145 V 354
Chapeau
145 V 354
34. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour de droit social dans la cause A. contre Mutuel Assurance Maladie SA (recours en matière de droit public)
9C_160/2019 du 20 août 2019
Regeste
Art. 64a al. 5 LAMal; non-paiement des primes et des participations aux coûts; rétrocession aux cantons.
Le paiement intégral des créances arriérées par la personne assurée au sens de l'art. 64a al. 5 LAMal se rapporte au montant total de la créance constatée dans un acte de défaut de biens ou par un titre juridique équivalent, sans déduction de la part de 85 % prise en charge, cas échéant, par le canton selon l'art. 64a al. 4 LAMal (consid. 5).
A. A., né en 1984, est assuré au titre de l'assurance obligatoire des soins auprès de Mutuel Assurance Maladie SA (ci-après: Mutuel Assurance), depuis le 1er janvier 2007.
En raison du non-paiement de primes relatives à l'assurance obligatoire des soins et de participations aux coûts depuis le mois de juillet 2011, Mutuel Assurance a engagé plusieurs poursuites contre A., qui ont abouti à des actes de défaut de biens. Par courrier du 3 septembre 2015, l'Office vaudois de l'assurance-maladie a indiqué à Mutuel Assurance qu'il était intervenu dans la prise en charge des arriérés de l'assuré à hauteur de 85 %, du 1er octobre 2011 au 31 mars 2014, pour un montant total de 3'752 fr. 86. S'il a accepté le plan de désendettement que l'assuré lui a soumis, ainsi que le rachat des actes de défaut de biens concernant les avances qu'il avait faites à hauteur de 47,40 %, il n'a en revanche pas souhaité renoncer au 50 % de rétrocession du montant que Mutuel Assurance pourrait obtenir. A. a également soumis à Mutuel Assurance un plan de désendettement selon lequel il lui proposait de rembourser ses dettes à hauteur de 47,40 % de leur valeur (soit un montant de 4'841 fr. 50, sur un total dû de 10'214 fr.; courrier du 13 novembre 2015). Par décision du 7 juin 2016, confirmée sur opposition le 5 octobre 2017, Mutuel Assurance a refusé la proposition de l'assuré de racheter, à un montant inférieur à leur valeur, les actes de défaut de biens relatifs aux créances arriérées postérieures au 1er janvier 2012; en bref, elle a considéré qu'une telle possibilité était exclue par la législation en vigueur depuis le 1er janvier 2012, qui exigeait de l'assureur qu'il conservât les actes de défaut de biens et les titres équivalents jusqu'au paiement intégral des créances arriérées.
B. Statuant le 21 janvier 2019 sur le recours formé par l'assuré, le Tribunal cantonal du canton de Vaud, Cour des assurances sociales, l'a rejeté.
C. A. interjette un recours en matière de droit public et un recours constitutionnel subsidiaire contre ce jugement, dont il demande l'annulation, ainsi que celle de la décision sur opposition du 5 octobre 2017. L'assuré conclut principalement à la constatation que l'interprétation et l'application de l'art. 64a al. 5 LAMal par Mutuel Assurance sont contraires au droit et constitutives d'abus de droit, et que sa proposition de remboursement du 13 novembre 2015 atteint l'objectif du remboursement intégral des actes de défaut de biens en cause au sens de l'art. 64a al. 5 LAMal, ainsi qu'à la condamnation de Mutuel Assurance à accepter ladite proposition. Subsidiairement, il
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demande le renvoi de la cause à Mutuel Assurance pour nouvelle décision dans le sens des considérants.Le Tribunal fédéral a déclaré irrecevable le recours constitutionnel subsidiaire et rejeté le recours en matière de droit public.
Extrait des considérants:
3.1 Le litige a trait au bien-fondé du refus, par l'intimée, de la proposition du recourant de racheter, à un montant inférieur à leur valeur, des actes de défaut de biens relatifs aux primes d'assurance-maladie et participations aux coûts arriérées postérieures au 1er janvier 2012.
3.2 L'art. 64a al. 1 à 5 LAMal, dans sa teneur en vigueur depuis le 1er janvier 2012, prévoit que: Lorsque l'assuré n'a pas payé des primes ou des participations aux coûts échues, l'assureur lui envoie une sommation, précédée d'au moins un rappel écrit; il lui impartit un délai de 30 jours et l'informe des conséquences d'un retard de paiement (al. 1). Si, malgré la sommation, l'assuré ne paie pas dans le délai imparti les primes, les participations aux coûts et les intérêts moratoires dus, l'assureur doit engager des poursuites. Le canton peut exiger que l'assureur annonce à l'autorité cantonale compétente les débiteurs qui font l'objet de poursuites (al. 2). L'assureur annonce à l'autorité cantonale compétente les débiteurs concernés et, pour chacun, le montant total des créances relevant de l'assurance obligatoire des soins (primes et participations aux coûts arriérées, intérêts moratoires et frais de poursuite) pour lesquelles un acte de défaut de biens ou un titre équivalent a été délivré durant la période considérée. Il demande à l'organe de contrôle désigné par le canton d'attester l'exactitude des données communiquées et transmet cette attestation au canton (al. 3). Le canton prend en charge 85 % des créances ayant fait l'objet de l'annonce prévue à l'al. 3 (al. 4). L'assureur conserve les actes de défaut de biens et les titres équivalents jusqu'au paiement intégral des créances arriérées. Dès que l'assuré a payé tout ou partie de sa dette à l'assureur, celui-ci rétrocède au canton 50 % du montant versé par l'assuré (al. 5).
4. Le recourant fait en substance grief à la juridiction cantonale d'avoir violé l'art. 64a al. 5 LAMal et fait preuve d'arbitraire en admettant que l'intimée était fondée à refuser sa proposition de rachat des actes de défaut de biens à hauteur de 47,40 % de leur valeur.
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Selon lui, une interprétation correcte de l'art. 64a al. 5 LAMal implique que la notion de "paiement intégral" des créances arriérées comprend la part de celles-ci prise en charge par le canton à hauteur de 85 % en application de l'art. 64a al. 4 LAMal. Admettre le contraire conduirait à autoriser l'assureur-maladie à réaliser une plus-value, équivalente à un enrichissement illégitime. Par ailleurs, le recourant soutient que l'identité de la personne à l'origine du remboursement importe peu et que seul le désintéressement complet de l'assureur conditionne une possibilité de rachat. La juridiction de première instance aurait au demeurant omis de se prononcer au sujet de l'admissibilité de la plus-value réalisée par l'intimée au regard de l'art. 64a al. 5 LAMal, violant ainsi le droit d'être entendu du recourant (art. 29 al. 2 Cst.).
5.1 La loi s'interprète en premier lieu selon sa lettre (interprétation littérale). Si le texte n'est pas absolument clair, si plusieurs interprétations de celui-ci sont possibles, le juge recherchera la véritable portée de la norme au regard notamment de la volonté du législateur telle qu'elle ressort notamment des travaux préparatoires (interprétation historique), du but de la règle, de son esprit, ainsi que des valeurs sur lesquelles elle repose, singulièrement de l'intérêt protégé (interprétation téléologique) ou encore de sa relation avec d'autres dispositions légales (interprétation systématique). Lorsqu'il est appelé à interpréter une loi, le Tribunal fédéral adopte une position pragmatique en suivant ces différentes interprétations, sans les soumettre à un ordre de priorité (ATF 140 III 315 consid. 5.2.1 p. 318 et les arrêts cités).
5.2 Il est vrai, comme le fait valoir le recourant, que la lettre de l'art. 64a al. 5 LAMal n'est pas absolument claire. Le texte de cette disposition ne donne en effet pas de réponse directe à la question de savoir si la notion de "paiement intégral" au sens de l'art. 64a al. 5 LAMal ("vollständige Bezahlung"; "pagamento integrale") englobe ou non la part des créances prises en charge par le canton à hauteur de 85 % en application de l'art. 64a al. 4 LAMal. La Cour de céans a d'ailleurs déjà eu l'occasion de relever que les termes "a payé intégralement" ("vollständig beglichen") les dettes (notamment primes et participations aux coûts), prévus par l'art. 64a al. 6 LAMal pour un changement d'assureur, ne sont pas suffisamment clairs pour permettre une interprétation littérale (ATF 144 V 380 consid. 6.2.1 p. 384).
5.3.1 En ce qui concerne les travaux préparatoires relatifs à l'art. 64a al. 5 LAMal, le Rapport de la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national d'août 2009 comprend le passage suivant: "L'assureur garde l'acte de défaut de biens ou le titre équivalent afin de pouvoir continuer à faire valoir ce titre au delà et indépendamment de la prise en charge par le canton prévue à l'al. 4. L'assureur conserve ce titre conformément aux règles de la LP et jusqu'à ce que l'assuré ait payé intégralement les primes et les participations aux coûts fondées sur un acte de défaut de biens ou sur un titre équivalent ainsi que les intérêts moratoires et les frais de poursuite. Lorsque l'assureur obtient de l'assuré le paiement de tout ou partie d'arriérés, l'assureur doit reverser au canton la moitié des montants payés par l'assuré. En effet, comme l'assureur demeure le créancier vis-à-vis de ses assurés, il demeure seul en mesure d'obtenir de nouveaux paiements de la part des assurés débiteurs que ce soit sur la base de nouvelles poursuites ou d'un accord. Il est dès lors justifié que l'assureur conserve la moitié des paiements eu égard aux coûts comme il est juste que le canton puisse récupérer une partie des paiements exécutés pour l'assuré" (Rapport de la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national du 28 août 2009 sur l'initiative parlementaire "Article 64a LAMal et primes non payées", FF 2009 5973, 5977 s.).
Comme le Tribunal fédéral a eu l'occasion de le retenir, toujours en relation avec l'art. 64a al. 6 LAMal, ces explications ne permettent pas de répondre de manière définitive à la question de savoir si le "paiement intégral" au sens de l'art. 64a al. 5 LAMal comprend la part cantonale selon l'art. 64a al. 4 LAMal (ATF 144 V 380 consid. 6.2.3.2 p. 385 s.). On peut cependant en déduire que l'art. 64a LAMal n'interfère pas dans la relation contractuelle entre l'assureur et l'assuré. Même si le canton prend en charge 85 % des créances relevant de l'assurance obligatoire des soins pour lesquelles un acte de défaut de biens ou un titre équivalent a été délivré, l'assureur reste le seul et unique créancier de l'assuré. L'art. 64a LAMal ne prévoit pas une subrogation du canton dans les droits de l'assureur à concurrence du montant pris en charge. D'après la volonté claire du législateur, l'assureur demeure seul habilité à obtenir le paiement des créances impayées, que ce soit par le biais de la poursuite pour dettes au sens de la LP ou d'une convention de remboursement. Conformément à l'art. 64a al. 5 LAMal, l'assureur est ainsi tenu de garder les actes
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de défaut de biens et les titres équivalents afin de pouvoir faire valoir ces titres au-delà et indépendamment de la prise en charge par le canton jusqu'au paiement intégral des créances arriérées. Afin d'inciter l'assureur à obtenir ce paiement, l'art. 64a al. 5 LAMal prévoit expressément que celui-ci puisse conserver la moitié des montants récupérés (cf. ATF 144 V 380 consid. 6.2.3.2 p. 385 s.; ATF 141 V 175 consid. 4.4 p. 182). L'objectif consiste ainsi à permettre à l'assureur-maladie, à moyen terme, de récupérer auprès de l'assuré la totalité du montant figurant dans l'acte de défaut de biens, et non pas seulement la part non couverte par le canton de 15 %. On peut donc en conclure que l'assuré demeure le débiteur de l'assureur-maladie de l'entier de la créance faisant l'objet de l'acte de défaut de biens, même si le canton a pris en charge 85 % de celle-ci (ATF 144 V 380 consid. 6.2.3.2 p. 385 s.).De ces éléments d'interprétation, renforcés par l'aspect téléologique (ATF 144 V 380 consid. 6.2.4 p. 386), le Tribunal fédéral a conclu que le paiement intégral des dettes d'une personne assurée se rapporte au montant total de la créance constatée par un acte de défaut de biens, même lorsque le canton a pris en charge la part de 85 % selon l' art. 64a al. 3 et 4 LAMal .
5.3.2 En conséquence de l'interprétation donnée par le Tribunal fédéral de l'art. 64a al. 6 LAMal, il n'y a pas lieu d'interpréter différemment, sous l'angle systématique également, les termes "paiement intégral" de l'art. 64a al. 5 LAMal. A l'inverse de ce que prétend le recourant, le but de l'art. 64a al. 6 LAMal ne vise pas le rétablissement économique de la personne assurée en tant que tel, mais sert l'économie de la procédure administrative. La disposition vise à éviter que plusieurs assureurs-maladie ne doivent introduire des poursuites contre la personne assurée en demeure de payer ses créances. L'aspect du rétablissement économique de l'assuré a été évoqué en lien avec la sanction de l'interdiction de changer d'assureur, mais pas en tant qu'intérêt protégé par l'art. 64a al. 6 LAMal (ATF 144 V 380 consid. 6.2.4.1 p. 386).
S'agissant de l'al. 5 ici en cause, le but en est de permettre à l'assureur-maladie d'être payé intégralement, dans l'idéal en récupérant auprès de l'assuré la totalité du montant figurant dans l'acte de défaut de biens. Le législateur a toutefois prévu un remboursement de l'assureur-maladie qui peut aller au-delà du paiement intégral des créances, puisqu'il n'est tenu de rétrocéder au canton que 50 % du montant versé par l'assuré (cf. art. 64a al. 5, 2e phrase, LAMal; consid. 6.2
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non publié). En conclusion, la dette de l'assuré à l'égard de son assureur-maladie au sens de l'art. 64a al. 5 LAMal n'est pas diminuée par la prise en charge par le canton de 85 % des créances. La notion de "paiement intégral" des créances arriérées au sens de cette disposition signifie que l'assureur conserve les actes de défaut de biens aussi longtemps que l'assuré ne s'est pas acquitté, à son égard, de la totalité du montant figurant dans l'acte de défaut de biens; une déduction de la part des créances prises en charge par le canton à hauteur de 85 % en application de l'art. 64a al. 4 LAMal n'est pas prévue.