Urteilskopf
116 II 645
114. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour civile du 9 octobre 1990 dans la cause Erste Allgemeine Versicherungs-Aktiengesellschaft contre canton du Valais et Elvia, Compagnie d'Assurances (procès direct)
Regeste
Rückgriffsklage des Haftpflichtversicherers eines Motorfahrzeughalters gegen den Staat als Strasseneigentümer. Solidarität und Genugtuung.
1. Art. 58 OR ist lex specialis zu den Normen der Beamtenhaftpflicht (E. 3a).
2. Analoge Anwendung von Art. 72 VVG bei der Haftpflichtversicherung. Die Subrogation umfasst die gleichen Rechte, wie sie der versicherte Haftpflichtige gegenüber möglichen Mithaftpflichtigen hätte geltend machen können (E. 2).
3. Unter Art. 60 Abs. 2, 1. Satz, SVG fällt auch die Konkurrenz der Haftung eines Motorfahrzeughalters mit derjenigen eines Werkeigentümers. Kriterien der Haftungsaufteilung (E. 3b).
4. Die echte Solidarität gemäss Art. 60 Abs. 1 SVG gilt auch für die Genugtuung. Die Unterbrechung der Verjährung gegenüber einem Solidarschuldner wirkt demnach unabhängig von der Art des geltend gemachten Schadens auch gegen alle anderen (E. 7b/bb).
A.- Le 17 août 1977, un accident de la circulation s'est produit sur la route du Grand-Saint-Bernard, entre Martigny et Bovernier, sous la galerie du Tiercelin. Une voiture conduite par M., qui roulait en direction de Martigny, est entrée en collision avec un véhicule circulant en sens inverse. Le conducteur de ce second véhicule, G., est décédé des suites de ses blessures. Son épouse de même que M. ont été blessés. Au moment de l'accident, vers 15 heures, la chaussée, asphaltée, était sèche, la visibilité bonne et le trafic dense. Le temps était beau. Un nouveau revêtement avait été posé un mois plus tôt. Un produit destiné à empêcher la formation du verglas y avait été incorporé. Ce produit peut avoir une influence sur l'adhérence les premiers temps qui suivent sa pose, cette influence ne se manifestant toutefois que dans des circonstances particulières.
Une enquête pénale ouverte contre M. a abouti à une décision de non-lieu.
B.- Un procès civil a été introduit par la veuve et le frère de la victime contre M. et l'Erste Allgemeine Versicherungs-Aktiengesellschaft (ci-après: Erste Allgemeine), qui couvrait la responsabilité civile de la détentrice du véhicule conduit par M. Statuant le 19 novembre 1982, le Tribunal cantonal du canton du Valais a condamné solidairement l'Erste Allgemeine et M. à payer diverses indemnités aux demandeurs.
C.- Le 15 juin 1984, l'Erste Allgemeine a assigné l'Etat du Valais devant le Tribunal fédéral enpaiement de 126'760 fr. 35,
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plus intérêts et frais, montant représentant les 3/4 de ce qu'elle avait versé à la veuve et au frère de la victime et des autres dépenses que le sinistre lui avait occasionnées. A l'appui de sa demande, elle alléguait un défaut de la route, propriété du défendeur, ainsi que la faute et le comportement illicite des organes de celui-ci. Elle admettait néanmoins devoir supporter 1/4 du dommage en raison du risque inhérent à l'emploi du véhicule de son assurée.
Dans sa réponse du 14 septembre 1984, le défendeur a conclu au rejet de l'action. Il a, en outre, dénoncé le litige à l'Helvetia-Accidents - actuellement l'Elvia, Compagnie d'Assurances - qui a déclaré se joindre à lui en qualité d'intervenante accessoire.
La procédure préparatoire a été close le 31 juillet 1990.
Aux débats principaux de ce jour, le Tribunal fédéral, après avoir entendu les plaidoiries des parties, a admis partiellement la demande et condamné le canton du Valais à payer à l'Erste Allgemeine 53'427 fr. 15, plus intérêts.
Extrait des considérants:
2. La demande se présente comme une action récursoire que l'assureur en responsabilité civile d'un détenteur de véhicule automobile a ouverte contre le tiers qu'il tient pour responsable de l'événement dommageable en réparation duquel les lésés, se fondant sur l'
art. 65 al. 1 LCR en relation avec l'
art. 58 al. 1 LCR, l'ont recherché directement. La loi fédérale sur la circulation routière ne prévoit pas un tel recours. Toutefois, selon la jurisprudence et la doctrine, l'
art. 72 LCA s'applique par analogie à l'assurance-responsabilité civile (
ATF 95 II 338 consid. 4 et les arrêts cités; OFTINGER/STARK, Schweizerisches Haftpflichtrecht, II/2, § 26, n. 235; KELLER, Haftpflicht im Privatrecht, II, p. 181; BUSSY/RUSCONI, Code suisse de la circulation routière, n. 2.11 ad
art. 60 LCR; SCHAFFHAUSER/ZELLWEGER, Grundriss des schweizerischen Strassenverkehrsrechts, II, n. 1476; DESCHENAUX/TERCIER, La responsabilité civile, § 37, n. 44). Aux termes du premier alinéa de cette disposition, les prétentions que l'ayant droit peut avoir contre des tiers en raison d'actes illicites passent à l'assureur jusqu'à concurrence de l'indemnité payée. En réalité, la subrogation de l'assureur qui couvre la responsabilité civile du détenteur n'est pas limitée aux seules prétentions contre les auteurs d'actes illicites au sens de l'
art. 41 CO; elle porte sur les mêmes droits que ceux que l'assuré responsable aurait pu faire valoir contre d'éventuels
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coresponsables (arrêt précité, ibid.; auteurs susmentionnés, ibid.). Il faut en conséquence rechercher si la détentrice assurée par la demanderesse aurait pu recourir contre le défendeur - et si oui, dans quelle mesure - au cas où elle aurait dû indemniser elle-même les tiers lésés.
3. a) La responsabilité de l'assurée de la demanderesse est celle que le détenteur encourt en vertu de l'
art. 58 al. 1 LCR lorsqu'une personne est tuée ou blessée ou qu'un dommage matériel est causé par suite de l'emploi d'un véhicule automobile. La demanderesse admet devoir supporter, de ce chef, une part (1/4) du dommage en raison du risque inhérent au véhicule de son assurée.
A l'appui de sa demande, l'assureur soutient que la détentrice aurait pu invoquer la responsabilité du défendeur en sa qualité de propriétaire de la route sur laquelle l'accident s'est produit (
art. 58 CO) et sa responsabilité pour actes illicites, au regard tant de la législation fédérale (
art. 41 CO) que du droit cantonal (art. 4 ss et 19 de la loi valaisanne du 10 mai 1978 sur la responsabilité des collectivités publiques et de leurs agents), en raison des fautes et négligences imputables à ses fonctionnaires. Il a tort. En effet, conformément à l'
art. 59 al. 1 CC, la loi cantonale précitée exclut l'application de l'
art. 41 CO pour une activité de la collectivité publique relevant de sa souveraineté. Quant à l'
art. 58 CO, il apparaît comme une lex specialis par rapport à la réglementation de la responsabilité des fonctionnaires (OFTINGER/STARK, op.cit., II/1, § 19, n. 128 et 151; contra: jugement du Bezirksgericht Pfäffikon, du 17 décembre 1975, reproduit in RSJ 72/1976, p. 176, n. 52, et critiqué par STARK, Ausservertragliches Haftpflichtrecht, Skriptum, 2e éd., n. 427). Or, selon la jurisprudence, cette disposition régit la responsabilité des collectivités de droit public pour les routes ouvertes à la circulation et qui dépendent d'elles, même si ces routes relèvent du domaine public (
ATF 108 II 185 consid. 1a et les arrêts cités). Il suit de là que la responsabilité du défendeur doit être examinée exclusivement au regard de l'
art. 58 CO, dès lors que les manquements reprochés aux fonctionnaires de l'Etat du Valais sont tous en rapport avec le défaut de l'ouvrage allégué.
b) Avant d'examiner, sur le vu des preuves administrées, si la responsabilité du défendeur, en sa qualité de propriétaire de la route du Grand-Saint-Bernard, doit être admise, il convient de répondre à la question suivante: le détenteur d'un véhicule automobile, qui a réparé le dommage causé à un tiers par suite de l'emploi de ce véhicule, parce que sa responsabilité était engagée
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selon l'
art. 58 al. 1 LCR, dispose-t-il d'un droit de recours contre le propriétaire de la route qui tombe sous le coup de l'
art. 58 CO? Une réponse négative à cette question juridique permettrait, en effet, à la Cour de céans de rejeter immédiatement l'action de la demanderesse.
Selon l'art. 60 al. 2, 1re phrase, LCR, le dommage sera réparti compte tenu de toutes les circonstances entre les personnes responsables impliquées dans l'accident. Cette disposition s'applique notamment en cas de concours entre la responsabilité d'un détenteur de véhicule automobile et celle d'un propriétaire d'ouvrage (OFTINGER/STARK, op.cit., II/2, § 25, n. 701). Elle ne règle toutefois pas elle-même la question de l'ordre des recours, qu'elle laisse à l'appréciation du juge (OFTINGER/STARK, op.cit., II/2, § 25, n. 707; SCHAFFHAUSER/ZELLWEGER, op.cit., n. 1471), et ne renvoie pas à l'
art. 51 al. 2 CO qui ne dit rien non plus de la répartition interne du dommage entre ces deux catégories de responsables. Si l'on part de l'idée que les responsabilités causales aggravées ont été instituées dans l'intérêt des lésés et que la rigueur qui y est attachée n'a pas de raison d'être dans les rapports internes (BREHM, n. 134 ad
art. 51 CO), il faut se garder de tout schématisme et résister à la tentation de définir in abstracto des critères de répartition qui imposeraient une rigidité que le législateur n'a pas prévue. Aussi convient-il de s'en tenir au principe énoncé dans l'arrêt non publié du 5 mai 1987, en la cause Michaud et cons. c. Confédération suisse et cons., cité et approuvé par BREHM (ibid.; voir aussi l'
ATF 115 II 28 consid. 3 qui se réfère audit arrêt). Selon ce principe, les causes de responsabilité à prendre en considération dans un cas concret peuvent justifier de faire abstraction, lorsqu'elle est applicable, de la directive de l'
art. 51 al. 2 CO et de répartir les responsabilités en fonction de l'importance que revêtent, par rapport à l'accident qui s'est produit, les facteurs dont répondent les responsables en présence (consid. 6 avec une référence à MERZ, RDS 86/1967, II, p. 184). Une telle solution est en tous points compatible avec l'art. 60 al. 2, 1re phrase, LCR. Conformément à ce principe, le juge doit donc pondérer toutes les circonstances, en particulier les risques et les fautes additionnelles, comme il le fait en cas de collision ou rencontre de responsabilités (
ATF 69 II 159; DESCHENAUX/TERCIER, op.cit., § 36, n. 27; KELLER, op.cit., p. 167; SCHAFFHAUSER/ZELLWEGER, ibid.).
Cela étant, il sied d'examiner si les conditions d'application de l'art. 58 CO sont réalisées à l'égard du défendeur.
4. (Le Tribunal fédéral admet la responsabilité causale du défendeur, en tant que propriétaire d'ouvrage, et répartit le dommage à raison de 1/3 à la charge de l'Etat du Valais et de 2/3 à la charge de la détentrice du véhicule conduit par M. Il reconnaît, dès lors, à la demanderesse le droit au remboursement du 1/3 de la somme qu'elle a versée aux lésés.)
7. b) bb) Le défendeur soutient ensuite que la créance de la demanderesse est prescrite dans la mesure où elle tend au remboursement du montant de 15'000 francs payé à titre d'indemnité pour tort moral. A cet égard, il invoque l'opinion de BUSSY/RUSCONI (op.cit., n. 1.12 ad
art. 60 LCR), selon laquelle la solidarité instituée par l'
art. 60 al. 1 LCR ne l'est que pour le "dommage" par opposition à l'indemnité à titre de réparation morale (voir aussi: BUSSY, FJS 915, p. 10). Comme l'accident s'est produit le 17 août 1977, le premier acte interruptif de la prescription - à savoir la dénonciation du litige à l'Etat du Valais, en date des 8/9 avril 1981, dans le cadre de la procédure conduite devant le Tribunal cantonal valaisan - serait intervenu après l'expiration du délai de prescription.
Aux termes de l'
art. 83 al. 3 LCR, les recours que peuvent exercer entre elles les personnes civilement responsables d'un accident de véhicules automobiles ou de cycles, ainsi que les autres droits de recours prévus par la présente loi, se prescrivent par deux ans à partir du jour où la prestation a été complètement effectuée et le responsable connu. Il s'agit là d'une disposition spéciale qui déroge à la règle jurisprudentielle, selon laquelle l'action récursoire en cas de solidarité imparfaite prend certes naissance quand l'ayant droit paie son dû, mais ne peut plus être exercée si les prétentions concurrentes du lésé contre un codébiteur sont déjà prescrites ou périmées (
ATF 115 II 48 ss consid. 2). Partant, même si un recours n'était possible que dans le cadre de l'
art. 51 CO, conformément à la thèse défendue par BUSSY/RUSCONI (ibid.), la présente action ne serait pas prescrite, car la prestation de la demanderesse n'a été complètement effectuée que dans le courant du mois de juillet 1983. Toutefois, contrairement à l'avis du défendeur, la solidarité parfaite instituée par l'
art. 60 al. 1 LCR n'est pas limitée au dommage matériel. Si plusieurs personnes répondent des conséquences d'un accident dans lequel un véhicule automobile est en cause, le principe de la solidarité vaut aussi relativement au préjudice moral, pour autant que les conditions permettant l'octroi d'une indemnité à titre de réparation de ce préjudice soient réalisées à l'égard de la
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personne qui est actionnée de ce chef (SCHAFFHAUSER/ZELLWEGER, op.cit., n. 1454; OFTINGER/STARK, op.cit., § 25, note de pied n. 1145; KELLER, op.cit., p. 155; BREHM, n. 105 ss ad
art. 47 CO; TERCIER/GAUCH, Le concours de responsabilités, in: Journées du droit de la circulation routière 1986, p. 6; TERCIER, Contribution à l'étude du tort moral et de sa réparation en droit suisse, p. 182). Dans l'article cité, TERCIER/GAUCH relèvent, avec raison, que si l'opinion de BUSSY/RUSCONI pouvait se justifier lorsque la réparation du tort moral était soumise à des conditions différentes, comme c'était le cas sous l'empire de la loi fédérale du 15 mars 1932 sur la circulation des véhicules automobiles et des cycles (LA), elle ne répond plus aux solutions actuelles qui assimilent largement dommage et tort moral. Aussi n'y a-t-il pas lieu de traiter différemment, sous l'angle de la prescription, le dommage matériel et le tort moral. Par conséquent, conformément à l'
art. 136 al. 1 CO, applicable en vertu du renvoi de l'
art. 83 al. 4 LCR, la prescription interrompue contre l'un des débiteurs solidaires, au sens de l'
art. 60 al. 1 LCR, l'est également contre tous les autres, quelle que soit la nature du préjudice invoqué. D'où il suit, en l'espèce, que la prescription a déjà été interrompue contre le défendeur en septembre 1979 par l'introduction du procès civil qui a opposé la veuve et le frère de la victime à M. et à l'assureur de la détentrice du véhicule conduit par ce dernier.