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Chapeau

14991/02


Minelli Ludwig Amadeus gegen Schweiz
Nichtzulassungsentscheid no. 14991/02, 14 juin 2005

Regeste

DÉCISION D'IRRECEVABILITÉ de la CourEDH:
SUISSE: Art. 8 CEDH. Article de journal utilisant le terme de "braconnier" à l'égard du requérant et publication d'une photographie sans son accord.

Le droit au respect de la vie privée de l'intéressé doit être mis en balance avec le droit à la liberté d'information et de la presse du journal. Le Tribunal fédéral a estimé que la protection de la personnalité du requérant devait être plus souple, puisqu'il s'agit d'une personnalité relativement notoire qui s'était déjà exprimée dans divers médias avec des propos peu flatteurs à l'égard d'autres personnes. Il ne peut exiger une protection absolue ni de sa personnalité après s'être exposé lui-même publiquement, ni de son droit à l'image puisque la photographie a été prise lors d'un événement télévisé auquel il avait pris part; il devait en outre s'attendre à faire l'objet d'une publication répondant à un intérêt public de connaître le personnage public qu'il incarne. La Cour estime qu'un juste équilibre a été ménagé entre les intérêts en cause et qu'il n'y a pas eu violation du droit au respect de la vie privée du requérant.
Conclusion: requête déclarée irrecevable.





Faits

La Cour européenne des Droits de l'Homme (quatrième section), siégeant le 14 juin 2005 en une chambre composée de :
Sir Nicolas Bratza, président,
MM. L. Wildhaber,
K. Traja,
S. Pavlovschi,
L. Garlicki,
Mme L. Mijovic,
MM. J.Sikuta, juges,
et de M. M. O'Boyle, greffier de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 4 mars 2002,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant, M. Ludwig Amadeus Minelli, est un ressortissant suisse, né en 1932 et résidant à Forch. Il est représenté devant la Cour par Me P.A. Schaerz, avocat à Uster.
A. Les circonstances de l'espèce
Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.
Le requérant est connu comme avocat et journaliste. Il a souvent participé à des débats publics et s'est exprimé de temps en temps à la radio ou à la télévision sur des questions d'actualité.
En juin 1993, le rédacteur en chef du magazine hebdomadaire suisse Die Weltwoche indiqua au requérant qu'il souhaitait dresser son portrait dans son magazine. Le requérant s'opposa à la publication de l'article.
Le 19 août 1993, Die Weltwoche parut avec une page dédiée au requérant, dont le titre était : Wenn der alte Wilderer zum Jagdaufseher wird (Quand le vieux braconnier devient garde-chasse). Le sous-titre de l'article était intitulé : Ein Porträt des streitbaren Juristen, Journalisten und Denner-Beraters Ludwig Amadeus Minelli (un portrait du juriste, journaliste et conseiller controversé de Denner Ludwig Amadeus Minelli). Denner est une chaîne suisse de supermarchés qui pratique une politique offensive de prix bas en Suisse. Denner est également un groupe de pression politique qui a lancé, en Suisse, des initiatives, dont une au moins a été soumise au vote populaire. Le texte était accompagné d'une photo du requérant, accompagnée d'extraits de la télécopie qu'il avait adressée au magazine pour exprimer son refus de voir une telle publication.
En décembre 1993, le requérant introduisit une plainte contre l'éditeur auprès du tribunal de district pour dénoncer l'emploi du terme Wilderer (braconnier) par le magazine, ainsi que la publication de sa photographie et d'extraits de sa télécopie envoyée à la rédaction. Il estimait avoir subi une atteinte à sa personnalité. L'introduction de la plainte fut suivie de quatorze prolongations de délai dont huit accordées au requérant.
Le 31 mars 1998, le tribunal de district d'Uster rejeta la plainte du requérant. La cour suprême de Zürich, statuant sur son recours en réforme, en fit de même.
Le 5 décembre 1999, la cour de cassation admit un recours du requérant contre la décision, l'annula et la renvoya au tribunal de district.
Le 26 mai 2000, le tribunal de district, statuant à nouveau, rejeta la plainte pour défaut de fondement.
Le 4 mars 2001, la cour de cassation déclara irrecevable le recours dirigé contre la décision. Le requérant recourut alors au Tribunal fédéral, au moyen d'un recours de droit public et d'un recours en réforme, en invoquant la violation de son droit à la personnalité découlant de l'article 28 du Code civil suisse ainsi que la violation de son droit au respect de la vie privée, tel que garanti par la Convention à l'article 8.
Le 20 juillet 2001, le Tribunal fédéral déclara irrecevable le recours de droit public, et déclara mal fondé le recours en réforme.
Il constata que l'article litigieux utilisait les termes « braconnier » et « garde-chasse » dans un sens figuré pour décrire un changement dans le comportement du requérant.
Il admit que l'appellation « braconnier »(Wilderer) pouvait effectivement amener le lecteur moyen à penser que le requérant était un individu malhonnête. Une telle publication pouvait donc être constitutive d'une violation de l'article 28 du Code civil suisse, à moins qu'un intérêt public prépondérant ne la justifiât.
A ce sujet, le Tribunal fédéral retint que le requérant était une « personnalité relativement notoire »(relativ prominente Persönlichkeit), au regard de son activité professionnelle, qui lui avait assuré une certaine notoriété. Ainsi, une publication ponctuelle concernant le requérant en l'absence de son accord pouvait se justifier. Le Tribunal fédéral nota que l'article litigieux était essentiellement consacré à la vie publique du requérant. Le reportage relatait en effet des épisodes de son passé et son évolution. Il mentionnait que le requérant, notamment à travers ses apparitions publiques dans divers médias, s'était exprimé sans fioritures au sujet d'autres personnes. D'une part, le but de l'article était donc de montrer que le requérant avait, dans ses interventions, réduit le discours politique à des insultes au moyen de l'utilisation de termes peu flatteurs envers les personnes visées. D'autre part, l'article relevait que le requérant s'était attribué, parallèlement à son activité d'avocat, un rôle de gardien des médias. Le Tribunal fédéral estima, au vu de ces considérations, qu'une personnalité apparaissant souvent sur la scène publique, et de telle manière, devait s'attendre, à son tour, à faire l'objet d'un reportage. Le Tribunal fédéral estima donc que le jugement de valeur porté sur le requérant au moyen de l'appellation « braconnier » n'était pas excessif, comme le prétendait le requérant.
Le Tribunal fédéral jugea que la publication du texte de l'article se justifiait au regard de l'intérêt prépondérant de l'information sur celui, privé, du requérant visant la protection de sa personnalité.
Concernant le droit à l'image du requérant, le Tribunal fédéral conclut également à son caractère licite, rappelant que la photographie litigieuse avait été prise lors d'une émission de télévision à laquelle avait participé le requérant. Au surplus, le Tribunal fédéral jugea qu'en l'espèce, l'article 8 de la Convention était absorbé par les garanties plus spécifiques de l'article 28 du Code civil suisse.
L'arrêt du Tribunal fédéral fut notifié au requérant le 5 septembre 2001.
B. Le droit interne pertinent
L'article pertinent du Code civil suisse est libellé ainsi :
Art. 28
« 1. Celui qui subit une atteinte illicite à sa personnalité peut agir en justice pour sa protection contre toute personne qui y participe.
2. Une atteinte est illicite, à moins qu'elle ne soit justifiée par le consentement de la victime, par un intérêt prépondérant privé ou public, ou par la loi. »
GRIEFS
1. Invoquant l'article 6 de la Convention, le requérant se plaint de la durée de la procédure civile suivie en l'espèce.
2. Invoquant l'article 8 de la Convention, le requérant se plaint de la violation de son droit au respect de la vie privée, en particulier à travers l'utilisation, par les médias, du terme « braconnier » à son égard. Il se plaint également de la publication de la photographie accompagnant le reportage.


Considérants

EN DROIT
1. Le requérant se plaint de ne pas avoir été jugé dans un délai raisonnable, la procédure du cas d'espèce ayant duré sept ans et huit mois pour un total de trois instances, dont quatre ans devant la 1ère instance. Il invoque l'article 6 de la Convention, libellé ainsi dans sa partie pertinente :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
La Cour observe que le requérant n'a pas fait valoir ce grief devant les autorités internes. Or, la Cour rappelle qu'en droit suisse, le Tribunal fédéral est compétent pour prendre des mesures concrètes en vue de faire accélérer une procédure pendante devant les instances cantonales (Hasani c. Suisse (déc), no 41649/98, 27 avril 1999 ; Boxer Asbestos SA c. Suisse (dec), no 20874/92, 9 mars 2000, Hartman c. République tchèque, no 53341/99, § 67, CEDH 2003-VIII). Ce recours doit être considéré comme « effectif », dans la mesure où il permet de faire intervenir plus tôt la décision de la juridiction concernée (voir, mutatis mutandis, Mifsud c. France (déc.) [GC], no 57220/00, § 17, CEDH 2002-VIII).
La Cour note que le requérant n'a pas utilisé cette voie de droit qui lui était ouverte au cours de la procédure devant les instances cantonales. Il s'ensuit que ce grief doit être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l'article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
2. Le requérant se plaint de la violation de son droit au respect de sa vie privée en raison de la parution d'un article dressant son portrait dans un magazin. Il invoque l'article 8 de la Convention, ainsi libellé:
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
Quant à l'applicabilité de l'article 8 de la Convention, la Cour rappelle que la notion de vie privée comprend des éléments se rapportant à l'identité d'une personne, tels le nom ou le droit à l'image. Cet article est principalement destiné à assurer le développement, sans ingérences extérieures, de la personnalité de chaque individu dans les relations avec ses semblables. Il existe donc une zone d'interaction entre l'individu et des tiers qui, même dans un contexte public, peut relever de la « vie privée ». De plus, dans certaines circonstances, une personne dispose d'une « espérance légitime » de protection et de respect de sa vie privée (voir Von Hannover c. Allemagne, no 59320/00, §§ 50-51, CEDH 2004-VI). L'article 8 s'applique donc au cas d'espèce dans la mesure où le requérant a vu des parties de sa vie révélées dans un article de journal accompagné d'une photographie de lui. En l'espèce, le requérant ne se plaint pas d'un acte de l'Etat (Von Hannover, précité, § 56).
Selon la jurisprudence de la Cour, l'article 8, combiné avec l'obligation d'assurer l'exercice effectif des droits garantis par l'article 1, peut impliquer une obligation positive de l'Etat d'octroyer des mesures visant à protéger la vie privée d'un individu, en relation avec l'exercice par des tiers du droit à la liberté d'expression, tout en tenant compte des droits et responsabilités découlant de l'article 10 (voir Schüssel c. Autriche (déc.), no 42409/98, 21 février 2002).
Cependant, même si une protection efficace est assurée en la matière par le législateur suisse sur le plan civil et pénal (voir la partie « Droit interne pertinent » et Verliere c. Suisse (déc.), no 41953/98, CEDH 2001-VII), la Cour rappelle que le droit découlant de l'article 8 doit être mis en balance avec le droit à la liberté d'expression au regard de l'article 10, dont le journal Die Weltwoche est titulaire (Von Hannover, précité, § 58).
A ce sujet, la Cour constate que le Tribunal fédéral a effectué une pesée des intérêts des deux parties, examinant les limites de la protection de la vie privée, notamment à la lumière de la liberté de la presse. Il a ainsi estimé que la protection qui s'applique à une « personnalité relativement notoire » n'est pas égale à celle qui s'applique à un individu inconnu du public. Le Tribunal fédéral, examinant l'article et son contenu, a retenu que si le requérant bénéficiait certes d'une protection de sa personnalité, celle-ci dépendait des circonstances. Dans le cas du requérant, la protection se devait d'être plus souple, celui-ci s'étant lui-même exprimé dans divers médias en utilisant des propos peu flatteurs à l'égard d'autres personnalités. Le Tribunal fédéral a estimé que le requérant ne pouvait exiger une protection absolue de sa personnalité, après s'être lui-même exposé publiquement. Il en était de même pour son droit à l'image, au regard de la photographie publiée avec le texte. Le Tribunal fédéral a rappelé que celle-ci avait été prise lors d'un événement télévisé auquel le requérant avait pris part. Le Tribunal fédéral a donc jugé que le requérant devait s'attendre à faire l'objet d'une publication sur sa personne, qui répondait à un intérêt du public de connaître le personnage public qu'incarnait le requérant. La Cour se rallie à cette analyse.
La Cour, rappelant que la liberté d'expression vaut non seulement pour les « informations » ou « idées » accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent(Handyside c. Royaume-Uni, arrêt du 7 décembre 1976, série A no 24, p. 23, § 49) estime que les autorités internes ont su établir un juste équilibre entre les droits du requérant et ceux de la partie adverse.
En conclusion, la Cour estime que les faits de la cause ne font état d'aucun manque de respect pour la vie privée du requérant.
Il s'ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.


Disposition

Par ces motifs, la Cour, à l'unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
Michael O'Boyle Nicolas Bratza
Greffier Président

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Etat de fait

Considérants

Dispositif

références

Article: Art. 8 CEDH