Intestazione
150 IV 121
10. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit pénal dans la cause A.A. contre Ministère public central du canton de Vaud, B.A. et consorts (recours en matière pénale)
6B_964/2023 du 17 avril 2024
Regesto
Art. 6 e 7 cpv. 1 e 3 CP; Convenzione del Consiglio d'Europa dell'11 maggio 2011 sulla prevenzione e la lotta contro la violenza nei confronti delle donne e la violenza domestica (Convenzione di Istanbul); principio della personalità attiva; portata dell'esigenza della doppia punibilità e della riserva del diritto più favorevole in relazione alla prescrizione dell'azione penale.
Né l'esigenza della doppia punibilità (art. 7 cpv. 1 lett. a CP), che dev'essere intesa in senso astratto (consid. 3.2.3), né la riserva in favore del diritto meno severo del luogo in cui l'atto è stato commesso allo stadio della commisurazione della pena (art. 7 cpv. 3 CP) impongono di prendere in considerazione la prescrizione dell'azione penale, intervenuta nel luogo di commissione, di un atto costitutivo di violenza carnale secondo il diritto svizzero (consid. 3.4).
A. Originaire de U., A.A. est né en 1983 à V., au Kosovo. Arrivé en Suisse en 2002, il a obtenu le permis B en 2004 ou 2005, puis la nationalité suisse en 2010. Désireux de devenir policier, il n'a toutefois pas pu réaliser son ambition faute de CFC. Il a travaillé dans la restauration et connu une courte période de chômage en 2008 ou 2009. Après une rencontre avec un conseiller de l'Office régional de placement, il a fait un stage dans une enseigne de la grande distribution pendant deux ou trois semaines. Par la suite, une place fixe lui a été proposée dans un magasin de bricolage et de matériaux de construction. Il y a travaillé 3 ans. Se retrouvant une nouvelle fois au chômage, il a effectué, à sa demande, un stage de 3 mois à la Ville de W., qui a été renouvelé 3 mois, avant son engagement. Il a subi un accident en octobre 2018 qui a impliqué deux opérations au genou et complique désormais la reprise d'un travail, l'intéressé étant en reconversion professionnelle. Sa demande d'AI a été rejetée et il perçoit le revenu d'insertion. Son assurance-maladie est subsidiée; le montant résiduel est de l'ordre de 170 fr. par mois. Son loyer s'élève à 864 francs. Il n'a ni fortune, ni poursuites mais des dettes liées à l'acquisition d'une blanchisserie pour 30'000 francs. Marié une première fois, il a divorcé au bout de 7 ans. Il s'est uni en secondes noces au Kosovo à B.A. Deux enfants, C.A. et D.A., sont nés de cette union, respectivement en 2013 et en 2015. Le couple, séparé depuis le 26 avril 2019, est en cours de divorce. Dans le cadre des mesures protectrices et/ou provisionnelles ordonnées, plusieurs expertises ont été mises en oeuvre et des mesures d'éloignement et d'interdiction de périmètre ont par ailleurs été ordonnées en faveur de B.A. et des enfants. Un droit de visite médiatisé a été instauré et A.A. voit ses enfants toutes les deux semaines. Leurs rencontres se passent bien. Il verse à ses enfants une pension alimentaire qui se monte
BGE 150 IV 121 S. 123
mensuellement à 1'570 fr., avancée par le Bureau de recouvrement et d'avances sur pensions alimentaires (ci-après: BRAPA) à qui il rembourse 500 fr. par mois. A.A. est suivi dans un centre de psychiatrie et psychothérapie. L'extrait de son casier judiciaire ne comporte aucune inscription.
Par jugement du 30 juin 2022, le Tribunal correctionnel de l'arrondissement de Lausanne a constaté que A.A. s'était rendu coupable de lésions corporelles simples qualifiées, voies de fait qualifiées, injure, menaces qualifiées, viol et insoumission à une décision de l'autorité (I), l'a condamné à 36 mois de privation de liberté, ainsi qu'à 20 jours-amende, à 30 fr. l'un, ainsi qu'à une amende de 200 fr. (peine privative de liberté de substitution de 2 jours) (II). Il a suspendu l'exécution d'une partie de la peine privative de liberté (18 mois) avec un délai d'épreuve de 4 ans (III) et a subordonné le maintien du sursis au respect d'une interdiction de périmètre (IV). Le tribunal a encore reconnu le condamné débiteur d'indemnités pour tort moral en faveur de son épouse et de ses deux fils, à concurrence respectivement de 10'000 fr., 2'000 fr. et 1'000 fr. plus accessoires légaux; il a ordonné le maintien au dossier de diverses pièces à conviction (VIII) et fixé les frais et dépens (IX et X).
B. Saisie d'un appel du condamné et d'un appel joint du ministère public, par jugement du 22 mars 2023, la Cour d'appel pénale du Tribunal cantonal vaudois les a rejetés tous les deux et a confirmé le jugement querellé. Sous réserve de ce qui a déjà été exposé ci-dessus et de ce qui le sera encore dans les considérants en droit, cette décision à laquelle on renvoie pour le surplus repose sur l'état de fait pertinent suivant, correspondant à celui décrit dans l'acte d'accusation.
B.a Au Kosovo, le 17 mai 2012, A.A. a contraint B.A., alors âgée de 20 ans et avec laquelle il était fiancé, à subir une première relation sexuelle alors que cette dernière était vierge, qu'elle le repoussait avec les mains et lui signifiait qu'elle avait mal et qu'elle voulait qu'il arrête l'acte. Il a passé outre son refus et continué son entreprise. Dix ou quinze minutes plus tard, alors que B.A. saignait et disait qu'elle avait très mal, il l'a contrainte à subir une deuxième relation sexuelle.
B.b À W., au domicile conjugal, entre avril 2014 (les faits antérieurs étant prescrits) et avril 2019, A.A. a régulièrement frappé son épouse au visage et sur tout le corps, usant de ses mains et parfois de ses pieds. Il lui a ainsi causé des douleurs au ventre et à la tête ainsi que des hématomes au visage. Il l'a étranglée à de nombreuses reprises,
BGE 150 IV 121 S. 124
sans toutefois lui faire perdre connaissance, avant de la jeter au sol, lui causant notamment des douleurs au cou et aux cervicales et des difficultés à déglutir durant plusieurs jours.
B.c Au même endroit, entre avril 2014 (les faits antérieurs étant prescrits) et avril 2019, A.A. a régulièrement menacé son épouse de lui faire du mal ainsi qu'à sa famille, de la tuer et de lui prendre les enfants.
B.d Toujours au domicile conjugal, entre février ou avril 2017 et avril 2019, A.A. a régulièrement frappé ses deux enfants en leur donnant des claques sur tout le corps, causant notamment un bleu au visage de l'aîné à une occasion.
B.e Au même endroit, entre mars et avril 2019, A.A. a étranglé B.A., celle-ci éprouvant des difficultés à respirer sans toutefois perdre connaissance, avant de la jeter à terre et de la traiter de "pute".
B.f Alors qu'il faisait l'objet, par ordonnance de mesures protectrices de l'union conjugale du 20 mai 2020, d'une interdiction de prendre contact avec son épouse de quelque manière que ce soit, ou de s'approcher d'elle et de ses enfants à moins de 200 mètres, sous la menace de la peine d'amende prévue à l'
art. 292 CP, A.A. s'est rendu, le 8 octobre 2020, dans un café aux abords immédiats du domicile de son épouse. Il a aussi, le 12 décembre 2020 lors d'une visite médiatisée, déposé dans le sac à dos de son plus jeune fils, sans que ce dernier ne se rende compte, une lettre non datée et rédigée en albanais, à l'attention de son épouse.
S'agissant des autres occasions au cours desquelles, entre le 3 juillet et le 12 décembre 2020, il s'est retrouvé à une distance inférieure à 200 mètres de son épouse ou de ses enfants, il a été mis au bénéfice de ses déclarations selon lesquelles il ne savait pas que ceux-ci s'y trouvaient également et a, dès lors, été libéré de l'infraction d'insoumission à une décision de l'autorité, au motif qu'un léger doute subsistait quant aux raisons de sa présence à ces différents endroits.
C. Par acte du 10 août 2023, A.A. recourt en matière pénale au Tribunal fédéral contre le jugement sur appel du 22 mars 2023. Il conclut avec suite de frais et dépens des instances cantonales et fédérale, principalement à la réforme de cette décision dans le sens de son acquittement des accusations de lésions corporelles simples qualifiées, de voies de fait qualifiées, de menaces qualifiées, d'injures et de viols, avec suite d'indemnité. À titre subsidiaire, il demande l'annulation de la décision querellée et le renvoi de la cause à la cour cantonale.
BGE 150 IV 121 S. 125
Le Tribunal fédéral a rejeté le recours dans la mesure où il est recevable.
Extrait des considérants:
3. Le recourant invoque encore la violation de l'
art. 7 CP en relation avec le viol qui lui est reproché au Kosovo. Selon lui, les faits en question devraient être qualifiés comme "la commission d'actes sexuels au moyen de menaces d'atteinte à l'honneur ou à la réputation", au sens de l'art. 194 PCCK (Provisional Criminal Code of Kosovo; v. infra consid. 3.3), infraction qui serait prescrite en application des règles topiques au lieu de commission en vigueur au moment des faits.
3.1 Conformément à l'
art. 7 al. 1-3 CP, le Code pénal suisse est applicable à quiconque commet un crime ou un délit à l'étranger, sans que soient réalisées les conditions prévues aux art. 4, 5 ou 6 si l'acte est aussi réprimé dans l'État où il a été commis ou que le lieu de commission de l'acte ne relève d'aucune juridiction pénale (al. 1 let. a), si l'auteur se trouve en Suisse ou qu'il est remis à la Suisse en raison de cet acte (al. 1 let. b) et que, selon le droit suisse, l'acte peut donner lieu à l'extradition, mais que l'auteur n'est pas extradé (al. 1 let. c). Lorsque l'auteur n'est pas de nationalité suisse et que le crime ou le délit n'a pas été commis contre un ressortissant suisse, l'al. 1 est applicable uniquement si la demande d'extradition a été rejetée pour un motif autre que la nature de l'acte (al. 2 let. a) ou que l'auteur ait commis un crime particulièrement grave proscrit par la communauté internationale (al. 2 let. b). Le juge fixe les sanctions de sorte que l'auteur ne soit pas traité plus sévèrement qu'il ne l'aurait été en vertu du droit applicable au lieu de commission de l'acte (al. 3).
3.2 Il convient, à titre préliminaire, de relever qu'il est constant que les faits en cause se sont déroulés au Kosovo, ce qui exclut l'application de l'
art. 3 CP. Ils n'entrent manifestement pas non plus dans les prévisions des art. 4 (Crimes ou délits commis à l'étranger contre l'État) et 5 CP (Infractions commises à l'étranger sur des mineurs). L'application de l'
art. 7 CP étant subsidiaire à celle des art. 4, 5 et 6 (
art. 7 al. 1 CP), on peut, tout au plus, se demander d'office (
art. 106 al. 1 LTF) si ces faits sont susceptibles de constituer un crime ou un délit que la Suisse s'est engagée à poursuivre en vertu d'un accord international au sens de l'
art. 6 al. 1 CP, notamment compte tenu de l'entrée en vigueur pour la Suisse, le 1
er avril 2018, de la Convention du Conseil de l'Europe du 11 mai 2011 sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique,
BGE 150 IV 121 S. 126
ratifiée le 14 décembre 2017 (Convention d'Istanbul; RS 0.311.35).
3.2.1 Conformément à l'
art. 6 al. 1 et 2 CP, le Code pénal suisse est applicable à quiconque commet à l'étranger un crime ou un délit que la Suisse s'est engagée à poursuivre en vertu d'un accord international si l'acte est aussi réprimé dans l'État où il a été commis ou que le lieu de commission de l'acte ne relève d'aucune juridiction pénale (al. 1 let. a) et si l'auteur se trouve en Suisse et qu'il n'est pas extradé (al. 1 let. b). Le juge fixe les sanctions de sorte que l'auteur ne soit pas traité plus sévèrement qu'il ne l'aurait été en vertu du droit applicable au lieu de commission de l'acte (al. 2). En lien avec la Convention d'Istanbul précitée, il suffit de relever que si ce texte comprend bien des règles de compétence, notamment en matière de violences sexuelles y compris le viol (art. 36 et 44 Convention d'Istanbul), il n'exclut aucune compétence pénale exercée par une Partie conformément à son droit interne (art. 44 par. 7 Convention d'Istanbul). On peut en déduire que la norme en question n'exclut pas
a priori que la Suisse fonde sa compétence sur l'
art. 7 CP.
3.2.2 Quoi qu'il en soit, le point de savoir si, en droit interne, la compétence est déterminée par l'art. 6 ou par l'
art. 7 CP (dans le sens d'une compétence fondée sur cette dernière disposition, v.: Message du 2 décembre 2016 concernant l'approbation de la convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique [Convention d'Istanbul], FF 2017 163, 221 ch. 2.5.16) demeure, en l'espèce, sans portée.
Comme on le verra, l'acte qu'il est reproché au recourant (de nationalité suisse) d'avoir commis au Kosovo est aussi réprimé par le droit de cet État (v. infra consid. 3.3; v. également art. 6 al. 1 let. a et 7 al. 1 let. a CP ainsi que la réserve formulée par la Suisse quant à l'application de l'art. 44 par. 3 Convention d'Istanbul à la violence sexuelle à l'égard des adultes [art. 36 Convention d'Istanbul]; v. encore Message précité, FF 2017 163, 223 ch. 2.5.16 et LEMPEN/MARFURT/HEEGARD-SCHROETER, La Convention d'Istanbul: tour d'horizon, Jusletter 7 septembre 2015 n. 54; POPP/KESHELEVA, in Basler Kommentar, Strafrecht, vol. I, 4
e éd. 2019, n° 7 ad
art. 6 CP). Le recourant se trouve par ailleurs en Suisse et n'a pas été extradé (art. 6 al. 1 let. b et 7 al. 1 let. b CP) quand bien même l'infraction pourrait donner lieu à un tel acte d'entraide (
art. 190 CP en corrélation avec l'
art. 35 al. 1 let. a EIMP [RS 351.1];
art. 7 al. 1 let. c CP), sans qu'il soit nécessaire de déterminer si l'absence d'extradition résulte de
BGE 150 IV 121 S. 127
motifs juridiques, telle la nationalité de l'auteur, ou simplement factuels, telle l'absence de demande de l'État du lieu de commission (cf. en lien avec l'
art. 19 ch. 4 LStup [RS 812.121]:
ATF 137 IV 33 consid. 2.1.3;
ATF 116 IV 244 consid. 4a; ANDREAS BAUMGARTNER, Die Zuständigkeit im Strafverfahren, 2014, p. 41 s.; TRECHSEL/VEST, in Schweizerisches Strafgesetzbuch, Praxiskommentar, 4
e éd. 2021, n° 2 ad
art. 6 CP). Il s'ensuit que l'application des deux normes conduirait, en réalité, à reconnaître la compétence de la Suisse pour poursuivre les faits survenus au Kosovo. Il n'est donc pas nécessaire non plus d'examiner plus avant si la Convention d'Istanbul, entrée en vigueur pour la Suisse le 1
er avril 2018, qui consacre notamment le principe
aut dedere aut judicare (art. 44 par. 5 Convention d'Istanbul; Rapport explicatif de la Convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique, du 11 mai 2011, ch. 229) est susceptible de fonder la compétence obligatoire de la Suisse pour poursuivre des faits survenus avant son entrée en vigueur (cf. art. 28 de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités [RS 0.111]), ni si elle fonde une telle compétence nonobstant le fait que le Kosovo n'y est pas formellement partie (v. sur cette question de réciprocité: MARC HENZELIN, in Commentaire romand, Code pénal, vol. I, 2
e éd. 2021, nos 17 ss ad
art. 6 CP; en relation avec la maxime
aut dedere aut judicare : POPP/KESHELEVA, op. cit., n° 5 ad
art. 6 CP; v. aussi l'art. 62 par. 3 de la Convention d'Istanbul), quand bien même l'art. 22 de la Constitution de cet État déclare ce texte international directement applicable et lui reconnaît la préséance sur le droit interne (European Union Rule of Law Mission in Kosovo, Assessment of the handling of rape cases by the Justice system in Kosovo - Monitoring report, July 2022 p. 10,
www.eulex-kosovo.eu/?page=2,11,2609 [consulté la dernière fois le 1
er février 2024]).
3.2.3 Du reste, soutenant essentiellement que l'application du droit kosovar devrait conduire à son acquittement en raison de la prescription (v. infra consid. 3.4), le recourant ne conteste ni la compétence de la Suisse pour poursuivre l'infraction, ni la double incrimination de celle-ci. C'est exclusivement sur le plan du principe de la
lex mitior qu'il argumente (cf.
art. 6 al. 2 et art. 7 al. 3 CP). Il suffit dès lors de relever, quant à la double incrimination, qu'après avoir laissé encore ouverte la question dans l'arrêt 6B_251/2021 du 12 novembre 2021 consid. 1.1, le Tribunal fédéral a jugé, dans l'arrêt 6B_452/2022 du 16 novembre 2023 consid. 2, que cette condition
BGE 150 IV 121 S. 128
n'inclut pas celle de l'identité des normes réprimant les faits dans l'État du lieu de commission et en Suisse (sur cette approche v.: GUNTHER ARZT, Zur identischen Strafnorm beim Personalitätsprinzip und bei der Rechtshilfe, in Die Schweizerische Rechtsordnung in ihren internationalen Bezügen, Festgabe zum schweizerischen Juristentag 1988, p. 417 ss; excluant cette exigence d'identité, au bénéfice d'un critère de punissabilité en matière de compétence: POPP/KESHELEVA, op. cit., n° 35 des remarques préliminaires à l'
art. 3 CP; dans le même sens: HENZELIN, op. cit., n° 21 ad
art. 6 CP). Faute de toute argumentation spécifique, il n'y a pas lieu de soumettre cette jurisprudence récente à un nouvel examen.
Sous réserve des hypothèses visées par l'
art. 7 al. 4 CP (qui n'entrent pas en considération en l'espèce) et dans la mesure où il ne s'agit que de fonder la compétence des tribunaux suisses et l'application du droit pénal suisse, les droits du prévenu sont garantis par la procédure suisse (cf. en matière d'entraide:
art. 2 EIMP). Pour le reste, la question de la double incrimination doit être examinée, de la même manière que dans le domaine de l'entraide en matière pénale, soit de façon abstraite. En d'autres termes, l'acte commis à l'étranger ne peut être sanctionné en Suisse que s'il est réprimé tant en Suisse qu'au lieu de commission, soit qu'il y soit visé par une norme pénale en vigueur (cf. en matière de blanchiment:
ATF 136 IV 179 consid. 2; arrêts 6B_251/2021 du 12 novembre 2021 consid. 1.1; 6B_45/2021 du 27 avril 2022 consid. 4.5.3; 6B_341/2019 du 21 février 2020 consid. 1.3.1; 6B_993/2017 du 20 août 2019 consid. 4.6; v. aussi sur les notions de double incrimination abstraite et concrète: ALEXANDRE DYENS, Territorialité et ubiquité en droit pénal international suisse, 2014, p. 35; en matière d'entraide, v. ROBERT ZIMMERMANN, La coopération judiciaire internationale en matière pénale, 5
e éd. 2019, p. 624 n. 582 et p. 626 n. 585), ce qui s'entend du moment déterminant où les faits ont été commis (POPP/KESHELEVA, op. cit., n° 35 des remarques préliminaires à l'
art. 3 CP). Par norme pénale, on entend toute règle de droit qui prescrit l'application d'une sanction par l'État comme conséquence d'un comportement humain. Cela ne suppose ni identité quant au type de sanction, ni correspondance quant au cadre dans lequel la peine doit être fixée, mais bien que la punissabilité concerne un seul et même sujet de droit (arrêt 6B_452/2022 du 16 novembre 2023 consid. 2.1.2).
Par opposition au questionnement du juge sur sa compétence et le champ d'application du Code pénal, le domaine de l'entraide
BGE 150 IV 121 S. 129
judiciaire en matière pénale, présente un caractère essentiellement administratif (
ATF 139 II 404 consid. 6;
ATF 133 IV 271 consid. 2.2.2; dans le même sens et sur la controverse: ZIMMERMANN, op. cit., p. 9 ss n. 8; d'un avis différent: NADJA CAPUS, Strafrecht und Souveränität: Das Erfordernis der beidseitigen Strafbarkeit in der internationalen Rechtshilfe in Strafsachen, 2010, p. 277 ss et les nombreuses références citées). Les principes qui s'y appliquent ne peuvent donc pas être transposés tels quels lorsqu'il s'agit de compétence et d'application territoriale du Code pénal (POPP/KESHELEVA, op. cit., n° 34 des remarques préliminaires à l'
art. 3 CP). Ainsi, l'application des principes du droit pénal matériel tels que la
lex mitior ou la non-rétroactivité, est en règle générale exclue en matière d'entraide et les questions de prescription et de plainte y sont réglées spécifiquement (cf.
art. 13 EIMP). Sous réserve de l'extradition (cf.
art. 35 EIMP) où l'État requis s'assure qu'il est en présence d'un délit extraditionnel (ZIMMERMANN, op. cit., p. 625 n. 584), le juge suisse, respectivement l'État requis, se limite, pour l'essentiel, dans les cas impliquant l'usage de la contrainte, à examiner la réalisation de la question de la double incrimination abstraite postulée dans la demande d'entraide (cf.
art. 28 al. 2 let. c et al. 3 let. b EIMP), au regard de son propre droit (v. p. ex.:
ATF 105 Ib 426 consid. 5; ZIMMERMANN, op. cit., p. 619 s. n. 577 et p. 623 n. 581; CAPUS, op. cit., p. 434 ss; ARZT, op. cit., p. 417) et
prima facie (
ATF 142 IV 250 consid. 5.2,
ATF 142 IV 75 consid. 5.5;
ATF 124 II 184 consid. 4b/cc; arrêt 6B_452/2022 du 16 novembre 2023 consid. 2.1.2). Le juge pénal qui se prononce sur sa propre compétence et l'applicabilité du droit pénal suisse à la cause dont il s'occupe n'est, en revanche, pas saisi d'une demande d'entraide postulant la punissabilité dans un État requérant. Il doit, quant à lui, rechercher dans le droit étranger les éléments démontrant la réalisation de cette condition (apparemment d'un avis différent, mais ne se référant qu'à de la jurisprudence rendue en matière d'entraide: HENZELIN, op. cit., n° 21 ad
art. 6 CP).
3.2.4 Certains auteurs soutiennent enfin que la prescription acquise selon le droit du lieu de commission devrait être considérée afin d'éviter que soit puni en Suisse un individu qui ne pourrait pas être poursuivi à l'étranger, respectivement qu'en tant qu'élément revêtant au moins partiellement une signification matérielle (parce qu'elle limite la protection pénale des biens), la prescription devrait être considérée au stade de la double incrimination également parce qu'il serait insatisfaisant de punir un comportement adopté à l'étranger alors que
BGE 150 IV 121 S. 130
la prescription serait acquise au lieu de commission (POPP/KESHELEVA, op. cit., n° 36 des remarques préliminaires à l'
art. 3 CP; JEAN-LUC COLOMBINI, La prise en considération du droit étranger [pénal et extra-pénal] dans le jugement pénal, thèse Lausanne, 1983, p. 86). Mais une telle limitation irait manifestement au-delà de l'examen abstrait de la double incrimination en faveur duquel a tranché la jurisprudence. Pour les motifs que l'on exposera encore, sa prise en considération ne s'impose pas non plus sous l'angle de la réserve du droit plus favorable prévue par l'
art. 7 al. 3 CP (v. infra consid. 3.4).
3.2.5 À ce stade, on retiendra de ce qui précède que le juge suisse examinant sa compétence et l'applicabilité territoriale du Code pénal suisse, qui n'a pas à s'interroger préliminairement sur le respect des garanties de procédure offertes au prévenu, se limite à examiner si le droit du lieu de commission prescrit également l'application d'une sanction au comportement qui doit être jugé en Suisse selon le droit pénal suisse, sans qu'une parfaite identité soit exigée dans la conception des normes suisse et étrangère, la prescription ne constituant pas un élément pertinent de cet examen.
3.3 A l'initiative de la Mission d'administration intérimaire des Nations Unies au Kosovo (MINUK), cet État a appliqué le Provisional Criminal Code of Kosovo (PCCK; Official Gazette, UNMIK/REG/ 2003/25,
www.legal-tools.org/doc/b79b1b/pdf [consulté la dernière fois le 5 mars 2024]) depuis le 6 avril 2004 (art. 357 PCCK) et jusqu'à l'entrée en vigueur, le 1er janvier 2013, du Criminal Code Of the Republic of Kosovo (CCK; Code N° 04/L-082; art. 444; Eulex, Assessment of the Handling of rape cases by the justice system in Kosovo - Monitoring Report, 2022, p. 14 s.). Étant relevé que ce texte était en vigueur au moment des faits qu'il est reproché au recourant d'avoir commis au Kosovo (art. 2 al. 1 PCCK), ses art. 193 et 194 ont la teneur suivante dans leur version anglaise (déterminante en cas de conflits avec les textes en langues serbe et albanaise; art. 356 PCCK):
"Art. 193 Rape
(1) Whoever subjects another person to a sexual act without such person's consent shall be punished by imprisonment of two to ten years.
(2) Whoever subjects another person to a sexual act:
1) By force;
2) By threat of an imminent danger to the life or body of such person or another person;
BGE 150 IV 121 S. 131
3) By exploiting a situation in which the person is unprotected and where his or her security is in danger; shall be punished by imprisonment of three to ten years.
(3) When the offence provided for in paragraph 1 or 2 of the present article is committed under one or more of the following circumstances, the perpetrator shall be punished by imprisonment of five to fifteen years:
1) The offence is preceded, accompanied or followed by an act of torture or inhumane treatment;
2) The perpetrator causes serious bodily injury or serious disturbances to the mental or physical health of the person;
3) The perpetrator uses a weapon or a dangerous instrument;
4) The perpetrator intentionally causes the person to become intoxicated by alcohol, drugs or other substances;
5) The offence is jointly commited by more than one person;
6) The perpetrator knows that the person is exceptionally vulnerable because of old age, physical or mental disorders or disability, or pregnancy;
7) The perpetrator is the parent, adoptive parent, foster parent, step-parent, grandparent, uncle, aunt or older sibling of the person and such person is between the ages of sixteen and eighteen years;
8) The perpetrator shares a domestic relationship with the person and such person is between the ages of sixteen and eighteen years.
(4) When the offence provided for in paragraph 2 of the present article is committed against a person under the age of sixteen years, the perpetrator shall be punished by imprisonment of five to twenty years.
(5) When the offence provided for in paragraph 1 or 2 of the present article results in the death of the victim, the perpetrator shall be punished by imprisonment of at least ten years or by long-term imprisonment.
Art. 194
Commission of sexual acts by threat to honour or reputation
Whoever subjects another person to a sexual act by threatening to reveal something that would seriously harm the honour or reputation of such person or of a person closely connected to such person shall be punished by imprisonment of six months to five years."
Quant aux règles sur la prescription, elles sont formulées comme suit:
"Article 90
Statutory limitation on criminal prosecution
(1) Unless otherwise provided for by the present Code, criminal prosecution may not be commenced after the following periods have elapsed:
1) Thirty five years from the commission of a criminal offence punishable by long-term imprisonment;
BGE 150 IV 121 S. 132
2) Fifteen years from the commission of a criminal offence punishable by imprisonment of more than ten years;
3) Ten years from the commission of a criminal offence punishable by imprisonment of more than five years;
4) Five years from the commission of a criminal offence punishable by imprisonment of more than three years;
5) Three years from the commission of a criminal offence punishable by imprisonment of more than one year; and
6) Two years from the commission of a criminal offence punishable by imprisonment for up to one year or punishment of a fine.
(2) When the law provides for more than one punishment for a criminal offence, the period of statutory limitation on criminal prosecution shall be determined according to the most serious punishment.
Article 91 Commencement and interruption of periods of statutory limitation on criminal prosecution:
(1) The period of statutory limitation on criminal prosecution commences on the day when the criminal offence was committed.
(2) The period of statutory limitation does not run for any time during which prosecution cannot be initiated or continued by law.
(3) The period of statutory limitation is interrupted by every act undertaken for the purpose of criminal prosecution of the criminal offence committed.
(4) The period of statutory limitation is also interrupted if the perpetrator commits another criminal offence of equal or greater gravity than the previous criminal offence prior to the expiry of the period of statutory limitation.
(5) A new period of statutory limitation will commence after each interruption.
(6) Criminal prosecution shall be prohibited in every case when twice the period of statutory limitation has elapsed (absolute bar on criminal prosecution)."
Il s'ensuit, comme l'a relevé à juste titre la cour cantonale, que le viol reproché au recourant constitue bien un comportement réprimé selon le droit du lieu de commission dans sa teneur en vigueur au moment des faits.
3.4 Le recourant déduit de ces dispositions que les faits qui lui sont reprochés au Kosovo ne pourraient être qualifiés qu'au regard de l'art. 194 PCCK et punis d'une peine n'excédant pas 5 ans de prison, ce qui conduirait à l'application de l'art. 90 al. 1 ch. 4 PCCK, qui prévoit un délai de prescription de 5 ans, qui aurait été échu déjà au
BGE 150 IV 121 S. 133
moment de la première audition de la partie plaignante lors de laquelle elle avait fait état de ces faits, le 26 avril 2019. Ce droit plus favorable exclurait sa condamnation pour viol en application du droit suisse.
3.4.1 Comme on l'a vu, il n'y a pas lieu de prendre en considération la prescription au lieu de commission au stade de l'examen de la double incrimination abstraite (v. supra consid. 3.2.3 s.). On ne peut toutefois ignorer que la réserve du droit plus favorable dont l'
art. 7 al. 3 CP impose de tenir compte, n'est pas sans relation avec le principe de la double incrimination, qu'elle renforce (POPP/KESHELEVA, op. cit., n° 38 des remarques préliminaires à l'
art. 3 CP). Si ce n'est alors pas le droit (même plus favorable) du lieu de commission qui s'applique et si l'autorité de jugement doit uniquement fixer la sanction de manière à ce que, globalement, elle n'apparaisse pas plus sévère qu'en application du droit du lieu de commission, ce qui doit éviter au juge d'appliquer le droit étranger puis d'examiner si celle du droit suisse aboutirait à un résultat plus favorable au condamné (v. infra consid. 3.4.3), on doit néanmoins encore se demander, dans la perspective du grief soulevé, si la prescription selon le droit du lieu de commission du délit ne constituerait pas une circonstance faisant apparaître ce droit comme plus favorable. On peut également se demander, dans ce contexte, si les motifs avancés par les auteurs qui soutiennent la prise en considération de la prescription au stade de la double incrimination abstraite n'imposeraient pas néanmoins (cette première possibilité ayant été écartée; v. supra consid. 3.2.3 s.) de la considérer à titre de droit plus favorable.
3.4.2 Dans un arrêt déjà ancien, rendu en application des anciens
art. 5 et 6 CP, le Tribunal fédéral avait considéré, dans un cas d'actes d'ordre sexuel commis à l'occasion de vacances en Italie par un auteur suisse sur un mineur de la même nationalité, que l'ancien art. 5 l'emportait sur l'ancien
art. 6 CP et que l'ancien art. 5 deuxième phrase CP ("La loi étrangère sera toutefois applicable si elle est plus favorable à l'inculpé") n'impliquait pas la prise en considération des exigences du droit étranger quant au dépôt d'une plainte, qui n'avait pas été déposée en l'espèce alors que le droit italien y subordonnait la poursuite de l'infraction (
ATF 99 IV 257 consid. 1 et 5). Il avait notamment souligné que la plainte relevait de la procédure par opposition au droit matériel, cependant que, indépendamment des formulations en français et en italien, le texte en langue allemande de
BGE 150 IV 121 S. 134
l'ancien
art. 5 CP faisait allusion à une "loi plus douce", ce qui ne pouvait concerner que la comparaison entre deux peines. En établissant en outre des parallèles avec le domaine de l'extradition, le Tribunal fédéral avait jugé que si l'ancien
art. 5 CP prévoyait l'application de la
lex fori au lieu de la
lex loci delicti même pour le droit matériel, il fallait admettre
a fortiori qu'il en allait de même pour le droit de procédure. Du reste, la loi ne contenait pas à l'égard de l'ancien
art. 5 CP une exception analogue à celle qui figurait à l'ancien
art. 339 ch. 3 CP pour le droit intertemporel. Si cet arrêt a désormais perdu une part de sa pertinence en raison de l'introduction de l'
art. 5 CP (infractions commises à l'étranger sur des mineurs), on ne peut pas méconnaître que le texte identique des art. 6 al. 2 et 7 al. 3 CP ("le juge fixe les sanctions") suggère sans ambiguïté une intention de codifier le concept exprimé dans l'
ATF 99 IV 257 que la réserve du droit plus favorable n'aurait pas d'autre portée, dans ce contexte, que de limiter la quotité de la sanction à celle apparaissant la plus favorable après comparaison. Dans le même sens, il convient de relever que le législateur a expressément réservé l'hypothèse dans laquelle la prescription de la peine serait atteinte (art. 6 al. 3 let. b et 7 al. 4 let. b CP). L'approche historique soutient ainsi une interprétation littérale et restrictive du texte, limitant la portée de la réserve du droit plus favorable à la quotité de la sanction.
Dans l'arrêt 6B_102/2011 du 14 février 2012, le Tribunal fédéral a aussi jugé que si, sous l'empire de l'art. 7 CP, le juge suisse n'était plus tenu d'appliquer le droit étranger, même plus favorable, il n'en devait pas moins tant sous l'angle de l'ancien art. 6 CP que sous celui de l'art. 7 CP, examiner quelle sanction aurait été prononcée en application du droit étranger (consid. 1.3.2).
3.4.3 En doctrine, dans la ligne du Message du 21 septembre 1998 concernant la modification du code pénal suisse (dispositions générales, entrée en vigueur et application du code pénal) et du code pénal militaire ainsi qu'une loi fédérale régissant la condition pénale des mineurs (FF 1999 II 1787, 1803 ch. 211.323), TRECHSEL/VEST soulignent que le principe de la
lex mitior n'intervient qu'au stade de la détermination des conséquences juridiques de l'acte. Ce n'est alors pas le droit (même plus favorable) du lieu de commission qui s'applique. L'autorité de jugement doit uniquement fixer la sanction de manière à ce que, globalement, elle n'apparaisse pas plus sévère qu'en application du droit du lieu de commission, ce qui doit éviter au juge d'appliquer le droit étranger puis d'examiner si celle du droit
BGE 150 IV 121 S. 135
suisse aboutirait à un résultat plus favorable au condamné (TRECHSEL/VEST, op. cit., n° 15 ad
art. 7 CP et le renvoi à n° 4 ad
art. 6 CP; dans le même sens: ANDREAS DONATSCH, in StGB, JStG, Kommentar, 21
e éd. 2022, n° 8 ad
art. 7 CP et le renvoi à n° 2 ad
art. 6 CP). Henzelin relève que le juge suisse doit prendre en considération non seulement la quotité maximale de la sanction mais encore sa nature (HENZELIN, op. cit., n° 41a ad
art. 7 CP et le renvoi à n° 34 ad
art. 6 CP; dans le même sens: DUPUIS ET AL., CP, Code pénal, 2
e éd. 2017, n° 9 ad
art. 7 CP et le renvoi à n° 6 ad
art. 6 CP). Pour POPP/KESHELEVA (op. cit., n° 9 ad
art. 6 CP et n° 19 ad
art. 7 CP ainsi que les renvois aux nos 38 ss des remarques préliminaires ad
art. 3 CP), la réserve en faveur du droit plus favorable n'impose pas l'application du droit étranger mais la prise en considération de ses effets, de manière seulement indirecte, en tant qu'elle contraint le juge suisse à respecter un plafond quant à la sanction à prononcer, qui n'est pas prescrit par le droit matériel suisse. S'il doit prendre en considération toutes les conséquences de l'acte, compte tenu de son auteur, soit en particulier non seulement les peines au sens étroit, mais les mesures, le juge suisse ne doit procéder qu'à une comparaison individuelle mais abstraite. Il doit ignorer la sensibilité particulière de l'auteur à la sanction, mais prendre en considération les modalités d'exécution. Par ailleurs, pour justifier que la prescription selon le droit en vigueur au lieu de commission soit prise en considération au stade de l'examen de la double incrimination abstraite, ces auteurs objectent qu'il serait
insatisfaisant de condamner en Suisse, en application du principe de la personnalité active, un auteur pour des faits commis à l'étranger alors que le droit du lieu de commission ne permettrait plus la poursuite pénale (POPP/KESHELEVA, op. cit., n° 36 des remarques préliminaires à l'
art. 3 CP; dans le même sens: COLOMBINI, op. cit., p. 86).
Il résulte de ce qui précède qu'aucun des auteurs passés en revue ne soutient expressément que la prescription constituerait un élément à considérer au titre de la
lex mitior réservée par les art. 6 al. 2 et 7 al. 3 CP, ni même qu'il s'imposerait d'interpréter la loi à cet égard (v. supra consid. 3.4.2). Par ailleurs, l'argumentation des derniers auteurs cités, qui repose sur des considérations relevant des garanties offertes par la loi pénale au prévenu, est sans aucun doute pertinente dans une discussion portant sur le choix entre un examen abstrait ou concret de la double incrimination. Une fois ce choix opéré, comme il l'a été dans l'arrêt 6B_452/2022 du 16 novembre 2023, elle ne peut, en revanche, être transposée à la prise en considération du
BGE 150 IV 121 S. 136
droit plus favorable réservé par les art. 6 al. 2 et 7 al. 3 CP. À cet égard, on peut souligner que, comme l'avait relevé le Tribunal fédéral dans un arrêt déjà ancien, le droit fédéral ne concrétise certes pas de manière absolue les principes élaborés par la doctrine (que celle-ci ne délimite de toute manière pas de façon univoque). On peut en effet distinguer dans les règles du droit pénal suisse déterminant son application territoriale non seulement des éléments de la personnalité active (le rattachement à la nationalité de l'auteur) mais aussi certains traits d'une compétence de substitution, concrétisant un impératif de solidarité: celui de ne pas contraindre l'État sur le sol duquel un délit a été commis à tolérer l'impunité d'un acte qu'il ne peut lui-même poursuivre de manière directe (v. déjà à propos de l'ancien
art. 6 CP:
ATF 117 IV 369 consid. 6b; en lien avec l'
art. 19 ch. 4 LStup:
ATF 137 IV 33 consid. 2.1.3; v. encore DYENS, op. cit., p. 24 et 26 s.). Or, que l'on considère la nécessité pour la Suisse d'éviter de devenir le réservoir d'une délinquance qui ne peut être punie à l'étranger (faute d'extradition des nationaux) ou la volonté de ne pas contraindre l'État sur le sol duquel un délit a été commis à tolérer l'impunité d'un acte qu'il ne peut lui-même poursuivre de manière directe, rien n'impose de reconnaître au prévenu la possibilité de se prévaloir de ces intentions, qui relèvent exclusivement des relations entre États souverains et des choix en matière de politique criminelle. À l'opposé, l'on peut certes s'interroger sur le choix d'exclure de prendre en considération la prescription selon le droit du lieu de commission au seul motif qu'il n'est alors plus question de comparaison de sanctions donc de droit "plus favorable" (cf.
ATF 99 IV 257 consid. 5b) et il est vrai que la nature procédurale ou matérielle de la prescription prête toujours à discussion en droit suisse (
ATF 105 IV 7 consid. 1a; v. parmi d'autres: POPP/KESHELEVA, op. cit., n° 36 des remarques introductives à l'
art. 3 CP; MATTHIAS ZURBRÜGG, in Basler Kommentar, Strafrecht, vol. I , 4
e éd. 2019, nos 51 ss des remarques introductives aux
art. 97-101 CP). Ce nonobstant, et contrairement au domaine de l'entraide (v. supra consid. 3.2.3) ainsi qu'à la réglementation de la
lex mitior et de la plainte dans les rapports intertemporels (cf. art. 389 s. CP), le législateur n'a pas exigé expressément de prendre en compte la prescription comme élément du droit plus favorable au sens des
art. 6 et 7 CP (v. déjà en lien avec les anciens
art. 5 et 339 CP:
ATF 99 IV 257 consid. 5c). De plus, le texte même des art. 6 al. 2 et 3 ainsi que 7 al. 3 et 4 CP, en réservant expressément un traitement moins sévère au stade de la
BGE 150 IV 121 S. 137
fixation de la sanction, d'une part, et, d'autre part, la prescription de la peine qui aurait déjà été prononcée à l'étranger (art. 6 al. 3 let. b et 7 al. 4 let. b CP), suggère bien plutôt une intention contraire (v. supra consid. 3.4.2), comme le Message précité du Conseil fédéral du 21 septembre 1998 qui souligne aussi tant l'importance de la comparaison des sanctions que l'intention de dispenser le juge suisse de l'obligation souvent impossible à respecter dans la pratique d'appliquer le droit étranger (FF 1999 II 1787, 1803 ch. 211.323). Enfin, si le principe de la légalité, en tant qu'il assure la prévisibilité des conséquences d'un comportement, peut, jusqu'à un certain point, entrer en jeu en tant qu'élément susceptible de contribuer à la délimitation du champ d'application extraterritorial du Code pénal suisse (POPP/KESHELEVA, op. cit., n° 32 des remarques préliminaires à l'art. 3 CP; DYENS, op. cit., p. 34), le poids de cet élément ne saurait être surestimé. Lorsqu'il est établi que le droit en vigueur au lieu de commission et au moment des faits réprime le comportement adopté par l'auteur, il n'y a manifestement pas lieu de se demander encore si celui-ci aurait agi en escomptant déjà le bénéfice d'une prescription plus favorable. Rien n'indique donc que le législateur suisse aurait voulu permettre au prévenu de se prévaloir de la prescription selon le droit du lieu de commission à ce stade et les seules considérations d'opportunité avancées par une partie de la doctrine n'imposent pas au Tribunal fédéral d'intervenir sur cette question que le législateur n'a manifestement pas entendu régler de la même manière qu'il l'a fait pour l'entraide et le droit intertemporel.
3.5 Il résulte de ce qui précède qu'en tant qu'elle a tenu le droit fédéral pour applicable et exclu de considérer la prescription selon le droit du lieu de commission au titre de la
lex mitior réservée par l'
art. 7 al. 3 CP, la cour cantonale n'a pas méconnu les règles de droit fédéral déterminant le champ d'application du Code pénal suisse.
3.6 Cela étant, il convient de rappeler que le recours en matière pénale ne peut être formé, au sens de l'
art. 95 LTF, que pour violation du droit suisse à l'exclusion du droit étranger. L'
art. 96 LTF prévoit diverses hypothèses dans lesquelles le recours peut être formé en lien avec le droit étranger, respectivement son inapplication ou son application erronée. Celles-ci n'ont cependant aucune portée en matière pénale. Dans le cadre d'un tel recours, la Cour de céans ne revoit donc pas librement l'application du droit étranger (arrêts 6B_877/2023 du 29 novembre 2023 consid. 2.1; 6B_688/2014 du 22 décembre
BGE 150 IV 121 S. 138
2017 consid. 10.3.1; 6B_595/2014 du 13 mai 2015 consid. 3.2; 6B_235/2013 du 22 juillet 2013 consid. 1.2; 6B_221/2007 du 13 août 2007 consid. 1.1). Le recourant peut uniquement se plaindre d'arbitraire dans l'application de ce droit, grief dont l'invocation doit répondre aux exigences de motivation accrues rappelées ci-dessus (v. consid. 1 non publié; cf.
ATF 138 III 489 consid. 4.3 p. 495;
ATF 135 III 670 consid. 1.4 p. 674;
ATF 133 III 446 consid. 3.1 p. 447 s.). Or, le recourant ne soutient pas, quant à la quotité de la peine et à sa nature, que le droit kosovar exclurait de sanctionner le viol d'une peine de 20 mois de privation de liberté, ou même de prononcer les peines qui l'ont été en l'espèce, compte tenu du concours d'infractions, et moins encore que le droit étranger aurait été appliqué de manière insoutenable. Il n'y a donc pas lieu d'examiner la cause sous cet angle et l'on ne saurait, partant, reprocher à la cour cantonale de n'avoir pas tenu compte d'une telle limitation. En tant que de besoin, on peut souligner que rien n'indique que tel aurait, quoi qu'il en soit, pu être le cas, dès lors que même l'art. 194 PCCK invoqué par le recourant fixe une fourchette de sanctions allant de 6 mois à 5 ans (v. supra consid. 3.3). Or, en l'absence de toute circonstance atténuante, compte tenu notamment d'une culpabilité jugée lourde et d'une absence totale de remise en question, on imagine de toute manière mal qu'une peine largement inférieure à celle se trouvant à mi-chemin des extrêmes de 6 mois et 5 ans (27 mois) pourrait être sérieusement envisagée.