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Chapeau

41069/12


Tabbane Noureddine c. Suisse
Décision d'irrecevabilité no. 41069/12, 01 mars 2016

Regeste

DÉCISION D'IRRECEVABILITÉ de la CourEDH:
SUISSE: Art. 6 par. 1 CEDH. Contestation du règlement d'un litige devant un tribunal de la Cour internationale d'arbitrage.

Le requérant, en exerçant sa liberté contractuelle, a signé une convention d'arbitrage avec une société de droit français ayant son siège en France et a expressément et librement renoncé à la possibilité de soumettre les litiges à un tribunal ordinaire. L'art. 192 LDIP qui stipule l'engagement des parties de renoncer à tout recours contre la sentence arbitrale reflète un choix de politique législative qui répond au souhait du législateur suisse d'augmenter l'attractivité et l'efficacité de l'arbitrage international en Suisse. La restriction du droit d'accès à un tribunal a poursuivi un but légitime, à savoir la mise en valeur de la place arbitrale de la Suisse, tout en respectant la liberté contractuelle du requérant et ne saurait être considérée comme disproportionnée (ch. 28-36).
Conclusion: requête déclarée irrecevable.



Synthèse de l'OFJ


(1er rapport trimestriel 2016)

Droit d'accès à un tribunal et droit à un procès équitable (art. 6 § 1 CEDH) et droit à un recours effectif (art. 13 CEDH) ; impossibilité de recourir contre la sentence rendue par un tribunal de la Cour internationale d'arbitrage.

L'affaire concernait la contestation du règlement d'un litige devant un tribunal de la Cour internationale d'arbitrage à Genève.

Invoquant les articles 6 § 1 CEDH et 13 CEDH, le requérant se plaignait, entre autres, d'avoir été privé de l'accès à un tribunal en Suisse pour contester la procédure d'arbitrage. Il alléguait que l'article 192 de la loi fédérale sur le droit international privé n'était pas compatible avec l'article 6 § 1 de la Convention. La Cour a constaté que le requérant, en exerçant sa liberté contractuelle, a signé une convention d'arbitrage avec la société en question et a expressément et librement renoncé à la possibilité de soumettre les litiges à un tribunal ordinaire. Elle a noté que l'article 192 de la loi fédérale sur le droit international privé qui stipule l'engagement des parties de renoncer à tout recours contre la sentence arbitrale reflète un choix de politique législative qui répond au souhait du législateur suisse d'augmenter l'attractivité et l'efficacité de l'arbitrage international en Suisse. La restriction du droit d'accès à un tribunal a poursuivi un but légitime, à savoir la mise en valeur de la place arbitrale de la Suisse, tout en respectant la liberté contractuelle du requérant et ne saurait être considérée comme disproportionnée. Irrecevable (unanimité).





Faits

 
TROISIÈME SECTION
DÉCISION
Requête no 41069/12
 
Noureddine TABBANE
contre la Suisse
 
 
La Cour européenne des droits de l'homme (troisième section), siégeant le 1er mars 2016 en une chambre composée de :
    Luis López Guerra, président,
    Helena Jäderblom,
    Helen Keller,
    Johannes Silvis,
    Dmitry Dedov,
    Pere Pastor Vilanova,
    Alena Poláčková, juges,
et de Stephen Phillips, greffier de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 2 juillet 2012,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
 
EN FAIT
1.  Le requérant, M. Noureddine Tabbane (« le requérant »), est un ressortissant tunisien né en 1944 et résidant à El Menzah. Il a été représenté devant la Cour par Me Y. Gaubiac, avocat à Paris.
2.  Le requérant décéda le 28 mars 2013. Par une lettre du 23 mai 2013, sa veuve, Saida Tabbane née Zaouche et ses trois fils, Mohamed Hedi, Mohamed Ali et Mahmoud Tabbane, entendirent reprendre l'instance.
A.  Les circonstances de l'espèce
3.  Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.
4.  Le requérant, homme d'affaires de nationalité tunisienne décida, au cours de l'année 2000, de créer un partenariat industriel et commercial avec la société Colgate-Palmolive Services SA (ci-après : « Colgate »), société de droit français ayant son siège à Bois-Colombes, France. À cette fin, une société de participations et de services, dénommée « Hysys », qui détenait la quasi-totalité du capital d'une société de distribution appelée « Genese », fut constituée. De plus, pour concrétiser ce partenariat, un contrat « option agreement » fut signé entre les parties, le 4 septembre 2000, qui réglait toutes les questions financières et juridiques entre les parties.
5.  Ce contrat contenait une clause compromissoire en cas de litige, libellée comme suit :
« 8 a) To the extent possible without violating the laws of the Territory, this Agreement shall be governed by and constructed in accordance with the laws of the State of New-York, United States of America
b) Any dispute, controversy or claim arising out of or in connection with this Agreement or the breach, termination or validity thereof that cannot be satisfactorily settled by mutual conference within 30 days of the declaration by either party of a dispute, shall be settled by arbitration in accordance with the rules and procedures then in force of the International Chamber of Commerce ("ICC"). The arbitration will be heard and determined by three arbitrators. Colgate and the Grantors will each select one arbitrator ; the third arbitrator will be selected by mutual agreement of the two party-appointed arbitrators. If within ten (10) days of appointment they cannot agree on a third arbitrator, the third arbitrator will be selected by the ICC ; provided, however, that the third may not be of the same nationality as either party or of either party-appointed arbitrator. The arbitration shall be held in a country to be selected by the arbitrators, except that it shall not be the country of either party to this Agreement. Neither Colgate nor the Grantors shall be entitled to commence or maintain any action in a court of law upon any matter in dispute arising from or concerning this Agreement or a breach thereof except for the enforcement of any award rendered pursuant to arbitration under this Agreement. The decision of the arbitration shall be final and binding and neither party shall have any right to appeal such decision to any court of law. » (c'est la Cour qui souligne)
6.  Le 4 août 2008, la société Colgate introduisit une requête d'arbitrage contre le requérant et ses trois fils devant la Cour internationale d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale (ci-après « Cour de l'ICC ») dont le siège se trouve à Paris.
7.  Conformément à la procédure devant cet organe, chaque partie à l'arbitrage nomma un arbitre. Devant l'impossibilité des deux arbitres de désigner le troisième arbitre, la Cour de l'ICC désigna le troisième arbitre. Conformément à la clause compromissoire du contrat du 4 septembre 2000, il revint aux trois arbitres de déterminer le siège du tribunal d'arbitrage. Ce lieu fut fixé le 2 avril 2009 à Genève.
8.  Pendant la procédure devant le tribunal arbitral, le requérant demanda au tribunal arbitral de nommer un expert financier qui procéderait à un audit des finances des sociétés « Hysys » et « Genese » ou, subsidiairement, de laisser l'expert financier désigné par le requérant procéder à l'audit. Le tribunal arbitral rejeta cette demande, considérant en particulier que la demanderesse, la société Colgate, avait déjà produit des preuves financières d'un expert, et qu'il suffisait, pour l'établissement de son propre rapport, de permettre à l'expert privé des défendeurs, le requérant et ses trois fils, d'obtenir l'accès aux mêmes documents comptables que ceux utilisés par l'expert de la demanderesse.
9.  Le 9 mars 2011, le tribunal arbitral rendit sa sentence finale. Il fut ordonné au requérant et à ses fils de transmettre toutes leurs actions à la société Colgate et à payer les dépens ainsi que les frais d'avocats.
10.  Le 13 avril 2011, le requérant forma un recours en matière civile au Tribunal fédéral afin d'obtenir l'annulation de cette sentence. Dans un argument subsidiaire, le requérant soutint que l'art. 192 alinéa 1 de la loi fédérale sur le droit international privé du 18 décembre 1987 (paragraphe 12 ci-dessous) n'était pas conforme à la Convention.
11.  Le 4 janvier 2012, le Tribunal fédéral déclara la requête du requérant irrecevable au motif que les parties avaient valablement renoncé à recourir contre toute décision du tribunal arbitral, conformément à l'article 192 de la loi fédérale sur le droit international privé (paragraphe 9 ci-dessous). Il a considéré en particulier ce qui suit :
« 2.2.4.1 Selon le recourant, la prise en compte de « la culture juridique familière aux parties » montrerait que celles-ci n'ont pu avoir à l'esprit qu'une notion étroite du terme « appeal » figurant dans la clause de renonciation, c'est-à-dire qu'elles ont eu en vue, en utilisant ce terme, la seule voie de recours ordinaire, dévolutive et réformatoire ainsi dénommée (cf. ATF 131 III 173 consid. 4.2.3.2 p. 180). Aussi bien, tant le droit de l'État de New York, comme lex causae, que les droits tunisien et français, comme droits des pays où les parties ont respectivement leur domicile et leur siège, attribueraient-ils une telle signification au terme en question. Dès lors, les parties, en renonçant à tout « right of appeal » contre une éventuelle sentence à venir, n'auraient entendu renoncer qu'à l'appel au sens strict du terme, à l'exclusion des recours extraordinaires. [...]
2.2.4.2 Force est de souligner d'emblée que la dernière remarque formulée par le recourant se heurte au texte même de la clause litigieuse dans lequel le terme « appeal » est utilisé, non pas comme substantif (avec la préposition « of », qui n'y figure pas), mais comme verbe transitif direct (après la préposition « to » ; « right to appeal such decision »). Cela étant, si l'on considère ce verbe, non pas isolément, mais en le replaçant dans son contexte, il n'y a aucune raison d'admettre que les parties l'auraient utilisé à dessein pour n'exclure que la voie de l'appel stricto sensu. Il apparaît, au contraire, qu'elles en ont usé afin d'exclure la possibilité pour chacune d'elles de recourir contre la sentence (cf. consid. 2.2.2 ci-dessus). [...] Il appert de cette brève étude de droit comparé qu'aucune des législations invoquées par le recourant ne permet d'attaquer une sentence en matière d'arbitrage international par la voie de l'appel ordinaire. Aussi le recourant, en signant le contrat d'option incluant la convention d'arbitrage dans laquelle figure la clause de d'exclusion litigieuse, n'a-t-il pu renoncer qu'au seul moyen de droit dont il disposerait pour attaquer une éventuelle sentence future, c'est-à-dire au recours en matière civile prévu par les deux dernières dispositions citées [l'art. 77 al. 1 let. a de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 et l'art. 190 al. 2 de la loi fédérale sur le droit international privé du 18 décembre 1987]. [...]
3.2 [...] La controverse porte, en l'espèce, sur la question de savoir s'il est possible de renoncer à recourir contre une sentence arbitrale à venir sans violer l'art. 6 par. 1 CEDH. Cette question doit être tranchée par l'affirmative. Sans doute la renonciation au recours implique-t-elle l'impossibilité pour la partie qui a succombé de faire constater par le Tribunal fédéral que la sentence attaquée a été rendue en violation des garanties procédurales fondamentales prévues par cette norme conventionnelle. Toutefois, ni la lettre ni l'esprit de celle-ci n'empêchent une personne de renoncer à de telles garanties de son plein gré, pour autant que pareille renonciation ne soit pas équivoque et ne se heurte à aucun intérêt public important (arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme du 28 mai 1997 dans l'affaire Pauger c. Autriche [requête no 16717/90], § 58 et l'arrêt cité ; FROWEIN/PEUKERT, EMRK-Kommentar, 3e éd. 2009, no 3 ad art. 6 CEDH et les précédents cités à la page 145, note de pied 7). Or, l'art. 192 al. 1 LDIP satisfait à ces exigences puisqu'il commande que la renonciation soit expresse et, de surcroît, qu'elle fasse l'objet d'un accord entre les parties, ce qui exclut toute renonciation unilatérale. De plus, une renonciation qui ne serait pas faite de son plein gré par une partie, mais sous l'empire d'un vice du consentement, pourrait être invalidée de ce chef (arrêt 4A_514/2010 du 1er mars 2011 consid. 4.2). Au demeurant, comme l'arbitrage est un mode conventionnel de résolution des litiges par des juge privés - les arbitres - que les parties peuvent choisir, on ne voit pas, a priori, à quel intérêt public important une renonciation anticipée au recours, intervenant dans ce cadre procédural, serait susceptible de porter atteinte dans le cours ordinaire des choses. Force est ainsi de conclure à la conformité de l'art. 192 al. 1 LDIP avec l'art. 6 par. 1 CEDH. »
B.  Le droit et la pratique internes pertinents
12.  La loi fédérale sur le droit international privé du 18 décembre 1987 (ci-après LDIP ; recueil systématique du droit fédéral no 291) dispose dans ses articles pertinents :
Article 190 - IX. Caractère définitif. Recours
« 1. Principe
1 La sentence[d'arbitrage] est définitive dès sa communication.
2 Elle ne peut être attaquée que :
a. lorsque l'arbitre unique a été irrégulièrement désigné ou le tribunal arbitral irrégulièrement composé ;
b. lorsque le tribunal arbitral s'est déclaré à tort compétent ou incompétent ;
c. lorsque le tribunal arbitral a statué au-delà des demandes dont il était saisi ou lorsqu'il a omis de se prononcer sur un des chefs de la demande ;
d. lorsque l'égalité des parties ou leur droit d'être entendues en procédure contradictoire n'a pas été respecté ;
e. lorsque la sentence est incompatible avec l'ordre public.
3 En cas de décision incidente, seul le recours pour les motifs prévus à l'al. 2, let. a et b, est ouvert ; le délai court dès la communication de la décision.
Article 191 - 2. Autorité de recours
Le recours n'est ouvert que devant le Tribunal fédéral. La procédure est régie par l'art. 77 de la loi du 17 juin 2005 sur le Tribunal fédéral.
Article 192 - X. Renonciation au recours
1 Si deux parties n'ont ni domicile, ni résidence habituelle, ni établissement en Suisse, elles peuvent, par une déclaration expresse dans la convention d'arbitrage ou un accord écrit ultérieur, exclure tout recours contre les sentences du tribunal arbitral ; elles peuvent aussi n'exclure le recours que pour l'un ou l'autre des motifs énumérés à l'art. 190, al. 2.
2 Lorsque les parties ont exclu tout recours contre les sentences et que celles-ci doivent être exécutées en Suisse, la convention de New York du 10 juin 1958 pour la reconnaissance et l'exécution des sentences arbitrales étrangères1 s'applique par analogie. »
13.  Dans plusieurs arrêts (voir notamment l'arrêt ATF 4P.198/2005 du 31 octobre 2005), le Tribunal fédéral expliqua les motifs du législateur de prévoir l'exclusion des recours au regard de l'article 192 LDIP. Dans l'arrêt ATF 133 III 235 (22 mars 2007), il s'exprima comme il suit :
« 4.3.2.1 En introduisant, à l'art. 192 LDIP, la possibilité pour les parties de renoncer au recours contre la sentence, le législateur poursuivait deux buts : d'une part, renforcer l'attractivité de la place arbitrale suisse en matière d'arbitrage international, en évitant que la sentence soit soumise au double contrôle de l'autorité de recours et du juge de l'exequatur ; d'autre part, décharger le Tribunal fédéral (...) L'idée sous-jacente au premier de ces deux buts était que la sentence internationale serait de toute façon soumise à un contrôle judiciaire au stade de l'exécution forcée, en application de la Convention de New York du 10 juin 1958 pour la reconnaissance et l'exécution des sentences arbitrales étrangères (RS 0.277.12), et l'art. 192 al. 2 LDIP visait à ce qu'il en allât de même au cas où la sentence serait exécutée en Suisse (cf. Message du Conseil fédéral du 10 novembre 1982 concernant la LDIP, FF 1983 I 255 ss, p. 451 ; voir aussi : BO 1986 CN p. 1365 [Hess]). La ratio legis de l'art. 192 LDIP établit donc clairement que, dans l'esprit du législateur, cette disposition avait vocation à s'appliquer, au premier chef, à l'arbitrage commercial international et, plus particulièrement, aux sentences condamnatoires devant être soumises au juge de l'exequatur (...) »
14.  La Suisse est État partie à la Convention pour la reconnaissance et l'exécution des sentences arbitrales étrangères adoptée à New York le 10 juin 1958. Le champ d'application de cet instrument est défini dans son article I :
« 1. La présente Convention s'applique à la reconnaissance et à l'exécution des sentences arbitrales rendues sur le territoire d'un État autre que celui où la reconnaissance et l'exécution des sentences sont demandées, et issues de différends entre personnes physiques ou morales. Elle s'applique également aux sentences arbitrales qui ne sont pas considérées comme sentences nationales dans l'État où leur reconnaissance et leur exécution sont demandées.
(...). »
15.  L'article V de la Convention de New York prévoit certaines exceptions à la reconnaissance et l'exécution de la sentence arbitrale, libellées comme il suit :
« 1. La reconnaissance et l'exécution de la sentence ne seront refusées, sur requête de la partie contre laquelle elle est invoquée, que si cette partie fournit à l'autorité compétente du pays où la reconnaissance et l'exécution sont demandées la preuve :
a. Que les parties à la convention visée à l'article II étaient, en vertu de la loi à elles applicable, frappées d'une incapacité, ou que ladite convention n'est pas valable en vertu de la loi à laquelle les parties l'ont subordonnée ou, à défaut d'une indication à cet égard, en vertu de la loi du pays où la sentence a été rendue ; ou
b. Que la partie contre laquelle la sentence est invoquée n'a pas été dûment informée de la désignation de l'arbitre ou de la procédure d'arbitrage, ou qu'il lui a été impossible, pour une autre raison, de faire valoir ses moyens ; ou
c. Que la sentence porte sur un différend non visé dans le compromis ou n'entrant pas dans les prévisions de la clause compromissoire, ou qu'elle contient des décisions qui dépassent les termes du compromis ou de la clause compromissoire ; toutefois, si les dispositions de la sentence qui ont trait à des questions soumises à l'arbitrage peuvent être dissociées de celles qui ont trait à des questions non soumises à l'arbitrage, les premières pourront être reconnues et exécutées ; ou
d. Que la constitution du tribunal arbitral ou la procédure d'arbitrage n'a pas été conforme à la convention des parties, ou, à défaut de convention, qu'elle n'a pas été conforme à la loi du pays où l'arbitrage a eu lieu ; ou
e. Que la sentence n'est pas encore devenue obligatoire pour les parties ou a été annulée ou suspendue par une autorité compétente du pays dans lequel, ou d'après la loi duquel, la sentence a été rendue.
2. La reconnaissance et l'exécution d'une sentence arbitrale pourront aussi être refusées si l'autorité compétente du pays où la reconnaissance et l'exécution sont requises constate :
a. Que, d'après la loi de ces pays, l'objet du différend n'est pas susceptible d'être réglé par voie d'arbitrage ; ou
b. Que la reconnaissance ou l'exécution de la sentence serait contraire à l'ordre public de ce pays. »
GRIEFS
16.  Sur la base des articles 6 et 13 de la Convention, le requérant se plaignait d'avoir été privé de l'accès à un tribunal en Suisse pour contester le caractère inéquitable de la procédure d'arbitrage. Il alléguait que l'interprétation donnée par le Tribunal fédéral de la clause de renonciation était extrêmement restrictive dans le sens que les parties ne voulaient pas exclure toute voie de recours, mais simplement le droit d'appel contre la sentence. De plus, le requérant alléguait que l'article 192 alinéa 1 LDIP n'était pas compatible avec l'article 6 § 1 de la Convention.
17.  Invoquant l'article 6 de la Convention, le requérant se plaignait de ce que le refus du tribunal arbitral d'ordonner une expertise à la demande du requérant avait méconnu son droit à un procès équitable et, en particulier, le principe de l'égalité des armes. Il faisait également valoir que le Tribunal fédéral n'avait pas pris en compte plusieurs de ses arguments.
 


Considérants

EN DROIT
A.  Le maintien de la requête par les héritiers du requérant
18.  La Cour rappelle que le requérant est décédé le 28 mars 2013. La Cour doit dès lors d'emblée trancher la question de savoir si l'épouse ainsi que les trois fils du requérant ont le droit de maintenir la requête au nom du défunt.
19.  À cet égard, la Cour distingue selon que le décès de la victime directe est postérieur ou antérieur à l'introduction de la requête devant elle (voir, pour un résumé de la jurisprudence de la Cour, Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu c. Roumanie [GC], no 47848/08, §§ 97-100, CEDH 2014).
20.  La situation est variable lorsque la victime directe est décédée avant l'introduction de la requête devant la Cour. En pareil cas, la Cour, s'appuyant sur une interprétation autonome de la notion de « victime », s'est montrée disposée à reconnaître la qualité pour agir d'un proche soit parce que les griefs soulevaient une question d'intérêt général touchant au « respect des droits de l'homme » (article 37 § 1 in fine de la Convention) et que les requérants en tant qu'héritiers avaient un intérêt légitime à maintenir la requête, soit en raison d'un effet direct sur les propres droits du requérant (Micallef c. Malte [GC], no 17056/06, §§ 44-51, CEDH 2009 ; et Marie-Louise Loyen et Bruneel c. France, no 55929/00, §§ 21-31, 5 juillet 2005). Il y a lieu de noter que ces dernières affaires avaient été portées devant la Cour à la suite ou à propos d'une procédure interne à laquelle la victime directe avait elle-même participé de son vivant.
21.  Dans des cas où le requérant était décédé après l'introduction de la requête, la Cour a admis qu'un proche parent ou un héritier pouvait en principe poursuivre la procédure dès lors qu'il avait un intérêt suffisant dans l'affaire (par exemple la veuve et les enfants dans Raimondo c. Italie, 22 février 1994, § 2, série A no 281‑A ; et Stojkovic c. « l'ex-République yougoslave de Macédoine », no 14818/02, § 25, 8 novembre 2007 ; les parents dans X c. France, 31 mars 1992, § 26, série A no 234‑C ; le neveu et l'héritier potentiel dans Malhous c. République tchèque (déc.) [GC], no 33071/96, CEDH 2000‑XII ; ou la compagne non mariée ou de facto dans Velikova c. Bulgarie (déc.), no 41488/98, CEDH 1999‑V ; a contrario, la légataire universelle sans lien familial avec le défunt dans Thevenon c. France (déc.), no 2476/02, CEDH 2006-III ; la nièce dans Léger c. France (radiation) [GC], no 19324/02, § 50, 30 mars 2009 ; et la fille de l'un des requérants initiaux dans une affaire relative à des droits - non transférables - découlant des articles 3 et 8 et où aucun intérêt général n'était en jeu, M.P. et autres c. Bulgarie, no 22457/08, §§ 96-100, 15 novembre 2011).
22.  En l'espèce, la Cour note que le requérant est décédé après l'introduction de sa requête. Elle note également que l'épouse et les trois fils du requérant sont les héritiers de celui-ci. La présente requête portant sur des griefs tirés de l'article 6 de la Convention, disposition qui garantit des droits éminemment transférables (voir, par exemple, Deweer c. Belgique, 27 février 1980, §§ 37 et 38, série A no 35), ils ont un intérêt légitime et suffisant leur donnant qualité pour se plaindre au nom de leur mari/père décédé.
B.  Grief tiré du droit d'accès à un tribunal
1.  Principes généraux
23.  L'article 6 § 1 de la Convention garantit à toute personne le droit à ce qu'un tribunal connaisse de toute contestation relative à ses droits et obligations de caractère civil. Il consacre de la sorte le "droit à un tribunal", dont le droit d'accès, à savoir le droit de saisir le tribunal en matière civile, ne constitue qu'un aspect (Golder c. Royaume-Uni, 21 février 1975, § 36, série A no 18).
24.  La Cour rappelle que le droit d'accès aux tribunaux, reconnu par l'article 6 § 1, n'est pourtant pas absolu : il se prête à des limitations implicitement admises, car il commande de par sa nature même une réglementation par l'État. Les États contractants jouissent en la matière d'une certaine marge d'appréciation. Il appartient pourtant à la Cour de statuer en dernier ressort sur le respect des exigences de la Convention ; elle doit se convaincre que les limitations mises en œuvre ne restreignent pas l'accès offert à l'individu d'une manière ou à un point tels que le droit s'en trouve atteint dans sa substance même. En outre, pareille limitation ne se concilie avec l'article 6 § 1 que si elle tend à un but légitime et s'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (Eiffage S.A. et autres c. Suisse (déc.), no 1742/05, 15 septembre 2009 ; Osman c. Royaume-Uni, 28 octobre 1998, § 147, Recueil des arrêts et décisions 1998-VIII ; Waite et Kennedy c. Allemagne [GC], no 26083/94, § 59, CEDH 1999-I).
25.  Ce droit d'accès à un tribunal n'implique pas nécessairement le droit de pouvoir saisir une juridiction de type classique, intégrée aux structures judiciaires ordinaires du pays ; ainsi, un organe chargé de trancher un nombre restreint de litiges déterminés peut s'analyser en un tribunal à condition d'offrir les garanties voulues (Lithgow et autres c. Royaume-Uni, 8 juillet 1986, § 201, série A no 102). L'article 6 ne s'oppose donc pas à la création de tribunaux arbitraux afin de juger certains différends de nature patrimoniale opposant des particuliers (Suda c. République tchèque, no 1643/06, § 48, 28 octobre 2010). Présentant pour les intéressés comme pour l'administration de la justice des avantages indéniables, les clauses contractuelles d'arbitrage ne se heurtent pas en principe à la Convention (Deweer, précité, § 49).
26.  En outre, il convient de distinguer entre arbitrage volontaire et arbitrage forcé. S'agissant d'un arbitrage forcé, en ce sens que l'arbitrage est imposé par la loi, les parties n'ont aucune possibilité de soustraire leur litige à la décision d'un tribunal arbitral. Celui-ci doit offrir les garanties prévues par l'article 6 § 1 de la Convention (Bramelid et Malmström c. Suède, nos 8588/79 et 8589/79, décision de la Commission du 12 octobre 1989, DR no 29).
27.  En revanche, lorsqu'il s'agit d'un arbitrage volontaire consenti librement, il ne se pose guère de problème sur le terrain de l'article 6. En effet, les parties à un litige sont libres de soustraire aux juridictions ordinaires certains différends pouvant naître de l'exécution d'un contrat. En souscrivant à une clause d'arbitrage, les parties renoncent volontairement à certains droits garantis par la Convention. Telle renonciation ne se heurte pas à la Convention pour autant qu'elle soit libre, licite et sans équivoque (Eiffage S.A. et autres (décision précitée) ; Suda, précité, § 48 ; R. c. Suisse, no 10881/84, décision de la Commission du 4 mars 1987, Décisions et rapports (DR) no 51 ; Osmo Suovaniemi et autres c. Finlande (déc.), no 31737/96, 23 février 1999, et Transportes Fluviais do Sado S.A. c. Portugal (déc.), no 35943/02, 16 décembre 2003). De plus, pour entrer en ligne de compte sous l'angle de la Convention, la renonciation à certains droits garantis par la Convention doit s'entourer d'un minimum de garanties correspondant à sa gravité (Pfeifer et Plankl c. Autriche, 25 février 1992, § 37, série A no 227).
2.  Application des principes susmentionnés au cas d'espèce
28.  La Cour considère opportun d'examiner le grief de la privation d'accès à un tribunal en Suisse exclusivement sous l'angle de l'article 6 de la Convention, le grief tiré de l'article 13 étant absorbé par la première disposition.
29.  Dans la présente affaire, la Cour observe d'emblée que le requérant était un homme d'affaires tunisien domicilié à El Menzah en Tunisie qui entrait en collaboration avec la société Colgate, société de droit français ayant son siège en France. Il ne prétend pas que l'arbitrage était imposé par la loi. Bien au contraire, en exerçant sa liberté contractuelle, il a signé une convention d'arbitrage avec la société Colgate contenant une clause compromissoire pour résoudre des litiges qui pourraient naître entre eux (voir texte de la clause compromissoire reproduit au paragraphe 3 ci-dessus). En concluant ce compromis d'arbitrage, le requérant a expressément et librement renoncé à la possibilité de soumettre les litiges pouvant potentiellement surgir à l'avenir à un tribunal ordinaire qui lui aurait offert l'ensemble des garanties de l'article 6 de la Convention. Il n'existe aucune indication que le requérant ait agi sous la contrainte en signant la convention d'arbitrage. Par ailleurs, le requérant ne le prétend pas.
30.  La renonciation au droit à un tribunal (ordinaire) en faveur d'un arbitrage doit être intervenue sans équivoque. En l'espèce, le Tribunal fédéral est arrivé à la conclusion, par voie d'interprétation des volontés des parties, que celles-ci, par l'inclusion d'une clause de renonciation dans l'article 8 b du compromis (paragraphe 4 ci-dessus) ont exclu tout recours contre la sentence arbitrale. A la lumière du texte de la clause (« neither party shall have any right to appeal such decision to any court of law ») et dans la mesure où elle est compétente pour trancher cette question, la Cour estime qu'une telle conclusion ne paraît ni arbitraire ni déraisonnable.
31.  De plus, rien ne permet de douter que cette renonciation n'était pas entourée du minimum de garanties correspondant à son importance. La Cour note, à cet égard, que le requérant a pu élire un arbitre de son choix. Celui-ci, agissant de concert avec les deux autres arbitres, a été d'accord de choisir le lieu du siège de l'arbitrage à Genève de sorte que le droit suisse est devenu la loi applicable à l'arbitrage, c'est-à-dire la loi qui régit l'arbitrage. Par ailleurs, la Cour observe que le Tribunal fédéral a dûment entendu les arguments du requérant et a pris en compte tous les éléments factuels et juridiques qui étaient objectivement pertinents pour la résolution du litige. L'arrêt du Tribunal fédéral s'avère par ailleurs dûment motivé de sorte qu'aucune apparence d'arbitraire ne puisse être décelée dans le cas d'espèce.
32.  Concernant la question de savoir si l'article 192 alinéa 1 LDIP est compatible avec l'art. 6 § 1 de la Convention, à savoir si la possibilité de renoncer à recourir contre une sentence arbitrale ne viole pas l'article 6 § 1 de la Convention, la Cour rappelle que la Convention n'envisage pas la possibilité d'engager une actio popularis aux fins de l'interprétation des droits qui y sont reconnus ; elle n'autorise pas non plus à se plaindre d'une disposition de droit interne simplement parce qu'il leur semble, sans qu'ils en aient directement subi les effets, qu'elle enfreint la Convention (Norris c. Irlande, 26 octobre 1988, § 31, série A no 142 ; Sejdić et Finci c. Bosnie-Herzegovine [GC], nos 27996/06 et 34836/06, § 28, 22 décembre 2009).
33.  En ce qui concerne la présente affaire, la Cour note que l'article 192 LDIP reflète un choix de politique législative qui répond au souhait du législateur suisse d'augmenter l'attractivité et l'efficacité de l'arbitrage international en Suisse, en évitant que la sentence soit soumise au double contrôle de l'autorité de recours et du juge de l'exequatur, et de décharger le Tribunal fédéral (paragraphe 13 ci-dessus).
34.  De plus, il convient de noter qu'une partie, n'ayant ni domicile, ni résidence habituelle, ni établissement en Suisse, n'est nullement obligée d'exclure tout recours ; bien au contraire, elle peut librement choisir de saisir cette possibilité qu'offre la loi suisse en renonçant valablement à tout recours à un tribunal ordinaire. La Cour estime que ce moyen offert aux parties qui n'ont pas de liens avec la Suisse est proportionné au but de renforcer l'attractivité de la Suisse en matière d'arbitrage international et de renforcer le principe de la liberté contractuelle des parties.
35.  De surcroît, la Cour constate que, si les parties optent pour l'exclusion de tout recours contre une sentence conformément à l'article 192 alinéa 1 LDIP, l'alinéa 2 de cette disposition prévoit que, si celle-ci doit être exécutée en Suisse, la Convention de New York pour la reconnaissance et l'exécution des sentences arbitrales étrangères s'applique par analogie, ce qui ajoute un contrôle supplémentaire exercé par les tribunaux ordinaires sur les tribunaux arbitraux (voir, dans ce sens, Zamet - Budowa Maszyn Spółka Akcyjna c. Pologne (déc.), no 1485/11, 25 août 2015). En effet, la reconnaissance et l'exécution d'une sentence peuvent exceptionnellement être refusées pour les motifs énumérés à l'article V de ladite convention (paragraphe 15 ci-dessus).
36.  Compte tenu de ce qui précède, la restriction du droit d'accès à un tribunal a poursuivi un but légitime, à savoir la mise en valeur de la place arbitrale suisse, par des procédures souples et rapides, tout en respectant la liberté contractuelle du requérant, et ne saurait être considérée comme disproportionnée. Dès lors, le droit du requérant d'accès à un tribunal n'a pas été atteint dans sa substance même.
Il s'ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l'article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
C.  Grief tiré de la violation du procès équitable
37.  Le second grief concerne le refus du tribunal arbitral d'ordonner une expertise à la demande du requérant et le refus du Tribunal fédéral de prendre en compte certains arguments.
38.  L'égalité des armes implique l'obligation d'offrir à chaque partie une possibilité raisonnable de présenter sa cause - y compris ses preuves - dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire (Dombo Beheer B.V. c. Pays-Bas, 27 octobre 1993, § 33, série A no 274). Même à supposer que les garanties de l'article 6 soient applicables au cas d'espèce, il convient de rappeler que la Convention ne réglemente pas le régime des preuves en tant que tel (Mantovanelli c. France, 18 mars 1997, § 34, Recueil 1997-II). L'admissibilité des preuves et leur appréciation relèvent en principe du droit interne et des juridictions nationales (García Ruiz c. Espagne [GC], no 30544/96, § 28, CEDH 1999-I). Un refus d'ordonner une expertise n'est pas en soi inéquitable ; il convient de l'examiner au vu de la procédure dans son ensemble (H. c. France, 24 octobre 1989, §§ 61 et 70, série A no 162-A).
39.  Dans le présent cas, le tribunal arbitral a considéré que la société Colgate avait déjà produit des preuves financières d'un expert, et qu'il suffisait de permettre à l'expert privé du requérant d'obtenir l'accès aux mêmes documents comptables que ceux utilisés par l'expert de la demanderesse. Cette motivation ne paraît ni déraisonnable ni arbitraire. Compte tenu du fait que le requérant a eu accès aux documents litigieux, il n'apparaît pas non plus qu'il ait été placé dans une situation de net désavantage par rapport à la société Colgate.
40.  Il s'ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l'article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
 


Disposition

Par ces motifs, la Cour, à l'unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
 
Fait en français puis communiqué par écrit le 24 mars 2016.
 
    Stephen Phillips    Greffier
    Luis López Guerra    Président
 

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Considérants

Dispositif

références

Article: Art. 6 par. 1 CEDH, art. 192 LDIP, art. 192 al. 1 LDIP, art. 6 CEDH suite...