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Chapeau

17748/91


Ankerl c. Suisse
17748/91, 23 octobre 1996

Regeste

SUISSE: Art. 26 et 6 par. 1 CEDH. Exception préliminaire de non-épuisement des voies de recours internes. Egalité des armes. Impossibilité pour le conjoint d'une partie à un procès civil d'être entendu sous serment comme témoin.

Le Tribunal fédéral ayant déclaré irrecevable le grief relatif à l'art. 6 par. 1 CEDH en raison de l'insuffisance de sa motivation, le Gouvernement estime qu'il n'y a pas épuisement des voies de recours internes. La Cour constate que le requérant a expressément invoqué dans son mémoire devant le Tribunal fédéral la disposition précitée et, pour le moins en substance, exposé le grief qu'il formule à présent devant elle.
Conclusion: rejet de l'exception préliminaire.
L'exigence de l'"égalité des armes" vaut aussi dans les litiges opposant des intérêts privés et implique l'obligation d'offrir à chaque partie une possibilité raisonnable de présenter sa cause, y compris ses preuves, dans des conditions qui ne la placent pas dans un net désavantage par rapport à son adversaire; une différence de traitement quant à l'audition des témoins des parties peut donc être de nature à enfreindre ce principe.
En l'espèce, l'épouse du requérant a été entendue par le tribunal de première instance et celui-ci était en droit, dans le cadre de la libre appréciation des preuves qui lui incombait, de ne pas considérer ses déclarations comme décisives; en outre, il ne ressort pas du jugement qu'il ait accordé un poids particulier au témoignage d'une autre personne du fait de son assermentation. Enfin, le tribunal s'est appuyé sur d'autres éléments que les seules déclarations litigieuses. La Cour n'aperçoit donc pas dans quelle mesure l'assermentation de l'épouse du requérant aurait pu influencer l'issue du procès et constate que le requérant n'a pas été placé dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire (ch. 38).
Conclusion: non-violation de l'art. 6 par. 1 CEDH.





Faits

En l'affaire Ankerl c. Suisse , [1]
La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") et aux clauses pertinentes de son règlement A [2], en une chambre composée des juges dont le nom suit:
MM. R. Bernhardt, président,
F. Gölcüklü,
F. Matscher,
I. Foighel,
J.M. Morenilla,
Sir John Freeland,
MM. L. Wildhaber,
B. Repik,
P. Kuris,
ainsi que de MM. H. Petzold, greffier, et P.J. Mahoney, greffier adjoint,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 22 mai et 24 septembre 1996,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date:
PROCEDURE
1. L'affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l'Homme ("la Commission"), puis par le gouvernement de la Confédération suisse ("le Gouvernement"), les 10 juillet et 28 août 1995 respectivement, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 de la Convention (art. 32-1, art. 47). A son origine se trouve une requête (n° 17748/91) dirigée contre la Suisse et dont un ressortissant de cet Etat, M. Guy Ankerl, avait saisi la Commission le 10 décembre 1990 en vertu de l'article 25 (art. 25).
La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu'à la déclaration suisse reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46), et la requête du Gouvernement aux articles 32, 45, 47 et 48 (art. 32, art. 45, art. 47, art. 48). Elles ont pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences de l'article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1).
2. En réponse à l'invitation prévue à l'article 33 par. 3 d) du règlement A, le requérant a exprimé le désir de participer à l'instance. Le président l'a autorisé à assurer lui-même la défense de ses intérêts devant la Cour (article 30).
3. La chambre à constituer comprenait de plein droit M. L. Wildhaber, juge élu de nationalité suisse (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Bernhardt, vice-président de la Cour (article 21 par. 4 b) du règlement A). Le 13 juillet 1995, M. R. Ryssdal, président de la Cour, a tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir M. F. Gölcüklü, M. F. Matscher, M. B. Walsh, M. S.K. Martens, M. J.M. Morenilla, Sir John Freeland et M. P. Kuris, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 5 du règlement A) (art. 43). Par la suite, MM. I. Foighel et B. Repik, suppléants, ont remplacé M. Martens, démissionnaire, et M. Walsh, empêché (articles 22 par. 1 et 24 par. 1 du règlement A).
4. En sa qualité de président de la chambre (article 21 par. 6 du règlement A), M. Bernhardt a consulté, par l'intermédiaire du greffier, l'agent du Gouvernement, le requérant et le délégué de la Commission au sujet de l'organisation de la procédure (articles 37 par. 1 et 38). Conformément à l'ordonnance rendue en conséquence, les mémoires du requérant et du Gouvernement sont parvenus au greffe les 22 et 24 novembre 1995 respectivement. Le 14 décembre 1995, le secrétaire de la Commission a indiqué que le délégué n'entendait pas y répondre par écrit.
5. Le 27 février 1996, la Commission a produit les pièces de la procédure suivie devant elle; le greffier l'y avait invitée sur les instructions du président.
6. Le 6 mars 1996, le greffier a demandé au requérant et au Gouvernement de fournir certaines pièces avant le 5 avril 1996. Le requérant a répondu par une lettre du 18 mars que, hormis l'une d'entre elles, jointe, il n'était pas en mesure de les produire. Quant au Gouvernement, il a informé le greffier le 3 avril 1996 qu'il ne lui était "pas possible d'accéder à [la] demande", mais il a néanmoins transmis certains documents les 9 et 13 mai 1996.
7. Ainsi qu'en avait décidé le président, les débats se sont déroulés en public le 20 mai 1996, au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.
Ont comparu:
- pour le Gouvernement
MM. P. Boillat, chef de la section du droit européen et des affaires internationales de l'Office fédéral
de la justice, agent,
A.D. Schmidt, ancien juge du canton de Genève,
F. Schürmann, chef adjoint de la section du droit européen et des affaires internationales
de l'Office fédéral de la justice, conseils;
- pour la Commission
M. F. Martínez, délégué;
- le requérant.
La Cour a entendu en leurs déclarations M. Martínez, le requérant lui-même, M. Schürmann et M. Boillat.
8. Le 28 mai 1996, le président de la chambre a reçu une lettre de M. Ankerl dans laquelle ce dernier protestait contre le fait que les pièces transmises tardivement par le Gouvernement avaient néanmoins été jointes au dossier. Sur les instructions du président, le greffier a communiqué une copie dudit courrier au Gouvernement et à la Commission. Le 24 septembre 1996, la Cour a écarté lesdits documents (article 37 par. 1 du règlement A).
EN FAIT
I. Les circonstances de l'espèce
9. En 1978, M. Guy Ankerl emménagea avec son épouse dans un appartement situé au deuxième étage du 3 de la rue Saint-Léger à Genève. Il sous-louait ledit appartement à la régie immobilière SA ("la régie immobilière"), elle-même locataire de la SI Chrysanthemum SA ("la SI Chrysanthemum"), propriétaire de l'immeuble.
A. La genèse de l'affaire
10. A l'automne 1985, M. Ruffieux devint l'actionnaire principal de la SI Chrysanthemum.
11. Le 14 novembre 1986, la régie Naef SA ("la régie Naef"), gérante de l'immeuble où se trouvait l'appartement litigieux, informa le requérant que ledit immeuble allait faire l'objet de travaux de rénovation et d'aménagement.
12. Par une lettre du 8 mai 1987, la régie Naef donna à la régie immobilière - en liquidation - congé de l'appartement à partir du 29 février 1988, date de l'échéance du contrat de bail, et l'invita à résilier le contrat de sous-location conclu avec M. Ankerl.
13. La régie immobilière aurait demandé à la régie Naef d'encaisser les loyers directement auprès de M. Ankerl. Le 14 juillet 1987, la régie Naef aurait adressé à ce dernier des bulletins de versement relatifs au payement des loyers d'avril à juillet de la même année. Elle aurait précisé - le requérant le conteste - qu'en encaissant les sommes y relatives, elle n'entendait pas reconnaître l'existence de rapports de droit directs entre celui-ci et la SI Chrysanthemum.
14. Par une lettre recommandée du 21 juillet 1987, la régie immobilière informa M. Ankerl qu'elle résiliait leur contrat de sous-location à compter de son échéance. Le requérant s'adressa alors à la commission de conciliation en matière de baux et loyers afin d'obtenir une prolongation dudit contrat. En l'absence de conciliation, il saisit le tribunal des baux et loyers, puis se désista.
15. A partir de février 1988, la gérance de l'immeuble fut confiée à l'agence GPR Degenève SA ("l'agence GPR Degenève"). Celle-ci communiqua son numéro de compte bancaire au requérant. Par une lettre du 29 février 1988, restée sans réponse, M. Ankerl confirma à ladite agence qu'il verserait dorénavant le loyer sur ce compte. Il soutient avoir procédé de la sorte chaque mois - de mars 1988 à août 1991 -, en prenant soin de faire mentionner le terme "loyer" sur les avis de virement, sans rencontrer aucune objection.
16. Le 22 avril 1988, le requérant et son épouse eurent un entretien - dont les termes sont controversés - avec M. Linder, administrateur de l'agence GPR Degenève (paragraphe 18 ci-dessous).
B. La procédure devant le tribunal de première instance du canton de Genève
17. Le 15 novembre 1988, la SI Chrysanthemum déposa une demande d'évacuation des lieux auprès du tribunal de première instance du canton de Genève. Elle alléguait que le requérant résidait sans droit dans les locaux litigieux puisque son contrat de sous-location avait été résilié.
M. Ankerl plaida l'incompétence ratione materiae du tribunal: il soutenait avoir conclu un bail verbal avec la demanderesse.
Le tribunal devait ainsi trancher la question de savoir si le comportement des protagonistes traduisait un accord quant à la conclusion d'un bail de location après la résiliation du bail de sous-location.
18. Le tribunal tint une audience le 19 mai 1989. Il entendit MM. Linder (agence GPR Degenève) et Veuillet (régie Naef), ainsi que Mme Ankerl; M. Ruffieux (SI Chrysanthemum) et le requérant s'exprimèrent également. Seuls les deux premiers avaient la qualité de témoin assermenté.
Le procès-verbal d'enquête se lit comme suit:
"(...)
1. Monsieur Jean-Gabriel Linder (...)
Lorsque j'ai repris [la gestion de l'immeuble en mars 1988] M. Ankerl se trouvait dans les locaux mais il n'était au bénéfice d'aucun contrat de bail ni écrit ni verbal ni même simplement tacite.
Il est exact que j'ai eu un entretien avec M. Ankerl à ma propre initiative. (...) Je voulais savoir ce qu'il en était de la situation de M. Ankerl. Je lui ai clairement fait connaître que pour ma part j'estimais qu'il n'était pas bénéficiaire d'un bail.
M. Ankerl m'a pour sa part exposé qu'il tenait beaucoup sentimentalement à demeurer dans cet appartement où il disait avoir écrit un livre. Il est possible que M. Ankerl m'ait dit qu'auparavant on lui aurait concédé verbalement un bail mais toutefois je ne saurais l'affirmer. En tout cas M. Ankerl ne m'a pas demandé qu'on lui établisse un bail.
En fin d'entretien M. Ankerl m'a proposé de payer un loyer plus élevé pour pouvoir rester dans l'appartement. Cela sous-entend j'imagine qu'il demandait qu'on lui fasse un bail. J'ai dit au défendeur que je ferai part de sa demande au propriétaire. Je lui ai clairement dit tant au début qu'à la fin de l'entretien que je ne pouvais moi-même prendre une décision.
Par conséquent j'ai fait part au propriétaire de l'entretien dont je viens de parler. Ce dernier m'a répondu qu'il ne désirait pas entrer en matière et il ne m'a pas donné les raisons.
Je n'ai pas communiqué moi-même à M. Ankerl la position de l'actionnaire mais par contre j'avais transmis le dossier à notre avocat qui a dû lui faire part de cette position.
Mon secrétariat a dû vraisemblablement communiquer à M. Ankerl notre numéro de compte lorsque nous avons succédé à la régie Naef.
(...)
J'ai eu connaissance d'un accord qui avait été passé au préalable entre la régie Naef et M. Ankerl afin que ce dernier paie directement le loyer auprès de la régie Naef.
2. Monsieur Dominique Veuillet (...)
Je travaille à la régie Naef depuis le 1er mars 1983.
(...)
Nous savions que M. Ankerl occupait de fait les locaux (...)
(...) En 1986 ou 1987, M. Ankerl est venu me trouver, il m'a dit que sa situation était un peu particulière avec la régie immobilière. Je n'ai plus en mémoire les raisons exactes de cette situation. Le défendeur a demandé que nous lui fassions un bail en son nom.
Parallèlement la régie immobilière nous avait demandé d'encaisser les loyers directement auprès de M. Ankerl. (...) Nous avons nous-même remis le dossier à une autre régie au 31 décembre 1987 et à ce moment-là pour nous la situation de M. Ankerl restait celle que nous avions décrite dans notre lettre du 14 juillet 1987. (...)
Il est exact que nous avions informé en date du 14 novembre 1986 M. Ankerl du projet de travaux dans l'immeuble. Ceci est en raison du fait que nous ne pouvions pas ignorer la présence de M. Ankerl dans les locaux.
(...)
3. Madame Méryl Ankerl (...)
J'étais présente en avril 1988 lors de l'entretien avec M. Linder. M. Linder nous a demandé quelles étaient nos intentions au sujet de cet appartement et nous lui avons dit que nous souhaitions rester. Il nous a exposé alors que l'immeuble allait être rehaussé et nous a demandé si les travaux ne nous incommoderaient pas. Nous avons répondu que les travaux nous incommoderaient peut-être mais que nous le supporterions puisque nous voulions rester. M. Linder a ajouté que de toute manière le processus serait long parce que les plans de l'architecte n'avaient pas été agréés par les Travaux publics. Il nous a dit aussi que pendant les travaux nous pourrions occuper un autre appartement dans l'immeuble et qu'après les travaux nous pourrions occuper un appartement nouvellement créé dans les combles. Ou alors nous pouvions réintégrer notre appartement du deuxième étage.
Lorsque nous sommes partis M. Linder nous a déclaré qu'il nous informerait de la suite. Lorsque nous sommes sortis nous étions vraiment rassurés et optimistes.
M. Linder ne nous a nullement demandé de chercher un appartement ailleurs ni de donner un délai pour partir.
Je ne me souviens pas si M. Linder a dit qu'il allait en référer au propriétaire. J'avais moi-même l'impression qu'il avait une certaine autonomie.
Monsieur Ruffieux: Je suis moi-même administrateur de la demanderesse depuis octobre 1985. Je n'ai jamais vu M. Ankerl à ce jour. J'ai répondu une fois à une lettre qu'il m'envoyait pour me demander un entretien et je lui ai dit que son cas était suivi par le service juridique de la régie Naef.
(...) Il est exact que j'ai dit à M. Linder que je refusais de faire un bail à M. Ankerl. Nous n'avions jamais admis que M. Ankerl soit locataire et je ne voulais pas que nous l'admettions. Je sais dès le début que M. Ankerl occupait les locaux. Le loyer est à jour.
Je n'aurais pas été initialement opposé à une solution transactionnelle mais les relations deviennent difficiles avec M. Ankerl. J'ai laissé déjà quatre ans à M. Ankerl.
Monsieur Ankerl: Quand j'ai fait le bail avec la régie immobilière je ne m'étais pas rendu compte que c'était une sous-location. J'avais consulté un avocat au moment de signer.
M. Ruffieux dit aujourd'hui qu'il n'est pas facile de s'entendre avec moi mais il disait auparavant qu'il ne voulait plus de nous parce qu'il voulait rénover son immeuble."
19. Le 12 octobre 1989, le tribunal constata que les parties n'étaient liées par aucun contrat de bail et condamna M. Ankerl "à évacuer de tous biens et de toutes personnes, et à restituer à la demanderesse, en bon état, l'appartement" litigieux. Le jugement est ainsi libellé:
"(...)
Attendu (...)
Que M. Veuillet, employé de [la régie Naef], a déclaré au tribunal que la locataire, soit la régie immobilière, avait demandé à la régie Naef d'encaisser les loyers directement auprès de M. Ankerl.
Que cette formule fut acceptée, les paiements étant reçus au titre d'indemnité pour occupation illicite, ce qui ressort d'un courrier daté du 14 juillet 1987 (...)
Qu'en date du 20 janvier 1988 la nouvelle gérance, soit l'agence GPR Degenève SA, écrivait à la régie Immobilière SA, pour lui demander de verser dorénavant en ses bureaux l'indemnité pour occupation illicite de M. Ankerl.
Que M. Linder, employé de la nouvelle gérance, déclara au tribunal avoir eu un entretien avec M. Ankerl, et lui avoir fait clairement connaître qu'il ne l'estimait pas au bénéfice d'un bail.
Que M. Ankerl aurait implicitement requis l'établissement d'un bail, à quoi M. Linder expose avoir répondu qu'il ne lui appartenait pas de décider.
Que M. Ruffieux, administrateur et actionnaire de la demanderesse, a déclaré au tribunal n'avoir jamais admis et ne pas vouloir admettre de conclure un bail avec le défendeur.
Attendu toutefois que (...) M. Ankerl avait été nanti personnellement du numéro de compte de l'agence GPR Degenève, et écrivait à cette société le 29 février 1988 pour l'informer qu'à l'avenir il paierait le loyer au compte de cette dernière (...)
Que cette lettre ne paraît pas avoir reçu de réponse, si ce n'est que, trois mois plus tard, l'avocat constitué par la bailleresse écrivait pour s'enquérir du délai de départ de M. Ankerl.
Que par ailleurs l'épouse du défendeur - qui était présente lors de l'entretien que son mari avait eu avec M. Linder - a retenu de cet entretien que la régie envisageait de leur proposer un autre appartement dans l'immeuble, pour la durée des travaux, et qu'en quittant leur interlocuteur, les époux avaient tout lieu d'être rassurés, dès lors qu'il ne leur était pas demandé de quitter les lieux.
(...)
Considérant, en droit, que la seule question utile à résoudre est celle de savoir si le défendeur, depuis que son bail de sous-location a été résilié, s'est vu concéder un bail de la part de la société propriétaire.
Qu'un contrat de bail peut être conclu verbalement, étant cependant observé qu'il est d'usage, de la part d'une régie, de préparer un document écrit.
Qu'en l'occurrence, depuis la résiliation du bail de sous-location, aucun contrat n'a été signé.
Qu'aucune des pièces produites ne révèle un accord quelconque de la demanderesse quant à la conclusion d'un bail.
Qu'il reste à examiner si - en ne répondant pas immédiatement, ni clairement, à la lettre du défendeur du 29 février 1988, ou en laissant exposer à ce dernier, par un collaborateur de la régie, qu'il allait en référer à la société propriétaire - la demanderesse est susceptible d'avoir ainsi - selon les règles de bonne foi - donné son accord à la conclusion d'un bail.
Que le tribunal arrive à la conclusion que - dans les circonstances du cas d'espèce - il n'y a pas eu conclusion d'un bail ni verbal (la preuve d'un accord verbal n'est pas rapportée), ni même par actes concluants.
Qu'en effet, s'il est exact que le défendeur souhaite demeurer dans les locaux, il n'est même pas ressorti de l'enquête qu'il ait clairement requis l'établissement d'un contrat.
Que, devant les courriers non équivoques de la demanderesse, le défendeur n'a pas pris la peine de répondre par écrit.
Qu'il ne pouvait donc pas véritablement admettre - de bonne foi - que la demanderesse lui concédait implicitement un bail.
Qu'il pouvait d'autant moins admettre un tel accord tacite que, depuis la résiliation du bail principal et, partant, du bail de sous-location, une instance en prolongation de bail était pendante, dans le cadre de laquelle la bailleresse avait clairement exposé n'être pas liée au défendeur, et ne pas vouloir l'être.
Qu'en conséquence, il n'existe aucun bail entre les parties.
[Qu'] (...) il y a lieu de constater que le défendeur demeure sans droit dans les locaux.
Que l'article 641 ch. 2 cc trouve son application en l'espèce (...)"
C. La procédure devant la cour de justice du canton de Genève
20. Par un arrêt du 7 juin 1990, la cour de justice du canton de Genève débouta M. Ankerl de son appel aux motifs suivants:
"La Cour ne peut que partager l'avis du premier juge quant à l'absence d'un lien contractuel entre la société propriétaire Chrysanthemum SA et Guy Ankerl. Il est téméraire de soutenir que la preuve de la conclusion d'un bail ressort de l'attitude du propriétaire ou de ses représentants qui ont, au contraire, toujours souligné leur volonté de ne pas conclure de bail avec Guy Ankerl pour l'appartement 3, rue Saint-Léger, 2ème étage. Le fait d'avoir remis des bulletins de versement du loyer accompagnés de la lettre du 14 juillet 1987, ou de n'avoir pas répondu à la lettre de l'appelant du 29 février 1988, [n'est] pas constitutif d'éléments permettant de conclure à l'existence d'un bail. Il en résulte, faute de contrat de bail, que le tribunal de première instance était compétent ratione materiae.
(...) Selon la jurisprudence de la cour, il a été reconnu que le propriétaire est en droit de se prévaloir de son droit de propriété à l'encontre du sous-locataire et d'invoquer en sa faveur l'article 641 alinéa 2 cc, faute de tout lien juridique existant entre les intéressés (...)
Le contrat de sous-location constitue un bail entre le locataire principal et le sous-locataire (...)
Ayant reçu son congé pour le 28 février 1988, Guy Ankerl, dès cette date, n'est plus au bénéfice d'aucun titre pour se maintenir dans les locaux.
(...)"
D. La procédure devant le Tribunal fédéral
21. Le requérant saisit le Tribunal fédéral d'un recours de droit public contre le jugement de la cour de justice. Dans son mémoire, il invoquait notamment les articles 6 et 14 de la Convention (art. 6, art. 14) et exposait:
"(...) le fait [pour les juridictions cantonales] d'avoir admis que le représentant d'une partie soit entendu comme témoin assermenté crée une inégalité flagrante avec l'autre partie qui elle n'a pas été, par la force des choses, en mesure de citer des témoins susceptibles d'être assermentés. L'égalité des armes garantie tant par la Constitution fédérale que par la Convention européenne des Droits de l'Homme n'a pas été respectée. Cette inégalité est d'autant plus flagrante lorsque le tribunal saisi n'a pas tenu le moins du monde compte dans sa décision des déclarations d'un témoin, fût-il entendu à titre de renseignement. Il s'agit là d'une violation grossière de la loi qui pourtant prévoit expressément, même si elle exclut la prestation de serment, la faculté pour l'épouse de témoigner et implique donc l'examen de ce témoignage par le tribunal saisi."
22. La première cour civile du Tribunal fédéral rendit son arrêt le 3 octobre 1990. Elle déclara irrecevable - notamment - le grief pris de la violation des articles 6 et 14 de la Convention (art. 6, art. 14):
"(...) Saisi d'un recours de droit public, le Tribunal fédéral n'examine que les griefs invoqués de manière suffisante (...) l'acte de recours doit contenir, notamment, un exposé succinct des droits constitutionnels ou des principes juridiques violés, précisant en quoi consiste la violation (article 90 al. 1 let b de la loi fédérale d'organisation judiciaire).
(...) A maints égards, le présent recours ne respecte pas cette exigence de motivation.
Tel est (...) le cas du moyen pris de la violation des articles 6 et 14 (art. 6, art. 14) [de la] Convention européenne des Droits de l'Homme, que le recourant se contente d'alléguer sans fournir aucune explication à ce sujet."
23. Rejetant le reste du recours, la première cour civile précisa:
"Le recourant fait encore valoir que la cour de justice a apprécié arbitrairement les preuves administrées par le premier juge.
(...)
(...) Si l'on comprend bien l'argumentation peu claire de l'intéressé, la cour cantonale aurait rendu compte, d'une manière inadmissible, de l'entretien que sieur Linder avait eu en avril 1988 avec le recourant en présence de l'épouse de ce dernier, en ce sens qu'elle aurait complètement passé sous silence les déclarations de celle-ci et n'aurait pris en considération que la déposition de sieur Linder.
A cet égard, il convient de souligner que l'épouse du recourant n'a été entendue qu'à titre de renseignement et sans prestation de serment, conformément à l'article 226 [de la] loi de procédure civile [du canton de Genève]. Or, selon les commentateurs de la loi de procédure civile genevoise, l'audition à titre de renseignement n'a qu'une portée informative, sans valeur probante (...). Il n'y avait donc rien d'arbitraire, en l'espèce, à ne pas tenir compte des explications fournies par Mme Ankerl. Le recourant ne démontre, du reste, nullement en quoi la cour cantonale aurait interprété d'une manière insoutenable les déclarations du témoin assermenté Jean-Gabriel Linder. Contrairement à ce qu'il paraît vouloir soutenir, l'autorité intimée n'a pas déduit de ces déclarations que le témoin aurait indiqué au recourant qu'il devait quitter l'appartement. Elle constate simplement que sieur Linder "a confirmé qu'il transmettrait au propriétaire le souhait de Guy Ankerl de conclure un nouveau bail". Le recourant n'attaque pas cette constatation.
(...)
Manifestement mal fondé, le présent recours ne peut dès lors qu'être rejeté en tant qu'il est recevable."
E. Le départ du requérant
24. Les époux Ankerl quittèrent l'appartement en cause le 16 octobre 1991.
II. Le droit interne pertinent
A. Le droit cantonal
25. Les dispositions pertinentes de la loi de procédure civile du canton de Genève du 10 avril 1987, entrée en vigueur le 1er août 1987, sont les suivantes:
Article 196
"A moins que la loi ne prescrive le contraire, le juge apprécie librement les résultats des mesures probatoires."
Article 222 par. 1
"Toute personne capable de discernement et régulièrement citée est tenue de comparaître comme témoin pour déposer sous la foi du serment."
Article 225
"1. Ne peuvent être entendus comme témoins:
a) les parents en ligne directe de l'une des parties;
b) les frères et les soeurs;
c) les oncles et les neveux;
d) les alliés au même degré;
e) le conjoint, même divorcé.
2. Toutefois, les parties peuvent faire entendre ces personnes, à l'exception des descendants, dans les instances en retrait de l'autorité parentale, dans les questions d'état des personnes et dans les causes de séparation de corps, de divorce et de mesures protectrices de l'union conjugale."
Article 226
"Les personnes visées à l'article 225, alinéa 1, peuvent être entendues dans les autres causes sans distinction, mais sans prestation de serment et seulement à titre de renseignement.
(...)"
B. Le droit fédéral
26. L'article 90 de la loi fédérale d'organisation judiciaire du 16 décembre 1943 est ainsi libellé:
"1. Outre la désignation de l'arrêté ou de la décision attaqués, l'acte de recours doit contenir:
a) Les conclusions du recourant;
b) Un exposé des faits essentiels et un exposé succinct des droits constitutionnels ou des principes juridiques violés, précisant en quoi consiste la violation.
2. (...)"
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
27. Le requérant a saisi la Commission le 10 décembre 1990. Invoquant les articles 6 par. 1 et 14 de la Convention (art. 6-1, art. 14), il alléguait qu'en ayant entendu sous serment un témoin de la partie adverse et non son épouse, Mme Méryl Ankerl, le tribunal de première instance du canton de Genève avait méconnu le principe d'égalité des armes.
28. La Commission a déclaré la requête (n° 17748/91) recevable le 5 juillet 1994. Dans son rapport du 24 mai 1995 (article 31) (art. 31), elle conclut à la non-violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) (sept voix contre six) et estime inutile de rechercher s'il y a eu violation de l'article 14 combiné avec l'article 6 par. 1 (art. 14+6-1) (unanimité).
Le texte intégral de son avis et de l'opinion dissidente dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt [3].
CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR
29. Dans son mémoire, le requérant demande à la Cour
"de mettre à néant l'arrêt (...) du Tribunal fédéral suisse, lequel contrevient aux obligations de la Suisse de respecter l'article 6 de la Convention (art. 6)".
30. De son côté, le Gouvernement invite la Cour,
"à titre principal, à dire que faute d'épuisement des voies de recours internes, elle ne peut connaître du fond de l'affaire et, à titre subsidiaire, que les autorités suisses n'ont pas violé la Convention (...) à raison des faits qui ont donné lieu à la requête introduite par M. Guy Ankerl contre la Suisse".


Considérants

EN DROIT
I. SUR L'EXCEPTION PRÉLIMINAIRE DU GOUVERNEMENT
31. Comme déjà devant la Commission, le Gouvernement soulève une exception préliminaire de non-épuisement des voies de recours internes.
En premier lieu, l'article 26 de la Convention (art. 26) obligerait à présenter devant les juridictions nationales, dans les formes prescrites par le droit interne, les griefs que l'on entend formuler par la suite devant les organes de la Convention. Cette condition ne serait pas remplie en l'espèce puisque le Tribunal fédéral aurait déclaré irrecevable le moyen de M. Ankerl tiré des articles 6 et 14 de la Convention (art. 6, art. 14) en raison de l'insuffisance de sa motivation au regard des exigences de l'article 90 de la loi fédérale d'organisation judiciaire. Il n'appartiendrait pas à la Cour de se prononcer sur la question du respect de telles exigences, laquelle relèverait du seul droit interne.
En second lieu, M. Ankerl plaiderait maintenant l'incompatibilité avec la Convention d'une disposition de la loi de procédure civile du canton de Genève relative à l'audition des témoins. Or le Tribunal fédéral aurait été saisi d'un grief distinct, tendant exclusivement à l'interprétation de la disposition litigieuse.
32. Le requérant rejette cette thèse et renvoie à l'examen des extraits pertinents de son mémoire devant le Tribunal fédéral.
33. Dans sa décision sur la recevabilité de la requête, la Commission note que, devant le Tribunal fédéral, M. Ankerl s'est plaint d'une atteinte au principe d'égalité des armes et a invoqué expressément les articles 6 et 14 de la Convention (art. 6, art. 14).
34. La Cour rappelle que la finalité de l'article 26 (art. 26) est de ménager aux Etats contractants l'occasion de prévenir ou redresser les violations alléguées contre eux avant qu'elles ne soient soumises aux organes de la Convention. Ainsi, le grief dont on entend saisir la Commission doit d'abord être soulevé, au moins en substance, dans les formes et délais prescrits par le droit interne, devant les juridictions nationales appropriées (voir, entre autres, l'arrêt Remli c. France du 23 avril 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-II, p. 571, par. 33). L'article 26 (art. 26) doit toutefois s'appliquer avec une certaine souplesse et sans formalisme excessif (voir, par exemple, les arrêts de Geouffre de la Pradelle c. France du 16 décembre 1992, série A n° 253-B, p. 40, par. 26, et Hentrich c. France du 22 septembre 1994, série A n° 296-A, p. 17, par. 30). Dans son récent arrêt Akdivar et autres c. Turquie, la Cour a souligné qu'elle "doit appliquer cette règle en tenant dûment compte du contexte: le mécanisme de sauvegarde des droits de l'homme que les Parties contractantes sont convenues d'instaurer" (arrêt du 16 septembre 1996, Recueil 1996-IV, p. 1211, par. 69).
En l'espèce, il suffit à la Cour de constater que, dans son mémoire devant le Tribunal fédéral, M. Ankerl a expressément invoqué les dispositions pertinentes de la Convention et, pour le moins en substance, exposé le grief qu'il formule à présent à Strasbourg (paragraphe 21 ci-dessus). Il a donc donné au Tribunal fédéral une occasion adéquate de remédier par ses propres moyens à la situation incriminée. Partant, il échet de rejeter l'exception.
II. SUR LE FOND
A. Sur la violation alléguée de l'article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1)
35. Le requérant se plaint d'une atteinte au principe d'égalité des armes entre les parties devant le tribunal de première instance du canton de Genève. Il en résulterait une violation du droit à un procès équitable garanti par l'article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1), aux termes duquel:
"Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...)"
M. Ankerl fait valoir qu'il soutenait devant le tribunal de première instance que l'attitude de l'agence GPR Degenève, gérante de l'immeuble dont était propriétaire la demanderesse, révélait son accord quant à la conclusion d'un contrat de bail. Il s'appuyait notamment sur un entretien que, accompagné de son épouse, il avait eu le 22 avril 1988 avec l'administrateur de ladite agence, M. Linder, et qui aurait matérialisé cette relation contractuelle. Lors de l'audience du 19 mai 1989 qui visait à établir la teneur de cet entretien, sur les trois personnes présentes le 22 avril 1988, le tribunal entendit sous serment seulement M. Linder. Quant à Mme Ankerl, elle ne fut ouïe qu'à titre de renseignement car, en raison de sa qualité d'épouse de l'une des parties, la loi faisait obstacle à ce qu'elle prête serment. Or la "loyauté financière" liant M. Linder à la société demanderesse propriétaire de l'immeuble ne serait pas moins forte que la loyauté conjugale dans une société où les liens familiaux sont affaiblis. En donnant néanmoins de la sorte "valeur probante" exclusive au témoignage de celui-ci, le tribunal aurait clairement désavantagé le requérant, rompu le principe d'égalité des armes et, en conséquence, violé le droit de l'intéressé à un procès équitable.
M. Ankerl ajoute que la déposition de son épouse, très précise au demeurant, n'aurait été reprise que sommairement dans le procès-verbal d'enquête; elle traitait des conséquences des rénovations envisagées dans l'immeuble et donc de la relation contractuelle entre le locataire et le propriétaire. Par ailleurs, la lettre du 14 juillet 1987 à laquelle se réfèrent les motifs du jugement du tribunal de première instance serait un faux que le juge aurait aveuglément accepté comme un fait sans que le défendeur ait eu l'occasion de l'examiner.
36. Le Gouvernement rétorque que les faits de la cause se distinguent de ceux ayant conduit la Cour à constater une violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) dans l'arrêt Dombo Beheer B.V. c. Pays-Bas du 27 octobre 1993 (série A n° 274). Devant le juge néerlandais, la société requérante avait la charge d'établir l'existence, entre une banque et elle, d'un accord verbal concernant l'extension de certaines facilités de crédit. Deux personnes avaient assisté à la réunion au cours de laquelle il aurait été conclu: le représentant de la société requérante et celui de la banque. Seul le second fut autorisé à témoigner: le juge refusa la citation du premier au motif qu'il s'identifiait à la société Dombo Beheer B.V. Après avoir constaté que, pendant les négociations, les deux protagonistes avaient agi sur un pied d'égalité, chacun d'eux étant habilité à traiter au nom de son mandant, la Cour a conclu que cette dernière avait été placée dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire. En l'espèce, au contraire, M. Linder n'était que l'administrateur de la société mandatée pour gérer l'immeuble de la société demanderesse: il n'appartenait pas à cette dernière, n'était pas habilité à conclure un contrat de bail sans son accord spécifique et n'était pas partie au procès. Rien ne s'opposait donc à ce que le tribunal de première instance l'entende en qualité de témoin. Si un tiers avait été présent lors de l'entretien litigieux, M. Ankerl aurait pu de la même façon obtenir qu'il dépose sous serment.
En vérité, selon le Gouvernement, M. Ankerl n'avait pas de témoin à faire entendre puisque sa femme ne pouvait, de par la loi et comme dans de nombreux pays, se voir reconnaître cette qualité. Or la question du respect de l'égalité des armes ne se poserait qu'en présence de situations comparables: il n'y aurait pas méconnaissance de ce principe du seul fait que l'une des parties fait comparaître un témoin alors que l'autre n'est pas en mesure de le faire.
En tout état de cause, la question du respect du principe d'égalité des armes devrait être envisagée en considération de l'équité du procès dans son ensemble. Ainsi, en l'espèce, le tribunal de première instance aurait examiné d'autres éléments que le témoignage de M. Linder auquel, appréciant librement les résultats des mesures probatoires comme l'exige le droit cantonal, il n'aurait en outre pas donné une importance prépondérante. Si le requérant a perdu sa cause, ce ne serait donc pas parce que les déclarations de son épouse - prises en compte d'ailleurs par le tribunal - n'ont pas été recueillies sous la foi du serment mais parce qu'elles se sont heurtées à des éléments de preuve irréfutables. Bref, il n'y aurait pas eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1).
37. La Commission parvient à la même conclusion. Plusieurs considérations la conduisent à distinguer la présente espèce de l'affaire Dombo Beheer B.V.: l'impossibilité de prêter serment pour une partie à une procédure civile ainsi que pour les personnes qui lui sont étroitement liées serait un trait commun à de nombreux systèmes juridiques; le tribunal de première instance aurait fondé son jugement sur d'autres éléments que le seul témoignage de M. Linder; la déposition de Mme Ankerl serait vague et peu concluante.
38. La Cour a pour tâche de rechercher si la procédure envisagée dans son ensemble a revêtu un caractère "équitable" au sens de l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Elle rappelle à ce titre que l'exigence de "l'égalité des armes", c'est-à-dire d'un "juste équilibre" entre les parties, vaut aussi dans les litiges opposant des intérêts privés: "l'égalité des armes" implique alors l'obligation d'offrir à chaque partie une possibilité raisonnable de présenter sa cause - y compris ses preuves - dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire (voir l'arrêt Dombo Beheer B.V. précité, p. 19, paras. 32-33). Une différence de traitement quant à l'audition des témoins des parties peut donc être de nature à enfreindre ledit principe.
Toutefois, en l'occurrence, si Mme Ankerl ne put prêter serment, elle fut néanmoins entendue par le tribunal de première instance (paragraphe 18 ci-dessus). Dans le cadre de la libre appréciation des preuves qui lui incombait, le tribunal était en droit de ne pas considérer comme décisives, en ce qui concerne la conclusion d'un contrat de bail non écrit, les déclarations de celle-ci; le Gouvernement a ainsi souligné sans être contredit qu'aux termes du droit cantonal, le juge apprécie librement les résultats des "mesures probatoires" (paragraphe 25 ci-dessus). En outre, il ne ressort pas du jugement que le tribunal ait accordé un poids particulier au témoignage de M. Linder du fait de son assermentation (paragraphe 19 ci-dessus). Enfin, le tribunal s'est appuyé sur d'autres éléments que les seules déclarations litigieuses.
La Cour n'aperçoit donc pas dans quelle mesure l'assermentation de Mme Ankerl aurait pu influencer l'issue du procès. Partant, les circonstances de l'espèce, contrairement à celles de l'affaire Dombo Beheer B.V., la conduisent à constater que la différence de traitement quant à l'audition des témoins des parties devant le tribunal de première instance n'a pas placé le requérant dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire.
En conclusion, il n'y a pas eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1).
B. Sur la violation alléguée de l'article 14 de la Convention combiné avec l'article 6 par. 1 (art. 14+6-1)
39. Le requérant dénonce aussi, au regard de l'article 14 de la Convention combiné avec l'article 6 par. 1 (art. 14+6-1), une inégalité de traitement devant le tribunal de première instance quant à l'audition des témoins.
40. Le Gouvernement ne plaide pas sur ce point.
41. La Cour a déjà tranché la question du respect de l'égalité des armes sous l'angle de l'article 6 par. 1 pris isolément (art. 6-1). Avec la Commission, elle estime qu'aucune question distincte ne se pose sur le terrain des articles 14 et 6 par. 1 combinés (art. 14+6-1).
Partant, il n'y a pas lieu d'examiner le grief.


Disposition

PAR CES MOTIFS, LA COUR, A L'UNANIMITE,
1. Rejette l'exception préliminaire du Gouvernement;
2. Dit qu'il n'y a pas eu violation de l'article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1);
3. Dit qu'il n'y a pas lieu d'examiner le grief tiré de l'article 14 de la Convention combiné avec l'article 6 par. 1 (art. 14+6-1).
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le 23 octobre 1996.
Signé: Rudolf BERNHARDT
Président
Signé: Herbert PETZOLD
Greffier
1.
Notes du greffier : L'affaire porte le n° 61/1995/567/653. Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.
2.
Le règlement A s'applique à toutes les affaires déférées à la Cour avant l'entrée en vigueur du Protocole n° 9 (P9) (1er octobre 1994) et, depuis celle-ci, aux seules affaires concernant les Etats non liés par ledit Protocole (P9). Il correspond au règlement entré en vigueur le 1er janvier 1983 et amendé à plusieurs reprises depuis lors.
3.
Pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (Recueil des arrêts et décisions 1996-V), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe.

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Etat de fait

Considérants

Dispositif

références

Article: art. 6 par. 1 CEDH, Art. 26 et 6 par. 1 CEDH