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135 II 49


6. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour de droit public dans la cause X. SA contre Ville de Genève (recours en matière de droit public)
2C_484/2008 du 9 janvier 2009

Regeste

Règles sur les marchés publics; concession d'affichage sur le domaine public; prestation annexe à la charge du concessionnaire; système de vélos en libre service.
Question de l'applicabilité de l'art. 2 al. 7 LMI laissée ouverte (consid. 4.1).
Rapport entre l'octroi d'une concession et les règles sur les marchés publics: exposé de la jurisprudence (ATF 125 I 209) et de la doctrine publiées à ce propos (consid. 4.2 et 4.3). Les collectivités publiques ne doivent pas détourner l'application des règles sur les marchés publics par le biais de l'octroi d'une concession; tel est notamment le cas si des prestations annexes d'une certaine importance, dissociables de la concession et qui entrent clairement dans la notion de marché public, sont exigées du concessionnaire sans faire l'objet d'un marché public (précision de la jurisprudence; consid. 4.4).
Le système litigieux de vélos en libre service doit être soumis aux règles sur les marchés publics: il représente pour l'autorité un moyen de réaliser une tâche publique, est dissociable de la concession, a un prix correspondant à la diminution du montant offert par le soumissionnaire pour la redevance et ne peut, vu sa nature et son importance, être assimilé à une simple prestation accessoire à la concession (consid. 5).

Faits à partir de page 51

BGE 135 II 49 S. 51

A. Par un appel d'offres publié dans la Feuille d'avis officielle (FAO) du 26 juin 2006, la Ville de Genève (ci-après: la Ville) a mis en soumission le renouvellement de la concession d'affichage papier sur son domaine public pour la période allant du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2012. Le marché devait être attribué selon une procédure à deux tours, dont le premier portait sur la sélection des candidats selon des critères d'aptitude, et le second sur l'adjudication proprement dite du marché.
La société X. SA (ci-après: la Société) a déposé un dossier de candidature, tout en contestant les conditions du marché. Par arrêt du 19 décembre 2006, le Tribunal administratif du canton de Genève (ci-après: le Tribunal administratif) a déclaré irrecevable le recours, faute de décision attaquable. Il a notamment considéré que, s'agissant de l'octroi d'une concession, les voies de droit prévues en matière de marchés publics n'étaient pas applicables.

B. Entre-temps, le 3 novembre 2006, la Société a été sélectionnée aux côtés d'un autre soumissionnaire pour participer au second tour de l'appel d'offres. Les candidats ont reçu les documents relatifs à cette nouvelle phase de la procédure, dont un dossier de procédure et un cahier des charges assortis de leurs annexes.
A réception des documents précités, la Société a derechef saisi le Tribunal administratif d'un recours. Elle critiquait notamment le chiffre 19 du cahier des charges, qui imposait au concessionnaire d'assurer la mise en place et la gestion d'un système dit de vélos en libre service. Au vu de la nature et de l'ampleur de cette prestation, elle estimait que la procédure avait désormais toutes les caractéristiques d'un marché public dont les conditions pouvaient être contestées en justice lors de l'appel d'offres déjà.
Par arrêt du 20 mai 2008, le Tribunal administratif a déclaré le recours irrecevable, en reprenant la motivation développée dans sa précédente décision du 19 décembre 2006 concernant l'inapplicabilité des règles en matière de marchés publics aux procédures tendant à l'octroi d'une concession.

C. La Société forme un recours en matière de droit public contre l'arrêt précité du Tribunal administratif.
Le Tribunal fédéral a admis le recours, annulé la décision attaquée et renvoyé le dossier au Tribunal administratif pour nouvelle décision au sens des considérants.
BGE 135 II 49 S. 52

Considérants

Extrait des considérants:

4. Pour déterminer si le Tribunal administratif devait entrer en matière sur le recours, il faut se demander si les règles propres aux marchés publics sont applicables.

4.1 Aux termes de l'art. 2 al. 7 de la loi fédérale du 6 octobre 1995 sur le marché intérieur (LMI; RS 943.02), la transmission de l'exploitation d'un monopole cantonal ou communal à des entreprises privées doit faire l'objet d'un appel d'offres et ne peut discriminer des personnes ayant leur établissement ou leur siège en Suisse.
Il est douteux que cette disposition, entrée en vigueur le 1er juillet 2006, quelques jours après la publication de l'appel d'offres litigieux, soit applicable au présent cas. Par ailleurs, son champ d'application et sa portée ne sont pas clairs et soulèvent de nombreuses questions. En particulier, il semble que la procédure d'appel d'offres à laquelle l'art. 2 al. 7 LMI fait référence n'ait pas pour conséquence de subordonner l'octroi des concessions de monopole cantonal ou communal à l'ensemble de la réglementation applicable en matière de marchés publics et que ne sont visées par cette disposition que certaines garanties procédurales minimales, comme celles énoncées à l'art. 9 al. 1 et 2 LMI concernant les voies de droit (cf. DENIS ESSEIVA, Mise en concurrence de l'octroi de concessions cantonales et communales selon l'article 2 al. 7 LMI, DC 2006 p. 203 ss; REY/WITTWER, Die Ausschreibungspflicht bei der Übertragung von Monopolen nach revidiertem Binnenmarktgesetz: unter besonderer Berücksichtigung des Elektrizitätsbereichs, PJA 2007 p. 585 ss; RECHSTEINER/WALDNER, Netzgebietszuteilung und Konzessionsverträge für die Elektrizitätsverordnung: aktuelle Fragen und kommende gesetzliche Vorgaben, PJA 2007 p. 1288 ss, spécialement p. 1295 ss).
Ces questions peuvent rester indécises. En effet, comme on le verra ci-après, les règles de procédure sur les marchés publics doivent, en l'espèce, s'appliquer directement en raison de la nature même du marché en cause, ce qui, en vertu du principe lex specialis derogat legi generali, exclut l'application concurrente des dispositions de la loi sur le marché intérieur (cf. ESSEIVA, op. cit., p. 206).

4.2 Dans l'arrêt publié à l' ATF 125 I 209, le Tribunal fédéral a jugé que l'octroi du monopole d'affichage publicitaire sur le domaine public ne relevait pas du droit des marchés publics. Il a tout d'abord relevé qu'une telle concession n'entrait pas dans la notion de
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marché public, par laquelle on entendait communément l'ensemble des contrats relevant du droit privé passés par les pouvoirs publics avec des soumissionnaires (privés) portant sur l'acquisition de fournitures de constructions ou de services (consid. 6b p. 212). Cet arrêt retient ensuite qu'en accordant le monopole d'affichage publicitaire litigieux sur leur domaine public respectif, les autorités concédantes concernées (soit la Ville et le Canton de Genève) n'intervenaient pas comme "demandeurs" ou "acquéreurs" de prestations, mais se trouvaient bien plutôt dans la position "d'offreurs" ou de "vendeurs", dans la mesure où elles n'entendaient pas acquérir des prestations de services, mais au contraire "vendre" le droit d'utiliser le domaine public à des fins commerciales moyennant une redevance et diverses prestations annexes (consid. 6b p. 213). Concernant ces dernières, il ressort de l' ATF 125 I 209 que le concessionnaire s'engageait à exécuter en faveur des autorités concédantes certaines prestations susceptibles de relever des marchés publics, comme l'élaboration d'un concept d'affichage et de mobilier, l'installation et l'entretien d'éléments de mobilier urbain, ainsi que certaines prestations d'affichage en faveur de la collectivité. Le Tribunal fédéral a toutefois estimé que l'ensemble de ces prestations échappaient aux règles sur les marchés publics, car elles étaient "accessoires" au monopole d'affichage et permettaient à la société concessionnaire d'exercer son activité commerciale à ses risques et profits (consid. 6b p. 215).

4.3 Cette jurisprudence a été abondamment commentée en doctrine.

4.3.1 D'une manière générale, les critiques se concentrent sur le fait que l' ATF 125 I 209 définit la notion de marché public d'une manière trop rigide et schématique qui suffit pour aborder des cas simples (soit des marchés publics que l'on pourrait qualifier de "classiques"), mais qui ne permet en revanche qu'imparfaitement d'appréhender des situations plus complexes rencontrées dans la réalité économique (cf. FRANÇOIS BELLANGER, La notion de "marché public", une définition sans concession?, in Les droits de l'homme et la constitution, Etudes en l'honneur du Professeur Giorgio Malinverni, éd. par Auer/Flückiger/Hottelier, 2007, p. 399 ss, spécialement p. 404; MARTIN BEYELER, Der objektive Geltungsbereich des Vergaberechts, in Marchés publics 2008, éd. par Zufferey/Stöckli, 2008, p. 65 ss, n. 54 ss et 63 ss).
Certains auteurs proposent dès lors de réexaminer la notion de marché public et, en particulier, d'assouplir certaines des conditions qui
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servent à sa définition. En particulier, une large part de la doctrine est d'avis que l'absence de versement d'une somme d'argent par l'Etat ne doit pas nécessairement conduire à exclure l'existence d'un marché public. Il suffit que la prestation considérée revête un caractère onéreux, mais son paiement doit pouvoir se faire sous n'importe quelle forme, y compris en nature, afin de respecter la flexibilité souhaitée en la matière par l'art. II par. 2 de l'Accord du 15 avril 1994 sur les marchés publics, entré en vigueur pour la Suisse le 1er janvier 1996 (AMP; RS 0.632.231.422) (cf. BEYELER, op. cit., n. 84 ss et 94; BELLANGER, op. cit., p. 401; BELLANGER/BOVET, Marché de l'affichage public ou marché public de l'affichage?, DC 1999 p. 164 s.; DANIEL KUNZ, Verfahren und Rechtsschutz bei der Vergabe von Konzessionen, 2004, p. 167 ss, 178 s.; AURÉLIA RAPPO, Les marchés publics: champ d'application et qualification, RDAF 2005 I p. 165 ss, 171; ZUFFEREY/LE FORT, L'assujettissement des PPP au droit des marchés publics, DC 2006 p. 99 ss, 101 s.; JEAN-BAPTISTE ZUFFEREY, Le champ d'application du droit des marchés publics - Mise en garde pour tous ceux qui projettent d'y échapper, in Mélanges en l'honneur de Pierre Tercier, 2008, p. 691 ss, 699). Dans le contexte particulier d'une concession, seule une appréciation de l'ensemble des rapports économiques entre l'autorité concédante et le concessionnaire permet, selon BEYELER (op. cit., n. 94), de déterminer si une prestation déterminée est ou non onéreuse. Une partie de la doctrine préconise également, toujours dans l'idée d'assouplir la notion de marché public, de ne subordonner la définition de celle-ci ni à l'existence d'un rapport contractuel nécessairement fondé sur le droit privé (cf. BEYELER, op. cit., n. 69 ss et 72 s.), ni à l'exigence que le pouvoir adjudicateur soit nécessairement le destinataire direct de la prestation (par opposition à l'usager final cf. BEYELER, op. cit., n. 67; DENIS ESSEIVA, Marchés publics/Jurisprudence, DC 2004 p. 165; contra: KUNZ, op. cit., p. 172 ss; JACQUES FOURNIER, Vers un nouveau droit des concessions hydroélectriques, 2002, p. 271).

4.3.2 La doctrine a également exprimé des critiques sur l' ATF 125 I 209 concernant le rapport entre les notions de concession et de marchés publics.
Selon une minorité d'auteurs, la solution à laquelle aboutit cette jurisprudence serait erronée dans son principe. Ils estiment en effet que l'octroi d'une concession est un acte mixte qui revêt sous certains aspects un caractère contractuel. Dans la mesure où un tel acte vise à décharger la collectivité d'une tâche publique en confiant
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l'exécution de celle-ci à un particulier, il en découlerait entre l'autorité concédante et le concessionnaire un rapport d'échange tombant sous le régime des marchés publics. La collectivité publique obtient en effet, d'après cette conception, une prestation sous la forme de l'accomplissement d'une tâche publique par un concessionnaire. Or, ce dernier se trouverait, à l'instar de n'importe quel soumissionnaire, dans un rapport de concurrence avec d'autres entreprises, sa rétribution consistant, même si aucune rémunération n'est prévue, en la valeur du monopole qui lui est concédé (cf. BELLANGER/BOVET, op. cit., p. 164 ss; RAPPO, op. cit., p. 170 s.).
En revanche, la doctrine majoritaire admet, dans la ligne de l' ATF 125 I 209, que les concessions qui ne comportent pas la délégation d'une tâche publique (concessions d'usage du domaine public ou de monopole) échappent au droit des marchés publics, car la collectivité publique, au travers d'une telle opération, n'acquiert pas de manière onéreuse une prestation utile à l'accomplissement de ses tâches publiques, mais ne fait que vendre un droit (cf. GALLI/MOSER/LANG/CLERC, Praxis des öffentlichen Beschaffungsrechts: eine systematische Darstellung der Rechtsprechung des Bundes, der Kantone und der Europäischen Union, 2e éd. 2007, p. 45 ss; MARCO FETZ, Öffentliches Beschaffungsrecht des Bundes, in Allgemeines Aussenwirtschafts- und Binnenmarktrecht, éd. par Cottier/Oesch, 2e éd. 2007, p. 508 ss; JACQUES DUBEY, Marchés publics/Jurisprudence, DC 2007 p. 192 s.; DENIS ESSEIVA, op. cit., p. 185 et 205 s.; du même auteur, Les grandes nouveautés: La législation et les normes privées, in Marchés publics 2008, éd. par Zufferey/Stöckli, 2008, p. 1 ss, n. 28 s.; FOURNIER, op. cit., p. 271; KUNZ, op. cit., p. 169 et 175 ss; ETIENNE POLTIER, Les marchés publics: premières expériences vaudoises, RDAF 2000 I p. 297 ss, 310 ss; SCHNEIDER HEUSI/JOST, Public Private Partnership - wenn Staat und Private kooperieren, in Droit des marchés publics, 2006, p. 27 ss; YVES DONZALLAZ, Commentaire de la loi sur le Tribunal fédéral, 2008, n. 2831; BELLANGER, op. cit., p. 404 s. et 416).
Cependant, plusieurs auteurs soulignent que des problèmes d'interprétation et de qualification peuvent malgré tout se présenter lorsque, en contrepartie de l'octroi d'une concession de monopole, le concessionnaire est appelé à fournir des (contre-)prestations qui, prises isolément, pourraient pour certaines d'entre elles faire l'objet d'un marché public (cf. BELLANGER, op. cit., p. 406; JEAN-BAPTISTE ZUFFEREY, Marchés publics/Jurisprudence, DC 1999 p. 142; KUNZ,
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op. cit., p. 178 s.; RAPPO, op. cit., p. 168; CHRISTIAN BOVET, Marchés publics/Jurisprudence, DC 2001 p. 59). Une partie de la doctrine préconise dans une telle situation d'assujettir le contrat dans son ensemble à la prestation prépondérante (en règle générale en termes quantitatifs), en s'inspirant de la solution appliquée en droit communautaire (cf. ZUFFEREY, DC 1999 p. 142; RAPPO, op. cit., p. 173). BELLANGER (op. cit., p. 406 ss) propose de n'appliquer le critère de la prestation prépondérante que pour les prestations qui ne sont pas dissociables les unes des autres, tandis que les prestations dissociables devraient être examinées de manière indépendante et seraient chacune d'entre elles susceptibles de faire l'objet d'un marché public si les conditions en sont réunies.

4.4 De ce survol de la doctrine, il ressort que de nombreuses questions demeurent controversées sur les liens entre les notions de marchés publics et de concessions. L'évolution de la pratique, pour sa part, laisse de moins en moins souvent la place à ce qu'il est convenu d'appeler des marchés publics ou des concessions classiques, au profit de rapports juridiques et économiques complexes où une multitude de cas de figure sont envisageables. La solution à adopter dans un cas d'espèce ne peut donc prétendre résoudre l'ensemble de ces questions. Il se dégage néanmoins des critiques de la doctrine et de l'évolution de la pratique que l' ATF 125 I 209 doit être précisé, afin d'éviter que des biens et des services qui, au vu de leur nature, ne devraient normalement être acquis par les collectivités publiques que dans le respect des règles sur les marchés publics, n'échappent aux garanties procédurales propres à cette matière, en raison de l'application stricte d'une règle faisant primer la concession. En d'autres termes, il ne faut pas qu'une collectivité publique puisse, par le biais de l'octroi d'une concession, détourner l'application des règles sur les marchés publics. On peut admettre que tel est notamment le cas lorsque la collectivité subordonne l'octroi d'une concession à des contre-prestations d'une certaine importance qui entrent clairement dans la notion de marché public et sont dissociables de la concession. Dans un tel cas, il se justifie de soumettre l'acquisition de telles prestations aux garanties procédurales propres au droit des marchés publics.

5. En l'espèce, les exigences figurant dans le second tour de l'appel d'offres portant sur la mise à disposition de vélos en libre service entraîneraient, selon la recourante, l'application des règles sur les
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marchés publics à l'ensemble de l'appel d'offres ou, subsidiairement, aux seules prestations requises en relation avec le système de vélos.

5.1 Ces prestations sont exigées dans le cadre de l'octroi d'une concession d'affichage public, similaire à celle qui était en cause dans l' ATF 125 I 209. Prises isolément, les prestations liées à l'affichage public en tant que telles ne relèvent pas du droit des marchés publics. En octroyant ladite concession, la Ville de Genève n'acquiert en effet aucunement à titre onéreux des moyens utiles à l'accomplissement de ses tâches publiques ni ne vise d'ailleurs véritablement la poursuite d'un intérêt public. Elle ne fait que concéder un monopole d'utilisation du domaine public en échange d'une redevance et de certaines prestations annexes que le concessionnaire s'engage à lui fournir. Conformément à la jurisprudence publiée à l' ATF 125 I 209 et à la doctrine majoritaire (cf. supra consid. 4.3.2), l'octroi de ladite concession, en tant qu'elle porte sur l'affichage public, échappe aux exigences issues des marchés publics, sous réserve des conséquences à tirer de l'éventuelle application de l'art. 2 al. 7 LMI (cf. supra consid. 4.1).

5.2 Il reste à examiner ce qu'il en est des prestations contestées liées à la mise en place d'un système de vélos en libre service et qui, selon la recourante, devraient être soumises au droit des marchés publics.

5.2.1 Le cahier des charges prévoit que le concessionnaire doit, pendant la durée de la concession (soit cinq ans), supporter tous les coûts relatifs à la mise en place et au fonctionnement du système de vélos en libre service. Ceux-ci comprennent en particulier la remise à la Ville de 500 vélos en prêt, la remise en propriété de 40 stations automatisées où seront stationnés les vélos destinés aux usagers, l'entretien, la réparation et le remplacement des vélos ainsi que les frais d'exploitation comprenant notamment les charges salariales. A cet égard, les vélos doivent pouvoir être pris et rendus dans chacune des stations dont le fonctionnement sera automatisé ou assuré par du personnel. Le concessionnaire doit faire en sorte que les vélos soient "accessibles à la plus large part de la population, tant du point de vue financier que des facilités d'usage et aspects pratiques". Il doit également veiller à ce que les vélos soient toujours correctement répartis entre les différentes stations, afin d'assurer en permanence leur disponibilité pour les usagers sur l'ensemble de la Ville. Ce rééquilibrage doit se faire au moyen de véhicules "peu ou pas polluants". Enfin, le concessionnaire est tenu
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d'encaisser auprès des usagers une contribution fixée par la Ville, qui doit être rétrocédée à celle-ci "en intégralité".

5.2.2 Ces éléments font apparaître que le système de vélos en libre service représente pour l'autorité concédante un moyen de réaliser une tâche publique. Cette prestation vise en effet à promouvoir la mobilité douce en ville afin, notamment, de limiter les nuisances liées au trafic motorisé. Or, la notion de tâche publique doit être définie largement et englobe toutes les activités qui favorisent un intérêt public, sans être nécessairement elles-mêmes des tâches publiques à proprement parler (cf. ZUFFEREY/LE FORT, op. cit., p. 100; dans le même sens, BEYELER, op. cit., n. 90). Par ailleurs, l'acquisition de cette prestation a un coût pour la Ville. Certes, cette dernière ne s'engage-t-elle pas à payer un montant en espèces en échange du système litigieux de vélos en libre service. Ce point ne suffit toutefois pas à exclure l'existence d'un marché public, contrairement à ce que pourrait laisser penser une lecture littérale de l' ATF 125 I 209 (consid. 6b, p. 214). Comme le soulignent à raison de nombreux auteurs (cf. supra 4.3.1), le paiement d'une prestation soumise au droit des marchés publics peut en effet se faire autrement que par le seul versement d'un prix. Toutes les formes de rémunération sont possibles en vertu de l'art. II par. 2 AMP qui sert de cadre pour l'application de la réglementation en matière de marchés publics (sur l'importance de cet accord pour l'interprétation du droit interne; cf. ATF 134 II 192 consid. 2.3 p. 199; BELLANGER, op. cit., p. 400; OLIVIER RODONDI, Le droit cantonal des marchés publics - Les premières expériences, RDAF 1999 I p. 265 ss, 269). Or, en l'espèce, le montant de la redevance que les soumissionnaires sont prêts à payer pour l'acquisition du monopole d'affichage dépend directement des investissements qu'ils doivent consentir pour respecter les obligations annexes à la concession; leurs offres seront à cet égard d'autant plus basses que les prestations annexes qu'ils devront fournir seront d'un coût élevé; autrement dit, même si la Ville ne verse pas directement une somme d'argent en contrepartie de la prestation litigieuse, celle-ci a bien un prix qui correspond à la diminution du montant offert par les soumissionnaires pour la redevance.
Par ailleurs, les prestations que le concessionnaire doit fournir au titre du système de vélos en libre service font assurément partie des biens et des services visés par l'art. 6 de l'accord intercantonal du 25 novembre 1994 sur les marchés publics (AIMP/GE; RSG L 6 05). Que le concessionnaire conserve la propriété des vélos n'est à cet
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égard pas déterminant. Les marchés de fournitures englobent en effet les contrats entre un adjudicateur et un soumissionnaire concernant l'acquisition de biens mobiliers, notamment sous forme d'achat, de crédit-bail (leasing), de bail à loyer, de bail à ferme ou de location-vente (art. 6 al. 1 let. b AIMP/GE). Par ailleurs, l'entretien et la réparation des vélos relèvent des marchés de services, de même que les autres prestations liées à l'exploitation et la gestion du système (cf. annexe 4, appendice I de l'AMP). Quant aux stations automatisées, il n'est pas exclu qu'elles puissent, selon leur conception, tomber sous le coup des marchés de constructions visés à l'art. 6 al. 1 let. a AIMP/GE.
Enfin, le système de vélos en libre service apparaît parfaitement dissociable de la concession d'affichage. Que le cahier des charges prévoie que le concessionnaire peut utiliser les vélos pour de l'affichage publicitaire et retirer une partie des recettes en découlant apparaît une circonstance marginale impropre à faire admettre que le système litigieux serait dépendant de la concession. Du reste, on ne saurait dire, contrairement à ce qui vaut pour les activités d'affichage en lien avec la concession, que le concessionnaire va exploiter à ses risques et profits le système litigieux. Le cahier des charges lui fixe en effet précisément de nombreuses obligations et ne lui laisse guère d'indépendance pour organiser son activité; en outre, il doit rétrocéder l'ensemble des recettes de location des vélos encaissées auprès des usagers et même une partie des recettes publicitaires induites par l'affichage sur les vélos.

5.2.3 Par conséquent, le système de vélos en libre service tel que décrit dans le cahier des charges comporte toutes les caractéristiques propres à un marché public. En outre, ce système est parfaitement dissociable de l'octroi du monopole d'affichage et ne peut, vu sa nature et son importance, être assimilé à une simple prestation accessoire à la concession. Il n'y a donc pas de raison de soustraire les prestations liées à la mise en place et à l'exploitation du système litigieux aux garanties procédurales propres aux marchés publics.

5.3 Dans ces conditions, le Tribunal administratif devait admettre, en vertu de la protection juridique spécifique prévue pour les marchés publics cantonaux, le droit de la recourante de recourir directement contre les documents d'appel d'offres afférents au système de vélos en libre service sans avoir à attendre la décision d'adjudication, afin de faire constater les éventuelles irrégularités affectant cette phase de la procédure.

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Etat de fait

Considérants 4 5

références

ATF: 125 I 209, 134 II 192

Article: art. 2 al. 7 LMI, art. 9 al. 1 et 2 LMI