Intestazione
13531/03
A.D. c. Suisse
Décision d'irrecevabilité no. 13531/03, 18 janvier 2005
Regesto
Questo riassunto esiste solo in francese.
DÉCISION D'IRRECEVABILITÉ de la CourEDH:
SUISSE: Art. 3, 8 et 34 CEDH . Renvoi d'un demandeur d'asile.
Après que la demande de reconsidération du requérant a été rejetée en première instance, la Commission suisse de recours en matière d'asile l'a autorisé à attendre en Suisse l'issue de la procédure de recours. Il n'existe par conséquent aucun risque direct d'une mise en oeuvre de l'éloignement et le requérant n'est pas victime d'une violation des art. 3 et 8 CEDH .
Conclusion: requête déclarée irrecevable.
Fatti
La Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième section), siégeant le 18 janvier 2005 en une chambre composée de :
Sir Nicolas Bratza, président,
MM. J. Casadevall,
L. Wildhaber,
M. Pellonpää,
R. Maruste,
S. Pavlovschi,
J.Borrego Borrego, juges,
et de M. M. O'boyle, greffier de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 17 avril 2003,
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant, M. A.D. est un ressortissant de la Serbie-Monténégro, né en 1984 et résidant à Genève. Il est représenté devant la Cour par le Service social international, à Genève. Le Gouvernement défendeur est représenté par M. Philippe Boillat, Sous-directeur de l'Office fédéral de la justice.
A. Les circonstances de l'espèce
Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
Le 13 décembre 1990, le père du requérant, D., un ressortissant de la Serbie-Monténégro appartenant à la minorité rom, quitta son pays pour la Suisse accompagné de son épouse, A., et de leurs 4 enfants : S., né en 1979, R., né en 1982, le requérant et E., née en 1987. Le même jour, il déposa une demande d'asile à Genève, en son nom et celui de sa famille.
Le 2 septembre 1991, l'Office fédéral des réfugiés (OFR) rejeta la demande de D. et prononça son renvoi - et celui de sa famille - de Suisse, au motif que ses allégations (incarcérations et mauvais traitements) n'étaient pas vraisemblables.
Cette décision fut confirmée par la Commission suisse de recours en matière d'asile le 25 juillet 1994. Toutefois, de même que pour d'autres demandeurs d'asile ressortissants de l'ex-Yougoslavie, déboutés, le délai de départ de la famille Djemailji fut régulièrement reporté.
En mars 1998, le requérant fut condamné à trois mois de détention avec sursis pour vols, dommages à la propriété, violation de domicile et consommation de haschisch.
Le 22 novembre 1999, D. et les siens adressèrent à l'OFR une demande visant à obtenir le réexamen de la décision ordonnant leur renvoi de Suisse. En particulier, ils firent valoir l'aggravation de la situation au Kosovo et les difficultés auxquelles ils seraient confrontés en raison de leur ethnie (rom).
Le requérant fut reconnu coupable d'extorsion et tentative d'extorsion, le 5 juillet 2000, par le tribunal de la jeunesse de Genève ; si aucune condamnation n'a été prononcée dans cette affaire, le tribunal a toutefois prononcé une mesure d'assistance éducative à l'égard de l'intéressé.
Le 29 décembre 2000, l'OFR rejeta la demande du 22 novembre 1999 au motif qu'il n'existait aucun « fait nouveau ». L'OFR rappela en particulier que le 1er mars 2000, dans le cadre d'une action spéciale (Action humanitaire 2000), le Conseil fédéral avait décidé d'admettre provisoirement en Suisse les personnes ayant déposé une demande d'asile en Suisse avant le 31 décembre 1992, pour autant qu'il n'existât aucun motif d'exclusion ; étaient notamment exclus les individus dont le comportement permettait de conclure qu'ils n'avaient pas l'intention de s'adapter à l'ordre public suisse ou qui avaient commis des actes répréhensibles.
Le 1er mars 2001, le requérant fut entendu par la police en qualité d'auteur présumé de contrainte sexuelle, extorsion et chantage, voies de fait et séquestration, suite à une plainte déposée le 23 février 2001 par le père de la victime.
Le 9 mai 2001, le requérant fut reconnu coupable de dommages à la propriété, de contrainte, de contrainte sexuelle, de brigandage, de circulation dans un moyen de transport public sans titre de transport valable, de complicité d'agression et de vol de faible importance patrimoniale. Pour ces faits, il fut condamné par le tribunal de la jeunesse de Genève à 6 mois de détention, sous déduction de 73 jours de détention préventive, ainsi qu'au maintien de l'assistance éducative prononcée par jugement du 5 juillet 2000.
Par jugement du 27 juin 2001, le tribunal en question ordonna la libération immédiate de l'intéressé, lui fixa un délai d'épreuve jusqu'à sa majorité et maintint l'assistance éducative prononcée à son égard.
Le 19 novembre 2002, la Commission suisse de recours en matière d'asile rejeta un recours interjeté contre la décision du 29 décembre 2000 en tant qu'il concernait le requérant, motif pris de son comportement. A cet égard, elle releva que :
« Même s'il est vrai qu'A.D. a bénéficié d'une libération conditionnelle compte tenu de son excellent comportement durant son incarcération (...), qu'il a fait preuve d'un repentir sincère et a pris conscience des faits qui lui ont été reprochés, selon l'assistante sociale qui lui a été désignée (...), et qu'une excellente évolution a été constatée chez lui depuis la fin de son incarcération (...), il n'en demeure pas moins qu'il a commis des infractions pénales de plus en plus graves et rapprochées et a en particulier lésé des biens aussi précieux que l'intégrité physique et psychique de plusieurs personnes. La répétition de comportements répréhensibles jusqu'à récemment encore ne saurait être interprétée par la Commission comme une suite d'erreurs de jeunesse sans gravité ou comme des accidents de parcours à mettre au compte d'une courte période de fragilité (...). Il s'agit bien plutôt d'agissements qui démontrent que si l'intéressé a changé de comportements, ceux-ci ne se sont pas améliorés sur le long terme, nonobstant les mesures éducatives prises à son égard depuis le 5 juillet 2000 et plusieurs périodes de détention. Elles ont évolué dans un sens défavorable jusqu'à récemment, même si, comme le relève le dernier rapport du Service de protection de la jeunesse, la maturité acquise par A.D. depuis la fin de son incarcération est un « bon présage à une continuation de bonne évolution ». En définitive, et au regard de ce qui précède, la Commission considère qu'A.D. a compromis la sécurité et l'ordre publics et leur a en outre porté gravement atteinte. L'art. 14a § 6 LSEE lui est donc pleinement opposable. Il ne peut ainsi se prévaloir d'une mise en danger concrète de sa personne, au sens de l'art. 14a § 4 LSEE, en cas de retour dans son pays d'origine. »
Par un courrier du 2 décembre 2002, l'OFR avisa le requérant que, suite à la récente décision de la Commission suisse de recours en matière d'asile, il était tenu de quitter la Suisse dans les meilleurs délais.
Le 9 décembre 2002, l'office de la population du canton de Genève ordonna le départ du requérant « au plus tard le 15 janvier 2003 ». Par la suite, ce délai fut reporté au 15 février, 15 mars puis 30 avril 2003.
Le 16 avril 2003, le requérant déposa auprès de l'OFR une demande de reconsidération du jugement de la Commission suisse de recours en matière d'asile en date du 19 novembre 2002, invoquant une amélioration de son comportement. A l'appui de ce fait, le requérant mentionna qu'il avait notamment effectué un travail régulier avec satisfaction entre le 20 août 2001 et le 11 juillet 2002. En outre, il avança le fait que le 14 janvier 2003, le Tribunal de la jeunesse de Genève avait mis fin à l'assistance éducative instituée le 5 juillet 2000.
Par décision du 6 mai 2003, l'OFR rejeta ladite demande. Il estima que les faits invoqués par le requérant étaient soit déjà connus par la Commission suisse de recours en matière d'asile qui les avait dûment appréciés dans sa décision du 19 novembre 2002, soit intervenus après cet arrêt et pas susceptible d'enlever quelque chose à la gravité des actions commises par le requérant en Suisse. Dès lors, l'article 14a § 6 LSEE lui était pleinement opposable.
Le 19 mai 2003, le requérant recourut à la Commission suisse de recours en matière d'asile contre la décision du 6 mai 2003.
Par décision incidente du 28 mai 2003, le juge de la Commission suisse de recours en matière d'asile, chargé de l'instruction du recours, autorisa le requérant à demeurer en Suisse jusqu'à droit sur l'issue de son recours.
Par télécopie du 30 septembre 2004, le représentant du requérant informa le greffe de la Cour que le recours devant la Commission suisse de recours en matière d'asile était toujours pendant.
B. Le droit interne pertinent
Aux termes de l'article 14a de la loi fédérale sur le séjour et l'établissement des étrangers (LSEE) :
« 1. Si l'exécution du renvoi ou de l'expulsion n'est pas possible, n'est pas licite ou ne peut être raisonnablement exigée, l'Office fédéral des réfugiés décide d'admettre provisoirement l'étranger.
2. L'exécution n'est pas possible lorsque l'étranger ne peut quitter la Suisse, ni être renvoyé, ni dans son État d'origine ou de provenance, ni dans un État tiers.
3. L'exécution n'est pas licite lorsque le renvoi de l'étranger dans son État d'origine ou de provenance ou dans un État tiers est contraire aux engagements de la Suisse relevant du droit international.
4. L'exécution ne peut notamment pas être raisonnablement exigée si elle implique la mise en danger concrète de l'étranger.
4bis Si l'exécution du renvoi met le requérant d'asile dans une situation de détresse personnelle grave, au sens de l'art. 44, al. 3, de la loi du 26 juin 1998 sur l'asile, l'Office fédéral des réfugiés peut décider de l'admettre provisoirement.
(...)
6. Les al. 4 et 4bis ne sont pas applicables lorsque l'étranger expulsé ou renvoyé a compromis la sécurité et l'ordre publics ou qu'il leur a porté gravement atteinte. »
GRIEFS
1. Invoquant l'article 8 de la Convention, le requérant se plaint de ce qu'en ordonnant son renvoi de Suisse, les autorités de ce pays ont méconnu son « droit au respect de sa vie privée et familiale ».
2. Le requérant allègue en outre qu'en raison de son appartenance à la minorité rom, il risque d'être soumis à des traitements inhumains ou dégradants, au sens de l'article 3 de la Convention, en cas de renvoi dans son pays d'origine.
Considerandi
EN DROIT
1. Le requérant fait valoir que son renvoi dans son pays d'origine le séparerait de sa famille et constituerait, dès lors, une atteinte au droit au respect de sa vie privée et familiale au sens de l'article 8 de la Convention, libellé ainsi :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
Le Gouvernement suisse présente une exception préliminaire tirée du non-épuisement des voies de recours internes.
Il estime, d'une part, que le grief portant sur le droit au respect de la vie privée et familiale au sens de l'article 8 de la Convention a été soulevé pour la première fois dans sa demande de reconsidération du 16 avril 2003 auprès de l'OFR.
D'autre part, le Gouvernement soutient que la demande de reconsidération constitue, en droit suisse, une voie de recours interne effective qui doit être mise en oeuvre pour satisfaire à l'exigence de l'épuisement des voies de recours internes, conformément à l'article 35 § 1 de la Convention. Or, dans la mesure où le recours contre la décision de l'OFR est encore pendant, la présente requête doit être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes.
Le requérant conteste l'argumentation du Gouvernement. Il invoque que, dans le cadre de la procédure ayant abouti au jugement de la Commission suisse de recours en matière d'asile du 19 novembre 2002, le requérant s'est en particulier prévalu de la longue durée de son séjour en Suisse pour s'opposer à son renvoi et qu'il a, dès lors, implicitement invoqué l'article 8 de la Convention dans son volet « privé ».
Le requérant soutient, en outre, que sa demande de reconsidération du 16 avril 2003 doit être considérée comme recours extraordinaire qui, dès lors, ne saurait être pris en compte dans l'examen de l'épuisement des voies de recours internes au sens de l'article 35 § 1 de la Convention.
La Cour, estimant qu'elle peut laisser ouverte la question de l'épuisement des voies de recours internes, considère opportun de se prononcer sur le point de savoir si le requérant peut se prétendre « victime » de la violation alléguée de l'article 8 de la Convention, au sens de son article 34, dont la partie pertinente se lit comme suit :
« La Cour peut être saisie d'une requête par toute personne physique (...) qui se prétend victime d'une violation par l'une des Hautes Parties contractantes des droits reconnus dans la Convention ou ses Protocoles (...). »
A ce sujet, la Cour rappelle qu'un requérant ne peut se prétendre « victime », au sens de l'article 34 de la Convention, que s'il est ou a été directement touché par l'acte ou omission litigieux : il faut qu'il en subisse ou risque d'en subir directement les effets (arrêts Otto-Preminger-Institut c. Autriche, arrêt du 20 septembre 1994, série A no 295-A, § 39 et Norris c. Irlande, arrêt du 26 octobre 1988, série A no 142, §§ 30 et s). On ne saurait donc se prétendre « victime » d'un acte dépourvu, temporairement ou définitivement, de tout effet juridique (Benamar et autres c. France, no 42216/98, 14 novembre 2000).
Or, la Cour rappelle que le requérant a déposé, le 19 mai 2003, un recours contre la décision de l'OFR en date du 6 mai 2003, rejetant la demande de reconsidération du requérant introduite le 16 avril 2003. Il ressort d'une télécopie du représentant du requérant, parvenu au greffe de la Cour le 30 septembre 2004, que ce recours est actuellement pendant devant la Commission suisse de recours en matière d'asile. Dans ce contexte, la Cour rappelle que ladite Commission autorisa, par une décision du 28 mai 2003, le requérant à demeurer en Suisse jusqu'à droit sur l'issue de son recours.
Si une issue du recours défavorable au requérant n'exclut pas l'éventualité de la mise en oeuvre de l'arrêt de la Commission suisse de recours en matière d'asile, ordonnant l'éloignement du requérant du territoire suisse, cette éventualité ne saurait être considérée comme imminente à ce stade de la procédure, étant donnée que la décision de la Commission suisse de recours en matière d'asile en date du 28 mai 2003 prive la décision ordonnant l'éloignement du requérant du territoire suisse temporairement de tout effet juridique.
Dans ces conditions, le requérant, qui ne court actuellement pas un risque direct d'éloignement du territoire suisse, ne peut en conséquent se prétendre victime d'une violation de l'article 8 de la Convention au sens de son article 34.
Il s'ensuit que ce grief doit être rejeté comme étant manifestement mal fondée, au sens de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
2. Le requérant allègue que le renvoi dans son pays d'origine l'exposerait au risque d'être soumis à des traitements inhumains ou dégradants, au motif de son appartenance à la minorité rom. Il invoque à ce sujet l'article 3, libellé ainsi :
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
La Cour estime que le raisonnement adopté sous l'examen du grief tiré de l'article 8 s'impose mutatis mutandis aussi à l'allégation portant sur l'article 3.
Dès lors, il échet de déclarer irrecevable le grief tiré de l'article 3 comme étant manifestement mal fondé, en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
Disposizione
Par ces motifs, la Cour, à l'unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
Michael O'boyle Nicolas Bratza
Greffier Président