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Ecriture agrandie
 
 
Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
                 
 
 
5A_66/2020  
 
 
Arrêt du 22 avril 2020  
 
IIe Cour de droit civil  
 
Composition 
MM. les Juges fédéraux Herrmann, Président, 
Marazzi et Bovey. 
Greffière : Mme Feinberg. 
 
Participants à la procédure 
A.________ AG, 
représentée par Me Marc Dörflinger, avocat, 
recourante, 
 
contre  
 
B.________ SA, 
représentée par Me Nicolas Pfister, avocat, 
intimée. 
 
Objet 
mainlevée provisoire de l'opposition, 
 
recours contre la décision de la 2e Chambre civile de la Cour suprême du canton de Berne, du 4 décembre 2019 (ZK 19 450). 
 
 
Faits :  
 
A.  
 
A.a. Par requête du 13 juin 2019, A.________ AG a demandé au Tribunal régional Jura bernois - Seeland (ci-après: le Tribunal), de prononcer la mainlevée provisoire de l'opposition formée par B.________ SA dans la poursuite n o xxx de l'Office des poursuites du Seeland, agence de Biel/Bienne, à concurrence des montants de 967'312 fr. 60, avec intérêts à 5% l'an à compter du 10 avril 2019, de 203 fr. 30 de frais de commandement de payer et de 361 fr. 10 " d'autres frais de poursuites ". La créance de 967'312 fr. 60 concernait des loyers impayés pour des locaux commerciaux.  
 
A.b. Le 20 août 2019, le Tribunal a rejeté la requête de mainlevée provisoire.  
 
A.c. Par décision du 4 décembre 2019, la 2 e Chambre civile de la Cour suprême du canton de Berne a rejeté le recours formé par A.________ AG.  
 
B.   
Par acte du 27 janvier 2020, A.________ AG exerce un recours en matière civile au Tribunal fédéral. Elle conclut à l'annulation de la décision attaquée et à ce que la mainlevée provisoire de l'opposition soit prononcée pour les montants précités (cf.  supra let. A.a). Subsidiairement, elle conclut à l'annulation de la décision querellée et au renvoi de la cause à la juridiction précédente pour nouvelle décision au sens des considérants.  
La production du dossier cantonal a été requise. Des observations n'ont en revanche pas été demandées. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.   
Le recours a été déposé en temps utile (art. 46 al. 1 let. c et 100 al. 1 LTF) à l'encontre d'une décision finale (art. 90 LTF; ATF 134 III 115 consid. 1.1) rendue en matière de poursuite pour dettes (art. 72 al. 2 let. a LTF, en relation avec l'art. 82 LP) par le tribunal supérieur d'un canton ayant statué sur recours (art. 75 al. 1 et 2 LTF); la valeur litigieuse de 30'000 fr. est atteinte (art. 74 al. 1 let. b LTF). La recourante, qui a succombé devant la juridiction précédente, a qualité pour recourir (art. 76 al. 1 LTF). 
 
2.  
 
2.1. Le recours en matière civile peut être formé pour violation du droit, tel qu'il est délimité par les art. 95 s. LTF. Le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF). Cela étant, eu égard à l'exigence de motivation contenue à l'art. 42 al. 1 et 2 LTF, il n'examine en principe que les griefs soulevés (ATF 142 III 364 consid. 2.4 et les références). Le recourant doit par conséquent discuter les motifs de la décision entreprise et indiquer précisément en quoi il estime que l'autorité précédente a méconnu le droit (ATF 142 I 99 consid. 1.7.1; 142 III 364 consid. 2.4 et la référence). Le Tribunal fédéral ne connaît par ailleurs de la violation de droits fondamentaux que si un tel grief a été expressément invoqué et motivé de façon claire et détaillée par le recourant (" principe d'allégation ", art. 106 al. 2 LTF; ATF 142 II 369 consid. 2.1; 142 III 364 consid. 2.4).  
 
2.2. Le Tribunal fédéral statue sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF); le recourant ne peut critiquer les constatations de fait que si elles ont été établies de façon manifestement inexacte ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF, et si la correction du vice est susceptible d'influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF). Le recourant qui entend se plaindre d'un établissement manifestement inexact - c'est-à-dire arbitraire (art. 9 Cst.; ATF 144 II 246 consid. 6.7; 143 I 310 consid. 2.2 et la référence) - des faits doit se conformer au principe d'allégation susmentionné (cf.  supra consid. 2.1), étant rappelé qu'en matière d'appréciation des preuves et d'établissement des faits, il n'y a arbitraire que lorsque l'autorité ne prend pas en compte, sans aucune raison sérieuse, un élément de preuve propre à modifier la décision, lorsqu'elle se trompe manifestement sur son sens et sa portée, ou encore lorsque, en se fondant sur les éléments recueillis, elle en tire des constatations insoutenables (ATF 143 IV 500 consid. 1.1 et la référence); les critiques appellatoires sont irrecevables (ATF 145 IV 154 consid. 1.1; 141 IV 249 consid. 1.3.1 et la référence).  
 
3.   
La recourante reproche à la cour cantonale d'avoir refusé de prononcer la mainlevée provisoire de l'opposition formée par la poursuivie. 
 
3.1. La cour cantonale a constaté que l'existence d'une reconnaissance de dette, à savoir le contrat de bail, ainsi que le montant de la créance mise aux poursuites n'étaient pas remis en cause, alors que l'existence, l'exigibilité et le montant de la créance compensante dont se prévalait l'intimée étaient contestés. Il ressortait du dossier que les parties ne s'entendaient pas sur l'interprétation à donner à la clause 5.4 du contrat de bail principal prévoyant une réduction temporaire du loyer en cas de location partielle, à savoir lorsque " le taux d'occupation des surfaces de vente de l'ensemble du centre commercial [était] inférieur à 75% ": La recourante prétendait que l'ensemble des surfaces louées devait être pris en compte, alors que l'intimée soutenait que les surfaces " de loisirs " ne devaient pas être incluses dans ce calcul. Il convenait ainsi, comme l'avait relevé le premier juge, de procéder à l'interprétation du contrat pour déterminer quelles surfaces locatives devaient être prises en considération, puis de procéder au calcul des surfaces louées, questions ne pouvant en aucun cas être tranchées en procédure de mainlevée. Dans le cadre de celle-ci, il convenait uniquement de constater que les arguments écrits de l'intimée (en particulier D. 20-21) et les pièces justificatives qu'elle avait produites (en particulier les pièces n os 6 à 9 de la réponse à la requête) étaient aptes à rendre vraisemblables le principe et l'exigibilité d'une créance compensante à l'égard de la recourante d'un montant supérieur à celui de la créance principale pour laquelle la mainlevée était requise. S'agissant de la forme de cette exception, il fallait relever que celle-ci s'appuyait principalement sur le même titre que la créance principale, à savoir le contrat de bail. Elle ressortait en outre des explications vraisemblables de l'intimée à ce sujet, couplées aux différentes pièces justificatives. Sous un angle d'examen limité et au vu des pièces déposées, l'intimée était ainsi parvenue à rendre sa libération immédiatement vraisemblable, de sorte que le recours devait être rejeté.  
 
3.2. La recourante soutient tout d'abord que, compte tenu des " déclarations " figurant dans la décision attaquée, la duplique spontanée de l'intimée du 19 juillet 2019 ne peut être prise en considération. Soulignant qu'elle dispose d'un gage pour les loyers échus du 1 er avril au 30 novembre 2018, la poursuivante soutient ensuite que la cour cantonale a violé le droit et versé dans l'arbitraire en considérant que les arguments de la poursuivie et les pièces justificatives produites par celle-ci seraient aptes à rendre vraisemblable la créance compensante. Elle reproche à la juridiction précédente de ne pas avoir justifié son affirmation selon laquelle ladite créance serait d'un montant supérieur à celui de sa propre créance et de n'avoir nullement pris en considération ses arguments, en particulier l'art. 3 de son recours cantonal et les pièces n os 7 et 11 produites à l'appui de sa requête. Malgré les diverses variantes de calcul présentées, qui démontreraient toutes un taux d'occupation des surfaces de plus de 75%, seul le point de vue de l'intimée aurait été retenu. Dès lors que l'existence d'une reconnaissance de dette et le montant de la créance mise aux poursuites ne sont pas remis en cause, qu'elle a clairement contesté les prétentions de l'intimée, que l'interprétation de la clause 5.4 du contrat de bail dépend d'éléments extrinsèques qui ne relèvent pas de la compétence du juge de la mainlevée mais de celle du juge du fond, que la juridiction précédente reconnaît qu'il n'est pas possible de définir le taux d'occupation des surfaces de vente, partant de chiffrer le montant de la créance compensante et le " taux de compensation (pas du tout, partiellement, complètement) ", et qu'il n'y a pas lieu de tenir compte d'une " image générale " pour juger de la vraisemblance de la créance compensante dont se prévaut l'intimée, la juridiction précédente aurait dû constater que celle-ci n'avait nullement rendu vraisemblables l'existence, l'exigibilité et le montant de sa créance. Elle aurait ainsi dû prononcer la mainlevée provisoire de l'opposition et renvoyer la poursuivie à ouvrir action en libération de dette pour faire constater l'existence d'un défaut de la chose louée, partant d'une créance compensante. La recourante fait également grief à la cour cantonale d'avoir méconnu l'importance et la pertinence de la décision de la Juge de paix de l'Ouest lausannois du 11 octobre 2019, prononçant la mainlevée dans les mêmes circonstances et à l'égard des mêmes parties.  
 
3.3.  
 
3.3.1. Le poursuivi peut faire échec à la mainlevée en rendant immédiatement vraisemblable sa libération (art. 82 al. 2 LP). Il peut se prévaloir de tous les moyens de droit civil - exceptions ou objections - qui infirment la reconnaissance de dette (ATF 145 III 20 consid. 4.1.2; 142 III 720 consid. 4.1 et la référence), en particulier la compensation au sens des art. 120 ss CO (arrêt 5A_139/2018 du 25 juin 2019 consid. 2.6.1 et la doctrine citée); il doit alors établir, au degré de la vraisemblance, le principe, l'exigibilité et le montant de la créance compensante (arrêts 5A_139/2018 précité consid. 2.6.1; 5A_833/2017 du 8 mars 2018 consid. 2.2 et les références). Le locataire qui fait valoir comme moyen libératoire que la chose louée est affectée de défauts justifiant une réduction du loyer ou des dommages-intérêts peut, aux conditions précitées, opposer cette prétention en compensation (arrêt 5A_833/2017 précité consid. 2.3 et les références).  
Selon la jurisprudence, l'exception de compensation doit être rendue vraisemblable par titre (art. 177 et 254 al. 1 CPC; arrêts 5A_139/2018 précité consid. 2.6.2; 5A_833/2017 précité consid. 2.2; 5A_467/2015 du 25 août 2016 consid. 4.5; cf. ég. ATF 145 III 160 consid. 5.1). La vraisemblance de la créance compensante peut résulter de l'image générale qui se dégage de divers documents (arrêts 5A_139/2018 précité consid. 2.6.2 et la doctrine citée; 5A_142/2017 du 18 août 2017 consid. 4.3), le juge jouissant à cet égard d'un certain pouvoir d'appréciation (arrêts 5A_139/2018 précité consid. 2.6.2; 5A_833/2017 précité consid. 3). 
 
3.3.2. En l'espèce, l'argument de la recourante selon lequel il ne peut être tenu compte de la duplique déposée en première instance par l'intimée est d'emblée irrecevable, dès lors que l'on ne discerne nullement le grief qu'elle entend ainsi soulever à l'encontre de la décision attaquée (cf.  supra consid. 2.1).  
Dans la mesure où la recourante reproche à la juridiction précédente d'avoir écarté ses arguments et de n'avoir pas motivé sa décision quant au montant de la créance compensante, sa critique est également irrecevable. En effet, pour autant qu'elle entende ainsi soulever un grief de violation de son droit d'être entendue, celui-ci ne remplit manifestement pas les exigences de motivation susmentionnées (cf.  supra consid. 2.1).  
Par ailleurs, en tant qu'elle se réfère à la procédure de mainlevée provisoire ouverte dans le canton de Vaud, la recourante perd de vue que la cour cantonale a non seulement déclaré irrecevable cet élément conformément à l'art. 326 CPC, mais a aussi considéré que cette offre de preuve n'était pas pertinente, la décision rendue par les autorités vaudoises ne la liant pas. La recourante aurait donc dû démontrer que chacune de ces deux motivations était contraire au droit en se conformant aux exigences de motivation requises (ATF 142 III 364 consid. 2.4 et les références), ce qu'elle n'a pas fait, de sorte que sa critique sur ce point est là encore irrecevable. 
Pour le surplus, le grief de la recourante a trait à la question de savoir si l'intimée a rendu vraisemblable son moyen libératoire déduit de la compensation, point qui ressortit à l'appréciation des preuves (arrêts 5A_1036/2018 du 15 mai 2019 consid. 4.1.2; 5A_446/2018 du 25 mars 2019 consid. 4.2; 5A_833/2017 précité consid. 3). Or, la recourante se contente de présenter sa propre appréciation des éléments litigieux, sans démontrer de manière claire et détaillée (art. 106 al. 2 Cst.; cf.  supra consid. 2.2) en quoi la cour cantonale aurait versé dans l'arbitraire en estimant qu'en particulier les pièces n os 6 à 9 de la réponse à la requête rendaient vraisemblables l'existence et l'exigibilité d'une créance d'un montant supérieur à celui de la créance mise aux poursuites. Par ailleurs, contrairement à ce que soutient la recourante, la juridiction précédente pouvait se fonder sur l'image générale ressortant de plusieurs documents pour juger de la vraisemblance de la créance compensante (cf.  supra consid. 3.3.1). Enfin, le fait que ladite créance soit contestée par la recourante n'empêchait pas de tenir compte de l'exception de compensation dans le cadre de la procédure de mainlevée (arrêt 5A_142/2017 précité consid. 4.3). Dans la mesure où il est recevable, le grief est donc infondé.  
 
4.   
En conclusion, le recours est rejeté dans la mesure de sa recevabilité. Les frais judiciaires sont mis à la charge de la recourante, qui succombe (art. 66 al. 1 LTF). Il n'y a pas lieu d'allouer de dépens à l'intimée, qui n'a pas été invitée à se déterminer (art. 68 al. 1 et 2 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.   
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable. 
 
2.   
Les frais judiciaires, arrêtés à 12'000 fr., sont mis à la charge de la recourante. 
 
3.   
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la 2 e Chambre civile de la Cour suprême du canton de Berne.  
 
 
Lausanne, le 22 avril 2020 
 
Au nom de la IIe Cour de droit civil 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Herrmann 
 
La Greffière : Feinberg