Urteilskopf
130 III 145
20. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour civile dans la cause X. SA contre A. (recours en réforme)
4C.383/2002 du 22 décembre 2003
Regeste
Verbot jeglicher geschlechtsspezifischer Diskriminierung hinsichtlich Entlöhnung und Beförderung im Arbeitsverhältnis (
Art. 8 Abs. 3 BV;
Art. 3 GlG).
Intertemporale Anwendung des Gleichstellungsgesetzes (E. 2).
Aus Art. 12 Abs. 2 GlG abgeleitete Anforderungen an die Feststellung des Sachverhalts. Art und Weise der Bewertung verschiedener Tätigkeiten innerhalb eines Unternehmens (E. 3).
Analyse des in Art. 6 GlG vorgesehenen Mechanismus der Beweiserleichterung (E. 4).
Objektive Gesichtspunkte, die Lohnunterschiede nach dem Gleichstellungsgesetz zu rechtfertigen vermögen (E. 5).
Ermittlung des geschuldeten Lohnes im Sinne von Art. 5 Abs. 1 lit. d GlG (E. 6).
A.a A. (la demanderesse), née le 1
er octobre 1950, licenciée en sciences politiques et en droit, est titulaire du brevet d'avocat genevois depuis 1982. Après avoir pratiqué le barreau dans deux études d'affaires internationales réputées sur la place de Genève, elle a travaillé, du 1
er août 1989 au 28 février 1993, comme avocat-conseil au sein d'un groupe spécialisé dans le négoce de produits agroalimentaires. Ayant perdu son emploi en raison d'une restructuration du groupe, elle s'est retrouvée quelques mois au chômage avant d'être engagée dès le 23 août 1993 par X. SA (ci-après: X. ou la défenderesse) en qualité de juriste/secrétaire générale. X. est une société multinationale comportant de nombreuses filiales à l'étranger, qui a pour but la prise de participations dans des affaires financières, commerciales, industrielles, mobilières et immobilières; à cette époque, l'actionnaire majoritaire de X. était la Banque Z., dont l'actionnaire unique était la société française W. SA.
Jusqu'en 1994, B. était le président de X. C'est ensuite C. qui a pris les rênes de la société; C. était en même temps directeur général adjoint du groupe Banque Z./W., à Paris. En 1995, pour des raisons qui seront explicitées ci-dessous, C. a été contraint de démissionner de la présidence de X.
A. a succédé au sein de la défenderesse à D., né le 9 novembre 1941. B. avait précisé à l'intéressée qu'elle serait d'une aide précieuse pour les opérations de "Trade Finance" (ingénierie
BGE 130 III 145 S. 147
financière d'échanges commerciaux et internationaux), nouveau domaine d'activité de X.
A son entrée en fonction, A. a perçu un salaire mensuel brut de 9'320 fr., qui a été porté à 10'770 fr. brut dès le 1er janvier 1994 versé treize fois, d'où une rémunération annuelle brute de 140'000 fr. pour l'année 1994. Selon son contrat de travail, elle avait droit, "en dérogation à l'article 24 du Règlement général du personnel", à cinq semaines de vacances par année et bénéficiait d'un délai de résiliation de trois mois après le temps d'essai.
Lors de la séance du conseil d'administration de X. du 23 septembre 1993, A. a été nommée secrétaire dudit conseil et sous-directrice. Il est précisé dans le procès-verbal de la séance que, "dans un proche avenir", la prénommée pourra être proposée au rang de directrice-adjointe. Il a été constaté que D. avait été désigné directeur-adjoint de X. à son entrée en fonction, en août 1986.
A partir d'octobre 1994, A. a été membre du conseil d'administration de sept sociétés, filiales du groupe X. Elle a résilié l'ensemble de ses mandats en décembre 1995 en raison des risques qu'ils comportaient, sans aucun préjudice pour son salaire.
A.b A. occupait un poste à responsabilité au sein de la défenderesse. Elle conseillait la direction générale et contribuait à l'élaboration de décisions concernant la politique générale de X. en émettant des suggestions. Son poste était comparable à celui occupé par son prédécesseur D., même si, selon B., elle n'était pas aussi proche de la direction générale et n'avait pas autant d'influence que D. Le président B. a toutefois admis qu'il ignorait la nature des responsabilités que C., devenu président de la société, avait confiées à A. Cette dernière coordonnait encore les opérations juridiques du groupe, engageait et suivait les procédures judiciaires et arbitrales avec l'aide des mandataires extérieurs, assistait les responsables de X. en matière de "Trade Finance" et rédigeait des contrats, notamment ceux relatifs aux acquisitions de sociétés.
A la fin 1994, X. est entrée dans une zone de turbulences. C. a en effet incité X. à acquérir la société U., ex-filiale de la Banque Z. Dans le cadre de cette opération, C. a accordé des prêts par 15 millions de francs suisses à W. SA et des dépôts par 10 millions des mêmes francs à la Banque Z., alors que ces deux sociétés étaient en difficulté financière. Il en est résulté une grave crise structurelle au sein de la défenderesse, dont l'existence même a été mise en péril,
BGE 130 III 145 S. 148
car les deux sociétés dont elle était créancière étaient tombées en redressement judiciaire et ne pouvaient pas honorer leurs dettes. Cette situation a conduit C. à présenter sa démission en 1995.
A. a alors été chargée d'organiser et de suivre toutes les procédures destinées au recouvrement des avances consenties à W. SA et à la Banque Z. Elle a ainsi dirigé, tant en Suisse qu'en France, les procédures de séquestre, les actions en contestation de revendication y relatives, les procédures en reconnaissance de jugements étrangers, les recours au Tribunal fédéral et a participé à des procédures arbitrales, tout en suivant, avec l'appui de conseils français, les procédures françaises de redressement judiciaire et les questions de droit international privé qui se posaient.
Les qualités professionnelles de la demanderesse, en particulier sa diligence, son professionnalisme et son sens aigu du droit, ont été reconnues. L'un des avocats français mandatés par X. a relevé que A. avait joué un rôle essentiel dans le succès des procédures engagées.
A.c.a Ce contexte a péjoré les relations déjà difficiles qu'entretenait A. avec C. Des différends sont apparus à propos de la prise de vacances et de rattrapage d'heures supplémentaires. Il a en outre été reproché à l'avocate, qui avait conservé son domicile à Genève et se déplaçait en train, d'être moins présente sur son lieu de travail que les autres membres de la direction.
De plus, dès l'automne 1994, A. s'est trouvée à maintes reprises en désaccord avec le président C., parce qu'elle s'efforçait de sauvegarder les intérêts propres de X.
A.c.b Le 3 octobre 1995, A. a écrit la lettre suivante à C.:
"
BGE 130 III 145 S. 149
(...) lors d'un entretien que nous avons eu le 2 décembre 1994, je vous avais demandé d'adapter mes conditions salariales à celles pratiquées dans la Société à Lausanne pour des personnes portant des responsabilités équivalentes. En guise de réponse, vous avez accepté d'augmenter mon salaire de FS 10'000 par an dès janvier 1995, ce qui - après 16 mois de service - faisait passer mes revenus de FS 140'000 à FS 150'000 par an, tandis que mes frais de déplacement (FS 3'500 par an) n'étaient pas pris en charge:
(...)
A l'appui de ma requête, je vous avais indiqué que je venais d'apprendre que mon prédécesseur, M. D., percevait un salaire supérieur au mien de FS 52'000 par an ...
(...)
Je demande donc une augmentation de salaire avec effet rétroactif au 1er juillet, équivalant à un montant total de 208'000 francs par an. Cette somme correspond en effet tant aux salaires pratiqués à l'intérieur de la Société qu'à ceux pratiqués sur le marché des banques et sociétés financières pour un avocat ayant eu dix ans de pratique de barreau dans deux études internationales prestigieuses et maîtrisant parfaitement trois langues étrangères (...)".
X., sous la plume de C., a nié vertement les accusations de discrimination proférées à l'encontre de la société. A. n'a finalement obtenu pour l'année 1996 qu'une augmentation de salaire de 3 % - ce qui lui donnait un traitement annuel brut de 154'500 fr. - et l'extension à six mois de son délai de congé.
Il a été retenu que le salaire de tous les cadres supérieurs masculins des services administratifs du groupe étaient supérieurs à celui de la demanderesse et que, hormis D., tous les cadres de la défenderesse avaient reçu entre 1993 et 1995 des bonus annuels qui s'ajoutaient au salaire nominal. En 1996, seuls certains d'entre eux ont bénéficié de cet avantage.
En ce qui la concerne, A. n'a reçu un bonus qu'en 1995, lequel se montait à 7'000 fr.
A.d En 1996, le groupe V., devenu détenteur majoritaire du capital de X., a décidé de modifier, dès le 1
er janvier 1997, l'organigramme de la société et de mettre en place un certain nombre de personnes issues de son organisation. Des employés ont été congédiés.
Par lettre du 5 février 1997, A. a été licenciée pour le 31 août 1997; libérée immédiatement de son obligation de travailler, il lui a été toutefois demandé de rester disponible pour répondre à des demandes d'informations relatives aux dossiers dont elle avait la charge.
Pour remplacer la demanderesse, X. a engagé en 1997 E., né en 1960, en lui octroyant une rémunération égale à celle qu'avait atteinte l'intéressée en fin de contrat.
A.e S'agissant de la formation et/ou de l'expérience professionnelle acquises, de la date de l'engagement, des responsabilités exercées et des différentes rémunérations versées aux cadres de X., il a été constaté ce qui suit:
BGE 130 III 145 S. 150
- D. (précédent juriste/secrétaire général de X.) est titulaire d'une double licence en droit et en HEC. Avant d'être engagé par X. le 1er juillet 1986, il avait travaillé dix ans dans les milieux diplomatiques affectés aux questions économiques; de 1983 à 1986, il avait ainsi été chef du Service économique et financier du Département fédéral des affaires étrangères, avec titre de ministre. En 1986, le salaire annuel brut de base de D. se montait à 130'000 fr. En 1992, il a touché 191'600 fr. 50 (13 x 14'738 fr. 50). Du 1er janvier au 3 septembre 1993, il a encaissé un revenu brut de 134'000 fr., ce qui correspondait à un salaire annuel de 199'264 fr.;
- H., diplômé en "Public Accountancy" d'une université de Montréal (Canada), est entré en juin 1984 comme contrôleur au service de la défenderesse, dont il a été nommé directeur du département "Administration et Finance" du groupe le 27 mars 1985. H. a été licencié à fin 1995 parce qu'il désapprouvait l'acquisition de U. Engagé avec un salaire annuel initial de 130'000 fr., il a touché, en 1994, 287'610 fr. brut, bonus compris. En 1995, H. a encaissé 243'880 fr.; s'il n'a pas reçu de bonus, une indemnité de départ de 250'000 fr. lui a été allouée;
- I., "Certified Public Accountant" en Californie, est entré au service de la défenderesse en automne 1987 en qualité de chef de l'administration de Lausanne avec le titre de sous-directeur. Son salaire annuel brut, arrêté initialement à 130'000 fr., a passé, bonus compris, à 187'000 fr. en 1993, 192'350 fr. en 1994 et 232'500 fr. en 1995; hors supplément, son salaire, cette dernière année, était de 195'000 fr. I. a démissionné de son poste auprès de X. avec effet au 31 mai 1996;
- J., né en 1965, a débuté son activité chez X. en 1997 comme "Assistant finances". Il ne possède apparemment pas de diplôme universitaire. Son salaire annuel brut initial a été fixé à plus de 130'000 fr. J. a repris les attribution habituelles de I.;
- L., née en 1968, dont la formation n'a pas fait l'objet de constatations, est entrée au service de X. en 1996, après le départ de H., pour prendre la tête du département "Administration". Son salaire initial brut ascendait à 127'500 fr. En 1997, son salaire a dépassé 170'000 fr. par an;
- F., dont on ignore la formation, a été engagé par la défenderesse en 1968. En 1981, il a été nommé chef des services administratifs, qui englobent le service du personnel, l'économat et les fondations
BGE 130 III 145 S. 151
de prévoyance, puis directeur-adjoint en 1984. Ses certificats de salaire 1995 et 1996 indiquent un montant brut annuel de respectivement 197'779 fr. et 204'153 fr. Le salaire de F. a diminué en 1997, sans qu'il ait été possible de déterminer en valeur la baisse qui est intervenue;
- G., qui avait travaillé 13 ans pour une société informatique française, dont 10 ans comme responsable du secteur Banque, à Paris, est entré au service de X. en juin 1981 en qualité de chef du service informatique avec un salaire initial de 130'000 fr. En 1995, sa rémunération annuelle s'est élevée au moins à 249'000 fr., à laquelle s'est ajouté un bonus de 11'000 fr. Celle-ci a subi en 1996 une correction à la baisse de quelques milliers de francs du fait de la diminution du bonus; il en a été de même pour l'année 1997;
- M. a été engagé le 1er octobre 1989 comme adjoint du chef comptable. Diplômé de "cours intercadres Vaud", son salaire annuel initial de 91'000 fr. a atteint 120'900 fr. en 1995;
- N., ingénieur EPFL, qui est entré, à temps partiel, au service de X. le 1er novembre 1983 en tant que chef adjoint du service EDP pour un salaire annuel de 72'000 fr., a vu sa rémunération atteindre 126'100 fr. en 1995 pour le même taux réduit d'activité;
- O., qui possède un diplôme algérien d'ingénieur analyste en informatique et un certificat de 3e cycle en informatique de l'EPFL, a commencé son activité d'analyste-programmeur auprès de la défenderesse le 1er février 1985. Son salaire, arrêté initialement à 84'500 fr. par an, s'est monté à 150'150 fr., bonus en sus, pour l'année 1995.
B.a Faisant valoir qu'elle a été victime chez X. de discriminations salariales en comparaison des cadres masculins de ladite société, A. a ouvert action contre celle-ci, par demande du 22 mai 1996, devant la Cour civile du Tribunal cantonal vaudois. Elle a conclu à ce que (I) la défenderesse lui doive paiement de 282'750 fr., plus intérêts à 5 % dès le 30 avril 1995, date moyenne, et (II) à ce qu'il soit dit que le salaire annuel dû par X., dès et y compris le 1
er janvier 1997, est fixé à 250'000 fr.
B.b En cours de procès, une expertise a été confiée à P., du T. SA, qui a déposé son rapport le 29 mai 1998. L'expert a relevé qu'il n'existait certes pas d'organigramme officiel de la défenderesse, mais qu'il a été possible d'établir l'organisation de X. sur la base
BGE 130 III 145 S. 152
des indications du chef du personnel F. Ainsi, le poste "Juridique et Fiscal" est une fonction centrale de support directement rattachée au président de la société. S'agissant plus particulièrement de la position de la demanderesse par rapport aux personnes qui ont occupé son poste, l'expert souligne que tant son prédécesseur D. que son successeur E. avaient travaillé étroitement avec le président et participé aux décisions stratégiques du groupe, alors que A., qui s'entendait mal avec le président C., n'a pas été intégrée dans les principaux processus décisionnels. Il en déduit que la fonction de A. a été "plutôt inférieure ou au mieux égale à celle de (D.), et certainement inférieure à celle de son successeur".
Selon les différents organigrammes dressés par cet expert, le poste "Juridique et Fiscal" est placé hiérarchiquement à un niveau plus élevé que les postes "Assistant finances" qu'ont occupés successivement I. et J., "Service comptable" de M., "Chef de projet" de O. et "Chef adjoint EDP" de N.
Soulignant que la défenderesse n'a pas de politique salariale explicitement formulée, l'expert P., après avoir déclaré que les rémunérations servies par X. en 1997 correspondaient à celles de la branche en Suisse, a fait état de deux facteurs qui influaient sur leurs montants entre 1992 et 1997. D'une part, chaque nouveau titulaire dans une fonction supérieure a débuté pendant cette période avec une rémunération relativement basse, mais a vu celle-ci progresser ensuite sensiblement dès que l'intéressé avait fait ses preuves. D'autre part, durant la même période, X. a de manière générale corrigé à la baisse les salaires des personnes en place, qui correspondaient aux années de haute conjoncture des années 1980.
Passant à l'appréciation du traitement de A., l'expert a concédé que la demanderesse était nettement moins payée que son prédécesseur, mais que cela était logique au vu de la politique de rémunération alors adoptée par X. Le salaire de la demanderesse se situait dans la fourchette correspondant au marché lausannois, bien qu'il soit en dessous de la ligne de tendance de la branche. Pour l'expert, le brevet d'avocat n'était pas un élément déterminant pour le poste de la demanderesse, au contraire de l'expérience diplomatique de D. qui, elle, était "un atout important". Pour finir, il estime que A. aurait pu prétendre à 10'000 fr. ou 15'000 fr. de plus par année en période plus favorable, mais que cette différence "provient du contexte et non d'une discrimination".
BGE 130 III 145 S. 153
B.c Une seconde expertise a été confiée à Q., Professeur à l'Université de Genève, qui a déposé son rapport le 17 juin 1999 et un rapport complémentaire le 11 février 2000. L'expert s'est proposé, dans un premier temps, pour mettre en évidence la politique salariale appliquée par la défenderesse, de comparer le comportement de X. à l'égard de son personnel féminin avec la pratique prévalant dans le marché genevois et vaudois de la finance. Partant des données de l'année 1993, l'expert a pris en compte dans son analyse diverses variables rattachées à des coefficients, soit le capital humain compris comme la dotation du travailleur qui accroît sa productivité (niveau d'éducation, expérience sur le marché du travail, niveau d'ancienneté), le sexe, l'état civil, la taille de l'entreprise, la position hiérarchique, le niveau de formation requis pour le poste. Sur cette base, il a établi une équation des salaires mensuels bruts octroyés aux personnes oeuvrant dans le secteur considéré, ce qui lui a permis de constater que A. aurait pu prétendre, sur ce marché, à une rémunération annuelle de 180'756 fr. pour sa première année de service. Ajoutant une prime de 1.6 % par année de travail supplémentaire découlant du coefficient associé à la variable "expérience", il a arrêté le préjudice salarial minimum subi par la demanderesse pour toute la durée de son activité à 163'492 fr.
Afin de vérifier la pertinence de son analyse et de l'équation salariale utilisée, l'expert a appliqué cette méthode pour le calcul du salaire d'autres collaborateurs et déterminé que D., s'il était resté au service de X., aurait dû toucher 194'531 fr. en 1993, 197'643 fr. en 1994, 200'806 fr. en 1995 et 204'019 fr. en 1996; quant à I. et H., ils auraient dû en 1993 respectivement percevoir 172'106 fr. et 257'801 fr. L'expert en a déduit que la preuve était faite que la méthode qu'il préconise est un outil précis et performant pour l'évaluation des salaires auxquels peuvent aspirer les employés de X.
A la suite de la crise traversée par la défenderesse en 1994, le brevet d'avocat, qui n'était pas nécessaire au départ à l'exercice des fonctions de la demanderesse, est devenu apparemment indispensable, ce qui aurait dû donner lieu à une revalorisation du traitement de A. les deux années suivantes. L'expert, intégrant cette donnée, a admis que le préjudice salarial de la demanderesse doit être augmenté de 10'798 fr. pour 1995 et de 10'971 fr. pour 1996.
En se fondant sur les résultats fournis par l'enquête biennale réalisée par l'Office fédéral de la statistique et en les affinant pour
BGE 130 III 145 S. 154
prendre en compte les réalités du marché vaudois, l'expert Q. a calculé que les rémunérations annuelles de A. et de D. devaient se monter en 1993 à 189'645 fr. pour la première et à 203'436 fr. pour le second. Pour l'expert, ces résultats confirment l'existence du comportement discriminatoire de la défenderesse à l'encontre de la demanderesse.
L'expert Q. a procédé à une seconde analyse pour déterminer les salaires des cadres de la défenderesse. Se basant cette fois-ci sur les données internes afférentes aux années 1994 à 1997 que X. lui avait communiquées, il a estimé l'équation des salaires annuels bruts d'abord pour l'ensemble du personnel de la recourante, puis pour son seul personnel administratif.
Dans le premiers cas (95 observations), l'expert a arrêté le salaire non discriminatoire dû à A. en 1993 au montant de 200'787 fr. Mais comme le salaire de D., calculé sur cette même base, ascendrait à 211'204 fr., il a considéré que l'estimation devait être réduite de 6 % pour mieux cerner la réalité. Après corrections, il a ainsi fixé le préjudice salarial de la demanderesse de 1993 à 1997 au montant total de 193'259 fr.
Dans le second cas (personnel administratif seul, 45 observations), l'expert a calculé que le salaire non discriminatoire de la demanderesse s'élèverait à 195'243 fr. en 1993. Selon la même méthode, le salaire de I. se monterait à 181'175 fr. et celui de H. à 244'575 fr. Après prise en considération de la même correction à la baisse que ci-dessus, A., à suivre l'expert, aurait subi pour les années 1993 à 1997 un dommage salarial de 171'426 fr. La différence par rapport au résultat précédent proviendrait du fait que l'expérience accumulée est plus valorisée pour l'ensemble du personnel (+ 3.6 %) que pour les seuls employés administratifs (+ 3.3 %).
L'expert a encore expliqué que les différences relevées entre les deux sortes d'analyses effectuées (sur la base de données externes pour l'une, de données internes pour l'autre) seraient dues au fait que l'augmentation annuelle des salaires accordée par X. est plus élevée que celle qui résulte des données externes.
Et l'expert Q. de conclure que, dans tous les cas de figure envisagés, le personnel féminin de X. serait discriminé au plan salarial; et d'ajouter que "les femmes obtiennent un salaire inférieur de 21.3 % à celui des hommes si l'on considère l'ensemble du personnel de la défenderesse et de 21.5 % s'agissant du seul personnel administratif".
BGE 130 III 145 S. 155
B.d Il résulte du préavis du 12 septembre 2001 rendu par le Bureau de l'égalité entre les femmes et les hommes de l'Etat de Vaud que le niveau d'un poste doit être examiné au regard des tâches concrètes effectuées plutôt qu'en fonction du titre attribué à l'engagement. Selon le Bureau de l'égalité, la dénomination du poste de la demanderesse ne correspondait pas aux responsabilités effectives qu'elle assumait. Ledit Bureau a dénoncé la faiblesse méthodologique de l'expertise réalisée par P., qui ne reposerait sur aucune base scientifique reconnue pour une analyse de salaires, et a préconisé de suivre les conclusions de l'expert Q., lesquelles sont solidement étayées par des arguments économétriques neutres.
B.e Par jugement du 22 novembre 2001, la Cour civile du Tribunal cantonal vaudois a condamné la défenderesse à payer à la demanderesse la somme de 212'716 fr. avec intérêts à 5 % l'an dès le 30 avril 1995, sous déduction des charges sociales usuelles (I) et dit que le salaire annuel non discriminatoire de la demanderesse depuis le 1
er janvier 1997 est fixé à 199'814 fr. 50, bonus annuel par 7'000 fr. compris (II).
Admettant que la réclamation de la demanderesse trouvait son fondement dans la loi fédérale du 24 mars 1995 sur l'égalité entre femmes et hommes (loi sur l'égalité, LEg; RS 151.1), entrée en vigueur le 1er juillet 1996, la cour cantonale, eu égard à l'allégement du fardeau de la preuve ancré à l'art. 6 LEg, a préliminairement examiné si, sur la base des expertises judiciaires et des autres éléments du dossier, A. avait rendu vraisemblable l'existence d'une discrimination liée au sexe sur chacun des points qu'elle avait allégués.
S'agissant tout d'abord du salaire fixe, l'autorité cantonale a retenu, en accord avec les deux experts, que le principe d'une comparaison avec D. était justifié, étant donné qu'il est établi que le prédécesseur de la demanderesse, à l'instar de celle-ci, n'avait pas de pouvoir décisionnel chez X. Compte tenu que la rémunération de D. était nettement plus élevée que celle de la demanderesse, la cour cantonale a jugé que la vraisemblance d'une discrimination sexiste était largement acquise. A cela s'ajoutait que d'autres collaborateurs masculins de X., qui, selon les organigrammes réalisés par l'expert P., avaient des responsabilités inférieures à A., étaient mieux payés que celle-ci. La Cour civile a considéré que ces constatations valaient mutatis mutandis pour la question du bonus, auquel tous les cadres de la défenderesse, à l'exception de D. (qui a
BGE 130 III 145 S. 156
quitté X. à fin 1993), avaient eu droit entre 1993 et 1995, alors que la demanderesse n'avait obtenu cet avantage qu'en 1995, et encore après avoir élevé des réclamations. Enfin, la non-nomination de la demanderesse au poste de directrice-adjointe rendait également vraisemblable une discrimination sur ce point.
La cour cantonale s'est ensuite attachée à vérifier si, sur chacun des trois points où une discrimination avait été rendue vraisemblable, des motifs objectifs pouvaient justifier une différence de traitement. A propos du salaire fixe, l'autorité cantonale a considéré primo que la politique salariale de la défenderesse évoquée par l'expert P. - soit le fait d'engager les nouveaux employés à des salaires relativement bas en leur octroyant au fil du temps des augmentations rapides - n'avait pas été démontrée, dès l'instant où il n'est "pas possible de déterminer si les collaborateurs de la même division occupent effectivement des postes équivalents à ceux qu'ils sont censés remplacer" et que la politique des salaires en question ne valait, semble-t-il, que pour A. Secundo, la politique de correction générale, à la baisse, des salaires hérités des années 1980, qui aurait été appliquée par X. à partir de 1992 ainsi que l'a retenu l'expert P., n'aurait pas été établie par les données de l'expertise; de toute manière, cette politique de correction, entreprise en réalité seulement depuis 1996, n'expliquait pas la discrimination dont la demanderesse a été la victime dès son engagement en 1993. Tertio, en ce qui concernait la différence de fonctions par rapport au prédécesseur de la demanderesse, relevée par l'expert P., elle avait été plus que compensée par les lourdes responsabilités assumées par A. lors des difficultés traversées par la défenderesse. Quarto, les juges cantonaux ont admis qu'aucun des autres motifs objectifs invoqués en vrac par X. dans son mémoire de droit - soit le droit de l'avocate à un surplus de vacances, l'octroi d'un délai de résiliation plus long du contrat, la non-répercussion de diminutions salariales et une présence moindre sur le lieu de travail - n'avait été prouvé. Au sujet du bonus, la défenderesse n'a allégué aucun élément objectif expliquant la discrimination subie à cet égard par A. L'autorité cantonale a enfin retenu qu'il en allait de même pour la non-promotion de la demanderesse.
Passant à l'étude du préjudice salarial subi par A., la Cour civile a retenu la méthode de calcul de l'expert Q., fondée sur les données internes de la défenderesse et centrée sur le personnel administratif auquel l'intéressée avait appartenu. Il convenait toutefois de
BGE 130 III 145 S. 157
corriger les chiffres de l'expert en valorisant le salaire de chacune des années 1995 et 1996 du montant de 10'000 fr. - calculé par l'expert - pour tenir compte que ces années-là le brevet d'avocat de la demanderesse s'était révélé un atout indispensable. La prise en compte de cet élément permettait du reste d'indemniser ex aequo et bono la discrimination liée à la non-nomination de A. au poste de directrice-adjointe. Enfin, il y avait lieu d'ajouter un bonus de 7'000 fr. pour chaque année d'activité - sauf pour 1995 où la demanderesse en a bénéficié -, calculé prorata temporis en 1993 et 1997.
En résumé, les magistrats vaudois ont jugé que A. avait droit aux salaires suivants:
"Années différence entre Bonus Brevet Total d'activité salaire dû et d'avocat salaire perçu
____________________________________________________
1993 24'072.- 2'624.-* 26'696.-
1994 46'584.- 7'000.- 53'584.-
1995 38'824.- 10'000.- 48'824.-
1996 36'403.- 7'000.- 10'000.- 53'403.-
1997 25'543.- 4'666.-* 30'209.-
________
Total 212'716.-
calculé au prorata".
C. La défenderesse exerce un recours en réforme au Tribunal fédéral contre le jugement précité. Elle conclut, principalement, à ce que les chiffres I et II de cette décision soient réformés en ce sens que la défenderesse n'est pas la débitrice de la demanderesse de la somme de 212'716 fr. avec intérêts à 5 % l'an dès le 30 avril 1995, sous déduction des charges sociales usuelles, et en ce sens que le salaire annuel de la demanderesse depuis le 1
er janvier 1997 n'est pas fixé à 199'814 fr. 50, bonus annuel par 7'000 fr. compris.
Le Tribunal fédéral a rejeté le recours.
Extrait des considérants:
2. La loi sur l'égalité est entrée en vigueur le 1
er juillet 1996. Selon l'art. 17 de cette loi fédérale, l'exercice d'une prétention en paiement du salaire dû (
art. 5 al. 1 let. d LEg) est régi par le nouveau droit
BGE 130 III 145 S. 158
lorsque l'action de droit civil a été introduite après son entrée en vigueur, ou lorsqu'au moment de l'entrée en vigueur, l'autorité compétente de première instance n'a pas encore rendu sa décision.
En l'espèce, la demande a été déposée le 22 mai 1996, peu avant l'entrée en force de la loi sur l'égalité. Toutefois, la Cour civile s'est prononcée en première instance par jugement du 22 novembre 2001, de sorte que la LEg est applicable au présent différend (arrêt 4C.432/1999 du 19 janvier 2001, consid. 2 non publié à l'
ATF 127 III 207).
3. A l'appui de son premier moyen, la recourante se prévaut d'une violation des
art. 3 LEg et 343 al. 4 CO auquel renvoie l'
art. 12 al. 2 LEg. Elle fait valoir que la méthode dite interne utilisée par l'expert Q. ne répondrait pas aux exigences posées par la loi sur l'égalité et par la jurisprudence. Elle souligne longuement les nombreux défauts qui affecteraient cette expertise. Critiquant les résultats auxquels est parvenu l'expert Q., la défenderesse prétend que les juges cantonaux auraient dû apprécier les éléments qu'il a utilisés dans son équation salariale ainsi que les coefficients qu'il a appliqués. Elle ajoute qu'étant donné que le poste occupé par l'intimée était unique au sein de X., il aurait dû être évalué par expertise.
La défenderesse reproche encore à la Cour civile de n'avoir pas reproduit la formule de l'équation salariale utilisée par l'expert précité et d'avoir considéré qu'était fiable l'analyse effectuée par ce dernier. A suivre la recourante, l'application de la LEg devrait être quelque peu adoucie lorsque la travailleuse, qui se plaint de discrimination salariale liée au sexe, a le profil professionnel de la demanderesse, car une telle personne peut se défendre et négocier sa rétribution.
3.1.1 Le Tribunal fédéral a jugé, dans la cause connexe 4P.205/2003, que la cour cantonale avait pu se rallier sans arbitraire au résultat de l'expertise effectuée par Q., car celle-ci était absolument exempte des nombreux défauts que lui prêtait la recourante. Ce point est désormais acquis.
3.1.2 En matière d'égalité salariale entre femmes et hommes, le Tribunal fédéral a posé des exigences élevées en particulier quant à la constatation des faits, la procédure probatoire et le devoir d'examen du juge (
ATF 126 III 395 consid. 1a et les arrêts cités; sur l'ensemble de la question, cf. KATHRIN KLETT, Richterliche
BGE 130 III 145 S. 159
Prüfungs pflicht und Beweiserleichterung, AJP 2001 p. 1293 ss). En instance de réforme, le Tribunal fédéral vérifie librement si les critères par lesquels l'employeur fixe les salaires sont constitutifs d'une discrimination directe ou indirecte fondée sur le sexe. Il peut également contrôler si l'autorité cantonale a respecté les exigences spécifiques découlant du droit fédéral concernant la constatation des faits ainsi que les dispositions fédérales en matière de preuve, singulièrement celles prévues aux
art. 6 et 12 LEg (
ATF 127 III 207 consid. 3c in fine;
ATF 125 III 368 consid. 3 p. 372). Si le principe inquisitoire ancré à l'
art. 12 al. 2 LEg, par renvoi à l'
art. 343 al. 4 CO, prévoit notamment que le tribunal apprécie librement les preuves - ce qui interdit au juge cantonal de retenir des faits contre sa conviction ou de se considérer lié par des règles de procédure cantonale qui attribuent une force probante spéciale à certains moyens de preuve (système des preuves légales) -, cette disposition n'autorise pas la remise en cause en instance fédérale de réforme des constatations de fait de l'autorité cantonale (
ATF 125 III 368 consid. 3).
Le principe de l'égalité salariale entre l'homme et la femme garanti par l'
art. 8 al. 3 Cst. repose sur la notion de travail de valeur égale. Si l'équivalence entre les fonctions dans une entreprise n'est pas patente (arrêt 1A.34/1999 du 5 octobre 1999, consid. 4b in fine, publié in Pra 89/2000 n° 57 p. 333) ou si elle n'est pas établie autrement, c'est à l'expert qu'il revient de dire si lesdites fonctions peuvent se comparer les unes aux autres et de déterminer les critères qui entrent alors en ligne de compte. L'expert doit aussi définir les caractéristiques propres des activités prises isolément et comparées entre elles (
ATF 125 III 368 consid. 5c; MARGRITH BIGLER-EGGENBERGER, Et si la Justice ôtait son bandeau?, La jurisprudence du Tribunal fédéral sur l'égalité entre femmes et hommes, n. 651 et 652 p. 339/340).
La détermination de la valeur comparative des activités différentes doit se faire auprès d'un seul et même employeur, car il ne saurait être question, sauf circonstances spéciales, de procéder à des comparaisons entre plusieurs entreprises, communes ou cantons, qui ont des systèmes de rémunération totalement indépendants les uns des autres (ELISABETH FREIVOGEL, Commentaire de la loi sur l'égalité, n. 104 et 105 ad art. 3 LEg; cf. également KATHRIN KLETT, op. cit., ch. 2 p. 1296).
3.2 En l'occurrence, le Professeur Q., dans sa seconde analyse, a estimé l'équation salariale régissant les salaires chez la recourante
BGE 130 III 145 S. 160
à partir des données internes que celle-ci lui avait fournies. Du moment que les magistrats de la Cour civile n'avaient pas de compétences spéciales en sciences du travail et en économétrie, ils n'avaient évidemment pas à discuter les variables et les coefficients que l'expert a intégrés dans sa formule. On ne voit donc pas en quoi, à considérer les principes susrappelés, la méthode d'évaluation en cause, effectuée par un professeur spécialiste en la matière et fondée sur des éléments intrinsèques à la défenderesse elle-même, ne serait pas conforme au droit fédéral.
A propos de l'évaluation comparative de la fonction occupée par l'intimée au sein de la recourante, il a été établi, par d'autres modes de preuve que l'expertise, que le poste de la première était comparable à celui occupé par son prédécesseur D. Que l'expert P. ait formulé un avis divergent - du reste contredit par le Bureau cantonal de l'égalité - n'y change rien. Cette constatation relève en effet de l'appréciation des preuves, de sorte qu'il est exclu de la revoir en instance de réforme.
La critique dirigée contre le fait que la cour cantonale n'a pas mentionné dans son jugement l'équation salariale posée par l'expert a trait à l'obligation du juge de motiver sa décision, déduite de l'art. 29 al. 2 Cst. La voie spéciale qui permettait d'invoquer ce grief était le recours de droit public - voie que la recourante a d'ailleurs suivie, sans succès - à l'exclusion du recours en réforme (art. 43 al. 1 2e phrase OJ).
La question de la fiabilité de l'expertise Q. concerne l'appréciation des preuves. Le grief à ce propos est donc irrecevable dans la présente instance (
ATF 127 III 543 consid. 2c).
Enfin, il n'est pas inutile de rappeler à la recourante que l'interdiction de discriminer est absolue (
ATF 127 III 207 consid. 4b; RÉMY WYLER, Le droit du travail, p. 536), ce qui signifie notamment qu'elle vaut dans tous les domaines de la vie professionnelle (CLAUDIA KAUFMANN, Commentaire de la loi sur l'égalité, n. 12 ad
art. 1 LEg). Une avocate salariée peut donc invoquer la protection de la loi sur l'égalité, à l'instar de n'importe quel travailleur ou travailleuse.
4.1 Selon la recourante, l'autorité cantonale a enfreint l'
art. 6 LEg pour avoir retenu, en procédant à une comparaison avec la rémunération versée à D., que la demanderesse avait rendu
BGE 130 III 145 S. 161
vraisem blable l'existence d'une discrimination de nature sexiste concernant le salaire fixe qu'elle avait touché de 1993 à 1997. La défenderesse soutient que, contrairement à ce qu'a retenu la Cour civile, des collaborateurs de X., qui avaient des responsabilités inférieures à celles de l'intimée, n'étaient pas mieux payés que cette dernière. La recourante se réfère à la rémunération des collaborateurs N., J., O. et M.
Pour ce qui est des bonus, dont l'autorité cantonale a jugé que la vraisemblance d'une discrimination dans son allocation a été établie par l'intimée, la recourante prétend qu'il fallait confronter la situation de la demanderesse avec le seul D., mais pas avec d'autres cadres de X. Comme D., qui a servi de référence pour le salaire fixe, n'a jamais perçu de bonus au cours de son activité pour la défenderesse, aucune vraisemblance d'une discrimination à l'endroit de la demanderesse n'aurait été prouvée sur ce point.
4.2 L'
art. 6 LEg, sous l'intitulé "Allégement du fardeau de la preuve", a la teneur suivante:
"L'existence d'une discrimination est présumée pour autant que la personne qui s'en prévaut la rende vraisemblable; la présente disposition s'applique à l'attribution des tâches, à l'aménagement des conditions de travail, à la rémunération, à la formation et au perfectionnement professionnels, à la promotion et à la résiliation des rapports de travail".
Cette disposition, qui est une règle spéciale par rapport au principe général de l'
art. 8 CC selon lequel il incombe à la partie qui déduit un droit de certains faits d'en apporter la preuve, institue un assouplissement du fardeau de la preuve d'une discrimination à raison du sexe, en ce sens qu'il suffit à la partie demanderesse de rendre vraisemblable l'existence d'une telle discrimination (
ATF 127 III 207 consid. 3b). La règle de l'
art. 6 LEg tend à corriger l'inégalité de fait résultant de la concentration des moyens de preuve en mains de l'employeur. En effet, la maxime inquisitoire ne déploie aucun effet si ce dernier omet de proposer des moyens de preuve, dont ni le juge ni l'employé ne soupçonne l'existence. En revanche, si l'employeur supporte le fardeau de la preuve et donc le risque de perdre le procès au cas où il ne prouve pas l'absence de discrimination, il sera dans son intérêt d'informer complètement le juge et de lui fournir toutes pièces utiles (SABINE STEIGER-SACKMANN, Commentaire de la loi sur l'égalité, n. 28 et 42 ad
art. 6 LEg).
Pour éviter que des actions ne soient introduites à la légère, il est exigé, avant que le fardeau de la preuve soit mis à la charge de
BGE 130 III 145 S. 162
l'employeur, que la personne qui invoque la LEg apporte des indices qui rendent vraisemblable l'existence d'une discrimination. Le juge n'a pas à être convaincu du bien-fondé des arguments du travailleur; il doit simplement disposer d'indices objectifs suffisants pour que les faits allégués présentent une certaine vraisemblance, sans devoir exclure qu'il puisse en aller différemment (KATHRIN KLETT, op. cit., ch. 4 p. 1297; SABINE STEIGER-SACKMANN, op. cit., n. 49 et 54 ad
art. 6 LEg).
Une discrimination de nature sexiste peut résulter dans la fixation du salaire d'une personne déterminée lorsqu'il est comparé à celui d'autres personnes du sexe opposé ayant une position semblable dans l'entreprise (
ATF 127 III 207 consid. 3b et 3c;
ATF 125 III 368 consid. 3 p. 371). Le Tribunal fédéral a ainsi considéré qu'une discrimination salariale était vraisemblable dans le cas d'une travailleuse dont le salaire était d'environ 15 % à 25 % inférieur à celui d'un collègue masculin qui accomplissait le même travail (
ATF 126 III 395 consid. 3a;
ATF 125 III 368 consid. 4 p. 373). Et si une femme, qui présente des qualifications équivalentes à son prédécesseur de sexe masculin, est engagée à un salaire moins élevé que lui, il est vraisemblable que cette différence de traitement constitue une discrimination à raison du sexe, prohibée par l'
art. 3 LEg (MONIQUE COSSALI SAUVAIN, Egalité entre femmes et hommes I, FJS n° 544 ch. 5/II p. 8).
4.3.1 Dans le cas présent, il a été retenu définitivement que la demanderesse, en qualité de juriste/secrétaire générale de la défenderesse, occupait un poste à responsabilité au sein de cette société, lequel était comparable à celui occupé par son prédécesseur D. Si l'on considère que l'intimée a encore dû assister les responsables de X. en matière de "Trade Finance" - qui était une activité complètement nouvelle de la défenderesse - et qu'elle a dû agir sur le plan judiciaire, tant en Suisse qu'en France, pour recouvrer les avances consenties imprudemment à fin 1994 par l'ancien président C. à deux sociétés tierces, il s'avère qu'elle a en réalité assumé des responsabilités bien plus importantes que D. Il est sans aucune pertinence à cet égard que ce dernier ait été plus écouté par la direction d'alors que A., dès l'instant où les relations difficiles que celle-ci a entretenues avec C. sont principalement dues au fait qu'elle s'est constamment efforcée de préserver les intérêts propres de X., gravement mis à mal par les opérations hasardeuses
BGE 130 III 145 S. 163
effectuées par cet ancien président. Ce dernier en a pris ombrage, apparemment en raison du poste directorial qu'il occupait simultanément dans le groupe Banque Z./W., impliqué dans l'opération.
Le salaire fixe d'engagement de D. en 1986 se montait à 130'000 fr., ce qui représentait, compte tenu du renchérissement survenu, plus de 166'000 fr. en 1993 [138.3 (IPC 1993) : 108.23 (IPC 1986) x 100 = 127.78 % de 130'000 fr.]. Il apparaît donc que la rémunération initiale de la demanderesse, arrêtée à 121'160 fr. brut (9'320 x 13) en 1993, était de 27 % plus basse que celle de son prédécesseur.
De plus, cette différence ne s'est pas réduite avec le temps. Entre 1986 et son départ de la société en 1993, le salaire nominal de D. a passé de 130'000 fr. à 199'264 fr., d'où une progression annuelle de 6.1 % pendant 7 ans. Le dernier salaire annuel de l'intimée étant de 154'500 fr., la progression annuelle de sa rémunération a été identique pendant quatre ans.
A cela s'ajoute que le successeur au poste de la demanderesse, E., qui est son cadet de dix ans, a touché d'entrée de cause la rémunération que celle-ci avait atteinte en fin de contrat.
On cherche vainement comment le fait que certains collaborateurs masculins de la défenderesse - dont X. admet qu'ils avaient des responsabilités moindres que la demanderesse, ce qui signifie ipso facto qu'ils accomplissaient un travail n'ayant pas la même valeur que l'activité exercée par l'avocate intimée - soient logiquement moins rétribués que celle-ci joue un quelconque rôle en l'état.
Il suit de là que la vraisemblance d'une discrimination de nature sexiste quant au salaire fixe est patente.
4.3.2 D'après l'état de fait définitif, tous les cadres de la recourante, hormis D., ont reçu entre 1993 et 1995 des bonus annuels qui s'ajoutaient au salaire nominal. Pour sa part, la demanderesse n'a obtenu cette gratification qu'en 1995, et encore après l'avoir réclamée avec insistance auprès de la direction de X.
La recourante expose que D., à la rémunération duquel le salaire fixe de l'intimée a été comparé, n'a jamais perçu de bonus. Toutefois, même si le prénommé - qui, on vient de le voir, a toujours été mieux rémunéré que l'intimée - a été traité cette fois de la même façon que cette dernière, il n'empêche que la
comparaison concrète entre A. et tous les autres cadres masculins de la recourante (cf. à ce propos SABINE STEIGER-SACKMANN, op. cit., n. 46 ad
BGE 130 III 145 S. 164
art. 6 LEg), qui ont reçu chacun un bonus entre 1993 et 1995, rend hautement vraisemblable que l'intéressée a été victime d'une discrimination fondée sur le sexe par rapport à l'octroi de cette gratification. Il convient en effet de ne pas perdre de vue que la gratification est destinée en particulier à remercier de manière individuelle chaque employé pour les activités passées (MANFRED REHBINDER, Commentaire bernois, n. 1 ad
art. 322d CO; WYLER, op. cit., p. 122 et 560). Or, la demanderesse, qui a toujours fait preuve chez X. d'un grand professionnalisme et de très bonnes connaissances juridiques, a accompli ses tâches avec diligence et largement contribué au succès des procédures judiciaires engagées par X. dont la survie était alors mise à mal.
4.3.3 La recourante ne conteste plus que l'intimée a derechef établi la vraisemblance d'une discrimination en matière de promotion. A bon droit. En effet, peu après son entrée en fonction, la défenderesse a déclaré que "dans un proche avenir", la demanderesse, nommée sous-directrice le 23 septembre 1993, serait proposée au rang supérieur de directrice-adjointe. Cette promotion n'a jamais eu lieu, alors que son prédécesseur D. avait, pour sa part, obtenu ce titre dès son entrée en fonction, en août 1986.
5.1 La recourante soutient que les différences de traitement que la demanderesse a rendues vraisemblables seraient objectivement justifiées. Elle fait valoir différents motifs justificatifs qui seront successivement examinés ci-dessous.
5.2 Lorsque, comme en l'espèce, l'existence d'une discrimination liée au sexe a été rendue vraisemblable, il incombe à l'employeur de rapporter la preuve complète que la différence de traitement repose sur des facteurs objectifs (
ATF 127 III 207 consid. 3b in fine;
ATF 125 III 368 consid. 4 p. 372;
ATF 125 II 541 consid. 6c p. 551; SABINE STEIGER-SACKMANN, op. cit., n. 59 s. ad
art. 6 LEg). Constituent des motifs objectifs ceux qui peuvent influencer la valeur même du travail, comme la formation, l'ancienneté, la qualification, l'expérience, le domaine concret d'activité, les prestations effectuées, les risques encourus, le cahier des charges (
ATF 127 III 207 consid. 3c;
ATF 125 III 368 consid. 5 p. 373). Des disparités salariales peuvent se justifier pour des motifs qui ne se rapportent pas immédiatement à l'activité de la travailleuse ou du travailleur, mais qui découlent de préoccupations sociales, comme les charges familiales ou l'âge
BGE 130 III 145 S. 165
(
ATF 127 III 207 consid. 3c;
ATF 125 III 368 consid. 5 p. 373;
ATF 118 Ia 35 consid. 2c p. 37 ss). La position de force d'un travailleur dans la négociation salariale, à l'instar de la situation conjoncturelle, peuvent aussi conduire à une différence de rémunération pour le même travail; mais les disparités de salaire qui sont dues à des occasions de négociation différentes ou qui résultent de fluctuations conjoncturelles doivent être compensées dès qu'il est raisonnablement possible de le faire pour l'employeur, le cas échéant dans le délai d'une année (arrêt 4C. 57/2002 du 10 septembre 2002, consid. 4.2, qui se réfère à STEPHAN HEGNER, Salaire égal pour un travail de valeur égale, Zurich 1981, p. 26; cf. aussi
ATF 125 III 368 consid. 5c/ee).
Pour qu'une différence de traitement soit justifiée, il ne suffit pas que l'employeur invoque n'importe quel motif: il doit au contraire démontrer qu'il poursuit un but objectif qui répond à un véritable besoin de l'entreprise et que les mesures discriminatoires adoptées sont propres à atteindre le but recherché, sous l'angle du principe de la proportionnalité (arrêt 4C.463/1999 du 4 juillet 2000, consid. 3b/ ee non publié à l'
ATF 126 III 395; Message du Conseil fédéral du 24 février 1993 concernant la loi sur l'égalité, FF 1993 I 1211; MONIQUE COSSALI SAUVAIN, op. cit., FJS 544 ch. 5/II p. 6). Des motifs objectifs ne peuvent généralement légitimer une différence de rémunération que dans la mesure où ils influent sur la prestation de travail et sa rémunération par l'employeur (
ATF 127 III 207 consid. 3c;
ATF 125 III 368 consid. 5 p. 374).
5.3 Pour la recourante, une justification objective résiderait dans la politique salariale qu'elle a appliquée, laquelle consisterait à fixer assez bas les rémunérations initiales des nouveaux employés, puis de les augmenter rapidement au fil des années.
Dans l'affaire 4P.205/2003 connexe, le Tribunal fédéral a jugé, au considérant 2.3.1, que la cour cantonale avait pu retenir sans le moindre arbitraire que la politique des salaires en question n'avait pas été établie. Cette constatation clôt le débat sur ce point.
5.4 La recourante reproche aux magistrats vaudois de n'avoir pas admis que la défenderesse avait procédé dans les années 1990 à une correction générale à la baisse des salaires trop élevés hérités des années 1980, qui avaient été caractérisées par une forte croissance économique.
Dans le dossier connexe susmentionné, le Tribunal fédéral, au considérant 2.3.2, a retenu que la Cour civile n'avait pas versé dans
BGE 130 III 145 S. 166
l'arbitraire en admettant que l'existence de cette autre politique salariale n'avait pas été prouvée. La défenderesse ne saurait donc se prévaloir d'un système de rémunération non constaté.
5.5 A suivre la défenderesse, la différence de traitement reposerait sur des avantages particuliers dont la demanderesse a bénéficié, à savoir une cinquième semaine de vacances, un délai de résiliation de six mois de son contrat, l'absence de diminution de salaire à la suite de sa démission des conseils d'administration dont elle faisait partie et des horaires de travail conditionnés par des horaires de train.
5.5.1 Une durée de vacances annuelles de cinq semaines, supérieure que d'une semaine au minimum légal de l'
art. 329a al. 1 CO, ne saurait bien évidemment contrebalancer un salaire initial inférieur de 27 % comparé à celui de son prédécesseur, accompagné du non-versement de gratifications et de l'absence de toute promotion pendant la durée des rapports de travail.
5.5.2 L'extension à six mois du délai de congé de l'intimée, que celle-ci n'a d'ailleurs obtenue qu'en 1996, ne joue aucun rôle quant à sa prestation de travail. Il est exclu d'y voir un facteur objectif de discrimination.
5.5.3 La circonstance qu'en décembre 1995 la demanderesse a résilié l'ensemble de ses mandats d'administrateurs auprès des filiales du groupe X., sans préjudice pour son salaire, est dénuée de toute pertinence. Cette démission est intervenue dans le contexte difficile traversé par la défenderesse à la suite de l'acquisition de la société U., afin de parer aux risques (actions en responsabilité) que comportait l'exercice de ses mandats. L'allégement des tâches qui a pu en résulter pour l'intimée a été plus que compensé par le surcroît de travail découlant des procédures judiciaires que la demanderesse a coordonnées à cette époque.
5.5.4 Enfin, il n'a nullement été établi que l'intéressée, pressée de regagner son domicile genevois, ne respectait pas les horaires de travail. Bien au contraire, tant sa diligence que son professionnalisme ont été reconnus. On cherche donc en vain le motif justificatif qui pourrait entrer en ligne de compte.
6.1 La recourante prétend que les juges cantonaux ont violé l'
art. 5 LEg en ordonnant à la défenderesse de payer la différence entre le salaire dû et le salaire perçu par la demanderesse pour les années
BGE 130 III 145 S. 167
1993 à 1997. Elle s'indigne tout particulièrement que l'autorité cantonale a accordé un bonus à l'intimée pour les années 1996 et 1997. A l'en croire, ce serait à tort que la Cour civile aurait de plus octroyé à cette dernière en 1995 et 1996 une prime en raison du brevet d'avocat dont elle est titulaire.
6.2 L'
art. 5 al. 1 LEg prescrit que quiconque subit ou risque de subir une discrimination au sens des articles 3 et 4 peut requérir le tribunal ou l'autorité administrative notamment d'ordonner le paiement du salaire dû (let. d).
Dire s'il y a eu dommage et quelle en est la quotité est une question de fait qui lie le Tribunal fédéral saisi d'un recours en réforme. C'est en revanche une question de droit de dire si la notion juridique de dommage a été méconnue (
ATF 129 III 18 consid. 2.4;
ATF 128 III 22 consid. 2e,
ATF 127 III 180 consid. 2d;
ATF 127 III 73 consid. 3c,
ATF 127 III 543 consid. 2b).
6.3 En l'espèce, la demanderesse a établi qu'elle a subi une discrimination salariale au sens de l'
art. 3 al. 2 LEg. Elle avait donc droit à la différence entre le salaire qu'elle a effectivement encaissé et celui qui aurait dû lui être versé pendant toute la durée des rapports de travail (cf. MARGRITH BIGLER-EGGENBERGER, Commentaire de la loi sur l'égalité, n. 7 et 19 ad
art. 5 LEg).
La méthode adoptée par la cour cantonale pour arrêter le salaire dû est conforme à ce principe. Cette autorité a en particulier fixé le salaire non discriminatoire en se ralliant, sans arbitraire comme on l'a vu dans la cause 4P.205/1993, aux calculs de l'expert Q., formulés à partir des données internes de X. et centrés sur le personnel administratif. Et c'est sans violer le droit fédéral qu'elle a complété ces chiffres en y intégrant une valorisation du salaire - déterminée par l'expert - pour les années de crise 1995 et 1996, où il s'est révélé nécessaire que la juriste/secrétaire générale possédât un brevet d'avocat. La recourante ne saurait critiquer en instance de réforme la manière dont les juges cantonaux ont apprécié cette expertise.
En ce qui concerne le bonus, il résulte des considérants qui précèdent que l'intimée, qui ne l'a touché qu'en 1995 après l'avoir réclamé, a été discriminée dans son octroi par rapport à ses collègues masculins. L'égalité de traitement entre femmes et hommes exigeait ainsi qu'il soit payé rétroactivement à la demanderesse, dont les capacités professionnelles ont été particulièrement louées. Elle
BGE 130 III 145 S. 168
avait aussi droit à cette gratification, au prorata, en 1997, puisque c'est la défenderesse qui l'a libérée le 5 février 1997 de son obligation de travailler jusqu'à fin août 1997, non sans lui demander du reste d'être disponible pour répondre à diverses demandes d'informations.
Le grief est dénué de fondement.