Intestazione
5056/10
Emre Emrah c. Suisse
Urteil no. 5056/10, 11 octobre 2011
Regesto
Questo riassunto esiste solo in francese.
SUISSE: Art. 8 combiné avec l'art. 46 CEDH. Expulsion de durée indéterminée d'un ressortissant turc remplacée par une expulsion limitée à dix ans. Exécution d'un arrêt de la Cour.
L'arrêt du Tribunal fédéral du 6 juillet 2009 constitue un fait nouveau susceptible de donner lieu à une nouvelle atteinte à l'art. 8 CEDH, de sorte que le grief est recevable (ch. 38 - 49).
L'expulsion de l'intéressé est prévue par la loi et poursuit le but légitime de défense de l'ordre et de prévention des infractions pénales. Toutefois, l'ensemble des éléments pertinents aurait dû être pris en considération, à savoir la nature des infractions commises, la gravité des sanctions prononcées, la durée du séjour de l'intéressé en Suisse, la solidité de ses liens sociaux, culturels et familiaux avec la Suisse et la Turquie, ses problèmes de santé, le changement positif de comportement et le caractère définitif de la mesure d'éloignement. Un juste équilibre entre les intérêts privés et publics n'a pas été respecté. La durée considérable de la mesure n'est pas nécessaire dans une société démocratique. Afin d'exécuter l'arrêt de la Cour et de remédier à la violation de l'art. 8 CEDH, le Tribunal fédéral aurait dû annuler l'interdiction de territoire avec effet immédiat (ch. 63 - 77).
Conclusion: violation de l'art. 8 combiné avec l'art. 46 CEDH.
Sintesi dell'UFG
(4° rapporto trimestriale 2011)Diritto al rispetto della vita privata e familiare (art. 8 CEDU) e obbligo a conformarsi alla sentenza della Corte (art. 46 CEDU); divieto di entrata temporaneo in seguito alla sentenza della Corte EDU.
In seguito a varie condanne il ricorrente turco è stato espulso dalla Svizzera e sanzionato con un divieto di entrata a tempo indeterminato. Nella sentenza Emre n. 1 (vedi Cernita di sentenze e decisioni del 2° trimestre 2008), la Corte ha costatato una violazione dell'articolo 8 CEDU. Nella seguente procedura di revisione, il Tribunale federale ha ridotto la durata del divieto di entrata a 10 anni. Il ricorrente si è poi sposato con una cittadina tedesca ottenendo un permesso di soggiorno per la Germania. La sua richiesta alle autorità competenti di revocare il divieto di entrata per trasferirsi in Svizzera è stata respinta. La Corte afferma che il Tribunale federale disponeva sì di un certo margine discrezionale nell'interpretare la sentenza Emre n. 1, ma che ha sostituito l'interpretazione della Corte con la propria. Le considerazioni del Tribunale federale si sono limitate soltanto al carattere definitivo del divieto di entrata. Per rispondere agli obblighi rigorosi previsti all'articolo 46 CEDU, nel suo esame il Tribunale federale avrebbe dovuto tenere conto anche degli altri fattori (natura del reato commesso, gravità della pena inflitta, durata del soggiorno in Svizzera, periodo e comportamento del ricorrente tra i reati e il divieto di entrata, legami sociali, culturali e familiari con lo Stato ospitante e il Paese di destinazione, stato di salute). La Corte rileva che la Svizzera non ha mantenuto un equilibrio adeguato tra interessi pubblici e privati e che in una società democratica il divieto di entrata di 10 anni non era necessario. Per attuare la sentenza Emre n. 1 nella maniera più semplice e consona al principio della restitutio in integrum, il divieto di entrata andrebbe revocato con effetto immediato.
Violazione dell'articolo 8 CEDU in combinato disposto con l'articolo 46 CEDU (5 voti contro 2); la sentenza è definitiva.
Fatti
En l'affaire Emre c. Suisse (no 2),
La Cour européenne des droits de l'homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
Françoise Tulkens, présidente,
David Thór Björgvinsson,
Dragoljub Popovic,
Giorgio Malinverni,
András Sajó,
Guido Raimondi,
Paulo Pinto de Albuquerque, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 13 septembre 2011,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 5056/10) dirigée contre la Confédération suisse et dont un ressortissant turc, M. Emrah Emre (« le requérant »), a saisi la Cour le 11 janvier 2010 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant est représenté par Me C. Tafelmacher, avocat à Lausanne (canton de Vaud). Le gouvernement suisse (« le Gouvernement ») est représenté par son agent suppléant, M. A. Scheidegger, de l'unité Droit européen et protection internationale des droits de l'homme de l'Office fédéral de la Justice.
3. Le requérant s'estime victime d'une violation du droit au respect de la vie privée et familiale garantie par l'article 8, en raison de l'interdiction d'entrer sur le territoire suisse pour une durée de dix ans, que le Tribunal fédéral lui a imposée dans un arrêt du 6 juillet 2009.
4. Le 22 avril 2010, le président de la première section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. En vertu de l'article 29 § 1 de la Convention, il a également été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et sur le fond de l'affaire. Le président a en outre décidé, en vertu de l'article 41 du règlement, que la requête serait traitée en priorité.
5. Le gouvernement turc n'a pas usé de son droit d'intervenir dans la procédure (article 36 § 1 de la Convention).
6. Le 1er février 2011, les sections de la Cour ont été remaniées. La requête a été attribuée à la deuxième section (articles 25 § 1 et 52 § 1 du règlement).
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
7. Le requérant est né en 1980 et réside actuellement à Stuttgart (Allemagne).
8. Il entra en Suisse avec ses parents le 21 septembre 1986.
9. Le 1er juin 1990, il obtint une autorisation de séjour annuelle, qui fut par la suite régulièrement renouvelée.
10. Le 12 novembre 1997, le 10 novembre 1999 et le 13 août 2002, il fut condamné à des peines d'emprisonnement respectivement de deux mois et demi avec sursis, six mois avec sursis et cinq mois fermes, pour plusieurs infractions commises entre 1994 et 2000 (lésions corporelles simples et lésions corporelles graves, voies de fait, vol, brigandage, dommages à la propriété, recel, injures, menaces, émeute, violation de la législation sur les armes, et violation grave des règles de la circulation routière).
11. Par une décision du 2 juin 2003, le Service des étrangers du canton de Neuchâtel prononça l'expulsion administrative du requérant pour une durée indéterminée. Les recours formés par l'intéressé contre cette décision furent rejetés, d'abord le 12 décembre 2003 par le tribunal administratif du canton de Neuchâtel (ci-après, le tribunal administratif), puis le 3 mai 2004 par le Tribunal fédéral.
12. Le 20 octobre 2004, le requérant fut renvoyé en Turquie. Revenu illégalement en Suisse en mai ou juin 2005, il fut arrêté et placé en détention le 1er juillet 2005 en exécution des mandats d'arrêt émis sur le fondement des condamnations pénales dont il avait fait l'objet.
13. Après différentes péripéties de procédure et deux nouvelles condamnations pénales à des peines de trois mois et deux mois d'emprisonnement respectivement pour utilisation abusive d'une installation de communication et pour rupture de ban, il fut apparemment à nouveau renvoyé en Turquie le 1er novembre 2005.
14. Entre-temps, le 20 novembre 2004, il avait saisi la Cour d'une requête tendant à faire constater que son éloignement du territoire suisse pour une durée indéterminée, confirmé par le Tribunal fédéral, emportait violation des articles 3 et 8 de la Convention.
15. Par un arrêt du 22 mai 2008, devenu définitif le 22 août suivant, la première section de la Cour, à l'unanimité, déclara recevable le grief tiré de l'article 8 et conclut à la violation de cette disposition. Elle condamna de ce chef la Confédération suisse à verser au requérant les sommes de 3 000 euros (EUR) au titre du dommage moral et 4 650 EUR au titre des frais et dépens engagés par lui « devant les instances internes et devant la Cour ». Les passages pertinents de cet arrêt sont libellés comme suit :
« - La nature et la gravité des infractions commises par le requérant
72. La Cour note, à titre liminaire, que la date pertinente pour l'appréciation des critères rappelés ci-dessus est, en l'espèce, le 21 mai 2004, date de la notification au requérant de l'arrêt final du Tribunal fédéral entérinant la révocation de son titre de séjour (voir, mutatis mutandis, Yildiz c. Autriche, no 37295/97, § 34, 31 octobre 2002).
73. Pour ce qui est d'abord de la « gravité » des infractions commises par le requérant, la Cour relève qu'en 1997 et 1999, celui-ci a été condamné à deux mois et demi de détention avec sursis et à six mois de détention, pour menaces, injures, violation grave des règles de la circulation routière, lésions corporelles, voies de fait, vol, recel, brigandage, dommages à la propriété et autres délits contre le patrimoine. En 2002, il a de nouveau été condamné à une peine de cinq mois d'emprisonnement ferme, assortie d'une expulsion sans sursis du territoire suisse pendant sept ans, pour émeute et violation de la législation sur les armes, délits commis en 2000. Enfin, en 2005, il a encore été condamné à deux reprises, respectivement à trois et deux mois d'emprisonnement. La durée cumulée des peines privatives de liberté (dix-huit mois et demi au total) est ainsi loin d'être négligeable.
74. La Cour ne méconnaît pas non plus que les activités délictueuses se sont étendues sur un laps de temps considérable (1994-2004) (voir, a contrario, Moustaquim, précité, p. 19, § 44) et que les deux sursis accordés le 12 novembre 1997 et le 10 novembre 1999 ont été révoqués compte tenu de la poursuite des actes délictueux par le requérant. En même temps, la Cour constate qu'une partie des agissements imputés au requérant remontent à son adolescence et les autres à un âge relativement jeune (voir, dans ce sens aussi, Moustaquim, précité, § 44, Yildiz, précité, § 45, et Yilmaz c. Allemagne, no 52853/99, § 46, 17 avril 2003). Par ailleurs, les condamnations du 12 novembre 1997 et du 10 novembre 1999 ont été prononcées par l'autorité tutélaire du district de Neuchâtel. Ainsi, une partie au moins des infractions commises par le requérant relève de la délinquance juvénile. A cet égard, la Cour relève que selon les Nations unies, l'expérience montre que la délinquance juvénile tend à disparaître chez la plupart des individus avec le passage à l'âge adulte (voir le paragraphe I, 5, e, des principes directeurs des Nations unies pour la prévention de la délinquance juvénile (Principes directeurs de Riyad), adoptés et proclamés par l'Assemblée générale dans sa résolution 45/112 du 14 décembre 1990).
75. S'agissant de la « nature » des infractions commises par le requérant, il est indéniable que les condamnations pour lésions corporelles pèsent en sa défaveur. En ce qui concerne l'infraction à la législation sur les armes, en revanche, il apparaît qu'elle a été constituée en l'espèce par la seule possession d'un spray lacrymogène. De surcroît, il n'est pas établi que ce soit le requérant qui a frappé l'un des agents de sécurité d'un coup de couteau lors de l'expédition à l'encontre d'une discothèque le 5 mars 2000 (arrêt du Tribunal fédéral, considérant 3.1; ci-dessus, paragraphe 18). Quant aux infractions contre la sécurité routière, elles constituent sans doute un danger potentiel, mais doivent néanmoins être appréciées à la lumière des sanctions relativement légères dont elles font normalement l'objet (voir, dans ce sens, Keles, précité, § 59, et Yildiz, précité, § 45).
76. Ainsi, à la lumière d'affaires comparables, les condamnations dont le requérant a fait l'objet doivent être appréciées à leur juste mesure, tant d'un point de vue de leur gravité que des peines finalement infligées (voir, a contrario, Mokrani, précité, § 32, Benhebba, précité, § 34, C. c. Belgique, arrêt du 7 août 1996, Recueil 1996 III, p. 924, § 35, Dalia, précité, p. 92, § 54, Baghli, précité, § 48 in fine, et Jankov c. Allemagne (déc.), no 35112/97, 13 janvier 2000, Bouchelkia, précité, p. 65, §§ 50-53, Boujlifa, précité, pp. 2263 et suiv., § 44, et Üner, précité, § 18).
- La durée du séjour du requérant en Suisse
77. S'agissant de la durée du séjour dans le pays dont il doit être expulsé, la Cour note que le requérant, né le 18 décembre 1980, est arrivé en Suisse le 21 septembre 1986, soit avant l'âge de six ans. Au moment de l'arrêt du Tribunal fédéral du 3 mai 2004, il était âgé de vingt-trois ans et demi. Il avait dès lors passé plus de dix-sept ans et demi en Suisse.
- Le temps écoulé entre la perpétration des infractions et la mesure litigieuse, et la conduite de l'intéressé durant cette période
78. En ce qui concerne le laps de temps séparant la commission des infractions du moment où la mesure litigieuse est devenue définitive, ainsi que la conduite de l'intéressé durant cette période, la Cour relève que les activités délictueuses du requérant se sont étendues sur une période considérable. De même, les instances internes ont, à plusieurs reprises, constaté que celui-ci n'avait montré aucune prise de conscience de ses activités délictueuses et qu'il avait refusé de suivre sa psychothérapie (voir, à cet égard, Keles, précité, § 60).
- La solidité des liens sociaux, culturels et familiaux avec le pays hôte et avec le pays de destination
79. En ce qui concerne les liens particuliers que le requérant a tissés avec son pays d'accueil, le Tribunal fédéral a noté qu'il avait effectué toute sa scolarité et vécu la plus grande partie de sa vie en Suisse, où résident également ses parents et ses frères, dont l'un possède la nationalité suisse. S'il existe en revanche une certaine controverse entre les parties quant à son intégration professionnelle en Suisse (ci-dessus, les paragraphes 44 et 58), la Cour ne s'estime pas obligée de trancher cette question.
80. En comparaison avec ces éléments, qui malgré son activité délictueuse, montrent une certaine intégration du requérant en Suisse, les liens sociaux, culturels et familiaux que celui-ci maintient avec la Turquie semblent très ténus. Il ressort du dossier que le requérant n'a séjourné qu'un mois et demi dans le pays en juin et juillet 2002, et que seule sa grand-mère y réside encore. La Cour n'est pas convaincue que le bref séjour en Turquie à la suite du premier éloignement du requérant, mesure contestée par la présente requête, peut être pris en considération. Par ailleurs, il n'est pas certain que le requérant maîtrise à suffisance la langue turque. Même si les rapports entre parents et enfants adultes ne bénéficient pas de la protection de l'article 8 sans que soit démontrée « l'existence d'éléments supplémentaires de dépendance, autres que les liens affectifs normaux » (voir, mutatis mutandis, Kwakye-Nti et Dufie c. Pays-Bas (déc.), no 31519/96, 7 novembre 2000), la Cour note également que le Tribunal fédéral a lui-même admis que ses attaches familiales avec la Turquie étaient bien moins importantes que celles qu'il avait nouées dans son pays d'accueil. La haute juridiction n'a d'ailleurs aucunement mis en question le fait que le requérant serait « confronté à d'importantes difficultés en cas de retour en Turquie ».
- Les particularités de l'espèce : l'aspect médical de l'affaire
81. La Cour note qu'un rapport du centre psycho-social neuchâtelois du 14 janvier 2003 a fait état, chez le requérant, d'« un trouble de personnalité émotionnellement labile, avec des éléments impulsifs et borderline, ainsi que d'un trouble anxieux phobique » face à la menace de son renvoi (arrêt du Tribunal fédéral, considérant 3.4.2 ; ci-dessus, le paragraphe 18). Une lettre du médecin de famille du 21 janvier 2003 a par ailleurs confirmé que le requérant avait été élevé dans un environnement violent et peu stimulant, et a précisé qu'une expulsion l'éloignerait des éléments rassurants et structurants mis en place ces dernières années ( ibidem. ).
82. Les points de vue des parties à la présente procédure divergent sur ce point. Le requérant argüe que sa maladie, ayant impliqué des tentatives de suicide, ne pourrait pas être traitée de manière adéquate en Turquie (voir ci-dessus, le paragraphe 42). Le Gouvernement, quant à lui, prétend le contraire, estimant que sa famille pourrait tout aussi bien le soutenir financièrement depuis la Suisse. Par ailleurs, il met en exergue que le requérant a largement refusé de se soumettre au traitement psychiatrique qui lui avait été prescrit (voir ci-dessus, le paragraphe 57).
83. La Cour n'exclut pas que les problèmes de santé du requérant puissent être traités de manière adéquate en Turquie. Elle ne méconnaît pas non plus que le requérant a négligé le traitement prescrit, du moins au début. En même temps, elle estime que ses troubles, dont le Gouvernement ne remet par ailleurs aucunement en cause l'existence, s'ils ne sont pas par eux-mêmes suffisants à fonder un grief séparé sous l'angle de l'article 8, en constituent néanmoins un aspect supplémentaire susceptible de rendre encore plus difficile le retour du requérant dans son pays d'origine, où il ne dispose guère d'un réseau social.
- Le caractère définitif de la mesure d'éloignement
84. Afin d'apprécier la proportionnalité de la mesure litigieuse, la Cour doit tenir compte du caractère provisoire ou définitif de l'interdiction du territoire prononcée.
85. Elle constate qu'en l'espèce le tribunal de police ainsi que la cour de cassation pénale du canton de Neuchâtel ont ordonné l'expulsion du requérant pour une durée de sept ans (voir ci-dessus, le paragraphe 11). En revanche, son expulsion administrative a été prononcée par le service des étrangers du canton de Neuchâtel pour une durée indéterminée (voir ci-dessus, le paragraphe 15). La Cour constate que la requête du requérant est dirigée contre son expulsion administrative, dont elle juge la durée indéterminée particulièrement rigoureuse (voir, comme exemples d'affaires dans lesquelles le caractère définitif de l'interdiction prononcée a été retenu par la Cour à l'appui de la conclusion que la mesure était disproportionnée : Ezzouhdi c. France, no 47160/99, § 34, 13 février 2001, Keles, précité, § 65, Yilmaz, précité, § 48, et Radovanovic c. Autriche, no 42703/98, § 37, 22 avril 2004 ; et a contrario, pour des affaires où la durée limitée de la mesure litigieuse a concouru à ce qu'elle soit jugée proportionnée : Benhebba, précité, § 37, Jankov, précité, et Üner, précité, § 65). Quant à la faculté pour l'intéressé de demander une levée temporaire ou définitive de l'expulsion, la Cour estime que cette possibilité reste à l'heure actuelle purement spéculative.
86. Au vu de ce qui précède, et en particulier de la gravité relative des condamnations prononcées contre le requérant, de la faiblesse des liens qu'il entretient avec son pays d'origine et du caractère définitif de la mesure d'éloignement, la Cour estime que l'Etat défendeur ne peut passer pour avoir ménagé un juste équilibre entre les intérêts du requérant et de sa famille d'une part, et son propre intérêt à contrôler l'immigration, d'autre part.
87. Partant, il y a eu violation de l'article 8. »
16. Interrogé sur la suite qu'il entendait donner à l'arrêt de la Cour, par une décision du 19 juin 2008 le Service des migrations du canton de Neuchâtel (ci-après : le Service cantonal) refusa d'entrer en matière sur une demande d'autorisation d'entrer sur le territoire helvétique, au motif que la question avait été tranchée le 3 mai 2004 par un jugement définitif du Tribunal fédéral. Il invita le requérant à déposer une demande de révision auprès de ce dernier tribunal.
17. Par un mémoire daté du 19 novembre 2008, le requérant forma une demande de révision devant le Tribunal fédéral, qu'il priait d'annuler son arrêt du 3 mai 2004 et l'arrêt précédemment rendu dans la même affaire par le tribunal administratif du canton de Neuchâtel le 12 décembre 2003.
18. L'Office fédéral des migrations proposa le rejet de la demande de révision.
19. Par un arrêt du 6 juillet 2009, le Tribunal fédéral admit la demande de révision et annula son arrêt du 3 mai 2004. Dans le même temps, il réforma le jugement du tribunal administratif du canton de Neuchâtel du 12 décembre 2003 en ramenant à dix ans, courant à partir du 2 juin 2003, la durée de l'éloignement du requérant. Les motifs de l'arrêt se lisent ainsi :
« (...) 3.2 Dans l'arrêt du 22 mai 2008, la Cour européenne a constaté qu'en expulsant Emrah Emre de son territoire pour une durée indéterminée, la Suisse avait violé le droit au respect de la vie privée et familiale de l'intéressé garanti à l'art. 8 CEDH. Elle lui a de ce chef octroyé une indemnité pour tort moral d'un montant de 3 000 EUR sur la base de l'art. 41 CEDH. Cette disposition confère à la Cour européenne la compétence d'accorder une « satisfaction équitable » à la partie lésée lorsque le droit interne de l'Etat mis en cause « ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de [la] violation [constatée] ». Le versement d'une telle indemnité ne libère toutefois pas forcément l'Etat concerné de son obligation, prévue à l'art. 46 CEDH, de se conformer aux arrêts de la Cour européenne. L'Etat défendeur, reconnu responsable d'une violation de la Convention ou de ses Protocoles, est en effet appelé non seulement à verser aux intéressés les sommes allouées à titre de satisfaction équitable, mais aussi à choisir, sous le contrôle du Comité des Ministres, les mesures générales et/ou, le cas échéant, individuelles à adopter dans son ordre juridique interne, afin de mettre un terme à la violation constatée par la Cour et d'en effacer autant que possible les conséquences, l'objectif étant de replacer le requérant dans la situation dans laquelle il se trouverait s'il n'y avait pas eu manquement aux exigences de la Convention européenne (cf., parmi d'autres références, arrêt CourEDH du 4 octobre 2007, aff. Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VGT) c. Suisse, requête no 32772/02, par. 46 et 47 et les nombreux arrêts cités). C'est le principe de la restitutio in integrum qui a pour effet pratique de limiter la liberté des Etats dans le choix des moyens à mettre en oeuvre pour remédier à une violation de la Convention (...).
4.1 Lorsque, comme en l'espèce, le Tribunal fédéral admet une demande de révision, il rend successivement deux décisions distinctes, même s'il le fait en règle générale dans un seul arrêt. Par la première, dénommée le rescindant, il annule l'arrêt formant l'objet de la demande de révision; par la seconde, appelée le rescisoire, il statue sur le recours dont il avait été précédemment saisi. La décision d'annulation met fin à la procédure de révision proprement dite et entraîne la réouverture de la procédure antérieure. Elle sortit un effet ex tunc, si bien que le Tribunal fédéral et les parties sont replacés dans la situation où ils se trouvaient au moment où l'arrêt annulé a été rendu, la cause devant être tranchée comme si cet arrêt n'avait jamais existé (cf. arrêt précité 1F_1/2007 du 30 juillet 2007, consid. 3.3).
4.2 Dans son arrêt, la Cour européenne a estimé qu'au vu des circonstances, et compte tenu en particulier de la gravité relative des condamnations prononcées contre le requérant, de la faiblesse des liens que celui-ci entretenait avec son pays d'origine, et du caractère définitif de la mesure d'expulsion, la Suisse n'avait pas ménagé un juste équilibre entre les intérêts (privés et public) en présence (arrêt précité, par. 86). Elle a de manière spécifique souligné que la durée indéterminée de l'expulsion était « particulièrement rigoureuse », en considérant que la possibilité pour le requérant d'en obtenir la levée temporaire ou définitive restait à l'heure actuelle « purement spéculative » (arrêt, par. 85). En d'autres termes, elle ne s'en est pas tant prise au principe de la mesure litigieuse, qu'à son caractère définitif. D'une manière générale, dans ses arrêts les plus récents, la Cour européenne semble du reste accorder un poids de plus en plus déterminant à ce dernier critère, se refusant, sous réserve de rares exceptions, à avaliser des expulsions définitives du territoire, au contraire de mesures d'interdiction de durée limitée (...).
Cela étant, au vu des circonstances qui prévalaient au moment déterminant, soit lorsque l'arrêt annulé a été rendu (le 3 mai 2004), une levée immédiate de l'expulsion n'entrait pas en ligne de compte. Certes les liens du requérant avec la Turquie étaient-ils alors moindres que ceux qu'il avait noués avec la Suisse, de sorte qu'un retour dans son pays d'origine apparaissait comme une mesure relativement rigoureuse pour lui. Cet obstacle avait du reste été pris en considération et discuté dans le premier arrêt. Mais le Tribunal fédéral avait aussi constaté, sans être contredit par la Cour européenne sur ce point, que la présence du requérant en Suisse constituait un danger particulièrement sérieux pour l'ordre et la sécurité publics, car son comportement et ses infractions témoignaient d'un « esprit difficilement capable de résoudre les conflits et les frustrations autrement que par la violence, prêt à faire régner sa propre loi, seul ou à l'aide d'acolytes, méprisant les biens ou l'intégrité corporelle d'autrui, et se moquant ouvertement de l'autorité judiciaire » (arrêt précité du 3 mai 2004, consid. 3.2). Par ailleurs, le Tribunal fédéral avait également souligné, et rien non plus dans l'arrêt de la Cour européenne ne permet de se départir de cette appréciation, que l'intéressé n'avait nullement pris conscience de la gravité de ses actes et qu'il présentait alors un risque élevé de récidive: il avait en effet commis de nouvelles infractions après ses premières condamnations et avait refusé de suivre un traitement psychiatrique pendant sa détention (cf. arrêt précité du Tribunal fédéral du 3 mai 2004, consid. 3.3 in initio). Dans ces conditions, l'intérêt privé du requérant à demeurer en Suisse ne pouvait en aucun cas, compte tenu de son statut de personne adulte, célibataire et sans enfants, l'emporter sur l'intérêt public à son éloignement, au moins pour une période déterminée. En d'autres termes, la seule solution appropriée pour tempérer les effets de la mesure litigieuse prise contre l'intéressé et se conformer à l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme, consiste à limiter la durée de l'expulsion.
4.3 En conséquence, il se justifie de limiter l'expulsion prononcée contre le requérant à une durée de dix ans à compter de la décision d'expulsion du 2 juin 2003. Passé ce délai, l'intéressé pourra déposer une demande d'autorisation de séjour qui sera examinée par l'autorité compétente à la lumière du droit applicable et des circonstances qui prévaudront alors (situation familiale et personnelle du requérant; comportement de celui-ci depuis son expulsion; etc.).
5. Il suit de ce qui précède que la demande de révision doit être admise et l'arrêt du Tribunal fédéral du 3 mai 2004 annulé. Par ailleurs, l'arrêt rendu le 12 décembre 2003 par le Tribunal administratif doit être réformé, en ce sens la mesure d'expulsion du territoire suisse de durée indéterminée prononcée contre le requérant est remplacée par une mesure d'expulsion d'une durée de dix ans à compter du 2 juin 2003.
( ...) »
20. Le 11 septembre 2009, le requérant épousa une ressortissante allemande. Grâce à ce mariage, il obtint la délivrance d'un titre de séjour allemand.
21. Le 19 avril 2010, il saisit le tribunal administratif du canton de Neuchâtel d'une demande de reconsidération d'une décision du Service des migrations du 27 décembre 2005, qui avait refusé la suspension de son expulsion, en se prévalant notamment de sa nouvelle situation, à savoir son mariage avec une ressortissante allemande. Par un arrêt du 20 août 2010, le tribunal rejeta cette demande et renvoya la cause au Service des migrations.
22. Le requérant communiqua des pièces supplémentaires au Service des migrations le 30 août 2010 et le 24 novembre 2010. La suite donnée à sa demande visant à obtenir la levée de la mesure d'éloignement afin de pouvoir s'établir en Suisse fut défavorable. Dans une lettre datée du 7 décembre 2010, le Service des migrations du canton de Neuchâtel estima qu'il ne pouvait pas statuer sur une demande de reconsidération, notamment pour les motifs suivants :
« (...) Si le mariage célébré le 11 septembre 2009 en Allemagne, avec une ressortissante allemande, de même que la délivrance d'un titre de séjour sur le territoire allemand, à la suite de ce mariage, constituent des faits nouveaux, nous constatons qu'ils ne sont pas pertinents à eux seuls pour obliger le Service des migrations à entrer en matière sur la demande de reconsidération présentée. La nationalité de l'épouse, à elle seule, n'a pas pour effet d'entraîner l'annulation de l'expulsion et l'octroi d'une autorisation de séjour sur le sol suisse. Encore faut-il que l'épouse présente une demande d'octroi d'autorisation de séjour en Suisse, se trouve dans un des cas qui lui permette de se prévaloir de l'Accord sur la libre circulation des personnes (ALCP), en remplisse les conditions et qu'aucun motif ayant trait à l'ordre ou la sécurité publics ne puisse être opposé.
Le droit au regroupement familial suppose toujours l'existence d'un droit de séjour originaire octroyé à un ressortissant CE/AELE selon les dispositions de l'ALCP. Le droit de séjour conféré aux membres de la famille est un droit dérivé dont la validité est subordonnée en principe à la durée du droit de séjour originaire.
(...) »
23. Selon le requérant, cette lettre n'a pas pu faire l'objet de recours ou de plainte.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
24. L'article 122 de la loi fédérale du 17 juin 2005 sur le Tribunal fédéral, entrée en vigueur le 1er janvier 2007, dispose :
Art. 122 : Violation de la Convention européenne des droits de l'homme
« La révision d'un arrêt du Tribunal fédéral pour violation de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH) peut être demandée aux conditions suivantes :
a. la Cour européenne des droits de l'homme a constaté, dans un arrêt définitif, une violation de la CEDH ou de ses protocoles ;
b. une indemnité n'est pas de nature à remédier aux effets de la violation ;
c. la révision est nécessaire pour remédier aux effets de la violation. »
25. Les dispositions pertinentes de l'Annexe I à l'Accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse et la Communauté européenne sur la libre circulation des personnes (ci-après : « ALCP ») sont libellées comme suit :
« Article 1 : Entrée et sortie
1. Les parties contractantes admettent sur leur territoire les ressortissants des autres parties contractantes, les membres de leur famille au sens de l'art. 3 de la présente annexe ainsi que les travailleurs détachés au sens de l'art. 17 de la présente annexe sur simple présentation d'une carte d'identité ou d'un passeport en cours de validité.
Aucun visa d'entrée ni obligation équivalente ne peut être imposé, sauf aux membres de la famille et aux travailleurs détachés au sens de l'art. 17 de la présente annexe, qui ne possèdent pas la nationalité d'une partie contractante. La partie contractante concernée accorde à ces personnes toutes facilités pour obtenir les visas qui leur seraient nécessaires.
(...)
Article 3 : Membres de la famille
1. Les membres de la famille d'une personne ressortissant d'une partie contractante ayant un droit de séjour ont le droit de s'installer avec elle. Le travailleur salarié doit disposer d'un logement pour sa famille considéré comme normal pour les travailleurs nationaux salariés dans la région où il est employé sans que cette disposition puisse entraîner de discriminations entre les travailleurs nationaux et les travailleurs en provenance de l'autre partie contractante.
2. Sont considérés comme membres de la famille, quelle que soit leur nationalité:
a. son conjoint et leurs descendants de moins de 21 ans ou à charge;
b. ses ascendants et ceux de son conjoint qui sont à sa charge;
c. dans le cas de l'étudiant, son conjoint et leurs enfants à charge.
Les parties contractantes favorisent l'admission de tout membre de la famille qui ne bénéficie pas des dispositions de ce paragraphe sous a), b) et c), s'il se trouve à la charge ou vit, dans les pays de provenance, sous le toit du ressortissant d'une partie contractante.
(...)
Art. 5 Ordre public
1. Les droits octroyés par les dispositions du présent accord ne peuvent être limités que par des mesures justifiées par des raisons d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique.
(...) »
Considerandi
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 8 COMBINÉ AVEC L'ARTICLE 46 DE LA CONVENTION
26. Invoquant l'article 46 de la Convention, le requérant soutient que l'interprétation de l'arrêt de la Cour du 22 mai 2008 que le Tribunal fédéral a donnée dans son arrêt du 6 juillet 2009 ne respecte pas le raisonnement qui sous-tend le constat de violation de l'article 8 de la Convention auquel la Cour est parvenue dans cet arrêt. Il estime également que l'interdiction d'entrer sur le territoire suisse pendant dix ans, prononcée par le Tribunal fédéral dans le même arrêt, est constitutive d'une nouvelle atteinte au droit au respect de sa vie privée et familiale au sens de l'article 8. Les dispositions qu'il invoque sont libellées comme suit :
Article 8 :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
Article 46 :
« 1. Les Hautes Parties contractantes s'engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties.
2. L'arrêt définitif de la Cour est transmis au Comité des Ministres qui en surveille l'exécution.
3. Lorsque le Comité des Ministres estime que la surveillance de l'exécution d'un arrêt définitif est entravée par une difficulté d'interprétation de cet arrêt, il peut saisir la Cour afin qu'elle se prononce sur cette question d'interprétation. La décision de saisir la Cour est prise par un vote à la majorité des deux tiers des représentants ayant le droit de siéger au Comité.
4. Lorsque le Comité des Ministres estime qu'une Haute Partie contractante refuse de se conformer à un arrêt définitif dans un litige auquel elle est partie, il peut, après avoir mis en demeure cette partie et par décision prise par un vote à la majorité des deux tiers des représentants ayant le droit de siéger au Comité, saisir la Cour de la question du respect par cette partie de son obligation au regard du paragraphe 1.
5. Si la Cour constate une violation du paragraphe 1, elle renvoie l'affaire au Comité des Ministres afin qu'il examine les mesures à prendre. Si la Cour constate qu'il n'y a pas eu violation du paragraphe 1, elle renvoie l'affaire au Comité des Ministres, qui décide de clore son examen. »
27. Le Gouvernement s'oppose à la thèse du requérant.
A. Sur la recevabilité
1. La compatibilité ratione materiae de la requête
a. Les thèses des parties
i. Le Gouvernement
28. Le Gouvernement fait valoir qu'il n'est pas contesté qu'il a versé au requérant la somme de 7 650 EUR octroyée par la Cour au titre de la satisfaction équitable dans son arrêt du 22 mai 2008.
29. Il ajoute que le requérant a par ailleurs pu saisir le Tribunal fédéral d'une demande de révision de l'arrêt du 3 mai 2004. Il estime utile de souligner qu'en vertu de l'article 122 de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral (paragraphe 24 ci-dessus), le requérant a le droit de former une demande de révision, mais en aucun cas celui d'obtenir cette révision et encore moins dans le sens qu'il souhaite.
30. Selon le Gouvernement, le cas d'espèce est fondamentalement différent de celui de l'affaire Mehemi c. France (no 2) (no 53470/99, CEDH 2003-IV), dans laquelle les faits pertinents qu'avait à juger la Cour lors de la seconde procédure étaient différents de ceux dont elle avait eu à connaître dans son premier arrêt puisque, dans l'intervalle, le requérant avait pu partiellement rétablir sa vie familiale en France sur la base d'autorisations de séjour temporaires assorties d'une assignation à résidence, tandis qu'en l'espèce le Tribunal fédéral s'est expressément replacé dans la situation qui existait au moment de son arrêt du 3 mai 2004.
31. Le Gouvernement soutient également qu'en vertu de l'article 46 de la Convention, un constat de violation de l'article 8 n'a pas pour conséquence automatique d'annuler l'expulsion litigieuse mais oblige simplement l'Etat partie à examiner soigneusement les différentes possibilités d'exécuter l'arrêt et à prendre les mesures adéquates. En remplaçant la mesure d'éloignement définitif par une mesure d'une durée déterminée, le Tribunal fédéral aurait, dans son arrêt du 6 juillet 2009, montré qu'il avait procédé à un tel examen approfondi du cas concret à la lumière du cadre fixé par la Cour dans son arrêt du 22 mai 2008.
32. En réponse au grief soulevé par le requérant concernant sa crainte de ne pas pouvoir obtenir un nouveau titre de séjour en Suisse, le Gouvernement estime utile de rappeler qu'une telle demande serait examinée compte tenu des exigences de la Convention et, le requérant ayant épousé une ressortissante allemande, de celles qui découlent de l'ALCP, dont l'article 3 § 1 de l'annexe prévoit que « les membres de la famille d'une personne ressortissant d'une partie contractante ayant un droit de séjour ont le droit de s'installer avec elle » (paragraphe 25 ci-dessus). L'argument du requérant selon lequel la limitation de l'éloignement à dix ans revient à un éloignement perpétuel serait donc sans fondement.
33. Au vu de ce qui précède, le Gouvernement estime qu'on ne saurait prétendre que l'arrêt du Tribunal fédéral du 6 juillet 2009 constitue un problème nouveau, non tranché par l'arrêt du 22 mai 2008, au sens de la jurisprudence pertinente de la Cour (Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VgT) c. Suisse (no 2) [GC], no 32772/02, § 62, CEDH 2009-...). Il est convaincu que la question de savoir si la réduction de la portée de la mesure litigieuse constitue une mesure suffisante d'exécution de l'arrêt du 22 mai 2008 sur le plan individuel est du ressort du Comité des Ministres en vertu de l'article 46 § 2 de la Convention.
34. Pour ces raisons, le Gouvernement conclut que la présente requête est incompatible ratione materiae avec la Convention et ses protocoles.
ii Le requérant
35. Le requérant ne conteste pas que la Suisse s'est acquittée du montant que la Cour lui avait alloué au titre du dommage moral. Il estime cependant que cette indemnité ne constitue que l'un des éléments du dispositif de l'arrêt de la Cour et que la violation constatée de l'article 8 appelait une restitutio in integrum.
36. Il soutient qu'au lieu de remédier aux effets de la violation de l'article 8 en annulant son arrêt initial et en ordonnant aux autorités cantonales d'entreprendre les démarches nécessaires afin d'assurer son retour en Suisse et de préserver son droit au respect de la vie privée et familiale, le Tribunal fédéral a procédé à une interprétation partielle et arbitraire de l'arrêt définitif de la Cour, en retenant en outre des faits postérieurs à son arrêt du 3 mai 2004, sans l'interroger à cet égard. Ainsi, par son arrêt sur révision, le Tribunal fédéral aurait considérablement modifié la situation juridique, créant un état de fait différent de celui sur lequel portait l'arrêt de la Cour du 22 mai 2008.
37. Le requérant avance également que l'interprétation de l'arrêt de la Cour du 22 mai 2008 donnée par le Tribunal fédéral n'est pas conforme à l'esprit de cet arrêt. Le Tribunal n'aurait en définitive tenu compte que du dernier argument de la Cour, en ne prenant en considération que le caractère définitif de l'expulsion, et il aurait ainsi fait preuve d'arbitraire.
b. L'appréciation de la Cour
38. Dans l'affaire Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VgT), précitée, la Grande Chambre a résumé les critères à prendre en compte dans des affaires comme celle-ci :
« 61. La Cour rappelle qu'un constat de violation dans ses arrêts est essentiellement déclaratoire( Marckx c. Belgique, arrêt du 13 juin 1979, série A no 31, § 58, Lyons et autres c. Royaume-Uni (déc.), no 15227/03, CEDH 2003-IX, p. 422, et Krcmár et autres c. République tchèque (déc.), no 69190/01, 30 mars 2004) et que, par l'article 46 de la Convention, les Hautes Parties contractantes se sont engagées à se conformer aux arrêts de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties, le Comité des Ministres étant chargé d'en surveiller l'exécution (voir, mutatis mutandis, Papamichalopoulos et autres c. Grèce (ancien article 50), arrêt du 31 octobre 1995, série A no 330-B, § 34).
62. Le rôle du Comité des Ministres dans ce domaine ne signifie pas pour autant que les mesures prises par un Etat défendeur en vue de remédier à la violation constatée par la Cour ne puissent pas soulever un problème nouveau, non tranché par l'arrêt (arrêt Mehemi c. France (no 2), no 53470/99, § 43, CEDH 2003-IV, renvoyant aux arrêts Pailot c. France, 22 avril 1998, Recueil 1998-II, § 57, Leterme c. France, 29 avril 1998, Recueil 1998-III, et Rando c. Italie, no 38498/97, § 17, 15 février 2000) et, dès lors, faire l'objet d'une nouvelle requête dont la Cour pourrait avoir à connaître. En d'autres termes, la Cour peut accueillir un grief selon lequel la réouverture d'une procédure au niveau interne, en vue d'exécuter l'un de ses arrêts, a donné lieu à une nouvelle violation de la Convention (Lyons et autres, précitée, p. 431 ; voir aussi dans ce sens, Hertel c. Suisse (déc.), no 3440/99, CEDH 2002-I).
63. Il convient de rappeler, dans ce contexte, les critères développés par la jurisprudence s'agissant de l'article 35 § 2 b), lequel commande de déclarer irrecevable une requête qui est « essentiellement la même qu'une requête précédemment examinée par la Cour (...), et (...) ne contient pas de faits nouveaux. » Dès lors, la Cour doit vérifier si les deux requêtes dont elle a été saisie par l'association requérante ont trait essentiellement à la même personne, aux mêmes faits et aux mêmes griefs (voir, mutatis mutandis, Pauger c. Autriche, no 24872/94, décision de la Commission du 9 janvier 1995, DR 80-A, p. 170, et Folgerø et autres c. Norvège (déc.), no 15472/02, du 14 février 2006). »
39. En l'espèce, la Cour observe que le Gouvernement argüe que la question de savoir si la réduction de la portée de la mesure litigieuse constitue une mesure suffisante d'exécution de l'arrêt du 22 mai 2008 sur le plan individuel est du ressort du Comité des Ministres en vertu de l'article 46 § 2 de la Convention. Elle ne partage pas ce point de vue, et rappelle à cet égard qu'en vertu du paragraphe 2 de l'article 32, « (e)n cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est compétente, la Cour décide ». Elle a déjà dit par le passé qu'elle n'empiète pas sur les compétences que le Comité des Ministres tire de l'article 46 lorsqu'elle connaît de faits nouveaux dans le cadre d'une nouvelle requête ( Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VgT), précité, §§ 66 et suiv.).
40. Afin de déterminer si l'on est en présence d'une nouvelle requête qui se distingue essentiellement, au sens de la jurisprudence précitée, de la première, il y a lieu de rappeler la procédure ultérieure à l'arrêt du 22 mai 2008. A la suite de cet arrêt, le requérant a saisi le Tribunal fédéral d'une demande de révision de l'arrêt rendu par celui-ci le 3 mai 2004. Par un arrêt du 6 juillet 2009, le Tribunal fédéral a admis cette demande et annulé l'arrêt litigieux. Dans le même temps, il a réformé le jugement du tribunal administratif du canton de Neuchâtel du 12 décembre 2003 en ramenant à dix ans, à compter du 2 juin 2003, la durée de l'éloignement du requérant.
41. Compte tenu de ce qui précède, la Cour observe que, dans son arrêt du 6 juillet 2009, le Tribunal fédéral a mis l'accent, dans la pesée des intérêts en jeu, sur le dernier argument qu'elle avait avancé, à savoir le caractère définitif de la mesure d'éloignement. Il a estimé suffisant, pour se conformer à l'arrêt du 22 mai 2008, de ramener l'éloignement à durée indéterminée à un éloignement de dix ans. Il a en outre procédé à une nouvelle mise en balance des intérêts en jeu, en estimant, contrairement à la Cour, que « (...) l'intérêt privé du requérant à demeurer en Suisse ne pouvait en aucun cas, compte tenu de son statut de personne adulte, célibataire et sans enfants, l'emporter sur l'intérêt public à son éloignement, au moins pour une période déterminée » (cons. 4.2, paragraphe 19 ci-dessus).
42. Il convient également d'observer qu'en l'espèce le Comité des Ministres n'a pas encore entamé sa procédure de surveillance de l'exécution de l'arrêt de la Cour du 22 mai 2008 par l'adoption de mesures concrètes : aucune résolution, même intermédiaire, n'a été adoptée dans cette affaire.
43. Ces éléments suffisent pour permettre à la Cour de conclure que l'arrêt du Tribunal fédéral du 6 juillet 2009 constitue un fait nouveau, susceptible de donner lieu à une nouvelle atteinte à l'article 8 ( Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VgT), précité, § 65), pour l'examen de laquelle la Cour est compétente (voir, a contrio, Steck-Risch et autres c. Liechtenstein (déc.), no 29061/08, 11 mai 2010).
44. Partant, la Cour estime que ce grief est compatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention et de ses protocoles.
2. La demande du Gouvernement visant la radiation de la requête
45. Le Gouvernement souligne que le fait que le requérant ait épousé une ressortissante allemande constitue un élément nouveau qu'il pourrait invoquer pour demander la levée de son expulsion en se fondant, le cas échéant, sur les dispositions pertinentes de l'ALCP, notamment les articles 3 et 5 de l'Annexe I, qui prévoient en particulier que les droits octroyés par les dispositions de l'accord ne peuvent être limités que par des mesures justifiées par des raisons d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique (paragraphe 25 ci-dessus). Sans vouloir spéculer sur le résultat d'une nouvelle demande de séjour fondée sur ce texte, il s'étonne que le requérant n'ait pas déposé une telle demande pour obtenir la levée de l'expulsion.
46. Compte tenu de ce qui précède, le Gouvernement soutient que les circonstances de l'espèce permettent de conclure qu'il ne se justifie pas de poursuivre l'examen de la requête (article 37 § 1, lettre a) de la Convention). Par conséquent, il invite la Cour à rayer du rôle la présente requête.
47. La Cour estime que l'argumentation du Gouvernement n'est pas exempte d'ambiguïté, dans la mesure où celui-ci cite la lettre c) de l'article 37 § 1, puis la lettre a) de la même disposition. Cela étant, elle considère qu'il n'y a pas lieu d'examiner plus en détail le sens de ces arguments, car aucun indice ne porte à croire que le requérant n'entend plus maintenir sa requête (article 37 § 1 lettre a) ou qu'il existe un autre motif justifiant la suspension de l'examen de la requête (lettre c). Le seul fait que l'intéressé n'ait pas introduit une nouvelle demande de séjour fondée sur les dispositions pertinentes de l'ALCP en se prévalant de son mariage avec une ressortissante allemande ne suffit pas à faire naître la présomption qu'il n'aurait plus l'intention de regagner le territoire suisse.
48. Partant, la Cour rejette la demande du Gouvernement visant la radiation de la présente requête.
3. Conclusion
49. La Cour constate également que le grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
1. Les thèses des parties
a. Le requérant
50. Le requérant estime que lorsqu'un arrêt définitif de la Cour n'est pas exécuté conformément aux conclusions qui y sont énoncées, mais interprété de façon unilatérale et partielle, et relativisé par une décision d'un tribunal national, la question à examiner a trait à l'étendue de l'obligation pour les Etats d'honorer les arrêts définitifs de la Cour.
51. En ce qui concerne l'obligation au titre de l'article 46 § 1 de la Convention de se conformer aux arrêts de la Cour, il argüe que les Etats ont l'obligation fondamentale d'assurer autant que possible la restitutio in integrum. Il soutient qu'il en découle une obligation de résultat, le choix des moyens restant à l'Etat défendeur.
52. En l'espèce, l'expulsion définitive du territoire suisse ayant été ramenée à une interdiction de séjour d'une durée de dix ans, le requérant estime que son cas est identique à celui de l'affaire Mehemi précitée. La seule différence résiderait dans le fait que, dans ladite affaire, le gouvernement français avait autorisé l'entrée du requérant sur le territoire français dans un délai de trois mois à compter de l'arrêt définitif de la Cour et l'avait assigné à résidence dans l'attente de l'issue de la procédure administrative visant à remédier à la violation de l'article 8. Les autorités françaises ayant autorisé le retour de M. Mehemi, la Cour estima que l'interdiction de séjour d'une durée de dix ans était privée de tout effet juridique du fait de l'assignation à résidence de l'intéressé. M. Emre, pour sa part, ne pourrait toujours pas rentrer sur le territoire suisse malgré l'arrêt de la Cour et les démarches qu'il a entreprises : l'arrêt de révision rendu par le Tribunal fédéral le 6 juillet 2009 n'aurait aucunement modifié sa situation personnelle et familiale.
53. Le requérant soutient également que l'interdiction de séjour pour une durée de dix ans est en soi un fait nouveau, n'est pas nécessaire dans une société démocratique au sens de l'article 8 § 2, et constitue donc une nouvelle violation du droit au respect de la vie privée et familiale. Il précise que les infractions qu'il a commises ne sont pas d'une nature ou d'une gravité telles qu'elles justifieraient encore aujourd'hui une mesure d'éloignement. Il argüe à cet égard que ces infractions étaient des erreurs de jeunesse et qu'au moment du prononcé de l'arrêt de révision du Tribunal fédéral, le 6 juillet 2009, il était devenu un adulte responsable, marié et qui travaillait.
54. Le requérant récuse la thèse du Gouvernement selon laquelle son mariage avec une ressortissante allemande serait de nature à remédier à ce qu'il considère pour sa part comme une violation grave et flagrante de l'article 8 : le droit au respect de la vie privée et familiale ne serait pas un droit dérivé, mais un droit propre, originaire, qui devrait être reconnu indépendamment de la situation conjugale, faute de quoi la rupture du mariage impliquerait inévitablement la perte du droit au respect de la vie privée et familiale.
55. Par ailleurs, l'ALCP, évoqué par le Gouvernement, ne garantirait nullement aux membres de la famille d'un ressortissant de l'un des Etats parties un accès sans condition au territoire suisse ou un droit inconditionnel au regroupement familial. Le requérant souligne à cet égard qu'en vertu de l'article 1 § 1 de l'Annexe 1 à l'ALCP les membres de la famille peuvent être soumis à une obligation de visa d'entrée, et que l'article 5 § 1 de la même annexe permet aux autorités administratives de restreindre la libre circulation des personnes pour des raisons de sécurité publique (paragraphe 25 ci-dessus). Dès lors, l'affirmation selon laquelle un droit d'entrée en Suisse pourrait lui être octroyé du fait de son mariage avec une ressortissante allemande relèverait de la pure spéculation et ne tiendrait pas compte de la pratique des administrations et juridictions suisses.
56. En outre, après l'arrêt définitif de la Cour, le requérant aurait exercé toutes les voies de droit disponibles en Suisse afin de recouvrer ses droits à l'entrée et au séjour sur le territoire. Compte tenu de l'arrêt de révision du Tribunal fédéral du 6 juillet 2009, du jugement du tribunal administratif du 20 août 2010 et de la prise de position du 7 décembre 2010 du Service des migrations (paragraphes 19-22 ci-dessus), il serait faux d'affirmer qu'il n'a pas épuisé les possibilités que lui offre le droit interne.
57. Compte tenu de ce qui précède, le requérant estime que prononcer une mesure d'éloignement de dix ans à l'encontre d'une personne qui a passé la grande majorité de sa vie en Suisse et dont les liens sociaux, familiaux et culturels avec ce pays sont plus étroits qu'avec tout autre pays revient à porter à ses droits une atteinte disproportionnée et donc non conforme à l'article 8.
b. Le Gouvernement
58. Le Gouvernement soutient que l'expulsion du requérant était prévue par la loi, qu'elle poursuivait un but légitime au sens de l'article 8 § 2 de la Convention et qu'elle était conforme à l'arrêt de la Cour du 22 mai 2008.
59. En ce qui concerne la nécessité de la mesure litigieuse dans une société démocratique, il argüe que la situation actuelle se distingue essentiellement de celle qui a guidé la Cour dans son arrêt du 22 mai 2008 par les deux éléments suivants : d'une part, l'expulsion n'est plus définitive mais limitée à dix ans à compter du 2 juin 2003 ; d'autre part, le requérant vit en Allemagne, où il a épousé une ressortissante allemande.
60. Le Gouvernement rappelle également que, dans son arrêt du 22 mai 2008, la Cour a qualifié de particulièrement rigoureuse la durée indéterminée de l'expulsion du requérant, et jugé que le caractère définitif de cette mesure la rendait disproportionnée (§ 86). En revanche, elle n'aurait pas critiqué l'appréciation du Tribunal fédéral selon laquelle, premièrement, la présence du requérant en Suisse constituait à la date du premier arrêt de ce tribunal un danger particulièrement sérieux pour l'ordre et la sécurité publics (arrêt du Tribunal fédéral du 3 mai 2004, cons. 3.2) et, deuxièmement, elle aurait admis que l'intéressé n'avait nullement pris conscience de la gravité de ses actes et présentait alors un risque élevé de récidive, comme le montraient ses nouvelles infractions après ses premières condamnations et son refus de suivre un traitement psychiatrique pendant sa détention ( ibidem, cons. 3.3).
61. Le Gouvernement estime qu'il y a lieu de tenir compte de ces considérations d'intérêt public, qui demeurent selon lui d'actualité et que, dès lors, la limitation à dix ans de la durée de l'éloignement tient compte de tous les intérêts pertinents, d'autant que le requérant a pu établir sa propre vie familiale en Allemagne, que des contacts réguliers avec sa famille restent possibles et que plus de six des dix années de la durée de l'éloignement s'étaient écoulées au moment du deuxième arrêt du Tribunal fédéral.
62. De l'avis du Gouvernement, le Tribunal fédéral a ménagé un juste équilibre entre les différents intérêts en jeu et, dès lors, l'on ne saurait lui reprocher d'avoir limité l'expulsion à l'issue d'un examen circonstancié plutôt que de l'avoir annulée purement et simplement. Partant, il n'y aurait pas eu violation de l'article 8 de la Convention.
2. L'appréciation de la Cour
a. Observations préliminaires
63. La Cour ne doute pas que l'interdiction d'entrer sur le territoire suisse pendant dix ans constitue une nouvelle ingérence dans le droit du requérant au respect de sa vie familiale au sens de l'article 8 de la Convention.
64. Pareille ingérence enfreint la Convention si elle ne remplit pas les exigences du paragraphe 2 de l'article 8. Il faut donc rechercher si elle était « prévue par la loi », justifiée par un ou plusieurs buts légitimes au regard dudit paragraphe, et « nécessaire dans une société démocratique ».
65. La Cour ne doute pas que l'expulsion du requérant était prévue par la loi et qu'elle poursuivait un but légitime au sens de l'article 8 § 2, notamment la « défense de l'ordre » et la « prévention des infractions pénales ». Il reste à examiner la question de savoir si l'ingérence dans le droit du requérant était nécessaire dans une société démocratique.
66. La Cour rappelle qu'il convient de lire la Convention comme un tout. Dans le contexte de la présente affaire, la question de savoir s'il y a eu une nouvelle violation de l'article 8 doit nécessairement être examinée en tenant compte de l'importance, dans le système de la Convention, de l'exécution effective des arrêts de la Cour conformément à l'article 46 (voir, mutatis mutandis, Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VgT), précité, § 83), qui est libellé comme suit :
« 1. Les Hautes Parties contractantes s'engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties.
2. L'arrêt définitif de la Cour est transmis au Comité des Ministres qui en surveille l'exécution. »
b. Les principes relatifs à l'exécution des arrêts de la Cour
67. Dans l'arrêt Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VgT), précité, la Grande Chambre a résumé les principes qui doivent guider les Etats parties dans l'exécution des arrêts définitifs de la Cour. Elle a notamment exposé ce qui suit :
« 85. S'agissant des exigences de l'article 46, il y a lieu de rappeler tout d'abord que l'Etat défendeur reconnu responsable d'une violation de la Convention ou de ses Protocoles est tenu de se conformer aux décisions de la Cour dans les litiges auxquels il est partie. En d'autres termes, l'inexécution ou l'exécution lacunaire d'un arrêt de la Cour peut entraîner la responsabilité internationale de l'Etat partie. Celui-ci est appelé non seulement à verser aux intéressés les sommes allouées à titre de satisfaction équitable, mais aussi à prendre des mesures individuelles et/ou, le cas échéant, générales dans son ordre juridique interne, afin de mettre un terme à la violation constatée par la Cour et d'en effacer les conséquences, l'objectif étant de placer le requérant, autant que possible, dans une situation équivalente à celle dans laquelle il se trouverait s'il n'y avait pas eu manquement aux exigences de la Convention (voir, parmi beaucoup d'autres, Scozzari et Giunta c. Italie [GC], nos 39221/98 et 41963/98, § 249, CEDH 2000-VIII, Assanidzé c. Géorgie [GC], no 71503/01, § 198, CEDH 2004-II).
(...)
88. Certes, l'Etat défendeur reste libre en principe, sous le contrôle du Comité des Ministres, de choisir les moyens de s'acquitter de ses obligations au titre de l'article 46 § 1 de la Convention, pour autant que ces moyens soient compatibles avec les conclusions contenues dans l'arrêt de la Cour (Scozzari et Giunta, précité, § 249, et Lyons et autres, précitée, p. 431). Cependant, dans certaines situations particulières, il est arrivé que la Cour ait estimé utile d'indiquer à un Etat défendeur le type de mesures à prendre pour mettre un terme à la situation - souvent structurelle - qui avait donné lieu à un constat de violation (voir, à titre d'exemple, Öcalan c. Turquie [GC], no 46221/99, § 210, CEDH 2005-IV, Popov c. Russie, no 26853/04, § 263, 13 juillet 2006). Parfois même, la nature de la violation constatée ne laisse pas de choix quant aux mesures à prendre (Assanidzé, précité, § 202).
(...)
90. En l'espèce, la chambre a estimé que la réouverture de la procédure au niveau interne pouvait constituer un aspect important de l'exécution des arrêts de la Cour. La Grande Chambre partage ce point de vue. Encore faut-il, toutefois, que cette réouverture permette aux autorités de l'Etat défendeur de se conformer aux conclusions et à l'esprit de l'arrêt de la Cour à exécuter, dans le respect des garanties procédurales de la Convention. Il en va d'autant plus ainsi quand le Comité des Ministres se contente, comme en l'espèce, de constater l'existence d'une procédure de révision sans en attendre l'issue. En d'autres termes, la réouverture d'une procédure ayant violé la Convention n'est pas une fin en soi, elle n'est qu'un moyen - certes privilégié - susceptible d'être mis en oeuvre en vue d'un objectif : l'exécution correcte et entière des arrêts de la Cour. Dès lors que celle-ci constitue le seul critère d'évaluation du respect de l'article 46 § 1, lequel critère est le même pour tous les Etats contractants, il n'en résulte aucune discrimination entre ceux qui ont introduit une procédure de révision dans leur ordre juridique et les autres. »
c. L'application de ces principes au cas d'espèce
68. La question qui se pose en l'espèce est celle de savoir si, dans l'arrêt qu'il a rendu à la suite de la demande de révision présentée par le requérant, le Tribunal fédéral a respecté les obligations incombant à la Suisse en vertu des principes susmentionnés d'exécution effective des arrêts définitifs de la Cour. En d'autres termes, celle-ci doit examiner si la réduction à une durée de dix ans de l'éloignement initialement prononcé pour une durée indéterminée est conforme aux « conclusions et à l'esprit de l'arrêt » du 22 mai 2008 ou si, au contraire, le Tribunal fédéral aurait dû purement et simplement annuler l'ordre d'expulsion et permettre ainsi au requérant de revenir immédiatement sur le territoire suisse.
69. La Cour rappelle que ses arrêts ont force obligatoire en vertu de l'article 46 de la Convention. Certes, les Etats restent libres de choisir les moyens qu'ils emploient pour s'y conformer, a fortiori dans un cas comme celui de la présente espèce, où elle n'a pas donné d'indication, dans l'arrêt-même, quant à la manière dont elle jugeait opportun de l'exécuter (voir, a contrario, Assanidzé c. Géorgie [GC], no 71503/01, CEDH 2004-II). De plus, l'objectif est de placer le requérant, autant que possible, dans une situation équivalente à celle dans laquelle il se trouverait s'il n'y avait pas eu manquement aux exigences de la Convention ( restitutio in integrum) (voir les références au paragraphe 67 ci-dessus).
70. Dans son arrêt, le Tribunal fédéral a jugé adéquat, pour donner suite à l'arrêt de la Cour, de ramener à dix ans la durée de l'éloignement de l'intéressé. Il a en effet estimé que l'intérêt privé du requérant consistant à demeurer en Suisse ne l'emportait pas sur l'intérêt public résidant dans son éloignement. Ce faisant, la Haute Cour a procédé à une nouvelle pesée des intérêts en jeu, dont le résultat est à l'opposé de celui auquel la Cour est parvenue dans son arrêt du 22 mai 2008.
71. A la lumière des principes susmentionnés, la Cour estime que le Tribunal fédéral disposait d'une certaine marge d'appréciation dans l'interprétation de l'arrêt de la Cour. Toutefois, force est de constater qu'il a en l'espèce substitué l'interprétation faite par la Cour par sa propre interprétation. A supposer même qu'une telle manière de procéder soit admissible et justifiée au regard de la Convention, il faudrait encore que la nouvelle appréciation par le Tribunal fédéral des arguments exposés par la Cour dans son premier arrêt soit complète et convaincante.
72. A cet égard, la Cour se réfère au raisonnement extrêmement détaillé de son premier arrêt, y compris la pesée concrète des différents intérêts en jeu (paragraphes 72-86) qui englobe l'examen de multiples éléments, à savoir la nature des infractions commises par le requérant, la gravité des sanctions prononcées, la durée du séjour du requérant en Suisse, le temps écoulé entre la perpétration des infractions et la mesure litigieuse, la conduite de l'intéressé durant cette période, la solidité de ses liens sociaux, culturels et familiaux avec le pays hôte et avec le pays de destination, les particularités de l'espèce, à savoir les problèmes de santé du requérant, et enfin le caractère définitif de la mesure d'éloignement. La Cour observe que les considérations du Tribunal fédéral se limitent à ce dernier élément. Elle estime que, pour satisfaire aux obligations strictes qui incombent aux Etats en vertu de l'article 46 de la Convention, l'examen aurait au contraire dû porter sur l'ensemble de ces arguments.
73. En ce qui concerne la durée de dix ans à laquelle le Tribunal fédéral a ramené l'interdiction de territoire prononcée contre le requérant, la Cour estime qu'il faut la considérer comme un laps de temps important et disproportionné au regard des infractions commises (voir les paragraphes 10 et suiv. ci-dessus). Le fait que la période d'éloignement de dix ans a commencé à courir le 2 juin 2003 n'y change rien.
74. En outre, le Gouvernement semble donner beaucoup d'importance aux faits intervenus après l'arrêt de la Cour, notamment le mariage du requérant et son installation en Allemagne. Alors que le Gouvernement les interprète comme des facteurs susceptibles de diminuer les effets d'une expulsion prévue vers la Turquie, la Cour les perçoit comme des indices d'un comportement plus positif que le requérant a ultérieurement adopté. Il ne semble par ailleurs pas que celui-ci ait fait l'objet de nouvelles inculpations depuis ses dernières condamnations, prononcées en 2005 et dont l'une concernait une infraction commise en 2003 et l'autre portait sur la rupture de ban, donc une infraction qui a son origine dans la même allégation que celle qui fait l'objet de la présente procédure devant la Cour, soit l'expulsion du territoire suisse jugée injustifiée par le requérant. A l'instar du requérant, la Cour estime que ce sont là des indices clairs que les activités délictueuses du requérant peuvent être qualifiées d'erreurs de jeunesse qu'il semble avoir reconnues. La Cour est prête à accepter que depuis lors il se comporte comme une personne responsable, qui exerce une activité professionnelle régulière à la mesure de ses capacités et qui a créé sa propre cellule familiale.
75. Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que l'exécution la plus naturelle de l'arrêt de la Cour, et celle qui correspond le plus à la restitutio in integrum, aurait été d'annuler purement et simplement, et avec effet immédiat, l'interdiction de territoire contre le requérant. A supposer même qu'un autre résultat aurait pu être acceptable, la Cour estime que la nature obligatoire des arrêts au sens de l'article 46 § 1 et l'importance de leur exécution effective, de bonne foi et compatible avec les « conclusions et l'esprit » de l'arrêt auraient commandé, dans les circonstances concrètes de l'affaire, un examen plus complet des considérations du premier arrêt de la Cour.
76. Partant, l'interdiction de territoire pour dix ans, durée considérable dans la vie d'une personne, ne peut pas passer pour nécessaire dans une société démocratique au sens de l'article 8 § 2 de la Convention.
77. Compte tenu de ce qui précède, il y a eu violation de l'article 8, combiné avec l'article 46 de la Convention.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 DE LA CONVENTION
78. Sur le terrain de l'article 6 de la Convention, le requérant se plaint d'une violation du droit à un procès équitable. Il soutient en particulier que le Tribunal fédéral a statué sur sa demande de révision sans avoir procédé à un échange d'écritures. En sa partie pertinente, l'article 6 est libellé comme suit :
« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...). »
79. La Cour rappelle que les décisions relatives à l'entrée, au séjour et à l'éloignement des étrangers n'emportent pas contestation sur des droits ou obligations de caractère civil d'un individu et n'ont pas trait au bien-fondé d'une accusation en matière pénale (Maaouia c. France [GC], no 39652/98, § 40, CEDH 2000-X). Il en va de même des procédures d'examen d'une demande tendant à la révision d'une condamnation ou d'un procès civil (Sablon c. Belgique, no 36445/97, § 86, 10 avril 2001), y compris celles relatives à une demande de révision après le constat par elle d'une violation de la Convention (Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VgT) c. Suisse, no 32772/02, § 24, 4 octobre 2007).
80. Il s'ensuit que ce grief est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention au sens de l'article 35 § 3 et doit être rejeté en application de l'article 35 § 4.
III. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
81. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
82. Le requérant ne réclame aucun montant au titre du préjudice matériel. Par contre, il demande la somme de 10 000 EUR au titre du tort moral qu'il aurait subi.
83. Le Gouvernement soutient que le simple constat de violation du grief tiré de l'article 8 constituerait une satisfaction équitable.
84. La Cour, statuant en équité comme le veut l'article 41, considère comme adéquate la somme demandée par le requérant. Partant, elle octroie 5 000 EUR au titre du préjudice moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ladite somme.
B. Frais et dépens
85. Le requérant demande également 6 600 CHF pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et devant la Cour (35 heures de travail à 180 CHF ; et 300 CHF pour les quelques 600 copies qui se sont avérées nécessaires).
86. Le Gouvernement considère comme justifié le remboursement de 2 000 CHF au titre de frais et dépens.
87. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l'espèce, la Cour observe que le requérant n'a pas accompagné ses prétentions des justificatifs nécessaires. Il convient donc d'écarter sa demande.
C. Intérêts moratoires
88. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
Disposizione
PAR CES MOTIFS, LA COUR,
1. Déclare, à l'unanimité, la requête recevable quant au grief tiré de l'article 8, combiné avec l'article 46 et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit, par cinq voix contre deux, qu'il y a eu violation de l'article 8, combiné avec l'article 46 ;
3. Dit, par cinq voix contre deux,
a) que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 5 000 EUR (cinq mille euros) au titre du préjudice moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ladite somme, à convertir en francs suisses au taux applicable à la date du règlement ;
b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette, à l'unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 11 octobre 2011, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Stanley Naismith Greffier
Françoise Tulkens Présidente
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l'exposé de l'opinion séparée du juge Malinverni, à laquelle se rallie le juge David Thór Björgvinsson.
F. T.
S.H.N.
OPINION DISSIDENTE DU JUGE MALINVERNI, À LAQUELLE SE RALLIE LE JUGE DAVID THÓR BJÖRGVINSSON
1. A mon grand regret, je ne suis pas en mesure de suivre le raisonnement qui a conduit la majorité à constater une violation de l'article 8, combiné avec l'article 46 de la Convention.
2. Dans l'arrêt Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VGT) c. Suisse (CEDH 2009 § 62), la Grande Chambre a résumé les principes qui doivent guider les Etats parties dans l'exécution des arrêts définitifs rendus par la Cour. Dans la présente affaire, la Cour avait pour tâche d'examiner, à la lumière de ces principes, la conformité de l'arrêt du Tribunal fédéral du 6 juillet 2009 avec l'arrêt par lequel la Cour avait constaté une violation de l'article 8.
3. La question qui se posait plus précisément était celle de savoir si, dans son arrêt, le Tribunal fédéral avait respecté les obligations incombant à la Suisse en vertu de ces principes. De manière plus concrète, la Cour devait examiner si la réduction à une durée de dix ans de l'éloignement du requérant, initialement prononcée pour une durée indéterminée, était conforme aux conclusions et à l'esprit de l'arrêt de la Cour du 22 mai 2008 ou si, au contraire, le Tribunal fédéral aurait dû purement et simplement annuler l'ordre d'expulsion et permettre ainsi au requérant de revenir immédiatement en Suisse.
4. Si, en vertu de l'article 46 § 1 de la Convention, les arrêts de la Cour ont force obligatoire, les Etats n'en demeurent pas moins libres de choisir les moyens qu'ils jugent les plus appropriés pour s'y conformer. Ceci est d'autant plus vrai dans un cas comme la présente espèce, où la Cour n'a donné, dans l'arrêt même, aucune indication quant à la manière dont elle jugeait opportun de l'exécuter (voir, a contrario, Assanidze c. Géorgie [GC] no 71503/01, CEDH 2004-II).
5. Dans l'arrêt qu'il a rendu à la suite de la demande de révision du requérant, le Tribunal fédéral a jugé adéquat, pour donner suite à l'arrêt de la Cour, de ramener à dix ans la durée de l'éloignement de l'intéressé. Il a en effet estimé que l'intérêt privé du requérant à demeurer en Suisse ne l'emportait pas sur l'intérêt public consistant dans son éloignement. Ce faisant, il a, à mon avis, modifié l'un des éléments essentiels de son premier arrêt.
6. J'aimerais ajouter, de manière générale, que le droit de former une demande de révision n'implique pas celui d'obtenir cette révision dans le sens souhaité. Dans la présente affaire, le constat de violation de l'article 8 auquel est parvenue la Cour n'avait pas pour conséquence automatique d'obliger les autorités à annuler l'expulsion litigieuse. Il obligeait simplement le Tribunal fédéral à examiner soigneusement les différentes possibilités d'exécuter l'arrêt et à prendre les mesures adéquates. En remplaçant la mesure d'éloignement définitif par une mesure d'une durée déterminée, le Tribunal fédéral a montré qu'il a procédé à un tel examen approfondi à la lumière du cadre fixé par la Cour.
7. A mon avis, l'on ne saurait non plus prétendre que l'arrêt du Tribunal fédéral constitue un fait nouveau, non tranché par l'arrêt de la Cour. Le cas d'espèce me semble en effet être fondamentalement différent de celui que la Cour a tranché dans l'affaire Mehemi c. France (no 2) (no 53470/99, CEDH 2003-IV). Dans cette dernière affaire, en effet, les faits pertinents qu'avait à juger la Cour lors de la seconde procédure étaient différents de ceux dont elle avait eu à connaître dans son premier arrêt. En effet, dans l'intervalle, le requérant avait pu rétablir partiellement sa vie familiale en France sur la base d'autorisations de séjour temporaires assorties d'une assignation à résidence. Dans la présente affaire, en revanche, le Tribunal fédéral s'est expressément replacé dans la situation qui existait au moment où il a rendu son premier arrêt.
8. Pour toutes ces raisons, je suis d'avis que les motifs sur lesquels s'est fondé le Tribunal fédéral dans son second arrêt entrent dans la marge d'appréciation des autorités nationales. Il n'y a donc pas eu une violation de l'article 8, combiné avec l'article 46 de la Convention.