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Chapeau

112 V 81


14. Arrêt du 28 mai 1986 dans la cause Caisse cantonale vaudoise de compensation contre Carrard et consorts et Tribunal des assurances du canton du Vaud

Regeste

Art. 5 al. 1 let. b et art. 25 PA, art. 128 RAVS: Décision relative au statut d'un assuré en matière de cotisations.
- Une caisse de compensation ne peut pas rendre une décision de constatation relative au statut d'un assuré en matière de cotisations AVS, lorsque cette question a déjà été tranchée (implicitement) par une décision formatrice d'une autre caisse, portant sur la perception des cotisations de cet assuré pour la même période (consid. 2b).
- Le juge des assurances sociales ne peut connaître d'un recours contre un acte administratif n'ayant pas le caractère de décision (consid. 2c).
Art. 156 al. 3 et art. 159 al. 3 OJ: Frais et dépens. Condamnation de la partie qui obtient gain de cause aux frais et dépens (consid. 4).

Faits à partir de page 82

BGE 112 V 81 S. 82

A.- La Fondation pour le Réarmement Moral (ci-après: la fondation), dont le siège est à Kriens (LU), gère un centre de réunion et de conférences pour ses adhérents et autres invités, sis à Caux sur Montreux.
Jean Carrard et huit autres personnes font partie d'un groupe de personnes que la fondation dénomme ses "permanents". Ils se consacrent entièrement à des activités en rapport avec le but religieux et moral visé par celle-ci, et font certains dons en argent à la fondation. Ils ne perçoivent aucun salaire en espèces, mais reçoivent nourriture et logement lorsqu'ils séjournent au centre précité.
L'Office fédéral des assurances sociales (OFAS) ayant estimé, aux termes d'une lettre qu'il a adressée à la fondation le 15 juin 1979, que ces personnes devaient, contrairement à la pratique antérieure, être considérées à partir du 1er janvier 1980 comme exerçant une activité lucrative au sens de la LAVS, la Caisse interprofessionnelle vaudoise d'assurance-vieillesse et survivants (CIVAS) a fixé par décision du 11 mai 1981 les cotisations paritaires dues par la fondation à ce titre.
Par jugement du 1er décembre 1981, entré en force, le Tribunal administratif du canton de Lucerne a admis partiellement les recours formés contre cette décision par la fondation et par les assurés concernés, dont les personnes mentionnées plus haut, et renvoyé la cause à la caisse pour nouvelle décision. Il a considéré que l'existence d'une activité lucrative pouvait être admise seulement pour les "permanents" bénéficiant de prestations en nature pendant la plus grande partie de l'année, le montant des dons faits par les intéressés devant par ailleurs être déduit de la valeur des prestations en nature qui leur sont accordées.
Les calculs effectués par la CIVAS, conformément à ce jugement, ont conduit cette dernière à la constatation que les "permanents" susmentionnés n'ont pas réalisé chaque année, entre 1980 et 1982, un revenu soumis à cotisation (lettres de la caisse à la fondation des 19 novembre 1982 et 12 avril 1983). En ce qui concerne ces assurés, elle n'a donc perçu des cotisations paritaires que pour certaines desdites années.
Les intéressés se sont alors annoncés à la Caisse cantonale vaudoise de compensation en vue de leur affiliation en qualité de personnes sans activité lucrative. Par décisions qu'elle leur a notifiées individuellement (datées des 14 mars 1983 pour les uns, du 25 mars 1983 pour les autres), mais dont le contenu est
BGE 112 V 81 S. 83
semblable, cette caisse a refusé d'accéder à leurs demandes, motifs pris qu'ils étaient domiciliés à Caux, qu'ils étaient nourris et logés par la fondation, et qu'ils devaient être affiliés en tant que salariés auprès de la CIVAS, à laquelle est affilié leur employeur, sur la base d'un revenu mensuel (en nature) estimé à Fr. 450.-- jusqu'au 31 décembre 1982 et à Fr. 540.-- à partir de cette date.

B.- Sur recours des assurés, le Tribunal des assurances du canton de Vaud a annulé ces décisions de la caisse cantonale de compensation par jugement du 22 novembre 1984 et constaté que les intéressés devaient être affiliés à l'AVS en qualité de personnes n'exerçant aucune activité lucrative, en exposant - en substance - qu'il n'existait aucun lien de subordination ou de dépendance juridique ou économique entre la fondation et les "permanents", lesquels paient leur entretien par les dons qu'ils font à celle-ci.

C.- La Caisse cantonale vaudoise de compensation interjette recours de droit administratif contre ce jugement. Elle conclut à l'annulation de celui-ci et demande au tribunal "de reconnaître le statut de salariés aux membres permanents du Réarmement moral, à Caux". La caisse invoque, pour l'essentiel, l'avis que l'OFAS avait adressé à la fondation le 15 juin 1979.
Les intimés, représentés par Me B., de même que la fondation en qualité d'intéressée, représentée par Me K., concluent au rejet du recours. L'OFAS propose en revanche l'admission de celui-ci.

Considérants

Considérant en droit:

1. Par les actes administratifs qui forment l'objet de la présente contestation, la Caisse cantonale vaudoise de compensation a qualifié les intimés de personnes exerçant une activité lucrative (dépendante). A titre préalable, la question se pose de savoir si la caisse était en droit de rendre de telles décisions de constatation, susceptibles de recours, sur le statut des intimés en matière de cotisations AVS.
Le Tribunal fédéral des assurances examine en effet d'office les conditions dont dépend la qualité pour recourir et les conditions formelles de validité et de régularité de la procédure administrative, soit en particulier le point de savoir si c'est à juste titre que la juridiction cantonale est entrée en matière sur le recours ou sur l'action. Aussi, lorsque l'autorité de première instance a ignoré qu'une condition mise à l'examen du fond du litige par le juge
BGE 112 V 81 S. 84
faisait défaut et a statué sur le fond, c'est un motif pour le tribunal, saisi de l'affaire, d'annuler d'office le jugement en question (ATF 111 V 346 consid. 1a, ATF 110 V 129 consid. 2 et 149 consid. 2b, ATF 107 V 248 consid. 1b; GYGI, Bundesverwaltungsrechtspflege, 2e éd., p. 73 ch. 3, ainsi que les arrêts cités par cet auteur).

2. a) Selon la jurisprudence et la doctrine, une autorité ne peut rendre une décision de constatation, au sens des art. 5 al. 1 let. b et 25 PA, que lorsque la constatation immédiate de l'existence ou de l'inexistence d'un rapport de droit est commandée par un intérêt juridique actuel, digne de protection, auquel ne s'opposent pas de notables intérêts publics ou privés, et à condition que cet intérêt digne de protection ne puisse pas être préservé au moyen d'une décision formatrice, c'est-à-dire constitutive de droits ou d'obligations (ATF 108 Ib 546 consid. 3, ATF 107 Ib 250 consid. 2a, ATF 102 V 148, ATF 100 Ib 327 consid. 2; RCC 1986 p. 51; RAMA 1985 No K 627 p. 130 ss et 1984 No K 579 p. 113; IMBODEN/RHINOW, Schweizerische Verwaltungsrechtsprechung, 5e éd., No 36 p. 220 ss, en particulier p. 223 let. d; Gygi, op.cit., p. 144; GRISEL, Traité de droit administratif, p. 867).
En ce qui concerne le statut des assurés en matière de cotisations AVS, la jurisprudence considère qu'il peut, à lui seul, donner lieu à une décision de constatation lorsqu'un intérêt majeur exige l'examen préalable de cette question. Il en va ainsi dans certains cas complexes, dans lesquels l'on ne peut raisonnablement pas exiger que des décomptes de cotisations paritaires compliqués soient effectués avant que l'existence d'une activité lucrative dépendante et l'obligation de cotiser de l'employeur visé aient été établies. Une telle situation peut se présenter notamment lorsque de nombreux assurés sont touchés par la décision notifiée à leur employeur commun, relative à leur situation de personnes salariées, tout particulièrement si le nombre de ces assurés est si élevé que l'administration ou le juge est dispensé de les appeler à intervenir dans la procédure en qualité d'intéressés (ATFA 1960 p. 221 consid. 1; RCC 1986 p. 51, 1978 p. 466 consid. 1; GOSSWEILER, Die Verfügung im schweizerischen Sozialversicherungsrecht, thèse Berne 1983, p. 119 ss, et les arrêts cités).
b) En l'espèce, des motifs pertinents pour justifier que la caisse recourante se prononce par des décisions de constatation sur le statut des intimés en matière de cotisations AVS font défaut. Le nombre des assurés concernés n'est en l'occurrence pas très élevé, et leur cas n'est pas - quant au fond - d'une complexité telle que
BGE 112 V 81 S. 85
l'on n'eût pu exiger de la caisse de compensation compétente qu'elle établisse d'emblée des décomptes de cotisations. Les conditions restrictives auxquelles la jurisprudence précitée de la Cour de céans subordonne, en principe, la faculté de rendre une décision de constatation ne sont donc pas réunies.
Compte tenu des circonstances particulières dans lesquelles la caisse recourante a été saisie des demandes d'affiliation des intimés il faut relever, en outre, que le but et l'utilité d'une décision de constatation est d'élucider une situation juridique encore incertaine. En conséquence, il ne peut exister un intérêt digne de protection à la constatation de droits ou obligations qui ont déjà fait l'objet d'une décision formatrice. Au demeurant, on ne saurait offrir à celui qui prétend obtenir une décision de constatation, sujette à recours, la possibilité d'éluder les règles sur l'entrée en force formelle d'une décision antérieure (JAAC 1977, No 8, p. 32; GUENG, Zur Tragweite des Feststellungsanspruchs gemäss Art. 25 VwVG, RSJ 67/1971 p. 369 ss). Or, dans le cas présent, la CIVAS à laquelle est affiliée la Fondation pour le Réarmement Moral avait rendu, le 11 mai 1981, une décision formatrice, relative aux cotisations paritaires dues par la fondation en tant qu'employeur des intimés. La question de l'affiliation de ceux-ci à l'AVS en qualité de personnes exerçant une activité lucrative (dépendante) a donc déjà fait l'objet d'une décision, que les assurés - parmi lesquels figurent les intimés dans la présente procédure - et la fondation ont, il est vrai, déférée en justice. Mais, par jugement du 1er décembre 1981, qui n'a été attaqué ni par les parties concernées ni par l'OFAS, le Tribunal administratif du canton de Lucerne a précisé les critères qu'il a considérés comme déterminants pour décider si les "permanents" de la fondation exercent ou non une activité lucrative. Aussi, en application de ce jugement, la CIVAS a-t-elle établi de nouveaux décomptes de cotisations paritaires, que les assurés et la fondation n'ont apparemment pas remis en cause. Dans ces conditions, les assurés n'avaient aucun intérêt digne de protection à agir - à supposer que telle était leur intention - en constatation de leur statut en matière de cotisations AVS. Aussi, la caisse recourante, saisie de leurs demandes d'affiliation, ne pouvait statuer valablement, sur ce point, par des décisions de constatation.
c) Selon la jurisprudence constante de la Cour de céans, le juge des assurances sociales ne peut connaître des recours contre des actes administratifs n'ayant pas le caractère de décisions; de tels
BGE 112 V 81 S. 86
recours sont irrecevables (ATF 102 V 152 consid. 4; ATFA 1968 p. 224; RCC 1986 p. 52 consid. 3). Il s'ensuit que la juridiction cantonale n'aurait pas dû entrer en matière sur le recours des assurés, et que le jugement entrepris doit être annulé de ce chef.

3. Au vu de ce qui précède, et compte tenu de l'issue de la présente procédure, le dossier de la cause doit être transmis à la caisse recourante afin qu'elle examine si et dans quelle mesure elle est compétente pour affilier les intimés pendant les années pour lesquelles ils ont été qualifiés par la CIVAS de personnes sans activité lucrative.
Il y a lieu d'observer qu'un éventuel litige survenant à ce sujet entre la caisse recourante et la CIVAS relèverait de l'art. 127 RAVS, selon lequel les conflits relatifs à l'affiliation aux caisses sont tranchés par l'OFAS. Ce litige échapperait en principe à la compétence juridictionnelle de l'autorité judiciaire cantonale (cf. art. 84 LAVS). En revanche, les décisions prises en cette matière par l'OFAS sont sujettes au recours de droit administratif devant le Tribunal fédéral des assurances (art. 203 RAVS en corrélation avec les art. 97 et 98 let. c OJ; arrêts non publiés Ausgleichskasse des Schweizerischen Gewerbes du 14 avril 1983 et Schweizerische Betriebskrankenkasse du 28 décembre 1979).

4. Selon la jurisprudence relative aux art. 156 al. 3 et 159 al. 3 OJ, des frais de justice ainsi qu'une indemnité de dépens peuvent être mis à la charge de la partie qui obtient gain de cause lorsque la partie qui succombe pouvait se croire fondée à procéder en justice à cause de l'attitude contraire au droit de la partie adverse (ATF 105 V 89 consid. 4; RCC 1986 p. 53 consid. 4). Les intimés ont, en l'espèce, été incités à agir en justice par des actes administratifs irréguliers de la caisse recourante. Il y a lieu dès lors de mettre à la charge de celle-ci les frais de la procédure (art. 134 OJ a contrario) et une indemnité de dépens pour les frais des mandataires auxquels les intimés et la fondation ont dû faire appel.

Dispositif

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances prononce:
I. Le recours est partiellement admis, et le jugement du Tribunal des
assurances du canton de Vaud du 22 novembre 1984 est annulé. Le
recours est rejeté pour le surplus. II. Le dossier est transmis à la Caisse cantonale vaudoise de
compensation pour qu'elle procède conformément au considérant 3.
BGE 112 V 81 S. 87
III. Les frais de justice ... sont mis à la charge de la recourante. IV. La recourante versera aux intimés la somme de Fr. ... à titre de
dépens pour l'ensemble de la procédure.
V. La recourante versera à la Fondation pour le Réarmement Moral, en
sa qualité d'intéressée dans la procédure fédérale, une somme de Fr. ...
à titre de dépens.

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Etat de fait

Considérants 1 2 3 4

Dispositif

références

ATF: 111 V 346, 110 V 129, 107 V 248, 108 IB 546 suite...

Article: Art. 5 al. 1 let. b et art. 25 PA, art. 128 RAVS, Art. 156 al. 3 et art. 159 al. 3 OJ, art. 5 al. 1 let. b et 25 PA suite...