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Chapeau

150 II 265


22. Extrait de l'arrêt de la IIIe Cour de droit public dans la cause Administration fédérale des contributions AFC contre Administration cantonale des impôts du canton de Vaud, A.A. et consorts (recours en matière de droit public)
9C_680/2022 du 24 avril 2024

Regeste

Art. 37b LIFD; imposition privilégiée du bénéfice provenant de la dissolution de réserves latentes issue d'une réévaluation comptable d'actifs immobilisés.
Le bénéfice issu d'une réévaluation comptable d'actifs immobilisés peut faire l'objet de l'imposition privilégiée de l'art. 37b LIFD. Cette solution ne s'oppose pas à l'intention du législateur (consid. 5.4.1). Il existe, en l'espèce, un lien de causalité - tel que requis par la jurisprudence - entre la dissolution des réserves latentes par la réévaluation comptable et la cessation de l'activité lucrative indépendante (consid. 5.4.2). Le fait qu'une société anonyme a succédé à la société de personnes qui a cessé son activité n'y change rien (consid. 5.4.3).

Faits à partir de page 266

BGE 150 II 265 S. 266

A. A.A. et B.A. (ci-après: les contribuables), nés respectivement en 1958 et 1956, exploitaient conjointement une société en nom collectif (ci-après: SNC), chacun participant pour une demie dans dite société. La SNC, qui avait pour activité l'exploitation d'une (...), a été transformée en société anonyme avec effet rétroactif au 1er janvier 2014, selon inscription dans la Feuille officielle suisse du commerce de 2014.
Dans le cadre de l'exercice comptable de la SNC précédant sa transformation (soit du 1er janvier au 31 décembre 2013), une réévaluation comptable de certains actifs immobilisés a été effectuée à hauteur de 175'593 fr., générant pour cet exercice et en tenant compte de cette réévaluation, un bénéfice de 175'717 fr.

A.a Dans leurs déclarations d'impôt respectives pour la période fiscale 2013, les contribuables ont sollicité l'application d'une imposition séparée du bénéfice de liquidation de 87'796 fr. chacun, lié à la cessation de leur activité indépendante induite par la transformation de leur SNC en société anonyme. Par décisions de taxation séparées des 16 et 17 mai 2017, l'Office d'impôt de U. a procédé à la
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taxation respectivement de B.A. et son épouse, C.A., ainsi que de A.A. pour la période fiscale 2013, en refusant d'inclure dans le bénéfice de liquidation le montant global de 175'593 fr., résultant de la réévaluation comptable des actifs immobilisés.

A.b Par décisions sur réclamation séparées du 25 janvier 2021, l'Administration cantonale des impôts du canton de Vaud (ci-après: l'Administration cantonale) a admis les réclamations des contribuables et fixé les éléments imposables en tenant compte d'un bénéfice de liquidation de 87'796 fr., tel que déclaré.

B. Après avoir joint les causes, le Tribunal cantonal du canton de Vaud, Cour de droit administratif et public, a rejeté les recours de l'Administration fédérale des contributions (ci-après: l'AFC) contre ces décisions sur réclamation, par arrêt du 29 mars 2022.

C. L'AFC interjette un recours en matière de droit public contre cet arrêt dont elle demande la réforme. À titre principal, elle conclut en substance à ce que le bénéfice issu de la réévaluation comptable soit inclus, pour l'impôt fédéral direct pour la période fiscale 2013, dans le revenu de l'activité lucrative indépendante des contribuables et que le revenu imposable correspondant soit fixé à 171'900 fr. pour A.A. et à 206'700 fr. pour B.A. et C.A. À titre subsidiaire, elle conclut à l'annulation de l'arrêt entrepris et au renvoi de la cause à l'instance cantonale pour nouvelle décision "au sens du présent recours".
L'Administration cantonale conclut au rejet du recours. Les contribuables ont renoncé à se déterminer.
Le Tribunal fédéral a rejeté le recours.

Considérants

Extrait des considérants:

2. Le litige a trait à la question de savoir si le bénéfice issu de la réévaluation comptable d'actifs immobilisés effectuée par la SNC, dont les contribuables étaient associés, dans l'exercice comptable précédant sa transformation en société anonyme peut être soumis à l'imposition privilégiée de l'art. 37b al. 1 LIFD (RS 642.11), séparément du revenu ordinaire de l'activité indépendante. Aux termes de cette disposition, "le total des réserves latentes réalisées au cours des deux derniers exercices commerciaux est imposable séparément des autres revenus si le contribuable âgé de 55 ans révolus cesse définitivement d'exercer son activité lucrative indépendante ou s'il est incapable de poursuivre cette activité pour cause d'invalidité. Les
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rachats au sens de l'art. 33 al. 1 let. d sont déductibles. Si un tel rachat n'est pas effectué, l'impôt est calculé, sur la base de taux représentant le cinquième des barèmes inscrits à l'art. 36, sur la part des réserves latentes réalisées correspondant au montant dont le contribuable prouve l'admissibilité comme rachat au sens de l'art. 33 al. 1 let. d. Sur le solde des réserves latentes réalisées, seul un cinquième de ce montant est déterminant pour la fixation du taux applicable, mais au moins au taux de 2 %".
Seule est litigieuse en l'occurrence la qualification, comme bénéfice de liquidation, de la dissolution volontaire des réserves latentes provenant d'actifs immobilisés par le biais de la réévaluation comptable effectuée par les contribuables. Les conditions de l'âge des personnes concernées et de la cessation définitive de l'activité lucrative indépendante ne sont pas contestées.
(...)

4. La doctrine n'est pas unanime sur la question litigieuse. Certains auteurs affirment que le privilège fiscal attaché à la dissolution des réserves en vertu de l'art. 37b al. 1 LIFD s'applique à toutes les formes de réalisation de réserves latentes (réalisation effective, systématique ou comptable) pour autant que les réserves aient été formées de manière conforme aux règles du droit comptable et admissible fiscalement (ainsi, MAUCHLE/FENNERS, Ausgewählte Fragestellungen zur privilegierten Liquidationsgewinnbesteuerung, IFF Forum für Steuerrecht 2022 p. 432), et à tout le moins en ce qui concerne les réserves latentes issues d'actifs immobilisés (RAPHAËL GANI, in Commentaire romand, Impôt fédéral direct, 2e éd. 2017, nos 35 et 38 ad art. 37b LIFD; cf. également IVO BAUMGARTNER, in Bundesgesetz über die direkte Bundessteuer, Kommentar zum Schweizerischen Steuerrecht, 4e éd. 2022, n° 13c ad art. 37b LIFD, qui souligne toutefois qu'une telle imposition privilégiée ensuite d'une réévaluation comptable soulève des questions de délimitation). D'autres auteurs mentionnent en revanche qu'il convient de soumettre les bénéfices issus d'une réalisation comptable à l'imposition ordinaire selon l'art. 18 al. 2 LIFD (cf.SCHREIBER/KUMASHOVA, in Umstrukturierungen, Kommentar zum Schweizerischen Steuerrecht, 2e éd. 2022, § 2 n. 192). Une autre partie de la doctrine n'indique, comme cas d'application de l'art. 37b al. 1 LIFD, que la dissolution des réserves lors d'une "véritable" réalisation (comme par exemple une vente) ou lors d'une réalisation systématique (RICHNER/FREI/
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KAUFMANN/ROHNER, Handkommentar zum DBG, 4e éd. 2023, n° 9 ad art. 37b LIFD; cf. également, REICH/CAVELTI, in Bundesgesetz über die Harmonisierung der direkten Steuern der Kantone und Gemeinden, Kommentar zum Schweizerischen Steuerrecht, 4e éd. 2022, n° 74 ad art. 11 LHID).

5.

5.1 La loi s'interprète en premier lieu selon sa lettre (interprétation littérale). Si le texte n'est pas absolument clair ou si plusieurs interprétations de celui-ci sont possibles, le juge doit rechercher la véritable portée de la norme au regard notamment de la volonté du législateur telle qu'elle ressort, entre autres, des travaux préparatoires (interprétation historique), du but de la règle, de son esprit, ainsi que des valeurs sur lesquelles elle repose, singulièrement de l'intérêt protégé (interprétation téléologique) ou encore de sa relation avec d'autres dispositions légales (interprétation systématique). Lorsqu'il est appelé à interpréter une loi, le Tribunal fédéral adopte une position pragmatique en suivant ces différentes interprétations, sans les soumettre à un ordre de priorité (ATF 146 II 309 consid. 4.4).

5.2 Le libellé de l'art. 37b al. 1 LIFD ne comporte pas une définition des réserves latentes. Ainsi que l'a retenu à bon droit la cour cantonale, le législateur n'a pas distingué entre les trois formes de réalisation des réserves latentes (réalisation effective, systématique et comptable). Le texte de la disposition n'exclut dès lors pas que les réserves latentes provenant de la réévaluation comptable d'actifs immobilisés puissent bénéficier de l'imposition privilégiée de l'art. 37b LIFD.

5.3 Sous l'angle de l'interprétation téléologique, le Tribunal fédéral a déjà eu l'occasion de préciser que l'art. 37b LIFD a été introduit dans le but d'alléger l'imposition des bénéfices réalisés sur les réserves latentes en cas de fin d'activité indépendante. La cessation d'une activité indépendante a en effet pour conséquence la liquidation de tous les actifs et passifs de l'entreprise, ce qui entraîne la réalisation et partant l'imposition de toutes les réserves latentes. Or le fait de les imposer avec les autres revenus a été jugé pénalisant pour l'indépendant en raison de la progressivité des taux. Un allègement de l'imposition en cas de fin d'activité a aussi été voulu par le législateur, afin de pallier l'absence de prévoyance professionnelle, l'indépendant n'étant pas, contrairement au salarié, obligatoirement affilié à une institution de prévoyance
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(ATF 143 II 661 consid. 6.3 et les références; arrêt 2C_1015/2015 du 8 décembre 2016 consid. 5.2 et les références; sur la notion de réserves latentes en comptabilité, cf. arrêt 2C_1015/2015 cité consid 5.6).
Si le législateur avait l'intention de permettre de dissoudre de manière privilégiée des réserves latentes accumulées pendant des années, il ne souhaitait en revanche pas privilégier de manière arbitraire les revenus ordinaires (arrêt 2C_302/2018 du 9 août 2018 consid. 2.2.7, in RF 73/2018 p. 876). De plus, l'art. 37b al. 1 LIFD ne doit pas permettre au contribuable d'obtenir une qualification plus favorable, en influençant arbitrairement le moment de la réalisation (arrêts 2C_ 302/2018 cité consid. 2.2.2; 2C_1015/2015 cité consid. 5.7.2).
Dans le contexte de l'analyse du sens général de la norme, le Tribunal fédéral a également précisé qu'une imposition séparée des réserves latentes au sens de l'art. 37b al. 1 LIFD supposait un lien de causalité suffisant entre la réalisation de ces réserves latentes et la liquidation de l'activité indépendante, en ce sens que la première doit être la conséquence immédiate de la seconde. Par conséquent, si ce n'est pas la liquidation (à elle seule) qui a mené à la réalisation des réserves latentes, il convient de soumettre ces dernières à l'imposition ordinaire. Un exemple typique dans lequel le lien de causalité est donné est celui d'un immeuble comptabilisé en dessous de sa valeur vénale, qui est vendu parce qu'il a perdu son utilité en raison de la cessation de l'activité indépendante. Il en va de même pour le stock de marchandises (actif circulant) qui est transféré au successeur et qui était jusqu'à présent évalué au coût d'acquisition. Dans ces cas, la réalisation des réserves latentes accumulées est uniquement due à la liquidation et l'imposition privilégiée au sens de l'art. 37b al. 1 LIFD doit avoir lieu, car sans liquidation, il n'y aurait vraisemblablement pas eu (du moins dans un avenir prévisible) une telle réalisation (cf. arrêts 2C_302/2018 cité consid. 2.2.2 et 2.2.7; 2C_1021/2019 du 30 octobre 2020 consid. 7.1).

5.4

5.4.1 Contrairement à ce que soutient l'AFC, l'imposition privilégiée des réserves latentes issues d'une réévaluation comptable des actifs immobilisés au sens de l'art. 37b LIFD ne s'oppose pas à l'intention du législateur, qui, comme on l'a vu, était notamment d'alléger la charge fiscale dans le contexte de la cessation d'une activité indépendante, afin de pallier l'absence de prévoyance professionnelle de l'indépendant. De ce point de vue et dans l'optique du but
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poursuivi, il n'y a aucun motif de traiter différemment, lors de la cessation de l'activité indépendante, la situation dans laquelle les réserves latentes sont réalisées par la vente d'un actif immobilisé (par exemple un immeuble) de celle dans laquelle les réserves latentes sont réalisées en raison d'une réévaluation comptable d'actifs immobilisés, toute autre circonstance étant égale par ailleurs. En effet et dans ces deux cas, l'imposition pourrait être pénalisante pour l'indépendant en raison de la progressivité des taux. Ce dernier ne se trouve pas, dans la seconde hypothèse, dans une situation meilleure au regard de la prévoyance professionnelle que dans la première.

5.4.2 S'agissant du lien de causalité entre la dissolution des réserves latentes par la réévaluation comptable et la cessation de l'activité, dont la juridiction cantonale a fait une appréciation convaincante et motivée, celui-ci est donné, contrairement à ce que la recourante allègue. En effet, dite réévaluation a été effectuée dans les deux ans précédant la cessation de l'activité indépendante des intimés, en vue de transformer la SNC en société de capitaux. La réalisation des réserves latentes - constituées sur des actifs immobilisés et non par des revenus ordinaires - est due à la cessation de l'activité indépendante; comme le relève l'Administration cantonale, il n'y aurait vraisemblablement pas eu, du moins dans un avenir prévisible, une telle réalisation en l'absence de l'arrêt de l'activité des contribuables. Dès lors et comme dans le cas d'une réalisation effective (en raison d'une vente), la réévaluation comptable reposait en l'occurrence sur un lien de causalité suffisant avec l'abandon de l'activité indépendante.

5.4.3 De plus, et bien qu'une société anonyme ait succédé en l'espèce à la société en nom collectif, c'est bien la cessation de l'activité indépendante qui est déterminante au regard de l'art. 37b al. 1 LIFD. En conséquence, l'argumentation que l'AFC tire de la possibilité de transférer des actifs en franchise d'impôt dans la société anonyme nouvellement créée selon l'art. 19 LIFD n'est pas pertinente. Le fait que la réévaluation comptable intervenue dans la société de personnes puisse constituer ensuite un éventuel "potentiel d'amortissement" au niveau de la société anonyme n'est pas un élément qui justifierait de ne pas appliquer l'art. 37b LIFD en l'occurrence. Sont en effet déterminantes les circonstances au moment de la cessation de l'activité indépendante (consid. 5.3). C'est en vain, dans ce contexte, que l'AFC reproche à la juridiction cantonale de se référer à la circulaire n° 28 de l'AFC du 3 novembre 2010 concernant l'imposition des bénéfices de liquidation en cas de cessation définitive de
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l'activité lucrative indépendante pour "modifier la qualification fiscale d'un revenu" qui ne constituerait pas "intrinsèquement" un produit de liquidation, puisqu'elle reconnaît elle-même que cette circulaire n'exclut pas l'application du bénéfice de liquidation dans le cadre de la transformation d'une SNC en société anonyme. Enfin, il n'y a rien à ajouter aux considérations de la cour cantonale sur la réserve d'une éventuelle évasion fiscale, que les parties ne remettent du reste pas en cause.

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regeste: allemand français italien

Etat de fait

Considérants 2 4 5

références

ATF: 146 II 309, 143 II 661

Article: Art. 37b LIFD, art. 37b al. 1 LIFD, art. 33 al. 1 let, art. 18 al. 2 LIFD suite...