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Ecriture agrandie
 
 
Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
1C_480/2022  
 
 
Arrêt du 10 février 2023  
 
Ire Cour de droit public  
 
Composition 
MM. les Juges fédéraux Kneubühler, Président, 
Chaix et Weber, Juge suppléant. 
Greffière : Mme Sidi-Ali. 
 
Participants à la procédure 
1. A.________, 
2. B.________, 
3. C.________, 
tous les trois représentés par Me Sylvain Bogensberger, avocat, 
recourants, 
 
contre  
 
Secrétariat d'Etat aux migrations, Quellenweg 6, 3003 Berne. 
 
Objet 
Refus de la naturalisation facilitée, 
 
recours contre l'arrêt du Tribunal administratif fédéral, Cour VI, du 28 juillet 2022 (F-1385/2021). 
 
 
Faits :  
 
A.  
A.________ est un ressortissant français né le 25 avril 1974. Il a deux enfants: B.________, né [en] 2011 et C.________, né [en] 2013, qui sont également de nationalité française. 
A.________ a déposé, le 7 février 2017, une demande de naturalisation facilitée pour lui et ses enfants en vertu de l'article 58a de la loi du 29 septembre 1952 sur la nationalité (aLN) auprès du Consulat général de Suisse à Lyon. La demande de naturalisation facilitée est fondée sur le fait que son arrière-grand-mère paternelle possédait la nationalité suisse au moment de sa naissance et le père du requérant avait été naturalisé le 22 avril 2016 par naturalisation facilitée au sens de l'art. 58a al. 3 aLN. 
Par courriers du 14 novembre 2017, le Secrétariat d'Etat aux migrations (SEM), à qui la représentation suisse à Lyon a transmis la demande de naturalisation, a contacté les trois personnes de référence citées par l'intéressé. Deux d'entre elles ont répondu, l'une faisant principalement mention de leurs rencontres en France et de visites à la famille, l'autre faisant état de séances de travail tant en Suisse qu'en France, sans mentionner de séjours. 
Le SEM ayant suggéré à l'intéressé de retirer sa demande - la condition légale de "liens étroits avec la Suisse" ne semblait pas réalisée dès lors qu'il ne justifiait d'aucun séjour en Suisse au cours des dix dernières années, n'avait que des connaissances générales moyennes de la Suisse et n'avait aucun contact avec des organisations ou associations suisses à l'étranger -, le requérant a apporté des compléments à son dossier à diverses reprises entre 2018 et 2019 en vue de démontrer son attachement à la Suisse. 
Consultées, les autorités cantonales fribourgeoises ont indiqué ne pas avoir de remarque particulière à formuler, l'intéressé leur semblant remplir les conditions requises. 
Le requérant a par la suite encore communiqué au SEM avoir été engagé depuis le 2 septembre 2019 en qualité de directeur général d'une société basée en Suisse, et a informé l'autorité d'une récente décision d'interdiction de conduire pour une durée d'un mois prononcée par le service des automobiles et de la navigation du canton de Vaud en raison d'une interpellation pour excès de vitesse de 31 km/h (marge de sécurité déduite) commis sur l'autoroute à Meyrin. L'excès de vitesse précité a par ailleurs donné lieu, le 11 juillet 2019, à une condamnation du requérant à une peine pécuniaire de trente jours-amende, assortie d'un sursis de trois ans et d'une amende de 500 francs. 
 
B.  
Par décision du 9 février 2021, le SEM a rejeté la demande de naturalisation facilitée du requérant et de ses enfants. Saisi d'un recours des trois intéressés en ce sens, le Tribunal administratif fédéral (TAF) a confirmé cette décision par arrêt du 28 juillet 2022. 
 
C.  
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, le requérant A.________ (ci-après "le requérant") et ses deux enfants, B.________ et C.________, recourent contre l'arrêt du 28 juillet 2022 auprès du Tribunal fédéral qu'ils requièrent d'annuler l'arrêt du TAF et de rendre une décision admettant immédiatement et sans délai leur demande de naturalisation facilitée. Ils concluent subsidiairement à l'annulation de l'arrêt du TAF et au renvoi de la cause au SEM pour nouvelle décision admettant immédiatement et sans délai leur demande de naturalisation facilitée. Très subsidiairement, ils demandent au Tribunal fédéral de les "acheminer à prouver par toutes voies de droit les faits allégués dans [leurs] écritures". 
Le TAF renonce à prendre position sur le recours. Le SEM se réfère aux considérants de l'arrêt attaqué et conclut au rejet du recours. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Dirigé contre la décision du Tribunal administratif fédéral qui confirme l'annulation de la naturalisation facilitée accordée au recourant, le recours est recevable comme recours en matière de droit public (art. 82 let. a et 86 al. 1 let. a LTF). Le motif d'exclusion de l'art. 83 let. b LTF n'entre pas en ligne de compte, dès lors qu'il s'agit en l'espèce de naturalisation facilitée et non pas de naturalisation ordinaire. Les recourants ont la qualité pour recourir au sens de l'art. 89 al. 1 LTF. Il convient donc d'entrer en matière sur le recours. 
 
2.  
La nouvelle loi sur la nationalité suisse du 20 juin 2014 (LN; RS 141.0) est entrée en vigueur le 1er janvier 2018. Elle a entraîné l'abrogation de l'aLN (RO 1952 2015), conformément à l'art. 49 et ch. I annexe LN. En vertu de la réglementation transitoire prévue par l'art. 50 al. 1 LN, l'acquisition et la perte de la nationalité suisse sont régies par le droit en vigueur au moment où le fait déterminant s'est produit. Les demandes déposées avant l'entrée en vigueur de la loi sont traitées conformément aux dispositions de l'ancien droit jusqu'à ce qu'une décision soit rendue (art. 50 al. 2 LN). 
En l'occurrence, la demande de naturalisation des recourants a été demandée en avril 2017, soit avant l'entrée en vigueur de l'actuelle LN, de sorte que l'aLN est applicable. 
 
3.  
Les recourants présentent un état de fait dans l'acte de recours, sans exposer en quoi celui retenu par l'instance précédente serait manifestement inexact ou aurait été établi en violation du droit au sens de l'art. 97 al. 1 LTF. Il n'en sera par conséquent pas tenu compte, seul l'état de fait établi par le Tribunal administratif fédéral faisant foi. 
 
4.  
Les recourants font valoir une violation des art. 26 et 58a al. 3 aLN. 
 
4.1. Sous l'intitulé "naturalisation facilitée des enfants de mère suisse", l'art. 58a aLN est formulé comme suit:  
 
1 L'enfant étranger né avant le 1er juillet 1985 et dont la mère possédait la nationalité suisse au moment de la naissance ou l'avait possédée précédemment peut former une demande de naturalisation facilitée s'il a des liens étroits avec la Suisse. 
2 L'enfant acquiert le droit de cité cantonal et communal que la mère possède ou possédait en dernier lieu et par là même la nationalité suisse. 
3 S'il a lui-même des enfants, ces derniers peuvent également former une demande de naturalisation facilitée s'ils ont des liens étroits avec la Suisse. 
4 Les art. 26 et 32 à 41 sont applicables par analogie. 
 
A teneur de l'art. 26 al. 1 aLN, la naturalisation facilitée est accordée à condition que le requérant se soit intégré en Suisse (let a), se conforme à la législation suisse (let. b) ne compromette pas la sécurité intérieure ou extérieure de la Suisse (let. c), ces conditions étant applicables par analogie si le requérant ne réside pas en Suisse (art. 26 al. 2 aLN). 
La notion de "liens étroits avec la Suisse" au sens de l'art. 58a al. 3 aLN n'étant pas définie dans la loi ni particulièrement décrite par la doctrine (cf. arrêt 1C_258/2013 du 7 août 2013 consid. 5.3), le Tribunal administratif fédéral s'est référé aux directives édictées par le SEM à ce sujet. Cette notion, qui apparaît dans plusieurs dispositions de l'aLN, y a été introduite pour la première fois lors de la révision entrée en vigueur en 1992 qui avait pour but d'établir une égalité entre les sexes dans les questions liées à la nationalité. La naturalisation facilitée a alors été étendue à certaines personnes domiciliées à l'étranger, mais pour autant que des "liens étroits avec la Suisse" existent, le but étant en substance d'éviter de créer des situations "choquantes" où la personne ayant entretenu de tels liens étroits avec la Suisse serait privée de toute possibilité de se voir octroyer la nationalité en raison de sa domiciliation à l'étranger (Message du 26 août 1987 relatif à la modification de la loi sur la nationalité, FF 1987 III 285 ch. 22.14). Chacune des dispositions légales introduites comprenant l'exigence de "liens étroits avec la Suisse" donnait alors expressément, à titre d'exemples de tels liens, la résidence en Suisse pour des durées d'au minimum 5 à 6 ans (cf. art. 28 al. 1 let. b, 58 al. 1, 58b al. 1 let. a aLN; RO 1991 1034). Le message précisait que de telles naturalisations ne devaient intervenir que dans des cas exceptionnels ( ibidem).  
Les directives du SEM relatives à l'aLN opposent la notion de "liens étroits avec la Suisse" aux liens dits simples de l'art. 18 al. 1 let. b aLN, qui pose comme condition à la réintégration que le requérant "a[it] des liens avec la Suisse". Selon le SEM, les liens simples sont reconnus lorsque le requérant entretient certains contacts avec la Suisse, ce qui serait particulièrement le cas lorsque celui-ci s'est déjà rendu en Suisse, a des relations avec des personnes vivant en Suisse ou des contacts avec des associations de Suisses de l'étranger ou avec des Suisses résidant à l'étranger qui ont des liens avec leur pays (SEM, Manuel sur la nationalité, 2015, ch. 4.7.2.3). S'agissant des liens étroits, les directives du SEM exposent que, depuis l'élargissement du cercle des personnes vivant à l'étranger habilitées à former une demande de naturalisation, l'interprétation de la notion de liens étroits serait plus stricte qu'avant 2006 (SEM, op. cit., ch. 4.7.2.4 let. a). 
Le manuel distingue trois types de critères pour les liens étroits: les critères impératifs (vacances ou séjours réguliers en Suisse; références de personnes vivant en Suisse), les critères principaux (aptitude à se faire comprendre dans une langue nationale, intérêt pour se qui se passe en Suisse et connaissances de base en géographie et politique, contacts avec des Suisses de l'étranger et contacts avec des organisations ou des cercles de Suisses de l'étranger) et les critères supplémentaires (exercice en Suisse ou à l'étranger d'une activité pour une entreprise ou une organisation suisse, fréquentation d'une école suisse à l'étranger, nombre de générations écoulées depuis le parent suisse ayant émigré). Tous les critères impératifs doivent être remplis; les critères principaux doivent l'être en principe, l'un pouvant être compensé par la satisfaction claire d'un autre critère; les critères supplémentaires jouent quant à eux un rôle décisif en cas de doute (SEM, op. cit., ch. 4.7.2.4 let. b).  
L'art. 11 al. 1 de l'ordonnance du 17 juin 2016 sur la nationalité suisse (Ordonnance sur la nationalité, OLN; RS 141.01), non applicable en l'espèce (cf. consid. 2), mais dont on peut s'inspirer dès lors que le législateur s'est expressément référé à la notion de "liens étroits" de l'aLN (cf. DFJP, Rapport explicatif - Projet d'ordonnance relative à la loi sur la nationalité, août 2015, p. 14-15; avril 2016, p. 22), définit désormais la notion de liens étroits avec la Suisse. Le requérant a des liens étroits avec la Suisse, s'il a effectué au moins trois séjours en Suisse d'une durée minimale de cinq jours au cours des six années ayant précédé le dépôt de la demande (let. a), est apte à communiquer oralement au quotidien dans une langue nationale (let. b), possède une connaissance élémentaire des particularités géographiques, historiques, politiques et sociales de la Suisse (let. c) et entretient des contacts avec des Suisses (let. d). Ces conditions doivent être confirmées par des personnes de référence domiciliées en Suisse (art. 11 al. 2 OLN) et il y a lieu de tenir compte de la situation personnelle du requérant (art. 11 al. 3 OLN). 
Tant dans les directives du SEM relative à l'aLN que dans le rapport explicatif de l'OLN, un assouplissement de l'exigence des séjours en Suisse est envisageable pour des personnes vivant dans des pays lointains (SEM, op. cit., ch. 4.7.2.4 let. b/aa/aaa; DFJP, op. cit., 2015 p. 15; 2016, p. 22).  
 
4.2. En l'occurrence, il n'est pas contesté que l'art. 58a al. 3 aLN est applicable. Le père du requérant a été naturalisé par naturalisation facilitée au sens de l'art. 58a al. 1 aLN, dès lors que sa grand-mère (soit l'arrière grand-mère du requérant) avait perdu sa nationalité suisse en raison de son mariage avec un ressortissant français. Tel avait également été le cas, et pour les mêmes motifs, de la fille de celle-ci, soit la grand-mère paternelle du requérant, alors âgée de 6 ans au moment de ce mariage.  
Le Tribunal administratif fédéral a d'une part considéré que le requérant n'avait pas démontré avoir des liens étroits avec la Suisse au sens de l'art. 58a al. 3 aLN. Il a d'autre part jugé que les conditions de l'art. 26 aLN en relation avec le respect de l'ordre juridique suisse n'étaient pas réunies non plus en raison de l'excès de vitesse commis en 2019. Ces conditions étant cumulatives, il appartient au recourant de démontrer que les deux motivations retenues par le Tribunal administratif fédéral violent le droit fédéral (cf. arrêt 1C_22/2019 du 6 avril 2020 consid. 2 non publié in ATF 146 II 304).  
S'agissant des liens étroits avec la Suisse, le requérant affirme que l'appréciation du TAF à ce sujet est peu convaincante et qu'elle est infondée, dès lors qu'il aurait "démontré preuve à l'appui selon dossier explicatif du 3 septembre 2018 avoir des attaches avec la Suisse". Il n'explique toutefois pas quelles seraient ces attaches ni les preuves en question. Il se contente de rappeler qu'il maîtrise évidemment la langue française. Or ce seul critère est largement insuffisant pour attester de liens étroits avec la Suisse. Pour le reste, il se réfère uniquement à des liens qu'il a tissés après le dépôt de sa demande, soit relativement récemment, et qui sont limités à sa vie professionnelle, le requérant ne démontrant - ni même ne tentant de le faire - aucun lien personnel étroit avec la Suisse. En définitive, le requérant parvient tout au plus à faire état de liens "simples" au sens de l'aLN, liens simples qu'il n'a véritablement commencé à tisser qu'après le dépôt de sa demande de naturalisation facilitée. Aussi, les critères légaux impératifs ne sont-ils pas satisfaits. 
Les recourants échouant à démontrer des liens étroits au sens de l'art. 58a al. 3 LN, il n'y a pas lieu d'examiner leur argumentation relative au respect de l'ordre juridique suisse. 
 
4.3. Enfin, que la nouvelle loi sur la nationalité ne prévoie désormais plus la naturalisation facilitée pour les personnes visées par l'art. 58a aLN ne saurait justifier une appréciation différente en l'espèce, quand bien même le présent refus ferme définitivement toute possibilité aux recourants d'accéder à la naturalisation facilitée dans le cadre d'une demande ultérieure. C'est en effet délibérément que le législateur a prévu de ne plus octroyer la naturalisation facilitée aux petits-enfants d'une Suissesse ayant épousé un étranger, partant d'une présomption que les liens de la personne concernée avec la nationalité suisse sont aujourd'hui lâches (cf. Message du 4 mars 2011 concernant la révision totale de la loi fédérale sur l'acquisition et la perte de la nationalité suisse; FF 2011 2683 (2678) ad art. 51). La lâcheté de tels liens peut d'autant plus être présumée lorsque, comme en l'espèce, ce sont les arrière-petits-enfants (ou arrière-arrière-petits-enfants) de la Suissesse ayant perdu la nationalité à la suite de son mariage qui font la demande.  
 
5.  
Il résulte de ce qui précède que le recours doit être rejeté, aux frais de ses auteurs, qui succombent (art. 66 al. 1 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est rejeté. 
 
2.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 2'000 fr., sont mis à la charge des recourants. 
 
3.  
Le présent arrêt est communiqué au mandataire des recourants, au Secrétariat d'Etat aux migrations et au Tribunal administratif fédéral, Cour VI. 
 
 
Lausanne, le 10 février 2023 
 
Au nom de la Ire Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Kneubühler 
 
La Greffière : Sidi-Ali