Urteilskopf
141 III 112
17. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit civil dans la cause A. et B. contre C. (recours en matière civile)
4A_428/2014 du 12 janvier 2015
Regeste
Art. 41, 112 Abs. 2,
Art. 324a und 757 Abs. 2 OR,
Art. 87 und 98 VVG; Versicherungsleistungen, Verantwortlichkeit des Verwaltungsrats, unerlaubte Handlung, direkter Schaden.
Schliesst der Arbeitgeber eine kollektive Krankentaggeldversicherung ab, ist der Arbeitnehmer gegenüber dem Versicherer für die Versicherungsleistung anspruchsberechtigt. Zahlte die Gesellschaft als Arbeitgeberin die Versicherungsprämien nicht, kann der Arbeitnehmer Ersatz für den erlittenen Schaden nicht nur von der Gesellschaft (Art. 97 Abs. 1 OR), sondern auch von den Verwaltungsräten persönlich fordern (Art. 41 OR) (E. 4 und 5).
Extrait des considérants:
4. Pour bien comprendre la position du créancier social (employé et intimé C.) en l'espèce, il est nécessaire de présenter le contexte dans lequel le contrat d'assurance collective d'indemnité journalière intervient (cf. infra consid. 4.1 et 4.2), de rappeler la nature d'une telle convention (cf. infra consid. 4.3 et 4.4), et de déterminer la portée de la transaction du 25 mai 2000 conclue entre le créancier social et la société (cf. infra consid. 4.5).
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4.1 L'art. 324a al. 1 à 3 CO règle le droit du travailleur ou de la travailleuse de percevoir son salaire, pendant un temps limité, lorsqu'il est empêché de fournir sa prestation pour une cause inhérente à sa personne, telle que la maladie, l'accident ou la grossesse (al. 1 et 3). Pendant la première année de service, ce temps limité ne peut pas être inférieur à trois semaines; par la suite, il s'agit d'une période plus longue, à fixer équitablement d'après la durée des rapports de travail et les circonstances particulières (al. 2). Un accord écrit, un contrat-type de travail ou une convention collective peut déroger à ces dispositions à condition d'accorder au travailleur des prestations au moins équivalentes (
art. 324a al. 4 CO).
L'art. 324a al. 4 CO permet ainsi de substituer, notamment par un accord écrit, une couverture d'assurance à l'obligation légale de payer le salaire, à condition toutefois que les travailleurs bénéficient de prestations au moins équivalentes.
Dans le domaine de l'assurance couvrant le risque de perte de gain en cas de maladie ou d'accident, les parties peuvent librement choisir, soit de conclure une assurance sociale d'indemnités journalières régie par les art. 67 à 77 de la loi fédérale du 8 mars 1994 sur l'assurance-maladie (LAMal; RS 832.10), soit de conclure une assurance d'indemnités journalières soumise à la loi fédérale du 2 avril 1908 sur le contrat d'assurance (LCA; RS 221.229.1) (arrêt 4A_529/2012 du 31 janvier 2013 consid. 2.1 et les références citées).
4.2 En l'occurrence, il n'est pas contesté que le contrat, conclu avec un assureur privé (E.), est régi par la loi sur le contrat d'assurance (LCA). Il s'agit donc d'une assurance, complémentaire à l'assurance sociale, relevant du droit privé (
art. 12 al. 2 et 3 LAMal;
ATF 133 III 439 consid. 2.1 p. 441 s.).
Il résulte également du dossier que la société D. SA (employeur) prévoyait, en cas d'incapacité de travail pour cause de maladie, à la place du salaire pendant un temps limité, une couverture d'assurance collective d'indemnités journalières, au taux de 80 % du salaire, avec un délai d'attente de sept jours, et pendant 723 jours au plus. La validité de cette convention dérogatoire, en particulier du point de vue de l'équivalence des prestations, n'est pas contestée et il n'y a pas lieu de s'y attarder.
4.3 En matière d'assurance collective contre les accidents ou la maladie, l'
art. 87 LCA - de nature impérative (cf.
art. 98 LCA) - confère un droit propre à l'assuré, qu'il peut faire valoir contre l'assureur
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(entre autres auteurs: VINCENT BRÜHLHART, L'assurance collective contre la perte de gain en cas de maladie, in Le droit social dans la pratique de l'entreprise, 2006, p. 103). La volonté du législateur était de protéger l'assuré contre des comportements du preneur d'assurance susceptibles de mettre en danger la prestation d'assurance (arrêt 5C.3/2003 du 31 mars 2003 consid. 3.3 et les auteurs cités).
Ce droit propre a pour conséquence que seul le bénéficiaire (assuré) est titulaire de la prestation d'assurance (
ATF 87 II 376 consid. 2a p. 384; BRÜHLHART, op. cit., p. 103). A cet égard, le Tribunal fédéral a eu l'occasion de préciser que la nature même du contrat d'assurance collective d'indemnité journalière présuppose que celle-ci soit acquittée entre les mains de l'assuré en faveur duquel il a été conclu, ledit paiement intervenant en lieu et place de l'obligation de l'employeur de verser le salaire (cf.
ATF 122 V 81 consid. 2a p. 83, étant précisé que la solution retenue dans cet arrêt a été, à l'époque, prise en matière d'assurance collective soumise à la LAMA (RS 8 283); PETER STEIN, in Basler Kommentar, Bundesgesetz über den Versicherungsvertrag, 2001, n° 23 ad
art. 87 LCA; STREIFF/VON KAENEL/RUDOLPH, Arbeitsvertrag, 7
e éd. 2012, n° 13 ad
art. 324a CO et les références citées).
Ce contrat (ou, plus correctement, son mode d'exécution) peut être comparé à une stipulation pour autrui parfaite: le tiers dispose d'un droit de créance propre contre le promettant et peut agir en exécution dès que la créance est exigible, le débiteur ne pouvant par ailleurs se libérer qu'en faisant sa prestation au tiers (art. 112 al. 2 CO; arrêt 5C.3/2003 déjà cité consid. 3.3). L'assuré ne devient toutefois pas partie au contrat et, partant, l'employeur (preneur d'assurance) est toujours le débiteur des primes d'assurance (arrêts 4A_53/2007 du 26 septembre 2007 consid. 4.4.1, in RtiD 2008 I p. 1057; 5C.41/2001 du 3 juillet 2001 consid. 2c).
4.4 Le fait que le preneur d'assurance (employeur) et l'assureur puissent convenir du versement des indemnités journalières à l'employeur ne change rien aux considérations qui précèdent. Ce type de clauses contractuelles n'a trait qu'aux modalités d'encaissement des cotisations et de versement des indemnités journalières. Dans l'un et l'autre cas, le preneur d'assurance (employeur de l'assuré) accomplit une tâche administrative définie par le contrat d'assurance, en ce sens qu'il lui appartient, d'une part de verser les cotisations d'assurance à la caisse - ce qui ne signifie pas que c'est lui qui les paie
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effectivement ou entièrement - et d'autre part d'encaisser les indemnités journalières, lesquelles sont cependant dues à l'assuré, et non pas à lui (cf.
ATF 122 V 81 consid. 1b p. 83; FREY/LANG, in Basler Kommentar, Versicherungsvertragsgesetz, Nachführungsband, 2012, n° 18 ad
art. 87 LCA; HANS-RUDOLF MÜLLER, Grundlagen der Krankentaggeldversicherung nach VVG, in Krankentaggeldversicherung: Arbeits- und versicherungsrechtliche Aspekte, 2007, p. 27; GEBHARD EUGSTER, Vergleich der Krankentaggeldversicherung [KTGV] nach KVG und nach VVG, in Krankentaggeldversicherung: Arbeits- und versicherungsrechtliche Aspekte, 2007, p. 78 note de pied 97).
4.5 Lorsque l'employeur ne satisfait pas aux obligations à lui imposées par la convention dérogatoire écrite, par exemple s'il ne conclut pas le contrat d'assurance prévu ou n'acquitte pas les primes dues à l'assureur, ou, en cas de maladie d'un travailleur, ne fait pas à temps l'annonce exigée par les conditions d'assurance, il doit réparation du dommage subi par ce travailleur, et le dommage correspond aux prestations d'assurance perdues. Sa propre prestation a alors pour objet des dommages-intérêts pour cause de mauvaise exécution de la convention, et elle est due sur la base de l'
art. 97 al. 1 CO (
ATF 127 III 318 consid. 5 p. 326;
ATF 124 III 126 consid. 4 p. 133; arrêt 4A_446/2008 du 3 décembre 2008 consid. 4).
En l'espèce, c'est dans cette perspective que le créancier social s'est adressé dans un premier temps à la société (en invoquant l'art. 97 CO), puis qu'il l'a actionnée en justice (devant les autorités prud'homales).
Le fait pour le créancier social d'avoir procédé ainsi ne l'empêchait pas, en soi (en vertu des règles relatives à la solidarité imparfaite), de diriger ensuite son action, sous l'angle de l'art. 41 CO, contre les organes sociaux pour obtenir le solde de sa créance (soit l'équivalent du montant des indemnités journalières qui auraient dû lui être versées en l'absence d'acte illicite), cette dernière action étant à ce stade présupposée ouverte (pour l'examen de la question cf. infra consid. 5).
Contrairement à ce que semblent suggérer les administrateurs (A. et B.), le fait qu'un accord ait été conclu entre la société et l'employé n'y change rien. Dans cette perspective, les recourants ne tentent en effet à aucun moment de soutenir que la transaction conclue en l'espèce par le créancier avec la société (coresponsable) libérerait tous les autres (soit en l'espèce les deux administrateurs) selon l'
art. 147 al. 2 CO (cette disposition étant applicable par analogie en cas de
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solidarité imparfaite: cf. arrêt 4C.27/2003 du 26 mai 2003 consid. 3.4, in SJ 2003 I p. 597). Il incombait aux administrateurs (débiteurs) d'alléguer et d'établir une volonté des parties allant dans ce sens (cf. arrêt 4C.27/2003 déjà cité consid. 3.5.2) et il n'y a donc pas lieu d'entrer en matière sur cette question (cf. consid. 1.2 et 1.3 non publiés).
5.1 Les recourants reprochent à la cour cantonale d'avoir violé le droit fédéral en admettant l'action formée par l'employé (créancier social). Dans ce contexte, ils soutiennent que la cause du dommage n'est pas le non-paiement des primes, mais qu'elle doit plutôt être recherchée dans l'incapacité de la société d'honorer l'accord du 25 mai 2000. Selon eux, l'impossibilité pour la société d'honorer son engagement découle de la mauvaise gestion des administrateurs. Ils en infèrent l'absence de lien de causalité avec le non-paiement des primes et, pour le créancier social, l'existence d'un dommage par ricochet (seule la société étant directement lésée) qui ne peut être indemnisé par le biais d'une action individuelle.
5.2 Il s'agit donc de déterminer l'action qui pouvait être introduite en l'espèce par le créancier social. L'action dont dispose celui-ci envers les organes d'une société dépend du type de dommage subi. A cet égard, trois situations sont envisageables (
ATF 132 III 564 consid. 3.1):
5.2.1 Premièrement, le créancier peut être lésé à titre personnel par le comportement des organes, à l'exclusion de tout dommage causé à la société. Il subit alors un dommage direct (
ATF 132 III 564 consid. 3.1.1). Autrement dit, les organes responsables ont adopté un comportement dont le créancier social (et non la société) est la victime (cf. PETER BÖCKLI, Schweizer Aktienrecht, 4
e éd. 2009, § 18 n. 318).
Dans un tel cas, le créancier lésé peut agir à titre individuel pour réclamer des dommages-intérêts au responsable (
ATF 132 III 564 consid. 3.2.1 p. 569). Son action est soumise aux règles ordinaires de la responsabilité civile, en particulier aux
art. 41 ss CO (
ATF 132 III 564 consid. 3.2.1 p. 569;
ATF 106 II 232 consid. 2 p. 233 ss; ROLAND RUEDIN, Droit des sociétés, 2
e éd. 2007, p. 340 n. 1901 et le renvoi; BÖCKLI, op. cit., § 18 n. 311 ss et 341 et l'auteur cité; PETER R. ISLER, Fragen der Aktiv- und Passivlegitimation in Verantwortlichkeitsprozessen, in Verantwortlichkeit im Unternehmensrecht IV, 2008, p. 94).
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5.2.2 Deuxièmement, les manquements des organes sont susceptibles de causer en premier lieu un dommage à la seule société (dommage direct), le créancier n'étant lésé que par ricochet (en cas d'insolvabilité de la société).
Tant que la société demeure solvable, c'est-à-dire qu'elle est en mesure d'honorer ses engagements, le dommage reste en effet dans sa seule sphère, sans toucher les créanciers sociaux, qui pourront obtenir le plein de leurs prétentions. C'est seulement lorsque les manquements des organes entraînent l'insolvabilité de la société, puis sa faillite, que le créancier subit une perte qui constitue un dommage par ricochet (
ATF 132 III 564 consid. 3.2.2 et les arrêts cités), ce qui lui ouvre l'action de l'
art. 757 al. 2 et 3 CO (sur le rapport avec l'
art. 260 LP, cf. BERNARD CORBOZ, in Commentaire romand, Code des obligations, vol. II, 2008, n
os 36 ss ad
art. 757 CO).
5.2.3 En troisième lieu, il existe encore des situations, plus rares, dans lesquelles on discerne à la fois un dommage direct pour le créancier et un dommage direct pour la société. En d'autres termes, le comportement de l'organe porte directement atteinte au patrimoine de la société et à celui du créancier social (
ATF 132 III 564 consid. 3.1.3 p. 569 et l'arrêt cité).
Dans cette situation, pour parer au risque d'une compétition entre les actions en responsabilité exercées respectivement par la société ou l'administration de la faillite et par les créanciers directement touchés, la jurisprudence a limité le droit d'agir de ces derniers, afin de donner une priorité à l'action sociale; ainsi, lorsque la société est aussi lésée, un créancier social peut agir à titre individuel contre un organe en réparation du dommage direct qu'il a subi seulement s'il peut fonder son action sur un acte illicite (
art. 41 CO), une culpa in contrahendo ou une norme du droit des sociétés conçue exclusivement pour protéger les créanciers (
ATF 132 III 564 consid. 3.2.3 p. 570 s. et les arrêts cités).
5.3 Il convient maintenant, à la lumière des principes juridiques susrappelés, de revenir sur l'argumentation des recourants, soit de déterminer laquelle des trois hypothèses est réalisée en l'espèce.
5.3.1 Dans la mesure où les recourants affirment que la cause du dommage subi par le créancier social résulte de la mauvaise gestion de la société, ils font un amalgame entre la cause du dommage et les créances en réparation qui en découlent (pour le créancier social).
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5.3.2 En l'occurrence, les agissements illicites des organes sociaux (non-paiement des primes) sont à l'origine du refus de l'assureur d'indemniser l'employé. Il n'importe à cet égard que l'on ne sache pas, sur la base des constatations cantonales, si les indemnités devaient être encaissées dans un premier temps par l'employeur (à charge pour lui de les remettre à l'employé), ou si elles devaient être versées directement à l'employé. Il n'en demeure pas moins qu'elles étaient dues à l'assuré. Ainsi, le fait que les administrateurs ont déduit des cotisations sur le salaire de l'employé - en particulier celles de l'assurance d'indemnités journalières en cas de maladie - pour les utiliser à d'autres fins permet d'affirmer que ces organes ont adopté un comportement dont l'employé est la victime, ce qui confirme que l'employé a subi un dommage direct.
La société, engagée contractuellement vis-à-vis de son employé, s'est également appauvrie en raison du comportement illicite de ses propres administrateurs, puisque son passif s'est accru d'une obligation de réparer le préjudice de l'employé (damnum emergens sous la forme d'une augmentation des passifs; cf. HEINZ REY, Ausservertragliches Haftpflichtrecht, 4e éd. 2008, p. 81 n. 346). La société pouvait donc également actionner les administrateurs en invoquant la violation de l'art. 41 CO ou du devoir de diligence ancré à l'art. 717 CO.
5.3.3 Si l'existence d'une concurrence de prétentions de la société et du créancier social (cf. troisième cas de figure exposé supra consid. 5.2.3) peut ainsi être observée, cette concurrence ne semble plus d'actualité puisque la faillite de la société a été prononcée en juillet 2000, puis clôturée (la radiation au registre du commerce ayant été opérée en mai 2003). Il ne résulte pas de l'arrêt cantonal que l'administration de la faillite aurait actionné les administrateurs pour le préjudice subi, ni qu'une cession des droits de la masse aurait eu lieu.
Quoi qu'il en soit, il n'est ici pas douteux que le créancier social pouvait fonder son action sur un acte illicite (cf. consid. 6 non publié) et qu'il était ainsi légitimé à agir à titre individuel contre les organes en réparation du dommage direct subi (cf. supra consid. 5.2.3).