149 V 250
Chapeau
149 V 250
24. Extrait de l'arrêt de la IVe Cour de droit public dans la cause A. contre Service de l'action sociale de la Ville de La Chaux-de-Fonds (recours en matière de droit public)
8C_307/2022 du 4 septembre 2023
Regeste
Lorsque la personne bénéficiaire d'aide sociale vit en relation de concubinage stable avec une personne non bénéficiaire, il est en principe admissible de prendre en compte les moyens financiers de cette dernière dans le calcul du besoin du bénéficiaire d'aide sociale (consid. 4). Question laissée ouverte s'il en va de même si la personne non soutenue par l'aide sociale est au bénéfice de prestations complémentaires à une rente AVS/AI (consid. 5).
Si la personne bénéficiaire d'aide sociale refuse de collaborer à l'instruction des faits déterminants pour l'octroi et la fixation des prestations d'aide financière, une suspension de ces prestations est admissible (consid. 6).
La suppression des prestations d'aide sociale doit être prononcée dans une décision formelle, sujette aux voies de droit, et peut être assortie d'un retrait d'effet suspensif au recours. Il est inadmissible de mettre fin aux paiements de manière informelle et avec effet immédiat plusieurs mois avant de décider formellement la suppression rétroactive de l'aide (consid. 7.2 et 7.3).
A.a A. bénéficiait de l'aide sociale par le Service communal de l'action sociale de la Ville de La Chaux-de-Fonds (ci-après: le Service) depuis le 1er février 2020. Informé du fait que l'intéressé attendait un enfant et projetait d'emménager avec sa compagne, B., le Service l'a informé, par courriers des 13 et 25 janvier 2021, que la famille constituerait une seule entité d'assistance, soit qu'il serait tenu compte des revenus et charges pour l'ensemble de cette dernière, et a requis la remise de divers documents avant le 28 février 2021; à défaut, son dossier d'aide sociale devrait être fermé. B. était bénéficiaire d'une rente AI et de prestations complémentaires sur le canton de Vaud avant de déménager à La Chaux-de-Fonds. L'enfant est né en
BGE 149 V 250 S. 252
février 2021. A. n'a pas transmis tous les renseignements relatifs à sa compagne dans le délai imposé. Dès le 1er mars 2021, le Service n'a plus versé de prestations d'aide.Par la suite, le Service a continué ses investigations et a notamment envoyé à A. un document intitulé "Demande de versement de prestations AVS/AI/APG/PC/AF en main de tiers" à faire signer par sa compagne. B. n'ayant pas réalisé les démarches auprès du Contrôle des habitants ensuite de son déménagement et ayant refusé de signer le document de cession précité, le Service a informé le bénéficiaire de son intention de rendre une décision administrative visant la suppression de l'aide matérielle et lui a donné la possibilité, par courrier du 3 juin 2021, de faire valoir son droit d'être entendu dans un délai de 20 jours dès le 7 juin 2021.
A.b Par décision du 30 juin 2021, qui s'est croisée avec les observations de l'intéressé du 1er juillet 2021, le Service a supprimé l'aide sociale rétroactivement au 28 février 2021, la situation d'indigence de la famille ne pouvant pas être établie. Le 10 août 2021, l'intéressé a adressé au Service un courrier lui demandant de revoir sa décision du 30 juin 2021, soit de l'annuler et de lui verser l'aide sociale supprimée à tort dès le 1er mars 2021, à défaut de quoi un recours serait déposé. Le 19 août 2021, le Service a rendu une nouvelle décision supprimant l'aide rétroactivement au 28 février 2021, qui "complétait" la précédente; la motivation de cette nouvelle décision était plus détaillée et indiquait dans le dispositif que l'effet suspensif au recours était retiré.
A.c Le 3 septembre 2021, A. a interjeté un recours auprès du Département de l'emploi et de la cohésion sociale (ci-après: le Département) contre la décision du 30 juin 2021. Le 21 septembre 2021, il a également formé un recours auprès du Département contre la décision du Service du 19 août 2021. Par décision du 21 décembre 2021, le Département a joint les deux causes, a rejeté les recours, a déclaré sans objet la requête de restitution de l'effet suspensif, a rejeté la requête d'assistance administrative et a dit qu'un éventuel recours ne déploierait pas d'effet suspensif.
B. Par arrêt du 31 mars 2022, la Cour de droit public du Tribunal cantonal de la République et canton de Neuchâtel a rejeté le recours formé par A. contre cette décision.
C. A. interjette un recours en matière de droit public et un recours constitutionnel subsidiaire contre cet arrêt, en concluant
BGE 149 V 250 S. 253
principalement à sa réforme en ce sens que lui soient octroyées les prestations d'aide sociale dès le 1er mars 2021; à titre subsidiaire, il conclut à l'annulation de l'arrêt attaqué et au renvoi de la cause à la cour cantonale pour nouvelle décision.Le Service conclut au rejet du recours. Le Tribunal cantonal a renoncé à se déterminer.
Le Tribunal fédéral a partiellement admis le recours.
Extrait des considérants:
3. Le litige porte sur le point de savoir si la cour cantonale est tombée dans l'arbitraire en confirmant la suppression des prestations d'aide sociale avec effet rétroactif au 28 février 2021 telle que prononcée par l'intimé par décisions des 30 juin et 19 août 2021, au motif que le recourant avait violé son devoir d'information.
4.1 Selon l'art. 12 Cst., quiconque est dans une situation de détresse et n'est pas en mesure de subvenir à son entretien a le droit d'être aidé et assisté et de recevoir les moyens indispensables pour mener une existence conforme à la dignité humaine. L'art. 12 Cst. ne vise qu'une aide minimale - à savoir un filet de protection temporaire pour les personnes qui ne trouvent aucune protection dans le cadre des institutions sociales existantes - pour mener une existence conforme à la dignité humaine; dans cette mesure, le droit constitutionnel à l'aide d'urgence diffère du droit cantonal à l'aide sociale, qui est plus complet (ATF 146 I 1 consid. 5.1 et les références).
4.2 L'art. 1 de la loi neuchâteloise du 25 juin 1996 sur l'action sociale (LASoc; RSN 831.0) dispose que l'action sociale a pour but d'apporter l'aide sociale nécessaire aux personnes dans le besoin. Selon l'art. 5 LASoc, une personne est dans le besoin lorsqu'elle éprouve des difficultés matérielles ou sociales ou ne peut subvenir à son entretien, d'une manière suffisante ou à temps, par ses propres moyens. Toutefois, en vertu du principe de la subsidiarité, consacré aux art. 5 et 6 LASoc, l'aide sociale matérielle n'est accordée que dans la mesure où la personne dans le besoin ne peut pas subvenir elle-même à ses besoins (possibilités d'auto-prise en charge), si elle ne reçoit pas l'aide d'un tiers (prestations d'assurances, emprunts, subventionnements, prestations volontaires de tiers etc.) ou si l'aide n'a pas été accordée en temps voulu (cf. ATF 141 I 153 consid. 4.2).
BGE 149 V 250 S. 254
Ce principe souligne le caractère subsidiaire de l'aide sociale et postule que toutes les autres possibilités aient déjà été utilisées avant que des prestations d'aide publique soient accordées; il exclut en particulier le choix entre les sources d'aide prioritaires et l'aide sociale publique (arrêt 8C_21/2022 du 14 novembre 2022 consid. 4.2 et les références).L'art. 38 LASoc dispose que le Conseil d'Etat arrête les normes pour le calcul de l'aide matérielle. L'arrêté du Conseil d'Etat du 4 novembre 1998 fixant les normes pour le calcul de l'aide matérielle (ANCAM; RSN 831.02) prévoit à son art. 23 que le service de l'action sociale émet les directives d'application nécessaires et à son art. 24 que les concepts et normes de la Conférence suisse des institutions d'action sociale (ci-après: CSIAS) font référence pour le surplus.
4.3.1 Si la personne assistée vit dans une relation de concubinage stable avec une personne non bénéficiaire, les normes CSIAS prévoient que le revenu et la fortune de cette dernière sont pris en compte de manière appropriée lorsqu'il s'agit de déterminer le droit à l'aide sociale du partenaire assisté et des éventuels enfants communs (normes CSIAS 01/21 D.4.4 al. 1). Un concubinage est considéré comme stable lorsque les partenaires cohabitent depuis au moins deux ans ou lorsqu'ils vivent ensemble depuis moins longtemps et ont un enfant commun. Une telle présomption peut être réfutée (normes CSIAS 01/21 D.4.4 al. 2). Le revenu et la fortune de la personne non assistée sont pris en compte dans la contribution de concubinage, et ce montant fait partie des ressources de la personne bénéficiaire (normes CSIAS 01/21 D.4.4 al. 3).
4.3.2 Ces principes sont également reconnus par la jurisprudence fédérale. Ainsi, le Tribunal fédéral admet qu'il n'est pas arbitraire de tenir compte d'une relation de concubinage stable dans l'octroi des prestations versées sous condition de ressources, quand bien même il n'existe pas un devoir légal et réciproque d'entretien entre les partenaires. Dans cette optique, il est admissible de tenir compte du fait que ces derniers sont prêts à s'assurer mutuellement assistance (ATF 145 I 108 consid. 4.4.6; ATF 141 I 153 consid. 5; ATF 136 I 129 consid. 6.1; ATF 134 I 313 consid. 5.5 et les références). La jurisprudence reconnaît en outre qu'il existe des pratiques cantonales différentes pour la prise en compte des ressources du partenaire non bénéficiaire pour la
BGE 149 V 250 S. 255
fixation des besoins de l'autre partenaire (ATF 136 I 129 consid. 6.2 et les références). Elle n'exclut notamment pas que les cantons traitent comme des couples mariés des personnes qui vivent comme une famille dans un concubinage stable avec un enfant en commun (ATF 136 I 129 consid. 6.2 et les références). Par ailleurs, la référence dans le droit cantonal aux normes CSIAS n'oblige pas nécessairement les autorités à les appliquer dans leurs moindres détails; toutefois, si l'autorité entend s'en écarter, elle doit indiquer les motifs pour lesquels elle statue dans un autre sens (ATF 136 I 129 consid. 8.1).
4.3.3 Dans le canton de Neuchâtel, la loi du 23 février 2005 sur l'harmonisation et la coordination des prestations sociales (LHaCoPS; RSN 831.4) crée les bases de l'harmonisation et de la coordination des prestations sociales cantonales versées sous condition de ressources (art. 1 al. 1 LHaCoPS). L'art. 2 LHaCoPS statue que l'unité économique de référence (ci-après: UER) désigne l'ensemble des personnes dont les éléments de revenus, de charges et de fortune sont pris en compte pour le calcul du revenu déterminant unifié; celui-ci sert de base au calcul du droit à la prestation (art. 4 LHaCoPS). En règle générale, l'UER comprend la personne titulaire du droit et le ou la partenaire avec qui elle partage le domicile (art. 3 LHaCoPS) si, alternativement, ils ont un enfant commun, ils partagent le même domicile depuis deux ans, ils ont signé une déclaration d'assistance mutuelle ou si d'autres éléments permettent de présumer de la stabilité de leur union (art. 18 al. 1 ch. 4 du règlement d'exécution du 18 décembre 2013 de la loi sur l'harmonisation et la coordination des prestations sociales [RELHaCoPS; RSN 831.40]). Selon l'art. 6 LHaCoPS, l'examen du droit aux prestations s'effectue dans l'ordre déterminé par le Conseil d'Etat (al. 1); l'octroi d'une prestation est pris en considération dans le calcul du revenu déterminant le droit à la prestation suivante (al. 2); le revenu déterminant tient compte des prestations accordées aux membres de l'UER et, le cas échéant, de celles auxquelles ils ont renoncé (al. 3). Aux termes de l'art. 40 RELHaCoPS, l'examen du droit aux prestations s'effectue dans l'ordre dans lequel les prestations sont énoncées à l'art. 16 RELHaCoPS. En conséquence, l'aide sociale matérielle (art. 16 al. 1 let. e RELHaCoPS) est examinée après les avances sur contributions d'entretien, les subsides en matière d'assurance-maladie obligatoire et les bourses et prêts d'études (art. 16 al. 1 let. a, c et d RELHaCoPS). L'art. 16 al. 2 RELHaCoPS précise que les prestations complémentaires AVS/AI (PC) sont prises en considération dans le calcul du revenu
BGE 149 V 250 S. 256
déterminant le droit aux prestations sociales mentionnées à l'alinéa 1 let. c, d et e, soit notamment à l'aide sociale. Le règlement précise par ailleurs les règles applicables au revenu déterminant unifié (RDU; art. 1 al. 3 let. c RELHaCoPS) et indique que son calcul se fonde sur les éléments de revenus de charges et de fortune de toutes les personnes composant l'UER (art. 27 RELHaCoPS), dont notamment les rentes du premier pilier, AVS/AI (art. 32 al. 1 let. a RELHaCoPS), qui sont prises en considération à 100 %, même lorsqu'elles ne sont pas ou que partiellement imposables (art. 32 al. 2 RELHaCoPS).
5.1 La cour cantonale a d'abord constaté que le recourant et sa compagne, qui vivaient ensemble avec leur enfant commun, formaient un concubinage stable. Ainsi, le recourant avait admis, dans un premier temps, l'existence d'une unité économique de référence et prié l'autorité d'aide sociale de calculer le montant mensuel manquant au couple sur la base de la rente AI et des prestations complémentaires que recevait sa compagne pour elle et l'enfant. En outre, il n'avait invoqué aucun élément permettant de renverser la présomption de la relation de concubinage stable aux termes des règles et principes applicables en droit de l'aide sociale (cf. consid. 4.3 supra). Devant le Tribunal fédéral, il n'avance toujours rien qui ferait douter de ce fait, sur lequel il n'y a pas lieu de revenir (cf. consid. 2.1 non publié).
5.2.1 Le recourant estime que les dispositions cantonales de la LASoc et de la LHaCoPS violeraient la primauté du droit fédéral (art. 49 al. 1 Cst.). En effet, les normes fédérales applicables à la rente AI et aux prestations complémentaires ne tiendraient pas compte du fait qu'une personne bénéficiaire d'une rente AI ou AVS vit dans une relation de concubinage stable; dans le calcul des prestations complémentaires dues à l'ayant droit, on ne prendrait ainsi pas en compte les besoins du concubin, notamment sa part du loyer (cf. art. 16c al. 1 de l'ordonnance du 15 janvier 1971 sur les prestations complémentaires à l'assurance-vieillesse, survivants et invalidité [OPC-AVS/AI; RS 831.301]). Selon le recourant, la législation cantonale sur l'aide sociale ne saurait poser des conditions plus strictes que le droit fédéral concernant les prestations complémentaires, qui permet d'assurer le minimum vital des personnes au bénéfice d'une rente AI ou AVS. Par conséquent, il serait contraire au droit fédéral d'admettre que B. forme une UER avec le recourant et que, de ce fait,
BGE 149 V 250 S. 257
ses revenus devraient avoir une incidence sur le montant des prestations d'aide sociale dues au recourant. En effet, les revenus provenant des rentes AI et des prestations complémentaires ne couvriraient que les propres besoins minimaux de B. et de son enfant, mais ne concerneraient pas et surtout ne tiendraient pas compte du recourant.
5.2.2 Comme on vient de l'exposer, il est en principe admissible de tenir compte d'une contribution de concubinage dans le calcul des besoins d'une personne assistée lorsqu'elle vit dans une relation de concubinage stable avec une personne non bénéficiaire (cf. consid. 4.3 supra). Le Tribunal fédéral a en outre considéré qu'en cas de concubinage stable, il n'était pas arbitraire de comparer le budget CSIAS élargi du partenaire non soutenu à toutes ses rentrées d'argent (c'est-à-dire aux revenus d'une activité lucrative ou aux revenus de remplacement y compris les prestations complémentaires) et de prendre entièrement en compte l'excédent comme revenu (contribution de concubinage) dans le budget de la personne requérante. En outre, cette façon de faire ne violait ni l'égalité de traitement ni le droit au minimum vital d'existence, également par rapport aux couples mariés (cf. notamment ATF 142 V 513 consid. 5 et les références).
5.2.3 La doctrine admet, sur le principe, que la situation financière du concubin peut être prise en compte dans l'évaluation du besoin de la personne assistée si le couple vit dans une relation stable (cf. notamment GUIDO WIZENT, Die sozialhilferechtliche Bedürftigkeit, 2014, p. 464 ss). Certains auteurs estiment toutefois qu'une telle contribution serait imputée de manière trop schématique, sans égard aux circonstances du cas d'espèce (KARIN ANDERER, Das Konkubinat in der Sozialhilfe, Jusletter 14 novembre 2015; MARTIN D. KÜNG, Sozialhilfe: Ist die unbesehene Anrechnung eines "Konkubinatsbeitrages" rechtlich haltbar?, AJP 2023 p. 357 ss). En ce qui concerne en particulier la prise en compte d'une contribution de concubinage lorsque le partenaire non soutenu perçoit des prestations complémentaires, admise par la jurisprudence, ANDERER soutient qu'elle violerait le droit fédéral, notamment l'art. 112a Cst. (ANDERER, op. cit., n. 56 ss; autre avis: GUIDO WIZENT, Sozialhilferecht [ci-après: Sozialhilferecht], 2020, n. 695).
5.2.4 En l'espèce, il n'y a pas lieu de trancher la question de savoir s'il y aurait violation du droit fédéral, en particulier du droit constitutionnel, à prendre en compte les prestations complémentaires de
BGE 149 V 250 S. 258
la partenaire non bénéficiaire d'aide sociale vivant en concubinage stable avec le recourant dans le calcul des besoins de ce dernier. En effet, comme on le verra, les prestations de l'aide sociale n'ont en l'occurrence pas été supprimées au motif que le recourant vivait désormais dans une relation de concubinage stable avec sa compagne et leur enfant commun, mais en raison du fait qu'il avait violé son obligation de renseignement par rapport aux changements de sa situation financière induits par cette cohabitation (cf. consid. 6 infra).
6.1 L'autorité intimée a justifié la suppression rétroactive de l'aide par le motif principal que le recourant n'avait pas donné dans le délai imposé les renseignements qu'elle lui avait demandés pour éclaircir la situation financière de la famille.
Les juges cantonaux ont considéré que le recourant avait été rendu attentif à son devoir de renseignement dans le formulaire de demande d'aide qu'il avait signé le 5 mars 2020 et que sa compagne était soumise au même engagement. Le formulaire ainsi signé indiquait notamment que si l'annonce d'un changement n'était pas faite immédiatement, il pouvait en résulter une suspension du paiement des prestations (art. 42 LASoc et son commentaire, contenus dans la demande d'aide). Il y était par ailleurs reproduit l'art. 43a LASoc, selon lequel l'aide matérielle versée à titre d'avances dans l'attente de prestations d'assurances sociales ou d'autres prestations financières est remboursable dès que celles-ci sont accordées. Selon le commentaire qui suivait cette disposition, l'autorité d'aide sociale faisait signer une cession au demandeur sur les prestations à venir, si l'aide matérielle intervenait à titre d'avance, afin de pouvoir, le moment venu, les encaisser directement, en introduisant une demande de versement de rente en sa faveur.
En l'occurrence, le recourant n'avait pas tenu ses engagements, soit son obligation de renseigner concernant la situation financière de l'UER qu'il formait avec sa compagne et leur enfant. Le Service pouvait donc supprimer ses prestations dès le 28 février 2021. En janvier 2021 déjà, divers renseignements et documents avaient été requis, et le Service avait fixé un délai au 28 février 2021, précisant qu'à défaut, il serait dans l'impossibilité d'évaluer la situation d'indigence de la famille et devrait fermer le dossier d'aide sociale. Divers courriers du Service avaient par la suite rappelé les obligations de l'intéressé. Celui-ci n'avait pas donné suite, malgré les délais fixés.
BGE 149 V 250 S. 259
Il avait lui-même écrit à son curateur, le 30 avril 2021, que sa compagne refuserait de signer la cession tant qu'elle n'aurait pas la certitude que cet argent lui serait directement versé, ajoutant qu'il comprenait bien que "tant qu'il n'y aura rien de signé, je n'aurai aucun revenu et qu'elle devra tout payer". Les juges cantonaux ont conclu que le Service avait procédé conformément aux dispositions légales précitées et qu'il était donc sans importance que la seconde décision (du 19 août 2021) ait complété ou annulé celle du 30 juin 2021.
6.2.1 Selon la jurisprudence, la maxime inquisitoire applicable dans la procédure en matière d'aide sociale oblige l'autorité compétente à établir les faits d'office. Elle ne dispense toutefois pas le requérant de l'obligation d'exposer les circonstances déterminantes pour fonder son droit. Son devoir de collaborer ne libère pas l'autorité compétente de son devoir d'établir les faits mais limite son obligation d'instruire, ce qui conduit à un déplacement partiel du fardeau de la preuve du côté des requérants d'aide sociale. Ceux-ci supportent le fardeau objectif de la preuve qu'ils sont en partie ou entièrement tributaires d'une telle aide en raison d'un manque de moyens propres. La preuve exigible doit porter sur l'état de besoin. Il appartient à l'autorité compétente en matière d'aide sociale d'établir s'il existe un état de nécessité. De son côté, le requérant est tenu de collaborer en ce sens qu'il donne les informations nécessaires et verse les documents requis au dossier. Le devoir de collaborer ne peut toutefois pas être soumis à des exigences trop élevées (arrêts 8C_702/2015 du 15 juin 2016 consid. 6.2.1; 8C_50/2015 du 17 juin 2015 consid. 3.2.1 et les références), étant rappelé que les bénéficiaires de l'aide sociale sont souvent des personnes vulnérables pour des raisons psychiques, physiques ou sociales (cf. TOBIAS HOBI, Leistungsreduktionen als Sanktion wegen fehlender Bedürftigkeit oder gestützt auf das Subsidiaritätsprinzip, Jusletter 14 novembre 2015 n. 42; STUDER/FUCHS, Zugang zum Recht in der Sozialhilfe, Jusletter 26 juin 2023 n. 3, 21 ss).
La jurisprudence admet qu'une suspension des prestations peut être justifiée lorsque l'intéressé refuse de collaborer à l'instruction des faits déterminants pour l'octroi et la fixation des prestations d'aide financière. Il y a lieu de prononcer une suspension lorsque, en raison du non-respect de prescriptions réglant la procédure d'octroi et destinées à clarifier les circonstances déterminantes pour l'allocation et la fixation des prestations, l'autorité ne peut pas examiner si les conditions du droit sont toujours données et si des doutes certains
BGE 149 V 250 S. 260
quant à l'existence du besoin d'aide ne peuvent pas être écartés. Lorsque l'octroi de prestations d'aide financière est suspendu sous les conditions restrictives mentionnées ci-avant, il n'y a pas lieu d'y voir une atteinte aux droits fondamentaux dans la mesure où il est loisible à l'intéressé de réactiver le versement desdites prestations par un comportement coopératif (arrêts 8C_702/2015, déjà cité, consid. 6.2.2; 8C_50/2015, déjà cité, consid. 3.2.2).
6.2.2 En droit neuchâtelois, l'obligation de renseignement est réglée à l'art. 32 LASoc. Aux termes de cette disposition, la personne qui sollicite une aide matérielle est tenue de renseigner l'autorité, respectivement le guichet social régional, sur sa situation personnelle et financière de manière complète et de produire les documents nécessaires (al. 1); elle doit en outre donner à l'autorité la possibilité de prendre toute information utile (al. 2); à défaut, l'autorité peut refuser d'intervenir (al. 3). En plus, le bénéficiaire est tenu de signaler sans retard à l'autorité d'aide sociale, respectivement au guichet social régional, tout changement dans sa situation pouvant entraîner la modification de l'aide (art. 42 al. 1 LASoc). L'art. 17 RELHaCoPS prévoit un devoir de renseignement identique, auquel est aussi soumis le concubin (art. 17 al. 3 RELHaCoPS).
6.2.3 Selon le chiffre F.3 des normes CSIAS (dans la version du 1er janvier 2021), l'organe d'aide sociale n'entre pas en matière sur la demande lorsque le besoin d'aide n'est pas démontré de manière complète (al. 1); la suppression partielle ou totale des prestations est notamment autorisée si, pendant une aide en cours, le besoin d'aide n'est plus démontré (al. 3 let. a). Les commentaires de ces normes précisent que lorsqu'une personne demandant l'aide sociale refuse de fournir les données et documents pertinents et nécessaires à la détermination du besoin, bien qu'elle ait été avertie et informée par écrit des conséquences d'un tel refus, sa demande de prestations ne pourra pas être examinée. La suppression de la prestation doit être notifiée dans une décision sujette à recours. L'effet suspensif ne peut être refusé que dans des cas exceptionnels et en conformité avec le droit de procédure cantonal.
6.3 Il résulte des dispositions légales indiquées par la cour cantonale, des principes retenus dans les normes CSIAS ainsi que de la jurisprudence citée ci-avant que la suppression des prestations d'aide matérielle n'est pas critiquable sur le principe, la situation financière du recourant et sa compagne n'ayant pas pu être éclaircie. Le
BGE 149 V 250 S. 261
recourant ne conteste d'ailleurs pas qu'il n'a pas fourni toutes les informations demandées par l'autorité intimée dans le délai imposé et qu'il avait été dûment averti par écrit des conséquences du refus de fournir les renseignements requis.
7.1 Le recourant soutient cependant que l'autorité d'aide sociale l'aurait privé dans les faits de toute aide matérielle dès mars 2021 déjà, sans l'avoir entendu ni avoir rendu une décision formelle supprimant l'aide. Elle n'aurait pris cette décision que cinq mois plus tard, avec effet rétroactif et en retirant l'effet suspensif à un éventuel recours. Ce faisant, elle aurait violé les principes fondamentaux du droit public et notamment l'art. 35 LASoc, qui prévoit que l'autorité d'aide sociale ne peut pas réduire ou supprimer l'aide ou en modifier la nature sans avoir entendu le bénéficiaire.
7.2.1 Une autorité administrative peut s'exprimer et communiquer avec les administrés par plusieurs types d'actes, dont les décisions, les renseignements, les actes matériels, les recommandations, les avertissements ou admonestations ou encore les actes normatifs (cf. BENOÎT BOVAY, Procédure administrative, 2e éd. 2015, p. 339 ss). Quand il s'agit d'influencer la situation juridique d'un administré dans un cas particulier - notamment en droit d'aide sociale -, la décision est le mode principal d'expression de l'autorité pour faire valoir sa volonté (WIZENT, Sozialhilferecht, op. cit., n. 1094). La décision est le dénouement de la procédure non contentieuse et forme l'objet nécessaire du recours; elle constitue ainsi le lien entre le droit administratif, l'administration qui l'applique et l'administré (BOVAY, op. cit., p. 329). Ouvrant la voie à un contrôle judiciaire (cf. art. 29a Cst.), elle forme aussi la charnière entre la procédure administrative (non contentieuse) et la procédure contentieuse (cf. MARKUS MÜLLER, in Kommentar zum Gesetz über die Verwaltungsrechtspflege im Kanton Bern, Herzog/Daum [éd.], 2e éd. 2020, n° 1 ad art. 49 VRPG). En droit fédéral comme en droit cantonal neuchâtelois, sont considérées comme décisions les mesures prises par les autorités dans des cas d'espèce, fondées sur le droit public (fédéral, cantonal ou communal) et ayant pour objet de créer, de modifier ou d'annuler des droits ou des obligations, de constater l'existence, l'inexistence ou l'étendue de droits ou d'obligations ou de rejeter ou de déclarer irrecevables des demandes tendant à créer, modifier, annuler ou constater des droits ou obligations (art. 5 al. 1 PA; art. 3 al. 1 de la
BGE 149 V 250 S. 262
loi neuchâteloise du 27 juin 1979 sur la procédure et la juridiction administratives [LPJA; RSN 152.130]). En d'autres termes, la décision est un acte de souveraineté individuel adressé à un particulier qui règle de manière obligatoire et contraignante un rapport de droit administratif concret, formant ou constatant une situation juridique (ATF 139 V 72 consid. 2.2.1; ATF 135 II 38 consid. 4.3; BOVAY, op. cit., p. 330).
7.2.2 La suppression de prestations d'aide sociale a un caractère incisif, car elle prive le bénéficiaire des moyens destinés à couvrir ses besoins vitaux et met ainsi en péril son droit fondamental à des conditions minimales d'existence, garanti par l'art. 12 Cst. Par conséquent, il s'impose qu'une mesure aussi tranchante dans un contexte particulièrement délicat soit prononcée dans une décision formelle, sujette aux voies de droit ordinaires (cf. art. 29a Cst.). Si elle est au surplus censée être immédiatement exécutoire, elle doit être émise sans délai et peut prévoir que le recours sera dépourvu d'effet suspensif. Il n'est cependant pas admissible qu'une autorité supprime les prestations de manière purement informelle si un bénéficiaire ne remplit pas ses obligations de renseignement (WIZENT, Sozialhilferecht, op. cit., n. 1097; cf. URSPRUNG/RIEDI HUNOLD, Verfahrensgrundsätze und Grundrechtsbeschränkungen in der Sozialhilfe, ZBl 116/2015 p. 410; URS VOGEL, Rechtsbeziehungen - Rechte und Pflichten der unterstützten Person und der Organe der Sozialhilfe, Das Schweizerische Sozialhilferecht, Christoph Häfeli [éd.], 2008, p. 166).
7.3 En l'occurrence, l'intimé a averti le recourant dès janvier 2021 que l'aide serait supprimée s'il ne transmettait pas les documents concernant sa situation financière jusqu'au 28 février 2021. Le recourant ne s'étant pas exécuté dans ce délai, il a simplement cessé de verser l'aide matérielle dès ce moment, sans respecter quelque formalité que ce soit. Par la suite, il a continué d'investiguer la situation économique du recourant et de sa famille en demandant quelques démarches et informations supplémentaires, qu'il n'avait pas sollicitées auparavant (par exemple la présentation de l'acte de naissance et de la police d'assurance-maladie de l'enfant, ou la signature de la cessation des prestations AI et PC par la compagne). Ce n'est qu'en juin 2021 que l'autorité a conclu qu'elle était dans l'incapacité d'établir la situation d'indigence de la famille, qu'elle a formellement entendu le recourant et qu'elle a émis la première décision (du 30 juin 2021) supprimant l'aide avec effet rétroactif au 28 février 2021.
BGE 149 V 250 S. 263
Il sied de souligner que l'intimé aurait eu la faculté de supprimer les prestations d'aide avec effet immédiat à tout moment antérieur, en retirant l'effet suspensif à un recours contre une telle décision pour sauvegarder l'intérêt public à ne pas accorder indûment des prestations d'aide sociale (ce qu'il a d'ailleurs indiqué lui-même dans sa décision du 19 août 2021; cf. art. 40 LPJA/NE en relation avec art. 70 LASoc). Au vu de ces circonstances, la manière de procéder de l'autorité intimée, qui a mis fin aux paiements de manière informelle et avec effet immédiat plusieurs mois avant de décider formellement la suppression rétroactive de l'aide, est inadmissible. Elle résulte en effet d'une application manifestement erronée des principes juridiques pertinents et ne mérite donc pas d'être protégée.
8. Il ressort de ce qui vient d'être dit que les décisions du 30 juin respectivement du 19 août 2021 ne sauraient être maintenues dans la mesure où elles ordonnent la suppression rétroactive des prestations d'aide sociale. Cela ne signifie toutefois pas pour autant, contrairement à ce que semble penser le recourant, que celui-ci aurait eo ipso droit à des prestations d'aide du même montant qu'avant le 28 février 2021 et cela pour une durée illimitée. En effet, dès cette date, sa situation personnelle a changé avec la cohabitation avec sa compagne et la naissance de leur enfant. Il incombera dès lors à l'autorité intimée de réexaminer son droit aux prestations dès le 1er mars 2021 sur la base de ces nouvelles circonstances. Décider autrement mènerait au résultat indésirable que le recourant serait mieux loti que d'autres bénéficiaires de l'aide sociale vivant dans une situation identique.