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Chapeau

150 III 147


16. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit civil dans la cause Y. SA et Z. SA contre F. et H. (recours en matière civile)
4A_148/2023 du 4 septembre 2023

Regeste

Arbitrage international; compétence du tribunal arbitral (art. 190 al. 2 let. b LDIP); arbitrabilité; autonomie de la clause arbitrale; caractère relatif de la capacité de discernement.
L'arbitrabilité est une condition de validité de la convention d'arbitrage et, partant, de la compétence des arbitres. Dans son sens objectif (arbitrabilité ratione materiae), ce terme désigne les causes susceptibles d'être tranchées par la voie de l'arbitrage. Dans son sens subjectif (arbitrabilité ratione personae), il vise la capacité des parties de conclure une convention d'arbitrage (consid. 7.2.1).
Dans la mesure où la capacité de discernement est une notion relative devant être appréciée concrètement par rapport à un acte déterminé (caractère relatif de la capacité de discernement), en fonction de sa nature et de son importance, la nullité éventuelle du contrat principal en raison de l'incapacité de discernement d'une partie ne rejaillit pas obligatoirement sur la clause d'arbitrage insérée dans celui-ci. On peut en effet concevoir des cas dans lesquels une personne dispose du discernement nécessaire pour saisir le sens et la portée d'une telle clause mais pas ceux du contrat principal, et inversement (consid. 7.6.1; précision de jurisprudence).

Faits à partir de page 148

BGE 150 III 147 S. 148

A.

A.a A.a. est un ingénieur géologue et un homme d'affaires, domicilié en Suisse. Il est marié à A.f. Les époux A. ont eu quatre enfants. A.b. et A.c. sont leurs deux fils jumeaux aînés. A.d. et A.e. sont leurs deux fils jumeaux cadets.
Durant de nombreuses années, Mes B., C. et D. ont été les avocats de A.a.

A.b A.a. a fondé un groupe de sociétés (ci-après: le groupe) en vue de fournir des prestations en matière d'exploration et de forages pétroliers, sous le pavillon de la société de droit français X. Ledit groupe est constitué de diverses structures juridiques, en particulier d'entités panaméennes et de fondations néerlandaises; l'objectif de ce montage est notamment l'optimisation fiscale.

A.c Par contrat du 14 janvier 2021, une société panaméenne du groupe, P. SA, a cédé à une autre entité du groupe (U.) la créance
BGE 150 III 147 S. 149
qu'elle détenait à l'encontre de Y. SA, une société affiliée au même groupe.
Par contrat signé en janvier 2021, à une date indéterminée, Y. SA s'est engagée à céder à U. une créance qu'elle détenait à l'encontre de Z. SA, une autre société panaméenne du groupe.
Par contrat du 14 janvier 2021 (ci-après: le contrat de reprise de dettes), Y. SA et Z. SA se sont engagées solidairement, aux côtés de U., à répondre des dettes de cette dernière envers F. et H., deux entités de droit néerlandais faisant partie du groupe. Ledit contrat était soumis au droit suisse et contenait une clause d'arbitrage.
A.a. a signé les trois contrats précités pour toutes les parties contractantes.

A.d En avril 2019, A.e. a requis des autorités monégasques qu'elles instituent une mesure de protection en faveur de son père. Dans le cadre de cette procédure, A.e. et A.d. ont indiqué que leur père souffrait d'une altération de sa mémoire depuis plusieurs années ainsi que d'un diabète sévère ayant contribué à l'altération de ses facultés physiques et mentales depuis 2013. Après avoir transmis aux autorités helvétiques, en décembre 2019, un avis de situation de danger concernant A.a., le Tribunal de première instance de la Principauté de Monaco s'est déclaré incompétent, le prénommé ayant déplacé sa résidence dans l'établissement médico-social J. situé en Suisse.
Par décision du 2 septembre 2021, la Justice de paix du district de (...) a prononcé l'institution d'une curatelle de portée générale à l'endroit de A.a. et a nommé l'avocat N. en qualité de curateur. À cet égard, elle a notamment tenu compte de ce que le prénommé, selon un certificat médical établi le 9 janvier 2020 par les médecins de J., souffrait de quelques oublis malgré un discours cohérent et avait besoin d'aide pour la majorité des activités de base de la vie quotidienne. Elle a relevé que, dans son rapport du 14 juin 2021, la psychologue G. avait mis en évidence chez A.a. un déficit sévère en mémoire épisodique verbale, associé à une désorientation spatio-temporelle, des lacunes en mémoire autobiographique, des imprécisions en mémoire collective/sémantique, ainsi qu'un dysfonctionnement exécutif modéré à sévère sur le plan cognitif, se traduisant par un défaut d'incitation verbale, de programmation gestuelle, d'inhibition et possiblement de flexibilité mentale, ainsi qu'une fragilité de la mémoire à court terme visuo-spatiale. À rigueur de ces constats, la psychologue G. avait conclu à des troubles d'origine neurodégénérative de type Alzheimer avec une éventuelle composante vasculaire.
BGE 150 III 147 S. 150
Le recours interjeté le 1er novembre 2021 par A.e. à l'encontre de cette décision a été rejeté par arrêt du 19 mai 2022 de la Chambre des curatelles du Tribunal cantonal vaudois.

B. Le 4 février 2021, F. et H. ont introduit une procédure d'arbitrage dirigée contre A.a., A.b., A.c., A.d., A.e., Y. SA et Z. SA.
Un Tribunal arbitral de trois membres a été constitué, conformément au Règlement suisse d'arbitrage international, sous l'égide du Swiss Arbitration Centre, et son siège fixé à Genève.
Le Tribunal arbitral a décidé de scinder la procédure et d'examiner, dans un premier temps, sa compétence pour connaître du litige divisant les parties.
Le Tribunal arbitral a rendu, le 31 janvier 2023, une sentence sur la compétence dans le dispositif de laquelle il s'est déclaré compétent pour connaître des prétentions élevées à l'encontre de tous les défendeurs. Il a notamment écarté l'objection d'incompétence fondée sur la prétendue incapacité de discernement de A.a. au moment de la signature de la clause d'arbitrage insérée dans le contrat de reprise de dettes.

C. Le 6 mars 2023, Y. SA et Z. SA (ci-après: les recourantes) ont formé un recours en matière civile à l'encontre de cette sentence.
Le Tribunal fédéral a rejeté le recours dans la mesure de sa recevabilité.
(résumé)

Considérants

Extrait des considérants:

7. (...)

7.2.1 L'arbitrabilité est une condition de validité de la convention d'arbitrage et, partant, de la compétence des arbitres (ATF 118 II 353 consid. 3a et les références). Dans son sens objectif, ce terme désigne les causes susceptibles d'être tranchées par la voie de l'arbitrage (arbitrabilité ratione materiae ). Dans son sens subjectif (arbitrabilité ratione personae), il vise la capacité des parties de conclure une convention d'arbitrage (ATF 138 III 714 consid. 3.2; arrêt 4A_ 118/2014 du 23 juillet 2014 consid. 3.1 et les références citées). La capacité civile d'une partie à un arbitrage international s'apprécie au regard du droit applicable en vertu des art. 33 ss LDIP (RS 291) pour les personnes physiques et 154 LDIP s'agissant des sociétés (ATF 138 III 714 consid. 3.3.1; arrêt 4A_118/2014, précité, consid. 3.1).
(...)
BGE 150 III 147 S. 151

7.6.1 Au consid. 3.2.1 de l'arrêt paru aux ATF 142 III 239, le Tribunal fédéral a certes souligné que le principe de l'autonomie de la convention d'arbitrage n'est pas absolu et qu'il souffre parfois d'exceptions. La Cour de céans a ainsi précisé qu'il peut arriver que la clause compromissoire partage le destin du contrat principal dans certaines situations que la doctrine de langue allemande désigne sous le nom de Fehleridentität (en anglais: identity of defect), notamment lorsqu'une partie n'a pas la capacité de contracter ou le pouvoir de représenter celle qui entend contracter, voire lorsqu'elle a conclu le contrat principal sous l'empire d'une crainte fondée (ATF 142 III 239 consid. 3.2.1).
Qu'une incapacité de contracter puisse affecter non seulement la validité d'un contrat mais aussi celle de la clause arbitrale qu'il contient est une chose. Que la nullité du contrat principal pour ce motif rejaillisse obligatoirement sur la clause compromissoire en est une autre. Or, on ne saurait admettre qu'un vice lié à la capacité de contracter entraînerait toujours, quelle que soit son origine, la nullité tant du contrat principal que celui de la clause compromissoire. Tel n'est en effet pas le sens des considérations émises par la Cour de céans dans l'arrêt précité. À cet égard, il convient de garder à l'esprit le fait que le principe de l'autonomie de la clause arbitrale demeure la règle, consacrée par l'art. 178 al. 3 LDIP. Le Tribunal fédéral reconnaît du reste qu'une clause arbitrale peut être valable, alors même que le contrat principal n'est pas venu à chef ou est frappé de nullité (ATF 142 III 239 consid. 6; ATF 119 II 380 consid. 4).
Aussi est-ce à tort que les intéressées défendent la thèse selon laquelle la clause arbitrale serait automatiquement nulle si A.a. était incapable de conclure le contrat principal en janvier 2021. Il faut, en effet, bien voir que la capacité de contracter d'une personne physique dépend de plusieurs éléments en droit suisse, et singulièrement de son âge et de sa capacité de discernement. Or, si une incapacité de contracter liée à la minorité d'une partie a des répercussions tant sur la validité du contrat principal que sur celle d'une clause arbitrale, une telle conclusion ne s'impose pas forcément dans d'autres situations. Dans la mesure où la capacité de discernement est une notion relative devant être appréciée concrètement par rapport à un acte déterminé (caractère relatif de la capacité de discernement), en fonction de sa nature et de son importance, on peut en effet concevoir des cas dans lesquels une personne disposerait du discernement
BGE 150 III 147 S. 152
nécessaire pour saisir le sens et la portée d'un contrat principal mais pas ceux d'une clause d'arbitrage, et inversement.
Dans ces conditions, la démarche suivie par les arbitres dans la sentence attaquée, consistant à apprécier la capacité de discernement de A.a. par rapport à la clause d'arbitrage insérée dans le contrat de reprise de dettes, n'apparaît pas contraire à la jurisprudence fédérale.
Il n'appartient ainsi pas à la Cour de céans de déterminer si A.a. disposait du discernement nécessaire pour signer les cessions de créances et le contrat de reprise de dettes conclus en janvier 2021, mais uniquement d'examiner si le Tribunal arbitral a apprécié correctement la capacité de discernement de l'intéressé par rapport à la clause arbitrale figurant dans ledit contrat.

contenu

document entier
regeste: allemand français italien

Etat de fait

Considérants 7

références

ATF: 142 III 239, 138 III 714, 118 II 353, 119 II 380

Article: art. 190 al. 2 let. b LDIP, art. 33 ss LDIP, art. 178 al. 3 LDIP