Urteilskopf
150 III 188
20. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit civil dans la cause A. contre Rolex SA (recours en matière civile)
4A_171/2023 du 19 janvier 2024
Regeste
Markenrecht; unlauterer Wettbewerb; Personalisierung von Markenprodukten; Art und Weise, für eine derartige Tätigkeit Werbung zu machen.
Schutzbereich der Marken; Prinzip der Erschöpfung im Markenrecht (E. 5.5).
Die gewerbliche Tätigkeit, die darin besteht, auf Verlangen des rechtmässigen Eigentümers Markenprodukte für dessen persönlichen Gebrauch zu personalisieren, verstösst weder gegen das Markenrecht noch gegen die Bestimmungen über den unlauteren Wettbewerb. Anders verhält es sich dagegen mit einer durch den Inhaber der Marke nicht erlaubten Vermarktung von abgeänderten Markenprodukten, auf denen die Originalmarke weiterhin angebracht ist (E. 5.7).
Die Art und Weise, wie ein Unternehmen seine Dienste anbietet und Werbung für seine Tätigkeiten macht, kann gegen das Markenrecht und die Bestimmungen über den unlauteren Wettbewerb verstossen (E. 6.4).
A.a ROLEX SA (ci-après: ROLEX), société genevoise ayant notamment pour but la fabrication et la commercialisation de montres, détient la marque ROLEX pour divers produits horlogers dans le monde entier, y compris en Suisse, ainsi que la couronne distinctive qui l'accompagne. Elle est notamment titulaire de plusieurs marques suisses dans le domaine horloger et/ou de la joaillerie ainsi que de la bijouterie. Elle jouit d'une grande notoriété tant en Suisse qu'au niveau mondial.
(...)
A.c En 2013, D. a créé A. SA, société inscrite au registre du commerce genevois ayant pour but la "transformation de montres et toutes activités, services et conseils dans ces domaines". Ladite société est détenue majoritairement par son fondateur, lequel en est également le directeur avec signature individuelle depuis 2015.
A. SA personnalise des montres de luxe produites en série, essentiellement par ROLEX, en changeant certaines pièces, en leur donnant une nouvelle apparence et/ou en modifiant diverses caractéristiques techniques afin de les rendre plus exclusives conformément aux souhaits exprimés par ses clients. Certaines opérations consistent à transformer une montre en modèle-squelette et à rendre le mouvement visible par transparence, ce que n'a jamais fait ROLEX. L'activité de personnalisation, aussi connue sous le nom de customisation, nécessite parfois, mais pas systématiquement, de déposer et réapposer les marques de la montre d'origine sur le cadran, après le remplacement ou la modification de celui-ci, voire d'apposer des marques sous forme de décalques sous la glace dans le cas des modèles-squelettes. A. SA recrée notamment, en modifiant certaines montres récentes, certains traits de l'apparence de modèles
vintage de ROLEX, qui ne sont plus commercialisés par celle-ci mais qui ont une valeur marchande importante parmi les collectionneurs. Sur les
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modèles modifiés, elle appose ses propres signes (...) et/ou (...) à côté de ceux de la marque ROLEX. Plusieurs modèles personnalisés de montres de la marque ROLEX comportent le nom de célébrités n'ayant jamais été ambassadrices officielles de la marque précitée, avec lesquelles A. SA peut être amenée à conclure des contrats de collaboration.
A. SA procède à la personnalisation de montres apportées par le client. Elle ne possède pas de boutique mais dispose uniquement d'un atelier. Son activité s'exerce en ligne via son site internet "www.A.com", enregistré le 2 octobre 2017. Elle présente également sur son site internet un catalogue d'exemples de montres modifiées, dont certains font partie de séries limitées.
En cours de procédure, A. SA a produit une capture d'écran de son site internet à la date du 21 mars 2021 indiquant que l'accès à celui-ci n'est possible qu'après avoir accepté un avertissement mentionnant que la société concernée est un atelier indépendant offrant des services de personnalisation de montres à la demande de clients pour un usage privé, qu'elle ne fabrique pas ni ne vend des montres et qu'elle n'est ni affiliée aux fabricants de montres sur lesquelles elle intervient ni autorisée par ceux-ci à déployer son activité de personnalisation. Elle a allégué que tel était déjà le cas avant l'introduction de la présente procédure.
Une fois la montre personnalisée par ses soins, A. SA offre une nouvelle garantie propre à ses clients, ses conditions générales (dans leur état au 21 mars 2021) précisant que la garantie originale est automatiquement annulée à la suite de son intervention.
A.d ROLEX, qui refuse d'une manière générale le co-marquage, n'a jamais octroyé d'autorisation à A. SA concernant l'utilisation de ses marques. Cette dernière ne le conteste pas. Elle soutient toutefois que ROLEX a toléré son activité de longue date.
(...)
A.f Sous un prête-nom, ROLEX a pris contact, en octobre 2019, avec A. SA en vue d'un achat test effectué en février 2020. Elle a acquis un modèle modifié d'une montre ROLEX Daytona pour un montant de 32'580 fr., ce prix comprenant la fourniture de la montre d'origine ainsi que la réalisation de la personnalisation. Celle-ci a notamment nécessité une réapposition des marques ROLEX, OYSTER et COSMOGRAPH, à côté du logo (...). Le signe (...) apparaissait sur
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la masse oscillante et le fond de la montre modifiée remise à Rolex en septembre 2020. Entendu en cours de procédure, I., employé chez ROLEX depuis 18 ans et responsable du support technique et atelier, a constaté qu'il s'agissait d'une imitation
vintage, que le cadran avait été changé avec l'apposition de décalques de marques appartenant à ROLEX non réalisées par cette dernière, que la boîte avait été modifiée (remplacement des protections de la couronne, des poussoirs, de la lunette, du fond et de la glace), que le mouvement avait subi des modifications structurelles et que le bracelet montrait des modifications de finitions.
A.g Par courrier du 10 juin 2020, ROLEX a mis en demeure A. SA de cesser toutes ses activités en lien avec des montres de sa marque.
Sous la plume de D., A. SA a répondu le 29 juin 2020 qu'elle était abasourdie par le contenu dudit courrier lequel marquait, à son avis, une rupture totale avec les rapports entretenus jusque-là avec le prénommé. Elle a rejeté les reproches formulés à son endroit et a sollicité une rencontre.
(...)
Le 1er octobre 2020, A. SA a spontanément présenté à ROLEX un document dans lequel elle prenait un certain nombre d'engagements visant, pour l'essentiel, à garantir une clientèle privée devant s'engager à ne pas revendre la montre customisée et à ne pas disposer de stock de montres personnalisées ou à personnaliser.
B. Le 22 décembre 2020, ROLEX a assigné A. SA devant la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève. Elle a conclu à ce qu'il soit ordonné à la défenderesse:
- de cesser immédiatement de fabriquer, de faire fabriquer, d'importer, d'exporter, de commercialiser, d'offrir et/ou de promouvoir, de quelque manière que ce soit, y compris sur internet, des montres, parties de montres ou accessoires qui ne sont pas d'origine et/ou comportent des modifications au niveau du design et/ou au niveau technique, mais arborent néanmoins une ou plusieurs marques appartenant à ROLEX;
- de cesser immédiatement tout usage dans le commerce de marques appartenant à ROLEX en vue d'offrir et/ou de promouvoir, de quelque manière que ce soit, y compris sur internet, des services de modification aboutissant à des montres, parties de montres ou accessoires;
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- de cesser immédiatement tout usage dans le commerce de marques appartenant à ROLEX en combinaison ou en association avec d'autres signes et/ou noms tels que (...), (...), (...) et/ou d'autres célébrités nommément désignées;
- de cesser immédiatement de reprendre ou de faire référence à d'anciens designs ou modèles de montres ROLEX seuls ou en combinaison avec une ou plusieurs des marques pour ou en relation avec tout produit ou service horloger;
- d'indiquer le nom et l'adresse de ses sous-traitants et/ou fournisseurs et/ou distributeurs et/ou acheteurs commerciaux pour tous les produits ou services décrits précédemment.
La demanderesse a également requis que les produits comportant les caractéristiques susdécrites soient confisqués et détruits. Elle a conclu à ce que les condamnations et les interdictions requises soient assorties de la peine d'amende prévue par l'art. 292 du Code pénal suisse (CP; RS 311.0) ainsi que d'une amende d'ordre de 1'000 fr. pour chaque jour d'inexécution. (...)
La défenderesse a conclu au rejet de la demande.
Par ordonnance du 8 avril 2022, la cour cantonale a décidé, avec l'accord des parties, de limiter la procédure à la question de l'existence d'une éventuelle atteinte aux droits de propriété intellectuelle de la demanderesse découlant du comportement adopté par la défenderesse.
(...)
Statuant par arrêt du 9 février 2023 en qualité d'instance cantonale unique, la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève a interdit à la défenderesse:
- tout usage, dans le commerce, de marques appartenant à ROLEX, par apposition ou réapposition;
- tout usage, dans le commerce, de marques appartenant à ROLEX en combinaison ou en association avec d'autres signes et/ou noms tels que (...), (...), (...) et/ou d'autres célébrités nommément désignées.
- tout usage, dans le commerce, de marques appartenant à ROLEX en vue d'offrir et/ou de promouvoir, de quelque manière que ce soit, y compris sur internet, des services de modification de montres, parties de montres ou accessoires.
Ces injonctions ont été prononcées sous la menace de la peine d'amende prévue par l'
art. 292 CP. La cour cantonale a aussi réservé la suite de
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la procédure, en indiquant que les conclusions des parties demeurées litigieuses seraient réglées ultérieurement. (...)
C. Le 21 mars 2023, A. SA (ci-après: la recourante) a formé un recours en matière civile, assorti d'une requête d'effet suspensif, contre cet arrêt. (...)
(...)
L'effet suspensif a été octroyé au recours (...).
(...)
Le Tribunal fédéral a partiellement admis le recours et renvoyé l'affaire à la cour cantonale pour nouvelle décision dans le sens des considérants.
(extrait)
Extrait des considérants:
5. La recourante fait grief à l'autorité précédente d'avoir qualifié d'illicite l'activité de personnalisation de montres exercée par elle. A cet égard, elle lui reproche d'avoir établi les faits de manière manifestement inexacte, respectivement incomplète. Elle dénonce également la violation de l'art. 13 de la loi fédérale du 28 août 1992 sur la protection des marques et des indications de provenance (LPM; RS 232.11) et soutient que la juridiction cantonale aurait méconnu le principe de l'épuisement en droit des marques et fait fi de ce que l'usage de la marque d'autrui à des fins privées est licite.
(...)
5.5.1 Aux termes de l'
art. 1 al. 1 LPM, la marque est un signe propre à distinguer les produits ou les services d'une entreprise de ceux proposés par d'autres entreprises. Selon la jurisprudence, le rôle de la marque est de distinguer les produits ou les services d'une entreprise de ceux d'autres entreprises; son but est d'individualiser les prestations ainsi désignées et de les différencier des autres, de telle sorte que le consommateur puisse retrouver, dans l'abondance de l'offre, un produit ou un service qu'il apprécie (
ATF 148 III 257 consid. 6.2.1;
ATF 122 III 382 consid. 1,
ATF 122 III 469 consid. 5f;
ATF 119 II 473 consid. 2c; arrêt 4A_458/2022 du 3 avril 2023 consid. 4.1). La loi protège ainsi les fonctions de distinction et d'indication de provenance de la marque (
ATF 122 III 469 consid. 5f). D'autres fonctions économiques éventuelles de la marque, notamment celles visant à garantir une
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qualité constante et à provoquer un impact publicitaire, ne jouissent en revanche pas d'une protection en soi (
ATF 148 III 257 consid. 6.2.1;
ATF 128 III 146 2b/bb;
ATF 122 III 469 consid. 5f; Message du 21 novembre 1990 concernant une loi fédérale sur la protection des marques et des indications de provenance, FF 1991 I 18). La LPM n'apparaît ainsi pas comme un instrument qui permettrait au titulaire de la marque de contrôler toute la chaîne de distribution de ses produits (
ATF 122 III 469 consid. 5f).
5.5.2 La protection d'une marque vaut sur le territoire suisse dès l'enregistrement (
art. 5 LPM). Son titulaire dispose du "droit exclusif" de faire usage de la marque pour distinguer les produits ou services enregistrés et d'en disposer (
art. 13 al. 1 LPM). Il peut interdire à des tiers l'usage des signes dont la protection est exclue en vertu de l'
art. 3 al. 1 LPM. Selon l'
art. 13 al. 2 LPM, le titulaire d'une marque peut en particulier interdire à des tiers:
- d'apposer le signe concerné sur des produits ou des emballages (let. a);
- de l'utiliser pour offrir des produits, les mettre dans le commerce ou les détenir à cette fin (let. b);
- de l'utiliser pour offrir ou fournir des services (let. c);
- de l'utiliser pour importer, exporter ou faire transiter des produits (let. d);
- de l'apposer sur des papiers d'affaires, de l'utiliser à des fins publicitaires ou d'en faire usage de quelqu'autre manière dans les affaires (let. e).
Le droit à l'usage exclusif de la marque se limite à l'utilisation dans les affaires, raison pour laquelle l'usage d'une marque à des fins privées est en principe licite (
ATF 146 III 89 consid. 4.1 "Dieser markenrechtliche Ausschliesslichkeitsanspruch ist grundsätzlich auf den gewerbsmässigen Bereich beschränkt und hindert den bloss privaten Gebrauch eines Kennzeichens nicht"; cf. aussi arrêt 4C.376/2004 du 21 janvier 2005 consid. 3.5). Ladite règle souffre toutefois d'une exception visée à l'
art. 13 al. 2bis LPM (
ATF 146 III 89 consid. 4.1). Afin de combattre l'importation à des fins non commerciales de marchandises fabriquées illégalement ("importations capillaires"), le législateur a en effet adopté, en 2007, ce nouvel alinéa. L'objectif était d'étendre le droit d'exclusivité aux marchandises fabriquées industriellement qui sont importées ou exportées ou qui transitent par
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la Suisse à des fins privées (Message du 23 novembre 2005 concernant la modification de la loi sur les brevets et l'arrêté fédéral portant approbation du Traité sur le droit des brevets et du Règlement d'exécution, FF 2006 I 124). Procédant à l'interprétation de l'
art. 13 al. 2bis LPM, le Tribunal fédéral a jugé que le titulaire d'une marque peut recourir aux instruments de droit civil figurant dans la LPM lorsque l'importation, l'exportation ou le transit de produits de fabrication industrielle sont effectués à des fins privées (
ATF 146 III 89 consid. 7-8.1.3).
5.5.3 Pour les titulaires de marques de haute renommée, l'
art. 15 LPM élargit le champ de protection des droits conférés par la marque; dans cette mesure, le principe de spécialité, qui régit le droit suisse des marques, ne s'applique plus (
ATF 130 III 748 consid. 1.3; arrêt 4A_128/2012 du 7 août 2012 consid. 4.2.1). Le titulaire d'une marque de haute renommée peut ainsi interdire à des tiers l'usage de cette marque pour les produits et services de toute nature; il peut, en particulier, leur interdire de l'utiliser pour offrir des produits ou des services, de s'en servir à des fins publicitaires ou encore d'en faire usage de quelque autre manière dans les affaires (
art. 13 al. 2 LPM). Il n'est donc pas nécessaire que les produits ou les services soient de même nature. Ainsi, il a été jugé qu'une entreprise ne pouvait pas utiliser pour des articles de parfumerie la marque des articles de sport "Nike" (
ATF 124 III 277). De la même manière, il a été admis qu'une entreprise de literie ne pouvait pas utiliser la marque de boissons gazeuses "Coca Cola" (
ATF 116 II 463). La marque de produits alimentaires "Nestlé" ne peut pas non plus être utilisée par un tiers pour désigner un établissement médico-social (
ATF 130 III 748).
La loi ne définit pas la haute renommée. Selon la jurisprudence, les critères déterminants pour décider si une telle qualification s'applique à une marque donnée peuvent être déduits du but de l'
art. 15 LPM, lequel est de protéger les marques de haute renommée contre l'exploitation de leur réputation, l'atteinte portée à celle-ci ou la mise en danger du caractère distinctif de la marque (
ATF 130 III 748 consid. 1.1 et les références citées). Semblable protection se justifie lorsque le titulaire de la marque a réussi à susciter une renommée telle que cette marque possède une force de pénétration publicitaire utilisable non seulement pour commercialiser les produits et fournir les services auxquels elle était destinée à l'origine, mais encore pour faciliter sensiblement la vente d'autres produits ou la fourniture d'autres services. Cela suppose que la marque jouisse d'une
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considération générale auprès d'un large public. Pour admettre l'existence d'unemarque de haute renommée, il ne suffit pas que la marque soit connue par un pourcentage élevé de personnes, car cela ne permettrait plus de distinguer la haute renommée d'une marque de sa notoriété. L'imagepositive que représente la marque auprès du public est un critère qui ne doit pas être négligé. Il n'est cependant pas nécessaire que cette image positive fasse l'unanimité en ce sens que les produits ou les services désignés par la marque de haute renommée remporteraient tous les suffrages sans exception (
ATF 130 III 748 consid. 1.1).
5.5.4 Bien que la LPM ne le mentionne pas, le droit des marques obéit au principe de l'épuisement (arrêt 4C.357/2001 du 11 avril 2002 consid. 5). La règle de l'épuisement veut que le droit exclusif de commercialisation d'un bien protégé par un droit de propriété intellectuelle s'épuise à la première mise en circulation par laquelle le bien est aliéné de manière licite (
ATF 122 III 469 consid. 5e et les références citées; arrêt 4C.357/2001, précité, consid. 5). Le Tribunal fédéral s'est prononcé en faveur de l'épuisement international en droit des marques (
ATF 126 III 129 consid. 6a;
ATF 122 III 469 consid. 5f). Il en découle que la première mise en circulation du produit de marque dans n'importe quel État a pour conséquence de faire perdre au titulaire de la marque nationale les droits relatifs à ce produit (
ATF 122 III 469 consid. 5e).
(...)
5.7.1 Il sied d'emblée de souligner que le Tribunal fédéral n'a encore jamais été amené à se prononcer sur le point de savoir si l'activité consistant à personnaliser, moyennant rémunération, un produit de marque à la demande de son propriétaire, sans l'accord du titulaire de la marque concernée, est licite ou non au regard des règles de la LPM et de la LCD (RS 241). La question à résoudre est loin d'être anodine en pratique, dès lors que l'activité de customisation d'objets de marque est en plein essor et que celle-ci ne se limite pas au domaine horloger, mais concerne également bien d'autres secteurs, parmi lesquels figurent notamment ceux de la mode et de l'automobile. L'importance croissante des personnalisations d'articles de marque se traduit aussi par l'émergence de nouveaux conflits divisant les titulaires de marques d'avec des sociétés modifiant des biens revêtus de la marque originale de tiers. Ce n'est dès lors pas un hasard si les autorités judiciaires des pays qui nous entourent, et singulièrement
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les tribunaux allemands, ont dû résoudre divers problèmes en relation avec cette thématique et ont ainsi rendu plusieurs décisions susceptibles de présenter un certain intérêt. Il convient ainsi de garder à l'esprit cet état de choses au moment de trancher le présent litige.
5.7.2 Il n'est pas contesté, ni contestable d'ailleurs, que la personne qui achète un produit de marque en devient la propriétaire et qu'elle peut ainsi en disposer librement dans les limites de la loi (
art. 641 al. 1 CC). Ainsi, celui qui fait l'acquisition d'une montre, arborant la marque de l'intimée, peut choisir de la porter à son poignet. Il jouit aussi de la faculté de l'offrir à un tiers ou de la revendre. Selon ses préférences, il peut aussi décider d'y apporter des modifications d'ordre esthétique. A titre d'exemple, le Bundesgerichtshof allemand (BGH) a ainsi souligné, dans un arrêt rendu en 1998, que la personne qui avait acheté une montre revêtue de la marque de l'intimée et qui y avait ensuite fait ajouter un diamant n'avait pas porté atteinte aux droits de propriété intellectuelle de l'intimée (arrêt du 12 février 1998 in Gewerblicher Rechtsschutz und Urheberrecht [GRUR] 1998 p. 696 s.: "Das Verbietungsrecht findet seine Grenze, wenn die Verwendung der Marke nicht in Beziehung auf den geschäftlichen Verkehr stattfindet. Veränderungen einer Markenware, die der Abnehmer der Ware für den Eigenbedarf vornimmt oder vornehmen läßt, sind markenrechtlich irrelevant. Allein Veränderungen an einer zur Weiterveräußerung im geschäftlichen Verkehr bestimmten Ware können markenrechtliche Verbotsansprüche auslösen").
Lorsqu'un exemplaire d'un produit de marque est aliéné par son titulaire, respectivement avec son accord, l'acquéreur peut ainsi en principe le modifier librement selon ses désirs. Il arrive toutefois fréquemment que la réalisation de certaines modifications sur le bien concerné nécessite certaines compétences techniques que ne possède pas forcément le nouveau propriétaire de l'objet en question. Ainsi, la personne qui fait l'acquisition d'une robe de haute couture devra bien souvent avoir recours aux services d'un couturier professionnel, si elle désire l'ajuster ou la modifier d'une quelconque façon. De même, l'acquéreur d'un véhicule de marque qui entend y apporter des modifications techniques ou esthétiques sera, dans les faits, fréquemment tenu de s'adjoindre les services d'artisans spécialisés dans le domaine automobile. Il n'en va pas différemment dans le monde horloger, lequel nécessite indéniablement des compétences et un savoir-faire tout particuliers. Or, la Cour de céans ne discerne
a priori pas
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de raison légitime justifiant d'opérer une distinction, sur le plan juridique, entre le propriétaire d'un objet de marque procédant lui-même à la modification du bien qu'il a acquis et celui ayant recours aux services d'autrui pour aboutir au même résultat. Rien n'interdit ainsi, à première vue, à une entreprise d'offrir des services tendant à la réparation voire à la modification d'objets de marque en faveur de leurs propriétaires.
5.7.3 Le Tribunal fédéral a déjà eu l'occasion de préciser que l'usage d'une marque à des fins privées n'est pas prohibé, sous réserve de l'exception visée par l'
art. 13 al. 2bis LPM (
ATF 146 III 89 consid. 4.1). La doctrine reconnaît elle aussi que l'usage d'une marque à des fins privées de même que celui interne à une entreprise sont en principe licites (EUGEN MARBACH, Markenrecht, in SIWR vol. III/1, 2
e éd. 2009, n. 1528 ss; THOUVENIN/DORIGO, in Markenschutzgesetz [MSchG], Noth/Bühler/Thouvenin [éd.], 2
e éd. 2017, n° 11 ad
art. 13 LPM; CHRISTOPH WILLI, Markenschutzgesetz, Kommentar, 2002, nos 18 s. ad
art. 13 LPM; PHILIPPE GILLIÉRON, in Commentaire romand, Propriété intellectuelle, 2013, nos 11 ss ad
art. 13 LPM; ALAIN ALBERINI, L'exploitation de la renommée de la marque d'autrui, 2015, p. 181; BARA ABEGG, Der Gebrauch fremder Marken im Geschäftsverkehr, 2013, p. 40; MICHAEL ISLER, in Basler Kommentar, Markenschutzgesetz/Wappenschutzgesetz, 3
e éd. 2017, n° 25 ad
art. 13 LPM; IVAN CHERPILLOD, Le droit suisse des marques, 2007, p. 169;
le même, Propriété intellectuelle, 2021, n. 387; DAVID RÜETSCHI, Die Einfuhr markenverletzender Ware zum privaten Gebrauch [Art. 13 Abs. 2bis MSchG] - Rechtsfolgen einer atypischen Verletzungshandlung, sic! 2010 p. 475; MONJA SIEBER, Gewerbsmässige Markenverletzung bei Privatverkäufen über Auktionsplattformen, sic! 2015 p. 674 s.). La fonction essentielle de la marque est en effet de distinguer les produits ou les services d'une entreprise de ceux d'autres entreprises, de manière à ce que le consommateur puisse retrouver un produit ou un service qu'il apprécie. Pour que le titulaire d'une marque puisse se prévaloir d'une violation de l'
art. 13 LPM, il faut dès lors que l'usage de ladite marque intervienne "dans les affaires" ("gewerbmässig"), c'est-à-dire qu'il soit orienté vers le marché (arrêt 4A_335/2019 du 29 avril 2020 consid. 6.4, non publié in
ATF 146 III 225). Aussi longtemps que l'usage d'une marque se limite à des fins privées, il n'y a pas de risque de confusion possible, faute d'offre sur le marché des prestations considérées (GILLIÉRON, op. cit., n° 12 ad
art. 13 LPM). L'usage d'une marque de haute renommée à des fins
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privées ne contrevient pas davantage à l'
art. 15 LPM (DAVID/FRICK, in Basler Kommentar, Markenschutzgesetz/Wappenschutzgesetz, 3
e éd. 2017, n° 71 ad
art. 15 LPM; MARBACH, op. cit., n. 1692).
La personnalisation d'un objet de marque, effectuée à la demande et pour le compte de son propriétaire en vue de son usage personnel, ne porte en principe pas atteinte à la fonction distinctive de la marque, car l'objet modifié est destiné à un usage privé et n'est pas (re)mis sur le marché. Aussi la cour cantonale ne peut-elle pas être suivie lorsqu'elle considère que l'activité commerciale de la recourante implique une remise sur le marché de produits de marque modifiés sans l'accord de l'intimée. Lorsqu'elle personnalise un objet de marque sur requête de son propriétaire, l'entreprise concernée ne fait en réalité pas usage de la marque d'un tiers sur le marché pour offrir ses propres services, mais ne fait que modifier un bien à des fins privées.
5.7.4 La situation est en revanche différente lorsqu'une entreprise ne se contente pas d'offrir des services de personnalisation d'articles de marque pour répondre aux souhaits de leur propriétaire, mais commercialise aussi des objets de marque customisés, sans l'accord du titulaire de la marque concernée. Une marque confère, en effet, à son titulaire le droit exclusif de déterminer lui-même la qualité des produits commercialisés sous sa marque ainsi que la manière dont il entend les mettre en vente (THOUVENIN/DORIGO, op. cit., n° 117 ad
art. 13 LPM). Le droit exclusif de commercialisation d'un bien protégé par un droit de propriété intellectuelle s'épuise certes lors de la première mise en circulation licite dudit bien (
ATF 122 III 469 consid. 5e et les références citées; arrêt 4C.357/2001, précité, consid. 5). La règle de l'épuisement n'est toutefois pas absolue et connaît des exceptions, notamment lorsque l'article de marque concerné subit des modifications non autorisées par le titulaire de ladite marque (RALPH SCHLOSSER, L'épuisement international en droit des marques: étendue et limites, sic! 1999 p. 401; MARBACH, op. cit., n. 1547 ss; ALBERINI, op. cit., p. 245). Ainsi, la commercialisation de produits modifiés après leur première mise en circulation qui continuent à revêtir la marque de l'article d'origine est en principe illicite (MARBACH, op. cit., n. 1550 s.; ISLER, op. cit., nos 57 ss ad
art. 13 LPM; THOUVENIN/DORIGO, op. cit., n° 117 ad
art. 13 LPM; ABEGG, op. cit., p. 193 s.; MARBACH/DUCREY/WILD, Immaterialgüter- und Wettbewerbsrecht, 4
e éd. 2017, n. 760). Dans un tel cas, la marque est en effet utilisée de telle manière que le marché puisse y voir un signe propre à identifier le produit commercialisé comme étant celui du titulaire de la marque d'origine,
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raison pour laquelle celui-ci peut s'opposer à ce que des produits, modifiés sans son autorisation et arborant sa marque, soient remis sur le marché (IVAN CHERPILLOD, Propriété intellectuelle, 2021, n. 399; GILLIÉRON, op. cit., n° 6 ad
art. 13 LPM; cf. aussi l'arrêt rendu le 8 février 1995 par l'Oberlandesgericht Karlsruhe, in GRUR 1995 p. 417 s.). Si des tiers souhaitent commercialiser un produit de marque ayant subi des modifications, ils doivent dès lors soit obtenir l'accord du titulaire de la marque concernée, soit ôter la marque de l'article personnalisé (THOUVENIN/DORIGO, op. cit., no 124 ad
art. 13 LPM; ALBERINI, op. cit., p. 247).
Dans une affaire jugée en 1992, le Tribunal des districts d'Hérens et Conthey a ainsi qualifié d'illicite la commercialisation, sous la marque d'origine Levi Strauss, de pantalons qui avaient été acquis légitimement avant d'être délavés puis revendus sans l'autorisation du titulaire de ladite marque (cf. Revue Suisse de la Propriété Intellectuelle 1992 p. 242). Plus récemment, le Landgericht de Hambourg a jugé qu'une entreprise allemande ayant vendu des modèles personnalisés de montres arborant la marque de l'intimée avait agi de manière illicite (arrêt rendu le 3 juin 2021 dans l'affaire ROLEX contre Blaken et consorts, n. 312 O 255/2). A cet égard, elle a considéré, en substance, que l'entreprise concernée faisait effectivement usage de la marque de l'intimée sur le marché, puisqu'elle ne se contentait pas de modifier une montre à la demande de son propriétaire mais permettait à ses clients d'acquérir des modèles précis de montres, en affichant sur son site internet un prix de vente, accompagné d'une illustration de l'objet concerné. Elle a en outre estimé que le principe de l'épuisement ne trouvait pas application compte tenu des modifications opérées sur lesdites montres. Elle a enfin jugé que l'apposition du signe de l'auteur de la personnalisation sur l'objet personnalisé à côté de la marque de l'intimée ne permettait pas au public d'identifier que la référence à cette dernière était censée faire uniquement référence à la montre dans son état d'origine, avant sa modification.
5.7.5 Au regard des considérations juridiques qui viennent d'être émises, il convient dès lors d'opérer une distinction entre deux modèles d'activités en lien avec la personnalisation de montres de marque. Le premier, qui consiste pour une entreprise à fournir à ses clients des services de personnalisation de leurs montres de marque, est en principe licite, dans la mesure où le prestataire de services agit sur requête du propriétaire de l'objet concerné et où l'article customisé est
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restitué à son ayant droit, à l'issue de ce processus, sans que la montre n'ait été ainsi (re)mise sur le marché. Le second consiste à commercialiser des montres modifiées sur lesquelles apparaît toujours la marque figurant sur l'objet d'origine. A défaut d'autorisation consentie par le titulaire de ladite marque, une telle activité contrevient en principe à la LPM. Dans un tel cas, la marque est en effet utilisée sur le marché et elle ne remplit plus sa fonction d'identification car elle ne désigne plus l'article d'origine, lequel a subi des modifications sans l'assentiment du titulaire de la marque.
(...)
6. La seconde question à résoudre est celle de savoir si la manière dont la recourante offre ses services, respectivement fait la promotion de ses activités contrevient aux règles de la LPM ou aux dispositions de la LCD.
(...)
6.4 Les arguments principaux avancés par les parties ayant été exposés ci-dessus, il convient de rappeler certaines règles et d'exposer quelques principes, avant d'examiner les mérites des critiques formulées par la recourante.
6.4.1 En vertu de l'
art. 13 al. 2 LPM, le titulaire d'une marque peut notamment interdire aux tiers de l'utiliser pour offrir ou fournir des services (let. c) ou de l'utiliser à des fins publicitaires ou d'en faire usage de quelqu'autre manière dans les affaires (let. e). L'utilisation à des fins informatives de la marque d'un tiers, notamment dans le cadre publicitaire, ne viole toutefois pas l'
art. 13 LPM, à condition qu'elle reste clairement en rapport avec les propres offres ou prestations de celui qui fait la publicité (
ATF 128 III 146 consid. 2; arrêt 4A_95/2019 du 15 juillet 2019 consid. 2.2.1; THOMAS WIDMER, Utilisation licite de la marque d'autrui: un point de situation, sic! 2015 p. 617; en droit allemand, cf. l'arrêt rendu le 12 mars 2015 par le BGH dans l'affaire Porsche contre Techart concernant la publicité en matière de
tuning automobile, in GRUR 2015 p. 1121 ss). Celui qui utilise la marque d'autrui pour commercialiser des produits originaux ou pour offrir des services d'entretien ou de réparation visant des articles authentiques de ladite marque ne contrevient pas au droit des marques si sa publicité se réfère clairement à ses propres offres (arrêt 4A_95/2019, précité, consid. 2.2.1). En effet, chacun peut utiliser des indications pour décrire ses propres offres de produits ou de services, même si elles affectent les marques de tiers
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(
informativer Markengebrauch;
ATF 128 III 146 consid. 2b/aa;
ATF 126 III 322 consid. 3b; arrêt 4A_95/2019, précité, consid. 2.2.1). Le titulaire d'une marque ne peut en principe pas prescrire aux revendeurs de ses produits ou à ceux qui offrent des services en rapport avec ceux-ci les mesures publicitaires qu'ils peuvent prendre (
ATF 128 III 146 consid. 2b/bb). Il conserve néanmoins le droit exclusif d'effectuer une publicité générale de la marque, sans se référer à un assortiment particulier de marchandises ou à des services concrets, afin de promouvoir la réputation et la renommée de la marque auprès du public en général (
ATF 128 III 146 consid. 2b/bb;
ATF 126 III 322 consid. 3a). L'utilisation de la marque d'un tiers est inadmissible dans la mesure où il se crée, dans le public, une fausse impression (d'ensemble) d'un lien spécifique entre le titulaire de la marque et la personne qui fait de la publicité ou d'un droit de cette dernière sur la marque en tant que telle (
ATF 128 III 146 consid. 2;
ATF 126 III 322 consid. 3b; arrêt 4A_95/2019, précité, consid. 2.2.1).
6.4.2 La manière dont une entreprise offre ses services et fait la promotion de ses activités peut également contrevenir aux règles de la LCD, étant rappelé ici que celle-ci ne revêt pas un caractère subsidiaire par rapport aux diverses lois qui protègent la propriété intellectuelle.
L'
art. 3 let. b LCD considère ainsi comme déloyal le fait de fausser le jeu de la concurrence en donnant des indications inexactes ou fallacieuses (arrêt 4A_689/2012 du 24 avril 2013 consid. 2.4; sur la notion d'indication inexacte ou fallacieuse: cf.
ATF 132 III 414 consid. 4.1.2).
L'
art. 3 let. d LCD qualifie de déloyal le comportement de celui qui prend des mesures de nature à faire naître une confusion entre ses propres biens ou services et ceux d'autrui (sur la notion de risque de confusion: cf.
ATF 135 III 446 consid. 6.1). Est visé tout comportement au terme duquel le public est induit en erreur par la création d'un danger de confusion, en particulier lorsque celui-ci est mis en place pour exploiter la réputation d'un concurrent (
ATF 128 III 353 consid. 4;
ATF 126 III 239 consid. 3a et les références citées). Le risque de confusion peut d'ailleurs n'être qu'indirect, en ce sens qu'il suffit que l'auteur fasse naître l'idée que deux produits, en soi distincts, proviennent de la même entreprise (arrêts 4A_689/2012, précité, consid. 2.4; 4A_467/2007 / 4A_469/2007 du 8 février 2008 consid. 4.2).
L'
art. 3 let. e LCD traite de déloyal le comportement, propre à influencer le marché, qui consiste à comparer deux concurrents de façon
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inexacte, fallacieuse, inutilement blessante ou parasitaire. Tombe notamment sous le coup de cette disposition le fait de s'approprier la réputation d'autrui (
ATF 135 III 446 consid. 7.1; arrêt 4A_689/2012, précité, consid. 2.4). L'exploitation de la réputation peut notamment consister à utiliser la marchandise ou la prestation d'autrui dans sa publicité de telle sorte que son image soit transférée sur ses propres offres. Agit de manière déloyale celui qui, par sa présentation publicitaire, transfère en fin de compte la bonne réputation de produits connus sous un autre signe sur ses propres produits, en suscitant des associations d'idées avec ceux-ci, sans qu'il y ait besoin d'un risque de confusion au sens décrit plus haut. Dans cette mesure, il n'est notamment pas nécessaire d'utiliser un signe si similaire à celui du concurrent qu'il puisse être confondu avec lui en position exclusive (
ATF 135 III 446 consid. 7.1).
Il a en outre été jugé que faire croire faussement à un lien entre deux entreprises tombe sous le coup de la clause générale de l'art. 2 LCD (arrêts 4A_689/2012, précité, consid. 2.4; 4A_128/2012, précité, consid. 4.2.2).