrêt rendu le 7 juin 2022 par la Chambre des prud'hommes de la 
Cour de justice du canton de Genève 
(C/2140/2018-5; CAPH/84/2022). 
 
 
Faits :  
 
A.  
B.________ (ci-après: le travailleur, le demandeur ou l'intimé), ressortissant de A.________ (rectification d'office selon l'art. 105 al. 2 LTF) né le... 1966, a exercé la profession de cuisinier-maître d'hôtel et cuisinier auxiliaire auprès de l'Ambassade de A.________ à Genève du 1er novembre 2008 au 30 novembre 2016. Il est au bénéfice d'une carte de légitimation de type E, expirant le 22 juillet 2018, destinée aux membres du personnel de service des missions permanentes et délivrée par le Département fédéral des affaires étrangères. 
 
B.  
Après que la tentative de conciliation a échoué, le travailleur a déposé sa demande auprès du Tribunal des prud'hommes du canton de Genève le 3 décembre 2018. Il a conclu, à titre préalable, à ce qu'il soit constaté que la République de A.________ (ci-après: l'État, la défenderesse ou la recourante) ne pouvait pas se prévaloir de son immunité de juridiction et, à titre principal, à ce que celle-ci soit notamment condamnée à lui payer la somme totale de 672'596 fr., intérêts en sus, pour différentes prétentions de droit du travail. 
Par jugement incident du 27 août 2021, le tribunal s'est déclaré compétent pour statuer sur la demande. 
Par arrêt du 7 juin 2022, la Chambre des prud'hommes de la Cour de justice du canton de Genève a rejeté l'appel formé par l'État défendeur. 
 
C.  
Contre cet arrêt, qui lui avait été notifié le 10 juin 2022, l'État défendeur a formé un recours en matière civile auprès du Tribunal fédéral le 11 juillet 2022. En substance, il conclut à ce que l'arrêt entrepris soit annulé et à ce qu'il soit constaté que le Tribunal des prud'hommes n'est pas compétent ratione materiae pour statuer sur la demande déposée par le travailleur.  
L'intimé et la cour cantonale n'ont pas été invités à se déterminer. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
En tant qu'elle a rejeté l'exception d'immunité de juridiction soulevée par l'État défendeur et a déclaré compétent ratione materiae le tribunal, la cour cantonale a rendu une décision incidente sur la compétence, susceptible d'un recours immédiat au Tribunal fédéral (art. 92 LTF; arrêt 4A_481/2021 du 4 juillet 2022 consid. 1.1 et les arrêts cités).  
Lorsque le recours a pour objet une décision incidente, la valeur litigieuse est déterminée par les conclusions restées litigieuses devant l'autorité compétente sur le fond (art. 51 al. 1 let. c LTF). En l'espèce, le seuil de 15'000 fr. fixé pour les litiges en matière de droit du travail est largement dépassé, de sorte que la voie du recours en matière civile est ouverte (art. 74 al. 1 let. a LTF). 
Au surplus, interjeté dans le délai fixé par la loi (art. 100 al. 1 et art. 45 al. 1 LTF) par l'État défendeur, qui a succombé dans ses conclusions (art. 76 al. 1 LTF), et dirigé contre une décision incidente rendue sur appel par le tribunal supérieur du canton de Genève (art. 75 LTF), le recours en matière civile est en principe recevable. 
 
2.  
 
2.1. Le Tribunal fédéral statue sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF). Il ne peut s'en écarter que si ces faits ont été établis de façon manifestement inexacte - ce qui correspond à la notion d'arbitraire au sens de l'art. 9 Cst. (ATF 140 III 115 consid. 2; 137 I 58 consid. 4.1.2; 137 II 353 consid. 5.1) - ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF), et si la correction du vice est susceptible d'influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF).  
Concernant l'appréciation des preuves, le Tribunal fédéral n'intervient, du chef de l'art. 9 Cst., que si le juge du fait n'a manifestement pas compris le sens et la portée d'un moyen de preuve, a omis sans raisons objectives de tenir compte des preuves pertinentes ou a effectué, sur la base des éléments recueillis, des déductions insoutenables (ATF 137 III 226 consid. 4.2; 136 III 552 consid. 4.2; 134 V 53 consid. 4.3; 133 II 249 consid. 1.4.3; 129 I 8 consid. 2.1). 
La critique de l'état de fait retenu est soumise au principe strict de l'allégation énoncé par l'art. 106 al. 2 LTF (ATF 140 III 264 consid. 2.3 et les références citées). La partie qui entend attaquer les faits constatés par l'autorité précédente doit expliquer clairement et de manière circonstanciée en quoi ces conditions seraient réalisées (ATF 140 III 16 consid. 1.3.1 et les références citées). Si elle souhaite obtenir un complètement de l'état de fait, elle doit aussi démontrer, par des renvois précis aux pièces du dossier, qu'elle a présenté aux autorités précédentes, en conformité avec les règles de la procédure, les faits juridiquement pertinents à cet égard et les moyens de preuve adéquats (ATF 140 III 86 consid. 2). Si la critique ne satisfait pas à ces exigences, les allégations relatives à un état de fait qui s'écarterait de celui de la décision attaquée ne pourront pas être prises en considération (ATF 140 III 16 consid. 1.3.1). Les critiques de nature appellatoire sont irrecevables (ATF 130 I 258 consid. 1.3). 
 
2.2. Le Tribunal fédéral applique en principe d'office le droit (art. 106 al. 1 LTF) à l'état de fait constaté dans l'arrêt cantonal (ou à l'état de fait qu'il aura rectifié). Cela ne signifie pas que le Tribunal fédéral examine, comme le ferait un juge de première instance, toutes les questions juridiques qui pourraient se poser. Compte tenu de l'obligation de motiver imposée par l'art. 42 al. 2 LTF, il ne traite que les questions qui sont soulevées devant lui par les parties, à moins que la violation du droit ne soit manifeste (ATF 140 III 115 consid. 2, 86 consid. 2). Il n'est en revanche pas lié par l'argumentation juridique développée par les parties ou par l'autorité précédente; il peut admettre le recours, comme il peut le rejeter en procédant à une substitution de motifs (ATF 135 III 397 consid. 1.4).  
Le recours en matière civile peut être formé pour violation du droit fédéral (art. 95 let. a LTF), y compris le droit constitutionnel (ATF 134 III 379 consid. 1.2; 133 III 446 consid. 4.1, 462 consid. 2.3). Il ne peut en revanche pas être interjeté pour violation du droit cantonal ou communal en tant que tel. I l est toutefois possible de faire valoir que la mauvaise application du droit cantonal ou communal constitue une violation du droit fédéral, en particulier qu'elle est arbitraire au sens de l'art. 9 Cst. ou contraire à d'autres droits constitutionnels (ATF 138 I 1 consid. 2.1; 134 III 379 consid. 1.2; 133 III 462 consid. 2.3). 
 
2.3. La recourante se réfère à l'état de fait retenu par la cour cantonale, à l'exception des faits qu'elle a " mis en évidence par les pièces produites [...] dans le cadre de son mémoire d'appel ", que la cour cantonale aurait écartés à tort et de manière arbitraire au motif que ces pièces avaient été produites de manière tardive et qu'elles constituaient des faux nova.  
Par une telle critique, la recourante ne satisfait pas aux exigences de motivation de l'art. 42 al. 2 LTF, de sorte que son grief semblant porter sur l'art. 317 al. 1 CPCest irrecevable. 
 
3.  
La recourante reproche à la cour cantonale d'avoir exclu son immunité de juridiction. Elle invoque la violation de l'art. 1 al. 1 let. a et de l'art. 1 al. 2 let. d de la loi du canton de Genève du 11 février 2010 sur le Tribunal des prud'hommes (LTPH; RS/GE E 3 10), de l'art. 8 CC et du droit international public. 
 
3.1.  
 
3.1.1. L'art. 1 al. 1 let. a LTPH dispose que sont jugés par le Tribunal des prud'hommes les litiges découlant d'un contrat de travail, au sens du titre dixième du Code des obligations. Aux termes de l'art. 1 al. 2 let. d LTPH, les litiges découlant de rapports de travail de droit public ne sont pas du ressort du tribunal.  
 
3.1.2. Selon les règles générales du droit international public telles que dégagées de longue date par la jurisprudence, un État étranger peut se prévaloir de son immunité de juridiction lorsqu'il agit en vertu de sa souveraineté ( jure imperii). En revanche, il peut être assigné devant les tribunaux suisses lorsqu'il agit comme titulaire d'un droit privé ou au même titre qu'un particulier ( jure gestionis), à condition toutefois que le rapport de droit privé auquel il est partie soit rattaché de manière suffisante au territoire suisse ( Binnenbeziehung). En matière de rapports de travail, l'État employeur n'est pas touché dans l'exercice de ses tâches relevant de la puissance publique lorsqu'il conclut un contrat avec un employé subalterne, comme par exemple un employé de maison ou un cuisinier (ATF 134 III 570 consid. 2.2 et les arrêts cités; arrêt 4A_481/2021 précité consid. 3.1).  
Ces principes correspondent pour l'essentiel à ceux ressortant de la Convention des Nations Unies sur les immunités juridictionnelles des États et de leurs biens du 2 décembre 2004 (CNUIJE; publiée in FF 2009 1481 ss), ratifiée par la Suisse le 16 avril 2010. Il est ainsi admis que le bien-fondé de l'exception d'immunité de juridiction soit examiné à la lumière de l'art. 11 CNUIJE relatif aux " contrats de travail ", selon son titre marginal. L'art. 11 par. 1 CNUIJE dispose qu' " à moins que les États concernés n'en conviennent autrement, un État ne peut invoquer l'immunité de juridiction devant un tribunal d'un autre État, compétent en l'espèce, dans une procédure se rapportant à un contrat de travail entre l'État et une personne physique pour un travail accompli ou devant être accompli, en totalité ou en partie, sur le territoire de cet autre État ". Cette disposition institue pour règle l'absence d'immunité dans le cadre d'un litige prud'homal, si le tribunal saisi est compétent et le travail en cause accompli totalement ou partiellement sur le territoire de l'État du for. En principe, le défendeur ne peut donc invoquer son immunité, sous réserve des exceptions prévues à l'art. 11 par. 2 CNUIJE (arrêts 4A_481/2021 précité consid. 3.1 et les références citées; 4A_331/2014 du 31 octobre 2014 consid. 3.1). L'État défendeur supporte le fardeau de la preuve desdites exceptions (s'agissant de l'art. 11 par. 2 let. e CNUIJE, soit de l'absence de résidence permanente en Suisse du travailleur demandeur, cf. arrêts 4A_481/2021 précité consid. 3.2.2; 4A_544/2011 du 30 novembre 2011 consid. 2.3.2). 
 
3.2. En substance, la cour cantonale a retenu que l'État défendeur ne disposait pas de l'immunité de juridiction à raison du contrat de travail conclu avec le demandeur, dans la mesure où celui-ci n'avait manifestement jamais exercé de tâches relevant de la puissance publique et n'avait pas bénéficié d'un quelconque statut diplomatique, ce qui avait été admis par les parties.  
Elle a retenu que, compte tenu des pièces et des explications fournies par le demandeur et qui n'avaient pas été valablement contredites par l'État défendeur, il ne faisait aucun doute que le demandeur avait résidé à Genève de 2008 à fin 2016 pour l'exécution de son travail de cuisinier privé de l'Ambassadeur. Il avait ensuite continué à résider à Genève et y demeurait encore fin 2018 au moment du dépôt de sa requête de conciliation. Il résidait toujours à Genève, et ce même s'il n'avait pas fourni de justificatif de domicile et si les pièces qu'il avait produites en appel étaient irrecevables. Le doute qui pouvait subsister sur sa présence effective à Genève n'était pas de nature à remettre en cause l'existence d'un lien suffisant avec la Suisse justifiant la saisine du tribunal. 
 
3.3. La recourante argue que, quand bien même l'intimé a été engagé en qualité de cuisinier et qu'il n'a donc pas de fonction diplomatique ou de représentation de l'État, il est un " membre à part " de la fonction publique de l'État de A.________. La nationalité du demandeur justifiait également, selon elle, l'immunité de juridiction.  
Elle invoque également que c'est à tort que la cour cantonale a considéré que l'intimé avait exercé des tâches subalternes et qu'il ne remplissait pas une fonction liée à l'exercice de la puissance publique et que la recourante n'avait pas apporté d'éléments ou d'indices " permettant de démontrer qu'elle ne pouvait pas [sic] se prévaloir de son immunité de juridiction ". Selon elle, il incombait au demandeur intimé, conformément à l'art. 8 CC, de prouver la compétence du tribunal, " et non l'inverse ". 
La cour cantonale aurait par ailleurs eu un doute important sur l'existence d'un lien suffisant entre le demandeur et la Suisse sans en tirer les conséquences qui s'imposaient et, ce, alors qu'il incombait au demandeur d'apporter cette preuve (art. 8 CC). 
 
3.4. La recevabilité des griefs de l'État recourant est douteuse, dans la mesure où ceux-ci sont en grande partie appellatoires, où ils ne font pour l'essentiel que substituer l'appréciation de la recourante à celle de la cour cantonale et où ils sont pour partie insuffisamment motivés (art. 42 al. 2 LTF).  
À bien la comprendre, la recourante invoque, premièrement, que les rapports de travail l'ayant liée à l'intimé relevaient du droit public et, partant, que le tribunal n'était pas compétent au vu de l'art. 1 al. 2 let. d LTPH. En tant que cette disposition relève du droit cantonal et que la recourante n'invoque pas que la mauvaise application de cette norme constituerait une violation du droit fédéral, son grief est irrecevable (cf. supra consid. 2.2). Il en va de même de son grief relatif à la nationalité de l'intimé, dans la mesure où il est insuffisamment motivé (art. 42 al. 2 LTF).  
Deuxièmement, la recourante semble remettre en cause l'appréciation de la cour cantonale selon laquelle le demandeur intimé n'avait manifestement jamais exercé de tâches relevant de la puissance publique. Dans la mesure où elle n'invoque ni ne démontre l'arbitraire de cette appréciation, ce grief est également irrecevable (cf. supra consid. 2.1).  
Troisièmement, la recourante paraît soutenir, en invoquant la violation de l'art. 8 CC, qu'il incombait au demandeur intimé d'établir la compétence du tribunal et que ce n'était pas à elle-même d'établir qu'elle pouvait valablement se prévaloir de son immunité de juridiction. En principe, il n'y a pas d'immunité de juridiction dans le cadre d'un litige prud'homal, si le tribunal saisi est compétent et le travail en cause accompli totalement ou partiellement sur le territoire de l'État du for. Comme l'a relevé à bon droit la cour cantonale, il revient donc à l'État qui entend invoquer son immunité de juridiction, et donc l'une des exceptions audit principe, d'établir que les conditions en sont remplies (cf. supra consid. 3.1.2). Le grief doit donc être rejeté.  
Enfin, dans la mesure où la recourante n'invoque ni n'établit que l'appréciation de la cour cantonale, selon laquelle le doute qui pouvait subsister sur la présence effective du demandeur à Genève n'était pas de nature à remettre en cause l'existence d'un lien suffisant avec la Suisse justifiant la saisine du tribunal, serait arbitraire, son grief est irrecevable. 
 
4.  
Au vu de ce qui précède, le recours doit être rejeté, dans la faible mesure de sa recevabilité. 
Les frais judiciaires seront mis à la charge de la recourante (art. 66 al. 1 LTF). Dans la mesure où l'intimé n'a pas été invité à se déterminer, il ne lui sera pas alloué de dépens. 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est rejeté, dans la mesure où il est recevable. 
 
2.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 6'000 fr., sont mis à la charge de la recourante. 
 
3.  
Il n'est pas alloué de dépens. 
 
4.  
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties et à la Chambre des prud'hommes de la Cour de justice du canton de Genève. 
 
 
Lausanne, le 20 septembre 2022 
 
Au nom de la Ire Cour de droit civil 
du Tribunal fédéral suisse 
 
La Présidente : Hohl 
 
Le Greffier : Douzals