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Ecriture agrandie
 
[AZA 0] 
 
1P.705/1999 
 
Ie COUR DE DROIT PUBLIC 
********************************************** 
 
Séance du 29 mars 2000 
 
Présidence de M. Aemisegger, Président de la Cour. 
Présents: MM. les Juges Féraud, Jacot-Guillarmod, Catenazzi et Favre. Greffier: M. Parmelin. 
 
_________ 
 
Statuant sur le recours de droit public 
formé par 
les sociétés A.________ et B.________, représentées par Me Laurent Schmidt, avocat à Sion, 
 
contre 
le jugement rendu le 2 juillet 1999 par la Cour d'appel pénale du Tribunal cantonal valaisan dans la cause opposant les recourantes au Ministère public du Bas-Valais; 
 
(art. 4 aCst. et 6 § 1 CEDH; séquestre en vue de l'exécution 
d'une créance compensatrice) 
Vu les pièces du dossier d'où ressortent 
les faits suivants: 
 
A.- La société anonyme A.________ est propriétaire de la propriété par étage n° 54'477, représentant une quote-part de 261/1000ème de la parcelle de base n° 65 du registre foncier de Bagnes. L'immeuble correspondant abrite un restaurant que D.________ exploite en qualité de gérant. La société anonyme B.________ est pour sa part propriétaire, à Verbier, de la parcelle n° 2405. Ce bien-fonds accueille un chalet construit en 1987 que les époux D.________ occupent avec leurs trois enfants. 
 
D.________ est l'unique propriétaire des actions et des actifs de A.________ alors que dame D.________ détient la totalité du capital-actions et des actifs de B.________. Les époux D.________ sont administrateurs de A.________, chacun avec signature individuelle, F.________ étant administrateur de B.________. 
 
B.- Le 1er mars 1991, le Juge d'instruction pénale du Bas-Valais (ci-après, le juge d'instruction) a ouvert une enquête pénale contre D.________ pour infractions à la loi fédérale sur les stupéfiants et blanchissage d'argent. Les avoirs des sociétés A.________ et B.________ ont été séquestrés dans le cadre de cette procédure. 
 
Par jugement des 9 et 12 décembre 1997, le Tribunal du IIIème arrondissement pour le district de l'Entremont a reconnu D.________ coupable de violation grave de la loi fédérale sur les stupéfiants et l'a condamné à une peine de six ans de réclusion ainsi qu'à une amende de 100'000 fr. Il l'a en outre astreint à verser à l'Etat du Valais une créance compensatrice de 800'000 fr. et a levé les séquestres ordonnés en cours d'instruction. 
 
Statuant le 2 juillet 1999 sur un appel du Ministère public du Bas-Valais et de D.________, la Cour d'appel pénale du Tribunal cantonal du canton du Valais a réduit à cinq ans de réclusion la peine infligée à D.________ et porté l'amende à 200'000 fr. Elle a par ailleurs fixé à 2'000'000 fr. la créance compensatrice en faveur de l'Etat du Valais et séquestré les valeurs patrimoniales de l'appelant et des sociétés A.________ et B.________ saisies en cours de procédure en vue de l'exécution de cette créance. 
 
C.- Agissant par la voie du recours de droit public, les sociétés A.________ et B.________ demandent au Tribunal fédéral d'annuler ce jugement. Elles se plaignent de ne pas avoir eu accès à un tribunal indépendant au sens de l'art. 6 § 1 CEDH. Elles voient une violation de leur droit d'être entendues consacré à l'art. 4 aCst. et une atteinte injustifiée à la propriété garantie par l'art. 22ter aCst. dans le fait qu'elles n'ont pas été associées à la procédure ayant abouti au séquestre de leurs biens. 
 
La Cour d'appel pénale se réfère aux considérants de son jugement. Le Ministère public du Bas-Valais conclut au rejet du recours. 
 
Considérant en droit : 
 
1.- Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité du recours (ATF 125 I 412 consid. 1a p. 414; 125 II 497 consid. 1a p. 499; 125 III 461 consid. 2 p. 463 et la jurisprudence citée). 
 
a) Le séquestre ordonné en vertu de l'art. 59 ch. 2 al. 3 CP est une mesure provisoire et purement conservatoire, qui tend à éviter que le débiteur de la créance compensatrice ne dispose de ses biens pour les soustraire à l'action future du créancier (Message du Conseil fédéral concernant la modification du code pénal suisse et du code pénal militaire du 30 juin 1993, FF 1993 III 305). Il ne modifie pas les rapports de droit civil existant sur les valeurs patrimoniales qui font l'objet de cette mesure (ATF 120 IV 365 consid. 1c p. 367; 119 Ia 453 consid. 3d p. 457; 103 Ia 8 consid. 1b p. 11 et les références citées) et ne constitue pas une décision préjudicielle ou incidente susceptible d'être attaquée par la voie du pourvoi en nullité (cf. ATF 123 IV 252 consid. 1 p. 253 et les arrêts cités). Seul le recours de droit public est dès lors ouvert contre une telle mesure (cf. Niklaus Schmid, Kommentar Einziehung, organisiertes Verbrechen und Geldwäscherei, vol. I, Zurich 1998, n. 175, § 2 ad art. 59 CP). 
 
b) La qualité pour recourir appartient notamment aux particuliers lésés par des décisions qui les concernent personnellement (art. 88 OJ). Le recours de tiers qui n'étaient pas parties à la procédure cantonale ayant donné lieu à l'arrêt attaqué n'est recevable que si ce dernier les touche personnellement dans leurs intérêts juridiquement protégés, c'est-à-dire dans des intérêts privés dont le droit constitutionnel invoqué assure la protection (ATF 123 I 41 consid. 5b p. 42; 122 I 44 consid. 2b p. 45 et les arrêts cités; sur le recours de tiers, voir ATF 114 Ia 93 consid. 1b p. 95; 107 Ia 175 consid. II/6b/aa p. 179/180). 
 
En l'espèce, le jugement attaqué ordonne le séquestre des valeurs patrimoniales des sociétés A.________ et B.________ en garantie de l'exécution de la créance compensatoire à laquelle D.________ a été condamné. Cette mesure porte atteinte au droit des recourantes de disposer librement de leur patrimoine et, par voie de conséquence, à leur droit de propriété garanti par l'art. 22ter aCst. (ATF 117 Ia 424 consid. 20a p. 427; SJ 1994 p. 97 consid. 3). Elles peuvent ainsi se prévaloir d'un intérêt juridiquement protégé à son annulation et ont dès lors qualité pour recourir selon l'art. 
88 OJ. 
 
c) Les autres conditions de recevabilité du recours de droit public sont par ailleurs réunies, de sorte qu'il convient d'entrer en matière sur le fond. 
 
2.- Les recourantes voient une violation de leur droit d'être entendues consacré à l'art. 4 aCst. et une atteinte injustifiée à la propriété garantie par l'art. 22ter aCst. dans le fait qu'elles n'ont pas été associées à la procédure ayant abouti au séquestre de leurs biens. Elles se plaignent également de n'avoir pas eu accès à un tribunal indépendant au sens de l'art. 6 § 1 CEDH alors même que leurs droits de caractère civil auraient été mis en cause. 
 
a) Le séquestre ordonné sur les avoirs des recourantes en garantie du recouvrement de la créance compensatrice due par D.________ à l'Etat du Valais s'est substitué au séquestre provisoire imposé sur les mêmes biens au cours de l'instruction en application de l'art. 97 du Code de procédure pénale valaisan. Il n'y a donc pas lieu d'examiner si cette mesure avait été ordonnée dans le respect des garanties de l'art. 6 § 1 CEDH - pour autant que celles-ci s'étendent aux procédures concernant des mesures conservatoires ayant un caractère temporaire -, faute d'un intérêt actuel et pratique à l'examen de ce grief (ATF 125 II 417 consid. 2; cf. arrêt de la CourEDH du 9 juin 1998 dans la cause Twalib c. Grèce, Recueil 1998, p. 1415, § 42). Pour le surplus, en tant qu'il a trait à la procédure devant la Cour d'appel pénale, le moyen pris de la violation de l'accès à un tribunal indépendant se confond avec le grief tiré de la violation du droit d'être entendu, étant précisé que sur ce point aussi, l'art. 22ter aCst. n'offre aucune garantie plus élevée que celles déduites de l'art. 4 aCst. 
 
b) Le droit d'être entendu garanti par cette dernière disposition, dont les personnes morales peuvent aussi exiger le respect (ATF 119 Ia 337 consid. 4c p. 340; arrêt du 26 octobre 1998 paru à la SJ 1999 I p. 186 consid. 2a), confère au justiciable le droit de s'expliquer avant qu'une décision ne soit prise à son détriment, de fournir des preuves quant aux faits de nature à influer sur le sort de la décision, de participer à l'administration des preuves, d'en prendre connaissance et de se déterminer à leur propos (ATF 124 I 49 consid. 3a p. 51; 124 II 132 consid. 2b p. 137; 123 I 63 consid. 2a p. 66 et les arrêts cités). 
 
Il ne fait aucun doute que le jugement attaqué est de nature à porter atteinte aux droits des recourantes qui sont propriétaires de certains biens séquestrés en garantie du recouvrement de la créance compensatrice mise à la charge de D.________. La Cour d'appel pénale ne pouvait dès lors ordonner cette mesure sans les entendre préalablement (cf. ATF 121 IV 365 consid. 7c p. 368 et RVJ 1998 p. 163 consid. 1a, s'agissant il est vrai d'une confiscation définitive au sens de l'art. 58 aCP; voir aussi, Denis Piotet, Les effets civils de la confiscation pénale, Berne 1995, n. 14, p. 7 et les références citées à la note 27). 
 
Les garanties minimales du droit d'être entendu déduites de l'art. 4 aCst. ont manifestement été respectées s'agissant de A.________. D.________ détient en effet l'intégralité des actions de la société; il est également coadministrateur de celle-ci avec son épouse et dispose de la signature individuelle. L'autorité intimée pouvait donc sans arbitraire tenir la société A.________ pour une "personne concernée" au sens de l'art. 59 ch. 2 al. 3 1ère phrase CP et séquestrer ses biens en vue de garantir l'exécution de la créance compensatrice au versement de laquelle D.________ a été condamné. A l'issue de la plaidoirie du Ministère public, la Présidente de la Cour d'appel pénale a informé l'accusé que le tribunal statuerait sur les séquestres et a suspendu la séance pendant cinq minutes avant de donner la parole aux conseils de celui-ci. La société A.________ a donc eu l'occasion de s'exprimer, par le biais de son actionnaire unique et coadministrateur, D.________, sur la mesure de séquestre de ses avoirs devant les juges du fond. De ce point de vue, on ne discerne aucune violation du droit d'être entendue de cette personne morale qui pourra encore faire valoir son droit de propriété dans le cadre de la procédure de poursuite que l'Etat du Valais sera amené à introduire à l'encontre de D.________, si ce dernier devait ne pas s'acquitter de la créance compensatrice mise à sa charge. 
 
La situation de B.________ est en revanche plus délicate, dès lors que D.________ n'est ni administrateur, ni actionnaire de cette société. Dame D.________, qui détient l'entier du capital-actions et des actifs de B.________, s'est certes présentée à l'audience de débats de la Cour d'appel pénale en qualité de tiers intéressé; elle a cependant quitté la salle après que le Ministère public eut retiré ses conclusions tendant au séquestre de ses avoirs, sans s'être déterminée à ce propos. Quant à l'administrateur de B.________, F.________, il n'a pas été entendu par la Cour d'appel pénale; il a certes été interrogé en qualité de témoin par le Juge d'instruction pénale dans le cadre de l'enquête instruite contre D.________. Il avait alors indiqué que B.________ n'avait plus d'activité véritable ni de comptes bancaires, l'accusé payant directement les charges courantes de la société. Il avait également précisé n'avoir jamais eu de contact avec dame D.________. Cela ne signifie toutefois pas encore que F.________ ou que l'épouse de l'accusé n'exerceraient aucune activité de gestion au sein de la société et que D.________ serait l'organe de fait de celle-ci (cf. sur cette notion, voir ATF 119 II 255; 102 II 353 consid. 3a p. 359). Dans ces conditions, l'autorité intimée ne pouvait pas, sans verser dans l'arbitraire, retenir que ce dernier était resté le véritable ayant droit économique de B.________ malgré la cession du manteau d'actions de la société à son épouse et considérer cette société comme une "personne concernée" au sens de l'art. 59 ch. 2 al. 3 CP, sans donner l'occasion à son administrateur de se prononcer sur le séquestre de ses biens. 
 
Le recours se révèle donc bien fondé sur ce point, en tant qu'il émane de la société B.________. 
 
c) Les recourantes se plaignent également du fait que le jugement attaqué ne leur a pas été communiqué. Elles ne démontrent pas, comme il leur appartenait de faire en vertu de l'art. 90 al. 1 let. b OJ (cf. ATF 125 I 492 consid. 1b p. 495), que le droit cantonal de procédure imposerait à la Cour d'appel pénale de notifier ses décisions aux tiers qui ne sont pas parties à la procédure. Au demeurant, cette omission ne les a pas empêchées d'agir dans le délai prévu de l'art. 89 al. 1 OJ. L'irrégularité dénoncée ne leur a donc causé aucun préjudice, de sorte qu'elle ne saurait entraîner l'annulation du jugement attaqué (ATF 124 I 255 consid. 1a/aa p. 258; 123 II 231 consid. 8b p. 238; 119 IV 330 consid. 1c p. 334; 115 Ia 12 consid. 4a p. 19; cf. art. 107 al. 3 OJ et 48 PA). 
 
3.- Le recours doit par conséquent être partiellement admis et le chiffre 3 du dispositif du jugement attaqué annulé en tant qu'il concerne les valeurs patrimoniales séquestrées au préjudice de la société B.________. Il doit être rejeté pour le surplus. 
 
Un émolument judiciaire est mis à la charge de A.________ qui succombe (art. 156 al. 1, 153 et 153a OJ), le canton du Valais étant pour sa part dispensé des frais judiciaires (art. 156 al. 2 OJ); ce dernier versera en revanche une indemnité de dépens à la société B.________ qui obtient gain de cause avec l'assistance d'un avocat (art. 159 al. 1 OJ). 
 
Par ces motifs, 
 
le Tribunal fédéral : 
 
1. Admet partiellement le recours; 
 
2. Annule le chiffre 3 du dispositif du jugement rendu le 2 juillet 1999 par la Cour d'appel pénale du Tribunal cantonal valaisan en tant qu'il concerne les valeurs patrimoniales séquestrées au préjudice de la société B.________; 
 
3. Rejette le recours pour le surplus; 
 
4. Met un émolument judiciaire de 2'500 fr. à la charge de la société A.________; 
 
5. Dit que le canton du Valais versera une indemnité de 1'500 fr. à la société B.________, à titre de dépens; 6. Communique le présent arrêt en copie au mandataire des recourantes, au Ministère public du Bas-Valais et à la Cour d'appel pénale du Tribunal cantonal du canton du Valais. 
 
____________ 
 
Lausanne, le 29 mars 2000 
PMN/col 
 
Au nom de la Ie Cour de droit public 
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE: 
Le Président, 
 
Le Greffier,