Urteilskopf
149 III 304
37. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit civil dans la cause A. SA contre Z. (recours en matière civile)
4A_412/2022 du 11 mai 2023
Regeste
Einsprache gegen die missbräuchliche Kündigung (
Art. 336b OR).
Der Kläger muss die Tatsachen behaupten und beweisen, gestützt auf welche das Gericht schliessen kann, dass er gegen die angeblich missbräuchliche Kündigung Einsprache erhoben hat (E. 4).
A. Z. travaillait pour le compte de la société A. SA.
Le 21 novembre 2018, cette dernière l'a licenciée pour le 31 décembre 2018, congé dont le terme a été reporté au 31 janvier 2019 en raison d'une maladie.
B.a Le 26 mars 2019, l'employée congédiée a attrait son ex-employeuse en conciliation devant le Tribunal des prud'hommes du canton de Genève. Le 27 juin 2019, elle a déposé une demande tendant au paiement d'une indemnité pour congé abusif de 37'500 fr., équivalant à 6 mois de salaire.
L'ex-employeuse a conclu au rejet de la demande.
Lors des débats principaux du 4 février 2020, le tribunal s'est enquis d'une éventuelle opposition au licenciement. L'employée a expliqué avoir envoyé un courrier en ce sens à son employeuse le
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27 novembre 2018. Elle a concédé avoir omis de le produire et a offert de le faire à ce stade, tout en relevant que cette missive était mentionnée dans des pièces versées au dossier; de toute façon, l'employeuse n'avait pas soulevé cette problématique dans sa réponse.
Par jugement du 7 avril 2020, le Tribunal des prud'hommes a rejeté la demande. Le courrier du 27 novembre 2018 était irrecevable, les conditions de l'art. 229 al. 1 CPC n'étant pas réalisées. L'employée n'avait ni allégué, ni prouvé s'être opposée au licenciement avant la fin du délai de congé, de sorte qu'elle ne pouvait prétendre à une indemnité pour congé abusif.
Statuant le 13 novembre 2020 sur appel de l'employée, la Cour de justice genevoise a annulé cette décision et renvoyé la cause aux premiers juges pour qu'ils complètent l'instruction et rendent une nouvelle décision.
En substance, elle a considéré que l'art. 336b al. 1 CO instaurait un délai de péremption dont le non-respect entraînait la perte du droit au paiement d'une indemnité. Cependant, la non-péremption d'un droit était un fait implicite qui ne devait être allégué et prouvé que s'il était contesté par la partie défenderesse, ce qui n'était pas le cas en l'occurrence. Aussi les premiers juges devraient-ils instruire sur le fond, établir l'éventuel caractère abusif du congé et statuer sur la demande d'indemnité.
L'employeuse a tenté de déférer cette décision au Tribunal fédéral, en vain puisque son recours a été déclaré irrecevable (arrêt 4A_4/2021 du 25 janvier 2021).
Statuant à nouveau le 1er juillet 2021, le tribunal prud'homal a jugé le congé abusif et condamné l'employeuse à payer une indemnité de 15'000 fr. à la partie adverse.
B.b Par arrêt sur appel du 11 juillet 2022, la Cour de justice a réduit le montant à 10'000 fr.
C. L'employeuse a interjeté un recours en matière civile à l'issue duquel elle prie le Tribunal fédéral de rejeter entièrement la demande et de confirmer ainsi le jugement du 7 avril 2020.
L'employée a conclu à l'irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet.
Un second échange d'écritures spontané a porté sur la recevabilité d'une pièce produite à l'appui de la réponse, soit le courrier litigieux du 27 novembre 2018.
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L'autorité précédente s'est référée à son arrêt.
La requête d'effet suspensif formulée à l'appui du recours a été rejetée par ordonnance du 14 décembre 2022.
Le Tribunal fédéral a admis le recours.
(résumé)
Extrait des considérants:
4.1 En préambule, on relèvera que la procédure était régie par la maxime des débats dès lors que la valeur litigieuse excédait 30'000 fr. dans ce conflit de droit du travail (art. 247 al. 2 let. b ch. 2 CPC a contrario). Les parties devaient donc alléguer les faits sur lesquels elles fondaient leurs prétentions et produire les preuves s'y rapportant (
art. 55 al. 1 CPC), le juge n'ayant qu'un devoir d'interpellation fondé sur l'
art. 56 CPC. Le juge ne pouvait asseoir son jugement sur d'autres faits que ceux ayant été allégués par les parties conformément aux règles de procédure (
ATF 147 III 463 consid. 4.2.3;
ATF 142 III 462 consid. 4.4; OBERHAMMER/WEBER, in ZPO, 3
e éd. 2021, n
os 9-10 ad
art. 55 CPC).
4.2 Le laps de temps dont dispose l'employé pour s'opposer au congé est un délai de péremption (arrêts 4A_316/2012 du 1
er novembre 2012 consid. 2.1; 4A_571/2008 du 5 mars 2009 consid. 4.3; STÉPHANIE PERRENOUD, in Commentaire romand, Code des obligations, vol. I, 3
e éd. 2021, n° 11 ad
art. 336b CO; FACINCANI/BAZZELL, in Arbeitsvertrag [...], 2021, n° 11 ad
art. 336b CO;MARIE-GISÈLE ZOSS, La résiliation abusive du contrat de travail, 1997, p. 310 s.).
La péremption entraîne l'extinction totale d'un droit subjectif suite à l'expiration du délai dans lequel son titulaire devait l'exercer ou accomplir un acte nécessaire à son exercice (
ATF 133 III 6 consid. 5.3.4 p. 26). Elle doit être retenue d'office par le juge (DIETSCHY-MARTENET/ DUNAND, in Commentaire du contrat de travail, 2
e éd. 2022, n° 24 ad
art. 336b CO et la réf. à l'
ATF 131 III 566 consid. 3.2 [concernant le délai de l'
art. 270b CO]). En revanche, la prescription est prise en compte uniquement si le défendeur a soulevé une exception (
art. 142 CO). Cette différence tient au fait qu'une obligation prescrite conserve une certaine existence: elle devient une obligation imparfaite, alors qu'un droit frappé de péremption cesse d'exister. Et l'ordre juridique suisse n'admet pas que le juge alloue une prétention qui n'existe
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plus (arrêt 4C.163/1993 du 9 décembre 1993 consid. 4e; GAUCH ET AL., OR AT, Schweizerisches Obligationenrecht, Allgemeiner Teil, vol. II, 11
e éd. 2020, n. 3386; BAPTISTE ALLIMANN, La péremption - Etude en droit privé suisse, 2011, n. 996 et 1385; PASCAL PICHONNAZ, in Commentaire romand, Code des obligations, vol. I, n° 8 ad art. 127 et n° 1 ad
art. 142 CO; FABIENNE HOHL, L'avis des défauts de l'ouvrage: fardeau de la preuve et fardeau de l'allégation, Revue fribourgeoise de jurisprudence [RFJ] 1994 p. 271).
Lorsque le juge intervient d'office, soit indépendamment des arguments soulevés par les parties, mais dans le cadre de la maxime des débats, cela ne dispense pas les parties de lui soumettre les données factuelles nécessaires et les preuves topiques (cf.
ATF 139 III 278 consid. 4.3; arrêt 4P.239/2005 du 21 novembre 2005 consid. 4.3; EUGEN BUCHER, Schweizerisches Obligationenrecht, Allgemeiner Teil ohne Deliktsrecht, 2
e éd. 1988, p. 451 et sous-note 35). Il reste ainsi à résoudre la question de savoir qui, du demandeur ou du défendeur, a la charge d'alléguer et de prouver la péremption.
Quelques réponses éparses ont été données. Dans un litige concernant une action en nullité de la légitimation (
Anfechtung der Ehelicherklärung, ancien
art. 262 CC), l'autorité de céans a jadis jugé que le respect du délai de péremption pour ouvrir action était une condition de la prétention ("die Einhaltung der Frist eine Voraussetzung des Anspruchs ist"), si bien que le demandeur devait l'alléguer. Elle a immédiatement tempéré cette exigence en indiquant que l'élément devait à tout le moins ressortir du dossier (
ATF 54 II 409; cf. aussi
ATF 84 II 593 consid. 4). Ce précédent a inspiré une formule plus générale: celui qui invoque un droit soumis à un délai de péremption doit prouver qu'il a observé celui-ci, car le respect de cette exigence est un élément constitutif de droit et une condition de l'exercice de l'action (arrêts 5C.215/1999 du 9 mars 2000 consid. 6b; 4A_200/ 2008 du 18 août 2008 consid. 2.4.2.1).
Cette jurisprudence visait à l'origine "de véritables délais de péremption", dans lesquels l'action doit être ouverte et dont le respect est relativement facile à contrôler (HOHL, op. cit., p. 268 sous-note 134). Elle n'est pas nécessairement transposable pour chaque délai de péremption.
L'on trouve parfois l'affirmation selon laquelle la non-péremption d'un droit est un fait implicite, soit un fait contenu dans un allégué que le demandeur ne doit alléguer et prouver que si la partie adverse
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l'a contesté (arrêt 4A_243/2018 du 17 décembre 2018 consid. 4.2.1; FABIENNE HOHL, Procédure civile, tome I, 2
e éd. 2016, n. 1594. Sur la notion de fait implicite,
ATF 144 III 519 consid. 5.3.2 p. 526;
48 II 347 consid. 4 spéc. p. 356; arrêt 4A_625/2015 du 29 juin 2016 consid. 4.1). Pour d'autres, cette position est sujette à discussion ("fraglich", JÜRGEN BRÖNNIMANN, Die Behauptungs- und Substanzierungslast im schweizerischen Zivilprozessrecht, 1989, p. 116). La Cour de justice a exploité la première citation.
En réalité, les délais de péremption régissent moult situations, ce qui devrait dissuader de procéder à une généralisation.
Ainsi, une solution particulière s'applique quant à l'avis des défauts que doit donner l'acheteur ou le maître s'il entend sauvegarder ses droits à la garantie: le vendeur ou l'entrepreneur doit alléguer l'acceptation de la chose ou de l'ouvrage, respectivement l'absence ou la tardiveté de l'avis des défauts, auquel cas l'acheteur ou le maître devra prouver qu'il a donné un tel avis en temps utile (
ATF 107 II 50 consid. 2a;
ATF 118 II 142 consid. 3a; arrêts 4A_28/2017 du 28 juin 2017 consid. 4; 4A_405/2017 du 30 novembre 2017 consid. 3.3; 4A_260/2021 du 2 décembre 2021 consid. 5.1.2). Le juge ne peut pas prendre en compte d'office la tardiveté de l'avis (
ATF 107 II 50 consid. 2a). Si cette jurisprudence est la cible de critiques, il est néanmoins admis que la loi est dure pour le maître (respectivement l'acheteur), lequel ne doit pas être privé trop facilement de ses droits (PETER GAUCH, Der Werkvertrag, 6
e éd. 2019, n. 2175 s.; SCHÖNLE/HIGI, Zürcher Kommentar, 3
e éd. 2005, n° 24b ad
art. 201 CO et la réf. à l'
ATF 114 II 131 consid. 1c). Il n'est pas davantage contesté que l'entrepreneur peut renoncer à invoquer la tardiveté de l'avis (arrêt 4A_256/2018 du 10 septembre 2018 consid. 3.2.2 et les réf.). Vu ces singularités, on ne saurait se hasarder à établir un parallèle avec le délai de l'
art. 336b al. 1 CO, contrairement à ce que suggèrent des commentateurs (DIETSCHY-MARTENET/DUNAND, op. cit., n° 24 ad
art. 336b CO et sous-note 53) et la recourante, qui invoque quelques analogies qui ne lui sont d'aucun secours.
Le délai dont il est ici question se distingue aussi d'un véritable délai d'ouverture d'action et pose une problématique d'un autre ordre: l'employé licencié ne peut prétendre à une indemnité pour congé abusif que s'il a formé une opposition valable et que les parties n'ont pas pu s'entendre pour maintenir le rapport de travail (
art. 336b al. 2 CO). Le législateur nourrit l'espoir - peut-être chimérique
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(REHBINDER/STÖCKLI, Berner Kommentar, 2
e éd. 2014, n° 1 ad
art. 336b CO) - que l'auteur du congé reviendra sur sa décision et préférera maintenir le rapport de travail plutôt que de payer une indemnité (
ATF 134 III 67 consid. 5 p. 70 i.f.;
ATF 136 III 96 consid. 2.1; arrêt 4A_320/2014 du 8 septembre 2014 consid. 3.1 et 3.3; ZOSS, op. cit., p. 300, 311-313). Le législateur était conscient que le justiciable peu habitué à de tels délais pouvait en être victime, mais il a maintenu cette solution au nom de la sécurité du droit (BO 1985 CN 1137 i.f. et BO 1987 CE 347 i.f., cités à l'
ATF 136 III 96 consid. 2.1 i.f.). En cas d'entente, il n'y a évidemment plus de place pour l'indemnité de l'
art. 336a CO (STREIFF ET AL., Arbeitsvertrag, Praxiskommentar, 7
e éd. 2012, n° 4 ad
art. 336b CO p. 1064). En d'autres termes, le droit à l'indemnité n'existe que si cette étape pour la réflexion que doit susciter l'opposition a été respectée et se révèle infructueuse. Elle concourt ainsi à fonder l'indemnité (cf.
ATF 123 III 246 consid. 4c p. 252).
Dans ces circonstances, il ne saurait être question d'attendre que la partie actionnée invoque la péremption pour que le demandeur allègue et prouve avoir fait opposition dans le délai légal: il lui appartient de montrer que les conditions participant au fondement de son droit sont réunies, partant d'alléguer et de prouver les circonstances factuelles dont le juge pourra inférer le droit à un dédommagement pour le congé abusif, qui présuppose une opposition valable (FRANÇOIS BOHNET, Actions civiles, vol. II, 2e éd. 2019, § 35 n. 19). Le cas échéant, le juge devra interpréter la missive - la loi requiert la forme écrite - pour décider s'il y a eu opposition au sens de l'art. 336b CO (arrêts 4A_59/2023 du 28 mars 2023 consid. 4; 4A_320/2014 du 8 septembre 2014 consid. 3.3). Ceci justifie une allégation en bonne et due forme, assortie d'une offre de preuve.
En l'espèce, force est de constater que l'employée demanderesse, qui était déjà assistée d'un mandataire professionnel dès avant le début de sa procédure judiciaire, a tout simplement omis de satisfaire à ces exigences. La missive litigieuse du 27 novembre 2018 ne figurait même pas au dossier et l'on ne peut guère contester l'irrecevabilité de cette pièce proposée à l'audience des débats principaux, tant il est vrai que les conditions de l'
art. 229 al. 1 CPC faisaient effectivement défaut, n'en déplaise à l'intéressée. Les premiers juges ont également considéré que la preuve de l'opposition ne découlait pas d'autres éléments du dossier. Dans ce contexte, il n'y a pas à poursuivre la discussion plus avant.
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4.3 Le devoir d'interpellation du juge n'est ici d'aucun secours à l'employée puisqu'elle était assistée d'un avocat dès avant le début de la procédure.
4.4 En bref, l'autorité précédente a enfreint le droit fédéral en considérant que l'opposition au congé constituait un fait implicite qui aurait dû être contesté par l'employeuse, à défaut de quoi l'employée était dispensée d'alléguer et prouver les éléments topiques, l'opposition étant réputée avoir été effectuée.