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Intestazione

40477/13


Glaisen Marc c. Suisse
Décision d'irrecevabilité no. 40477/13, 25 juin 2019

Regesto

Questo riassunto esiste solo in francese.

  DÉCISION D'IRRECEVABILITÉ de la CourEDH:
  SUISSE: Art. 14 combiné avec les art. 8 et 10 CEDH. Accès pour une personne handicapée à un cinéma particulier pour voir un film non projeté dans les salles accessibles.

  Selon la Cour, il ne découle pas de l'art. 8 CEDH un droit d'accès à un cinéma particulier pour voir un film spécifique, aussi longtemps qu'est assuré un accès général aux cinémas se trouvant dans les environs proches. Le refus d'accès au cinéma n'a pas empêché le requérant de mener sa vie de façon telle que le droit à son développement personnel et son droit d'établir et d'entretenir des rapports avec d'autres être humains et le monde extérieur soient mis en cause. Le Tribunal fédéral a donné suffisamment de motifs expliquant pourquoi la situation subie par l'intéressé n'est pas assez grave pour tomber sous le coup de la notion de discrimination. S'agissant de l'art. 10 CEDH, et plus particulièrement du droit de recevoir de l'information, cette disposition ne va pas jusqu'à permettre l'accès au cinéma où est projeté un film que l'intéressé souhaite regarder. Ce grief est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la CEDH (ch. 37-55).
  Conclusion: requête déclarée irrecevable.

Sintesi dell'UFG


(3° rapporto trimestriale 2019)

Diritto al rispetto della vita privata (art. 8 CEDU); rifiuto d'accesso del ricorrente paraplegico a un cinema.

Al ricorrente, paraplegico e in sedia a rotelle, è stato rifiutato l'accesso a un cinema a Ginevra dove desiderava assistere alla proiezione di una pellicola che non figurava in cartellone in alcuna altra sala ginevrina. L'edificio che ospitava il cinema non era infatti accessibile alle sedie a rotelle. La società esercente ha invocato delle direttive di sicurezza interne. Fondandosi congiuntamente sugli articoli 14, 8 e 10 CEDU, il ricorrente ha lamentato che il fatto che l'accesso al cinema gli fosse stato rifiutato in ragione della sua disabilità non è stato qualificato dalla legislazione svizzera come discriminazione.

La Corte ha considerato che dall'articolo 8 CEDU non deriva un diritto all'accesso a un cinema in particolare per visionarvi una pellicola specifica, se l'accesso è garantito ai cinema situati nelle vicinanze. In questo caso, altri cinema vicini erano adeguati alle esigenze del ricorrente. Dato che la legislazione nazionale era stata applicata, la Corte ha considerato che il Tribunale federale aveva fornito motivi sufficienti a spiegare perché la situazione subita dal ricorrente non era abbastanza grave da rientrare nel campo d'applicazione della nozione di discriminazione. Ha quindi ritenuto che non vi fossero motivi per discordare dalla conclusione del Tribunale federale, secondo cui la CEDU non obbliga la Svizzera ad adottare nella sua legislazione interna una nozione di discriminazione quale quella richiesta dal ricorrente. Ha parimenti considerato che il diritto a ricevere informazioni non comprende il diritto del ricorrente ad accedere a un cinema dove viene proiettata una pellicola che desidera vedere. Ricorso irricevibile (maggioranza).





Fatti

TROISIÈME SECTION
DÉCISION
Requête no 40477/13
Marc GLAISEN contre la Suisse
 
La Cour européenne des droits de l'homme (troisième section), siégeant le 25 juin 2019 en une chambre composée de :
Georgios A. Serghides, président,
    Helen Keller,
Dmitry Dedov,
    Branko Lubarda, 
    Alena Poláčková,
    María Elósegui,
    Erik Wennerström, juges,
et de Fatoş Aracı, greffière adjointe de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 19 juin 2013,
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
 
EN FAIT
1.  Le requérant, M. Marc Glaisen, est un ressortissant suisse né en 1968 et résidant à Genève. Il est représenté devant la Cour par Me C. Mizrahi, avocat exerçant à Carouge.
2.  Le gouvernement suisse (« le Gouvernement ») est représenté par son ancient agent, F. Schürmann, de l'Office fédéral de la justice.
  Les circonstances de l'espèce
3.  Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
4.  Le requérant est né en 1968 et réside à Genève.
5.  Le requérant, psychologue de profession, est paraplégique depuis 1987. Le 4 octobre 2008, il se rendit seul au cinéma Pathé Rialto, à Genève, pour assister à la projection d'un film (« Vinyan »), qui ne figurait à l'affiche d'aucune autre salle genevoise. Le bâtiment abritant le cinéma, exploité par Pathé Romandie Sàrl, n'est pas adapté aux personnes en fauteuil roulant ; celles-ci ne peuvent ni accéder aux salles, ni en sortir sans l'aide de tiers. Le requérant se vit refuser l'accès au cinéma en vertu de directives de sécurité internes de la société exploitante, avant même qu'il ait eu la possibilité de demander si des spectateurs étaient prêts à l'aider, et donc même avant de pouvoir acheter un billet. Il s'en est plaint auprès de la Pathé Romandie Sàrl, sans succès.
6.  Le 28 septembre 2009, le requérant a ouvert une action contre X. Sàrl, donnant lieu au paiement d'une indemnité de 5 000 francs suisses (CHF ; environ 4 000 EUR), plus intérêts. Il considérait avoir subi une discrimination en se voyant refuser l'accès au cinéma.
7.  Au cours de l'instruction, il fut procédé à une vérification sur place. À cette occasion, le requérant - qui pèse 80 kg - a fait la démonstration qu'avec l'aide de deux personnes, il pouvait entrer en fauteuil roulant - d'un poids approximatif de 15 kg - dans la salle de cinéma et sortir par l'issue de secours.
8.  Par jugement du 15 septembre 2011, le Tribunal de première instance du canton de Genève rejeta l'action du requérant.
9.  Le requérant déposa un recours, qui fut rejeté par la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève par arrêt du 11 mai 2012.
10.  Le requérant interjeta un recours en matière civile et, à titre subsidiaire, un recours constitutionnel qui conclut à la condamnation de la Pathé Romandie Sàrl à lui payer la somme de 5 000 CHF plus intérêts à 5 % dès le 4 octobre 2008.
11.  Par un arrêt du 10 octobre 2012, notifié au requérant le 20 décembre 2012 (reçu par le requérant le 21 décembre 2012), le Tribunal fédéral rejeta le recours en particulier pour les raisons qui suivent :
« 2.2  Selon les constatations de la cour cantonale, la manipulation de la chaise roulante occupée par A. [le requérant], d'une charge totale de 100 kg, "ne semble pas aisée, en particulier lorsqu'il s'agit de gravir plusieurs marches d'escalier." Le recourant critique cette conclusion en se référant aux procès-verbaux dressés en première instance. D'après lui, la manœuvre est à la portée de n'importe quelle personne capable de suivre ses instructions ; il en veut pour preuve la démonstration faite lors du transport sur place, un homme sans force particulière et une femme atteinte d'une hernie discale ayant réussi à lui faire monter les escaliers.
Le recourant joue quelque peu sur les mots. La Chambre civile n'a pas constaté que la manœuvre était impossible ou particulièrement difficile, mais uniquement qu'elle n'était pas aisée. Or, il n'y a rien d'insoutenable à retenir que faire monter un escalier à une personne en fauteuil roulant, d'un poids total de 100 kg, n'est pas chose aisée, en tout cas pour des accompagnateurs non habitués à cette tâche.
Comme on le verra par la suite, la question n'est toutefois pas déterminante pour l'issue du litige, de sorte qu'une rectification de l'état de fait n'entre de toute manière pas en considération.
3.  En deuxième lieu, le recourant se plaint d'une violation de l'art. 6 LHand [Loi fédérale du 13 décembre 2002 sur l'élimination des inégalités frappant les personnes handicapées].
3.1  A juste titre, il ne critique pas le fait que le bâtiment abritant le cinéma est construit de telle manière que l'accès aux salles est impossible ou difficile pour les personnes en fauteuil roulant. En effet, la LHand ne s'applique pas à cet édifice, construit et rénové avant l'entrée en vigueur de la loi, le 1er janvier 2004 (art. 3 let. a LHand). Le recourant ne s'en prend pas non plus à l'absence de personnel chargé d'aider les personnes en chaise roulante à accéder à la salle, puisque la LHand ne crée pas d'obligation dans ce sens à la charge du prestataire privé (art. 6 LHand a contrario ; Message du 11 décembre 2000 relatif à l'initiative populaire fédérale «Droits égaux pour les personnes handicapées» et au projet de loi fédérale sur l'élimination des inégalités frappant les personnes handicapées, FF 2001 1698 ch. 5.4.4).
Le recourant conteste en revanche les motifs avancés par l'intimée pour lui refuser l'accès à la salle de cinéma. Il relève que les risques particuliers en cas d'évacuation sont inhérents à la condition de personne en fauteuil roulant et propres à de très nombreuses situations de la vie quotidienne des personnes concernées ; à titre d'exemple, il cite le non-fonctionnement des ascenseurs en cas d'incendie d'un bâtiment, éventualité qui ne saurait manifestement justifier une interdiction d'entrée, sauf à exclure les handicapés de tous les locaux accessibles uniquement par escalier ou ascenseur. En outre, le recourant est d'avis que le défaut de personnel susceptible d'assister la personne handicapée n'est pas déterminant si des tiers sont prêts à l'aider, tiers qu'en l'occurrence, il était disposé à rechercher lui-même parmi les spectateurs. Enfin, il fait valoir que, contrairement à ce que l'intimée prétend, la responsabilité de l'exploitant de cinéma n'aurait pas été engagée si lui-même ou les tiers précités s'étaient blessés à cette occasion. Le recourant en déduit qu'il n'y avait pas de motif justificatif valable pour lui refuser l'accès du cinéma et qu'il a subi une discrimination au sens de l'art. 6 LHand.
3.2  Les objections du recourant ne sont pas dénuées de toute pertinence. Elles ne font pas pour autant apparaître comme inconsistants les motifs avancés par l'intimée pour justifier le refus de lui vendre un billet d'entrée.
Certes, l'évacuation d'urgence de n'importe quel bâtiment ou local comporte des risques particuliers pour une personne en fauteuil roulant, d'autant plus si celle-ci n'est pas accompagnée. Cependant, ces risques sont encore accrus lors de l'évacuation d'urgence d'une salle de spectacle, en raison du grand nombre de personnes pouvant s'y trouver et du danger de bousculade que cela implique. Par ailleurs, même si la responsabilité juridique de l'exploitant du cinéma devait ne pas être engagée en cas de décès ou de blessures de la personne handicapée ou d'un tiers lui ayant prêté assistance, il est compréhensible que l'exploitant craigne les critiques qui pourraient lui être adressées par des proches de la victime ou par des tiers pour ne pas s'être soucié d'une personne handicapée à qui il avait pourtant fait payer un billet pour accéder à la salle.
Cela étant, il convient d'examiner si, en refusant au recourant l'entrée au cinéma pour les motifs susmentionnés, l'intimée a commis à son égard une discrimination prohibée par la loi.
3.3  Selon l'art. 6 LHand, les particuliers qui fournissent des prestations au public ne doivent pas traiter une personne handicapée de façon discriminatoire du fait de son handicap. La notion de discrimination au sens de cette disposition doit être interprétée, en se référant en particulier à la volonté du législateur telle qu'elle ressort notamment des travaux préparatoires (cf. ATF 135 III 20 consid. 4.4 p. 23, 112 consid. 3.3.2 p. 116).
3.3.1  A part le remplacement de la dénomination "personnes privées" par "particuliers", l'art. 6 LHand correspond à l'art. 6 du projet du Conseil fédéral. Les Chambres fédérales ont adopté cette disposition sans discussion (cf. BO 2001 CE 619 et BO 2002 CN 944). Dans le message déjà cité, la discrimination prohibée est définie en ces termes : "La discrimination est une inégalité qualifiée, c'est-à-dire une différence de traitement manifeste ou particulièrement choquante qui peut avoir une connotation dépréciative. Appliqué à une personne privée, le principe de non-discrimination n'entraîne cependant pas pour cette personne l'obligation de prendre des mesures particulières (positives) pour éliminer des inégalités de fait. Elle ne l'oblige pas davantage à adopter des comportements égalitaires et ne lui interdit pas de différencier ses prestations en fonction de ses clients. En d'autres termes, cette disposition a pour but de prévenir des comportements ségrégationnistes graves qui tendent à exclure les personnes handicapées de certaines activités de peur que leur seule présence ne trouble la quiétude ou les habitudes sociales de la clientèle habituelle. Ainsi un restaurateur ne saurait refuser à une personne mentalement handicapée l'accès à son établissement, par seule crainte que la présence de cette personne handicapée ne dissuade sa clientèle habituelle de venir chez lui et sans qu'il ait des indices suffisants pour penser que cette personne compromettra l'ambiance et la tranquillité de son établissement. Dans la mesure où la personne handicapée ne trouble pas l'ordre et la bienséance des lieux et où son comportement n'est pas de nature à perturber les autres clients, il serait discriminatoire de lui en refuser l'accès. Cette norme vise donc des comportements particulièrement choquants et contraires à la tolérance que se doivent mutuellement les différents membres d'une même société" (FF 2001 1671 ch. 4.3.2 ad art. 6).
Le Conseil fédéral a repris ces principes dans l'ordonnance d'application ; celle-ci définit la discrimination au sens des art. 6 et 8 al. 3 LHand comme toute différence de traitement particulièrement marquée et gravement inégalitaire qui a pour intention ou pour conséquence de déprécier une personne handicapée ou de la marginaliser (art. 2 let. d de l'ordonnance sur l'élimination des inégalités frappant les personnes handicapées [OHand ; RS 151.31]).
En l'espèce, le refus de prestation incriminé ne saurait être qualifié de la sorte. Fondé sur des considérations sécuritaires à tout le moins compréhensibles, le comportement adopté par l'exploitant à l'égard du recourant ne peut pas être tenu pour particulièrement choquant ; il ne dénote ni un manque de tolérance, ni une volonté d'exclusion des personnes handicapées en fauteuil roulant. L'intimée accorde d'ailleurs à ces dernières un accès libre aux autres salles de cinéma qu'elle exploite à Genève, dans la mesure où elles sont adaptées aux personnes à mobilité réduite.
3.3.2  Se fondant sur un avis récent de deux auteurs, le recourant défend une notion plus étendue de la discrimination et soutient que l'art. 6 LHand doit être interprété conformément à la Constitution. Sans autre démonstration, les auteurs en question affirment qu'une discrimination n'a pas besoin d'être particulièrement crasse ; il suffit qu'il y ait une inégalité de traitement qui ne peut être suffisamment justifiée (MARKUS SCHEFER/CAROLINE HESS-KLEIN, Die Gleichstellung von Menschen mit Behinderung bei Dienstleistungen, in der Bildung und in Arbeitsverhältnissen, Jusletter du 19 septembre 2011, B/II/2 p. 6).
Est ainsi posée la question de l'application de l'interdiction constitutionnelle de discrimination (art. 8 al. 2 Cst. [Constitution fédérale]) aux relations entre particuliers, soit, plus généralement, de l'effet horizontal des droits fondamentaux. Selon l'art. 35 Cst., les droits fondamentaux doivent être réalisés dans l'ensemble de l'ordre juridique (al. 1) et les autorités veillent à ce que ces droits, dans la mesure où ils s'y prêtent, soient aussi réalisés dans les relations qui lient les particuliers entre eux (al. 3). Si l'on admet que les droits fondamentaux n'ont pas seulement une fonction de défense contre les atteintes dues à l'État, mais fondent également un devoir étatique de protection contre les atteintes provoquées par des tiers, il n'en demeure pas moins que les droits constitutionnels de ces tiers doivent également être protégés ; une pesée des différents intérêts en présence est alors nécessaire. C'est en priorité la tâche de la législation spécifique de fixer quels sont les actes admissibles ou non et de délimiter les droits des particuliers impliqués. La question de l'étendue du devoir de protection des droits fondamentaux se confond ainsi avec celle de l'application correcte de la législation spécifique (ATF 126 II 300 consid. 5 p. 314 s . ; cf. également ATF 137 I 305 consid. 2.4 p. 315).
En l'espèce, l'art. 6 LHand pose le principe selon lequel l'interdiction de la discrimination au sens de l'art. 8 al. 2 Cst. ne vaut pas seulement dans les rapports entre l'État et les particuliers, mais également dans les relations entre particuliers (FF 2001 1671 ch. 4.3.2 ad art. 6). Cette disposition a ainsi été adoptée expressément dans le but de fixer l'effet horizontal de l'interdiction constitutionnelle de discrimination. Il convient dès lors de s'en tenir à la notion de discrimination voulue par le législateur, telle qu'exposée plus haut (consid. 3.3.1).
3.4  En conclusion, le moyen tiré d'une violation de l'art. 6 LHand est mal fondé.
4.  En dernier lieu, le recourant se plaint d'une violation du droit international. Il invoque l'art. 14 CEDH relatif à l'interdiction de discrimination en liaison, d'une part, avec l'art. 10 CEDH qui garantit la liberté d'expression et, d'autre part, avec l'art. 8 CEDH qui garantit le droit au respect de la vie privée et familiale. Il fait valoir que le droit d'accéder à une salle de cinéma, haut lieu de diffusion de productions culturelles, est couvert par l'art. 10 CEDH combiné avec l'art. 14 CEDH et que ce droit lui a été refusé sans aucune justification pertinente du point de vue de la CEDH. De même, le refus qui lui a été opposé, en tant qu'il porte une atteinte grave à son intégrité psychique, constituerait, en l'absence de justification objective, une violation de l'art. 8 CEDH combiné avec l'art. 14 CEDH.
4.1  L'obligation de respecter les droits fondamentaux résultant de la CEDH s'adresse à l'État (art. 1 CEDH). Pour garantir l'effectivité de ces droits, il peut être néanmoins nécessaire de les protéger dans les relations entre particuliers. Sous peine de violer les droits conventionnels, l'État peut se trouver dans l'obligation de prendre les mesures suffisantes pour protéger lesdits droits contre les atteintes par les particuliers (cf. ATF 136 I 167 consid. 2.2 p. 170 ; FRANZ WERRO/IRÈNE SCHMIDLIN, La protection de la personnalité et les médias : une illustration de la rencontre du droit civil et du droit constitutionnel, in Droit civil et Convention européenne des droits de l'homme, 2006, p. 184).
4.2  En l'espèce, la Suisse a adopté la LHand dans le but de prévenir, de réduire ou d'éliminer les inégalités qui frappent les personnes handicapées (art. 1 LHand). Dans ce cadre, le législateur fédéral a prévu notamment que les constructions et installations accessibles au public pour lesquelles l'autorisation de construire ou de rénover était accordée après l'entrée en vigueur de la LHand devaient être facilement accessibles aux personnes handicapées (art. 2 al. 3 et art. 3 let. a LHand) ; il a imposé une interdiction de discrimination aux particuliers qui fournissent des prestations au public (art. 6 LHand) ; il a également donné aux personnes handicapées et à certaines organisations d'aide aux handicapés le droit d'agir en justice le cas échéant (art. 7 al. 1, art. 8 al. 3, art. 9 al. 3 let. a et b LHand). La question est de savoir si ces mesures législatives sont suffisantes ou non au regard de la CEDH et, en particulier, si la Convention impose à la Suisse d'adopter une notion de discrimination plus étendue que celle de l'art. 6 LHand (cf. consid. 3.3.1 et 3.3.2).
Le recourant l'affirme en se fondant sur des considérations générales. Mais il ne cite aucun arrêt dans lequel la Cour européenne des droits de l'homme aurait retenu une obligation comparable. L'arrêt Botta contre Italie du 24 février 1998 qu'il invoque (Recueil CourEDH 1998-I p. 412) concerne le cas d'une personne handicapée qui reprochait aux autorités de n'avoir pas réagi à ses plaintes au sujet de plages non équipées de structures pour handicapés, pourtant prescrites par la loi sous menace de révocation de licence. La Cour a nié une violation des art. 8 et 14 CEDH au motif que le droit invoqué par le requérant, à savoir celui de pouvoir accéder à la plage et à la mer loin de sa demeure habituelle pendant ses vacances, concerne des relations interpersonnelles d'un contenu si ample et indéterminé qu'aucun lien direct entre les mesures exigées de l'État pour remédier aux omissions des établissements de bains privés et la vie privée de l'intéressé n'était envisageable (§ 35). L'arrêt est certes assez ancien, mais le recourant ne démontre pas que la Cour s'en serait explicitement ou implicitement écartée récemment.
Au contraire, dans un arrêt ultérieur concernant des personnes à mobilité réduite ne pouvant pas accéder à des bâtiments ouverts au public (Zehnalová et Zehnal contre République tchèque du 14 mai 2002, Recueil CourEDH 2002-V p. 317), la Cour a jugé que le champ d'intervention de l'État et la notion progressive de vie privée ne correspondent pas toujours au contenu plus limité des obligations positives de l'État. Elle a estimé que l'art. 8 CEDH ne saurait s'appliquer en règle générale et chaque fois que la vie quotidienne de la personne handicapée est en cause, mais seulement dans les cas exceptionnels où un manque d'accès aux établissements publics et ouverts au public empêchent cette personne de mener sa vie de façon telle que le droit à son développement personnel et son droit d'établir et d'entretenir des rapports avec d'autres êtres humains et le monde extérieur sont mis en cause ; elle a en outre relevé, même si elle n'y attachait pas une importance déterminante, que les autorités nationales n'étaient pas restées inactives (p. 332).
Le recourant fait encore référence à l'arrêt Glor contre Suisse du 30 avril 2009 (in ASA 80 p. 693), dans lequel la Cour a admis un traitement discriminatoire, violant l'art. 14 CEDH combiné avec l'art. 8 CEDH, d'une personne qui souffre de diabète. Comme cette cause concerne la soumission à la taxe d'exemption du service militaire, à savoir une taxe étatique, l'arrêt précité est d'emblée sans pertinence lorsqu'il s'agit, comme en l'espèce, d'apprécier l'effet horizontal des droits fondamentaux entre particuliers.
Dans ces circonstances, il n'apparaît pas que la CEDH oblige la Suisse à adopter, dans sa législation visant à éliminer les inégalités qui frappent les personnes handicapées, une notion de la discrimination plus large que celle décrite plus haut ou qu'elle contraint le juge à interpréter de manière plus étendue la discrimination au sens de l'art. 6 LHand. »
  Le droit et la pratique internes et internationaux pertinents
1.  Le droit interne
12.  Les dispositions pertinentes de la loi fédérale du 13 décembre 2002 sur l'élimination des inégalités frappant les personnes handicapées (Recueil systématique, RS 151.3 ; ci-après « LHand ») sont libellées comme il suit :
« Article 1 : But
La présente loi a pour but de prévenir, de réduire ou d'éliminer les inégalités qui frappent les personnes handicapées.
Elle crée des conditions propres à faciliter aux personnes handicapées la participation à la vie de la société, en les aidant notamment à être autonomes dans l'établissement de contacts sociaux, dans l'accomplissement d'une formation et dans l'exercice d'une activité professionnelle.
Article 2 : Définitions
Est considérée comme personne handicapée au sens de la présente loi toute personne dont la déficience corporelle, mentale ou psychique présumée durable l'empêche d'accomplir les actes de la vie quotidienne, d'entretenir des contacts sociaux, de se mouvoir, de suivre une formation, de se perfectionner ou d'exercer une activité professionnelle, ou la gêne dans l'accomplissement de ces activités.
Il y a inégalité lorsque les personnes handicapées font l'objet, par rapport aux personnes non handicapées, d'une différence de traitement en droit ou en fait qui les désavantage sans justification objective ou lorsqu'une différence de traitement nécessaire au rétablissement d'une égalité de fait entre les personnes handicapées et les personnes non handicapées fait défaut.
Il y a inégalité dans l'accès à une construction, à une installation, à un logement ou à un équipement ou véhicule des transports publics lorsque cet accès est impossible ou difficile aux personnes handicapées pour des raisons d'architecture ou de conception du véhicule.
Il y a inégalité dans l'accès à une prestation lorsque cet accès est impossible ou difficile aux personnes handicapées.
Il y a inégalité dans l'accès à la formation ou à la formation continue notamment lorsque :
a. l'utilisation de moyens auxiliaires spécifiques aux personnes handicapées ou une assistance personnelle qui leur est nécessaire ne leur sont pas accordées ;
b. la durée et l'aménagement des prestations de formation offertes ainsi que les examens exigés ne sont pas adaptés aux besoins spécifiques des personnes handicapées.
Article 5 : Mesures de la Confédération et des cantons
La Confédération et les cantons prennent les mesures que requièrent la prévention, la réduction ou l'élimination des inégalités ; ils tiennent compte des besoins spécifiques des femmes handicapées.
Ne sont pas contraires à l'art. 8, al. 1, Cst. les mesures appropriées visant à compenser les inégalités qui frappent les personnes handicapées.
Article 6 : Prestations de particuliers
Les particuliers qui fournissent des prestations au public ne doivent pas traiter une personne handicapée de façon discriminatoire du fait de son handicap.
Article 7 : Droits subjectifs en matière de constructions, d'équipements ou de véhicules
Toute personne qui subit une inégalité au sens de l'art. 2, al. 3, peut en cas de construction ou de rénovation d'une construction ou d'une installation au sens de l'art. 3, let. a, c ou d :
a.  demander à l'autorité compétente, dans la procédure d'autorisation de construire, qu'on s'abstienne de l'inégalité ;
b.  à l'issue de la procédure d'autorisation de construire, demander exceptionnellement aux instances de la juridiction civile l'élimination de l'inégalité, si l'absence des mesures légalement requises ne pouvait être constatée lors de la procédure d'autorisation de construire.
Toute personne qui subit une inégalité au sens de l'art. 2, al. 3, peut, dans le cas d'un équipement ou d'un véhicule des transports publics au sens de l'art. 3, let. b, demander à l'autorité compétente que l'entreprise concessionnaire élimine l'inégalité ou qu'elle s'en abstienne.
Article 8 : Droits subjectifs en matière de prestations
Toute personne qui subit une inégalité au sens de l'art. 2, al. 4, du fait d'une entreprise concessionnaire ou d'une collectivité publique peut demander au tribunal ou à l'autorité administrative d'ordonner que le prestataire élimine l'inégalité ou qu'il s'en abstienne.
Toute personne qui subit une inégalité au sens de l'art. 2, al. 5, du fait d'une collectivité publique peut demander au tribunal ou à l'autorité administrative d'ordonner que le prestataire élimine l'inégalité ou qu'il s'en abstienne.
Toute personne qui subit une discrimination au sens de l'art. 6 peut demander au tribunal le versement d'une indemnité.
Section 3 : Proportionnalité
 
Article 11 : Principes
Le tribunal ou l'autorité administrative n'ordonnent pas l'élimination de l'inégalité lorsqu'il y a disproportion entre l'avantage qui serait procuré aux personnes handicapées et notamment :
a.  la dépense qui en résulterait ;
b.  l'atteinte qui serait portée à l'environnement, à la nature ou au patrimoine ;
c.  l'atteinte qui serait portée à la sécurité du trafic ou de l'exploitation.
Le tribunal fixe l'indemnité prévue à l'art. 8, al. 3, en tenant compte des circonstances, de la gravité de la discrimination et de la valeur de la prestation en cause.
L'indemnité est de 5000 francs au maximum. »
13.  L'Ordonnance sur l'élimination des inégalités frappant les personnes handicapées (OHand) du 19 novembre 2003 définit la notion de handicap :
    Article 2 : Définitions
« On attend par ...d) discrimination (art. 6 et 8, al. 3, LHand) : toute différence de traitement particulièrement marquée et gravement inégalitaire qui a pour intention ou pour conséquence de déprécier une personne handicapée ou de la marginaliser »
2.  La pratique interne
14.  Le Rapport du Conseil fédéral intitulé "Le droit à la protection contre la discrimination" du 25 mai 2016, en réponse à un postulat Naef (12.3543) du 14 juin 2012, indique que le droit fédéral ne protège que marginalement les personnes handicapées de la discrimination par des particuliers. Les personnes handicapées victimes de discrimination par des particuliers doivent par conséquent se référer aux dispositions générales sur la protection de la personnalité. Elles ne peuvent que prétendre à une indemnisation alors qu'elles peuvent veiller à faire cesser la discrimination si elle est le fait de l'État. Selon le même rapport, il n'y a pas encore à l'heure actuelle une conscience assez forte de cette problématique. D'autre part, les acteurs concernés n'ont souvent ni l'expérience et les compétences, ni les connaissances nécessaires pour savoir comment garantir concrètement, et avec un investissement raisonnable, l'accessibilité de leurs prestations.
15.  Ces conclusions ont été confirmées par l'Évaluation de la loi fédérale sur l'élimination des inégalités frappant les personnes handicapées (LHand), élaborée en août 2015 sur mandat du Secrétariat général du Département fédéral de l'intérieur/Bureau fédéral de l'égalité pour les personnes handicapées, dont les conclusions générales se lisent comme il suit dans les parties pertinentes (version abrégée) :
« En ce qui concerne les prestations fournies par les services de l'État, on constate une certaine amélioration de l'accessibilité depuis l'entrée en vigueur de la LHand, mais on ne peut toujours pas dire que la chose va de soi. Pour les prestations fournies par des particuliers, la LHand se contente d'interdire toute différence de traitement particulièrement marquée, ce qui, selon la jurisprudence actuelle (un seul cas), présuppose l'intentionnalité. Ce sont le plus souvent les secteurs également tenus de satisfaire aux conditions architectoniques, comme les magasins et les restaurants, qui sont au courant de ces questions. Selon l'évaluation réalisée, la situation n'a pratiquement pas changé pour les prestations fournies par des particuliers. (...)
En résumé, on constate que la loi sur l'égalité pour les handicapés a eu une influence très positive dans des domaines importants pour ces personnes - l'accès physique aux constructions, aux installations et aux transports publics -, même si l'égalité n'est pas encore atteinte et qu'il y a ici et là des problèmes à résoudre. Dans d'autres domaines, la LHand a donné un signal qui a été bien perçu et dont l'écho s'intensifie, dans celui de la formation post-obligatoire par exemple. Mais dans d'autres, tout aussi importants pour les personnes handicapées, elle n'a pas apporté grand-chose de concret. C'est le cas pour la stigmatisation, qui n'a guère diminué dans la société, c'est le cas aussi pour le domaine très peu réglementé des prestations fournies par des particuliers (...). »
3.  Droit international pertinent
16.  La Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées a été adoptée le 13 décembre 2006 au siège de l'Organisation des Nations Unies à New York et a été ouverte à la signature le 30 mars 2007. Elle est entrée en vigueur le 3 mai 2008 et a été ratifiée jusqu'à aujourd'hui par 177 États. Elle a été approuvée par l'Assemblée fédérale le 13 décembre 2013 et la Confédération y adhéra le 15 avril 2014. Les dispositions introductives sont libellées comme il suit :
Article 1 : Objet
« La présente Convention a pour objet de promouvoir, protéger et assurer la pleine et égale jouissance de tous les droits de l'homme et de toutes les libertés fondamentales par les personnes handicapées et de promouvoir le respect de leur dignité intrinsèque.
Par personnes handicapées on entend des personnes qui présentent des incapacités physiques, mentales, intellectuelles ou sensorielles durables dont l'interaction avec diverses barrières peut faire obstacle à leur pleine et effective participation à la société sur la base de l'égalité avec les autres.
Article 3 : Principes généraux
Les principes de la présente Convention sont :
a.  Le respect de la dignité intrinsèque, de l'autonomie individuelle, y compris la liberté de faire ses propres choix, et de l'indépendance des personnes ;
b.  La non-discrimination ;
c.  La participation et l'intégration pleines et effectives à la société ;
d.  Le respect de la différence et l'acceptation des personnes handicapées comme faisant partie de la diversité humaine et de l'humanité ;
e.  L'égalité des chances ;
f.  L'accessibilité ;
g.  L'égalité entre les hommes et les femmes ;
h.  Le respect du développement des capacités de l'enfant handicapé et
i.  Le respect du droit des enfants handicapés à préserver leur identité.
Article 5 : Égalité et non-discrimination
1.  Les États Parties reconnaissent que toutes les personnes sont égales devant la loi et en vertu de celle-ci et ont droit sans discrimination à l'égale protection et à l'égal bénéfice de la loi.
2.  Les États Parties interdisent toutes les discriminations fondées sur le handicap et garantissent aux personnes handicapées une égale et effective protection juridique contre toute discrimination, quel qu'en soit le fondement.
3.  Afin de promouvoir l'égalité et d'éliminer la discrimination, les États Parties prennent toutes les mesures appropriées pour faire en sorte que des aménagements raisonnables soient apportés.
4.  Les mesures spécifiques qui sont nécessaires pour accélérer ou assurer l'égalité de facto des personnes handicapées ne constituent pas une discrimination au sens de la présente Convention.
Article 9 : Accessibilité
1.  Afin de permettre aux personnes handicapées de vivre de façon indépendante et de participer pleinement à tous les aspects de la vie, les États Parties prennent des mesures appropriées pour leur assurer, sur la base de l'égalité avec les autres, l'accès à l'environnement physique, aux transports, à l'information et à la communication, y compris aux systèmes et technologies de l'information et de la communication, et aux autres équipements et services ouverts ou fournis au public, tant dans les zones urbaines que rurales. Ces mesures, parmi lesquelles figurent l'identification et l'élimination des obstacles et barrières à l'accessibilité, s'appliquent, entre autres :
a.  Aux bâtiments, à la voirie, aux transports et autres équipements intérieurs ou extérieurs, y compris les écoles, les logements, les installations médicales et les lieux de travail ;
b.  Aux services d'information, de communication et autres services, y compris les services électroniques et les services d'urgence.
2.  Les États Parties prennent également des mesures appropriées pour : a.  Élaborer et promulguer des normes nationales minimales et des directives relatives à l'accessibilité des installations et services ouverts ou fournis au public et contrôler l'application de ces normes et directives ;
b.  Faire en sorte que les organismes privés qui offrent des installations ou des services qui sont ouverts ou fournis au public prennent en compte tous les aspects de l'accessibilité par les personnes handicapées ;
c.  Assurer aux parties concernées une formation concernant les problèmes d'accès auxquels les personnes handicapées sont confrontées ;
d.  Faire mettre en place dans les bâtiments et autres installations ouverts au public une signalisation en braille et sous des formes faciles à lire et à comprendre ;
e.  Mettre à disposition des formes d'aide humaine ou animalière et les services de médiateurs, notamment de guides, de lecteurs et d'interprètes professionnels en langue des signes, afin de faciliter l'accès des bâtiments et autres installations ouverts au public ;
f.  Promouvoir d'autres formes appropriées d'aide et d'accompagnement des personnes handicapées afin de leur assurer l'accès à l'information ;
g.  Promouvoir l'accès des personnes handicapées aux nouveaux systèmes et technologies de l'information et de la communication, y compris l'internet ;
h.  Promouvoir l'étude, la mise au point, la production et la diffusion de systèmes et technologies de l'information et de la communication à un stade précoce, de façon à en assurer l'accessibilité à un coût minimal. »
 
GRIEF
17.  Le requérant, paraplégique, se plaint devant la Cour que le refus d'accès au cinéma Pathé Rialto à Genève, exploité par une société privée, n'a pas été qualifié par les tribunaux internes de discrimination. Il invoque l'article 14, combiné avec les articles 8 et 10 de la Convention.
 


Considerandi

EN DROIT
18.  Le requérant allègue que l'arrêt du Tribunal fédéral, selon lequel ne constitue pas de discrimination le refus qui lui est opposé d'accéder au cinéma en raison de son handicap, viole l'article 14, combiné avec les articles 8 et 10 de la Convention. Ces articles sont libellés comme il suit :
Article 14
« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation.
Article 8
1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2.  Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui.
Article 10
« 1.  Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. (...)
2.  L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire. »
19.  Le Gouvernement s'oppose à cette thèse. Il estime que la requête ne tombe pas dans le champ d'application de l'article 14, combiné avec les articles 8 ou 10 de la Convention. Dès lors, elle devrait être déclarée incompatible ratione materiae avec la Convention.
  Thèses des parties
  Le Gouvernement
20.  Le Gouvernement rappelle que, pour que l'article 8 de la Convention soit applicable, un lien direct doit exister entre les mesures demandées et la vie privée du requérant. Ce lien aurait été admis s'agissant de l'aménagement des espaces utilisés quotidiennement (habitation, lieu de travail) ou de la possibilité d'accéder à un bureau de vote, comme seul moyen de faire valoir ses droits civiques. Un tel lien aurait en revanche été nié s'agissant de l'accès à des bâtiments qui ne relevaient pas d'un usage quotidien (Zehnalová et Zehnal c. République tchèque (déc.), no 38621/97, CEDH 2002-V) et de l'accès à une infrastructure de loisirs (Botta c. Italie, 24 février 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-I).
21.  De l'avis du Gouvernement, le cas d'espèce est comparable à l'affaire Botta, dans la mesure où il concerne l'accès à une infrastructure de loisirs. Les principes exposés dans cet arrêt trouvent ainsi à s'appliquer en l'espèce et le lien direct et immédiat doit être nié.
22.  Le Gouvernement estime que cette conclusion vaut d'autant plus qu'à la différence des propriétaires des plages privées dans l'affaire Botta, les exploitants du cinéma Pathé Rialto n'étaient pas tenus de par la loi d'aménager le bâtiment du cinéma de sorte qu'il soit accessible aux personnes handicapées. La possibilité d'accès demandée par le requérant n'était donc pas concrétisée par la loi interne comme c'était le cas dans l'affaire Botta.
23.  Le Gouvernement soutient également que, le requérant s'étant rendu seul au cinéma, son accès à la salle impliquait que le personnel du cinéma ou des tiers l'aident à se rendre dans la salle de cinéma. Or, il estime que la législation applicable n'impose pas aux prestataires de services privés, outre les obligations en cas de construction ou de rénovation de bâtiments, qui n'étaient pas applicables en l'espèce, d'adapter leurs prestations aux besoins particuliers des personnes handicapées. Le Gouvernement ajoute que, selon les constatations des autorités internes, le requérant pesait 80 kilos, auxquels s'ajoutait le poids de la chaise roulante (15 kilos). Or, l'accès à la salle où était projeté le film « Vinyan », supposait la descente de huit marches, d'escalier ; pour sortir de la salle, il fallait en outre gravir au minimum six marches. De surcroît, il ressort des motifs présentés par le cinéma, qui ont été confirmés par les décisions internes, que seul du personnel féminin était sur place le soir en question.
24.  Le Gouvernement fait également valoir qu'en l'espèce, le personnel du cinéma ne se voyant pas en mesure d'aider le requérant à franchir les escaliers, son accès à la salle n'était possible qu'avec l'aide de tiers, donc d'autres visiteurs du cinéma. Il rappelle que le requérant fit valoir, dans la procédure interne, que l'accès n'aurait pas pu lui être refusé puisqu'il aurait pu demander à des tiers de l'aider. En revanche, il ne prétendit pas qu'il aurait déjà trouvé, au moment de vouloir acheter son billet, des personnes prêtes à prendre la responsabilité de le faire.
25.  Selon le Gouvernement, il y a lieu également de tenir compte du fait qu'outre les difficultés pratiques exposées, l'accès du requérant soulevait aussi la question de la responsabilité du cinéma. Celle-ci pouvait être engagée en cas de lésion du requérant lui-même, d'un membre du personnel ou d'un tiers. En effet, même sans obligation légale d'adapter le bâtiment ou ses prestations aux besoins des personnes handicapées, la responsabilité du cinéma à des titres divers - responsabilité contractuelle, responsabilité du propriétaire de bâtiment, responsabilité de l'employeur pour les employés - entre en jeu dès lors que le cinéma accordait l'accès au requérant.
26.  Quant aux effets du refus d'accès pour le requérant, le Gouvernement rappelle que le requérant fait valoir être un cinéphile qui consacre une partie importante de son temps au cinéma. Il s'agirait d'un aspect important de son épanouissement personnel. Le Gouvernement soutient, à cet égard, que d'autres cinémas exploités par Pathé Romandie Sàrl, notamment Pathé Balexert et Pathé Rex sont adaptés aux besoins des personnes en chaise roulante et donc librement accessibles au requérant. Par ailleurs, il ressort des décisions internes que, selon les statistiques de Pathé Romandie Sàrl, le pourcentage des films uniquement projetés au cinéma Pathé Rialto à Genève s'élevait à environ 10 % en 2009 et environ 12 % entre janvier et juillet 2010.
27.  Pour toutes ces raisons, le Gouvernement estime qu'il n'existe pas en l'espèce un lien suffisant entre la mesure demandée par le requérant et sa vie privée au sens de la Convention, de sorte que l'article 8 de la Convention ne trouve pas à s'appliquer.
28.  En ce qui concerne l'article 10, le Gouvernement estime qu'il ne présente pas, pour une affaire comme le cas d'espèce, une portée allant au-delà de celle de l'article 8 de la Convention. Il soutient que l'article 10 ne saurait contraindre les États à obliger les particuliers à prendre des mesures spécifiques ou à compter sur des clients présents sur place pour prendre de telles mesures à chaque fois qu'une prestation culturelle n'est pas accessible en tant que telle à une personne handicapée.
b)  Le requérant
29.  Quant à l'application de l'article 8 au cas d'espèce, le requérant soutient que le Gouvernement suisse ne tient pas suffisamment compte des contacts sociaux pouvant être tissés à l'occasion d'une visite au cinéma. En comparant le présent litige en particulier à l'affaire Botta, précitée, il le réduit à une problématique d'accès à une infrastructure de loisir.
30.  Le requérant estime qu'un ensemble d'actes de la vie quotidienne peut revêtir le caractère essentiel pour la conduite d'une vie autonome selon l'article 8 de la Convention. La reconnaissance de ce principe serait particulièrement importante lorsqu'est en cause la participation autonome des personnes handicapées à la vie en société.
31.  Par ailleurs, au-delà de la restriction de ses droits subie par le requérant du fait du refus d'accès au cinéma il faut tenir compte en l'espèce du caractère préjudiciel de la jurisprudence du Tribunal fédéral en ce qui concerne la conduite autonome de leur vie par les personnes handicapées pour juger de l'application de l'article 8 de la Convention. Il soutient qu'en ne qualifiant pas de discrimination la pratique du cinéma de refuser l'accès à une personne en raison de son handicap sans justification qualifiée, le Tribunal fédéral crée un précédent applicable à tous les prestataires privés qui proposent des services aux particuliers. Fondés sur cette jurisprudence, les restaurants, boutiques, supermarchés, théâtres, salles de sport ou encore les banques peuvent désormais sans autre justification refuser l'accès aux personnes en chaise roulante, pour autant que l'architecture du lieu ne soit pas adaptée aux besoins des personnes handicapées et que le prestataire évoque sa crainte d'être confronté à des reproches en cas d'accident. Cette jurisprudence déploie ainsi ses effets sur de nombreux actes de la vie quotidienne et à une atteinte au droit du requérant, et des personnes handicapées en général, garanti par l'article 8 de choisir leurs contacts sociaux et, en conséquence, à une restriction de leur autonomie.
32.  Compte tenu de ce qui précède, le requérant estime que la mesure exigée de l'État par le requérant dans le présent litige, consistant à interdire un refus d'accès à des prestations de particuliers en raison d'un handicap lorsque le refus ne peut être justifié de manière qualifiée, présente donc bien un lien direct et immédiat avec le droit à la conduite d'une vie autonome découlant de l'article 8 de la Convention.
33.  Le requérant estime que le Gouvernement compare la présente affaire à tort à l'affaire Botta, précitée, soutenant qu'il n'a en effet jamais prétendu à une adaptation de l'architecture du bâtiment du cinéma. Il n'aurait pas non plus exigé une adaptation des services proposés par le cinéma, telle que, par exemple, une aide par le personnel du cinéma. Le requérant se contente en effet d'exiger de la Suisse qu'elle interprète les dispositions du droit interne de l'égalité des personnes handicapées de manière conforme à l'article 14, demandant ainsi que l'État veille à ce que le cinéma s'abstienne de refuser l'accès à une personne en raison de son handicap sans motifs valables. Or, contrairement à ce que prétend le Gouvernement, ce droit à exiger le respect d'un accès sans discrimination à une prestation proposée au public par un particulier a clairement été confirmé par le droit suisse à l'article 6 LHand.
34.  Le requérant soutient qu'indépendamment de la LHand, le droit privé interdit à l'exploitant d'un cinéma de refuser à une personne handicapée d'accéder au cinéma. Sur la base de l'interdiction des comportements contraires aux mœurs, le Tribunal fédéral admet en effet une obligation de contracter à quatre conditions : l'entrepreneur doit proposer publiquement ses services ou sa marchandise, le service ou la marchandise sert à couvrir les besoins ordinaires, en raison de la position de force du fournisseur de service ou de marchandises, il ne doit pas y avoir d'autre possibilité raisonnable de se procurer la marchandise ou le service voulu et le fournisseur ne parvient pas à fournir de raisons pertinentes justifiant son refus de contracter (arrêt du Tribunal fédéral, ATF 129 III 35, cons. 6.3). Ces conditions ayant été réunies en l'espèce, le fournisseur de service était également, sur la seule base du droit privé suisse, dans l'obligation de contracter avec la personne handicapée.
35.  Quant à l'aspect de la responsabilité civile de l'exploitant du cinéma « en cas de lésion du requérant lui-même, d'un membre du personnel ou d'un tiers », il estime qu'à moins d'agir de manière clairement inattentive et dangereuse, les personnes (employés ou clients) qui tenteraient de venir en aide à la personne handicapée pour lui permettre d'accéder à un bâtiment inadapté à ses besoins de sécurité ne sauraient être tenues pour responsables des lésions corporelles que celle-ci pourrait subir pendant leur intervention.
36.  En ce qui concerne l'application de l'article 10 au cas d'espèce, le requérant rappelle que la portée de cette disposition ne se limite pas à des restrictions du droit de recevoir des informations en raison de leur contenu. Il protègerait également contre les restrictions du droit à l'information qui, comme dans le présent litige, sont la conséquence d'un traitement inégal fondé sur le handicap. À ses yeux, de l'article 6 LHand découle l'obligation du prestataire privé de permettre aux personnes en chaise roulante d'accéder également aux bâtiments non adaptés à leurs besoins. En d'autres termes, il exige de l'État défendeur, conformément à la jurisprudence de la Cour en matière d'article 14, qu'elle interdise une inégalité fondée sur le handicap dans l'accès à l'information qui ne peut être justifiée par des motifs qualifiés.
2.  Appréciation de la Cour
a)  Principes applicables
37.  En ce qui concerne la protection contre la discrimination, il convient de rappeler que l'article 14 ne fait que compléter les autres clauses matérielles de la Convention et de ses Protocoles. Il n'a pas d'existence indépendante, puisqu'il vaut uniquement pour « la jouissance des droits et libertés » qu'elles garantissent (voir, parmi beaucoup d'autres, Sahin c. Allemagne [GC], no 30943/96, § 85, CEDH 2003-VIII). Son application ne présuppose pas nécessairement la violation d'un des droits substantiels garantis par la Convention. Il est nécessaire et suffisant que les faits de la cause tombent sous l'empire de l'une au moins des dispositions de la Convention ou de ses Protocoles (Vallianatos et autres c. Grèce [GC], nos 29381/09 et 32684/09, § 72, CEDH 2013 (extraits)).
38.  En ce qui concerne l'aspect « vie privée » de l'article 8, la Cour a déjà eu l'occasion d'observer que cette notion est une notion large, non susceptible d'une définition exhaustive. Elle peut parfois englober des aspects de l'identité physique et sociale d'un individu (Glor c. Suisse, no 13444/04, § 52, CEDH 2009 ; Mikulić c. Croatie, no 53176/99, § 53, CEDH 2002-I, et Otgon c. République de Moldova, no 22743/07, 25 octobre 2016).
39.  La notion de vie privée recouvre également le droit au développement personnel et le droit d'établir et entretenir des rapports avec d'autres êtres humains et le monde extérieur (voir, par exemple, Evans c. Royaume-Uni [GC], no 6339/05, § 71, CEDH 2007‑I). Dans un contexte certes bien différent, la Cour a également exprimé que le « vivre ensemble » est un élément important dans la société moderne et, dès lors, couvert par les articles 8 et 9 de la Convention (S.A.S. c. France [GC], no 43835/11, §§ 121 et 157, CEDH 2014 (extraits)).
40.  La Cour a considéré que la notion d'autonomie personnelle reflète un principe important qui sous-tend l'interprétation des garanties de l'article 8 (Pretty c. Royaume-Uni, no 2346/02, § 61, CEDH 2002-III, Haas c. Suisse, no 31322/07, § 51, CEDH 2011, et Neagu c. Roumanie ((déc.), no 49651/16, 29 janvier 2019). Dans une affaire récente contre la Suisse, la Cour a considéré l'article 8 applicable dans son volet « privé », dans la mesure où était en jeu le droit au développement personnel et l'autonomie personnelle (Di Trizio, précité, § 64).
41.  La Cour rappelle également que le but de la Convention consiste à protéger des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs (voir, parmi d'autres, Kimlya et autres c. Russie, nos 76836/01 et 32782/03, § 86, CEDH 2009 ; et Artico c. Italie, 13 mai 1980, § 33, série A no 37). En d'autres termes, il convient donc de prendre en compte les spécificités du cas concret, et notamment les réalités sociales et familiales des requérants.
42.  Enfin, la Cour rappelle que la Convention est un instrument vivant à interpréter à la lumière des conditions de vie actuelles et des conceptions prévalant de nos jours dans les États démocratiques (voir, entre beaucoup d'autres, Bayatyan c. Arménie [GC], no 23459/03, § 102, CEDH 2011 Tyrer c. Royaume-Uni, 25 avril 1978, § 31, série A no 26, et Kress c. France [GC], no 39594/98, § 70, CEDH 2001-VI).
b)  Affaires similaires à la présente
43.  La Cour estime que le cas d'espèce, dans lequel le requérant se plaint du fait que l'accès à un cinéma lui avait été refusé en raison de son handicap, a certaines similarités avec les affaires suivantes tranchées par la Cour. Dans l'affaire Botta, précitée, décidée en 1998, le requérant recourut contre la non-adoption par l'État de mesures propres à remédier aux omissions imputables à des établissements de bains privés et empêchant l'accès des handicapés à une plage et à la mer. La Cour a conclu qu'en l'espèce, le droit revendiqué par M. Botta, à savoir celui de pouvoir accéder à la plage et à la mer loin de sa demeure habituelle pendant ses vacances, concerne des relations interpersonnelles d'un contenu si ample et indéterminé qu'aucun lien direct entre les mesures exigées de l'État pour remédier aux omissions des établissements de bains privés et la vie privée de l'intéressé, n'est envisageable (§ 35). Partant, l'article 8 ne s'appliquait pas.
44.  Dans l'affaire Zehnalová et Zehnal (précitées), décidée en 2002, la requérante se plaint que de nombreux bâtiments ouverts au public de sa ville ne sont pas équipés de dispositifs nécessaires permettant aux personnes handicapées d'y accéder, ce qui atteint sa vie privée. La Cour a considéré que « l'article 8 de la Convention ne saurait s'appliquer  en règle générale et chaque fois que la vie quotidienne de la requérante est en cause, mais seulement dans les cas exceptionnels où un manque d'accès aux établissements publics et ouverts au public empêcherait la requérante de mener sa vie de façon telle que le droit à son développement personnel et son droit d'établir et d'entretenir des rapports avec d'autres êtres humains  et le monde extérieur soient mis en cause » (voir également l'arrêt précité Pretty c. Royaume-Uni, no 2346/02, § 61, 29 avril 2002). Or en l'espèce, la Cour estimait que les droits invoqués étaient trop amples et indéterminés, les requérants ayant failli à concrétiser les empêchements allégués et à donner des preuves convaincantes d'une atteinte à leur vie privée. Selon la Cour, la requérante n'avait pas réussi à démontrer le lien spécial entre l'inaccessibilité des établissements mentionnés et les besoins particuliers relevant de sa vie privée. Vu le nombre important de bâtiments dénoncés, le doute subsistait quant à leur utilisation quotidienne par la requérante et quant à l'existence d'un lien direct et immédiat entre les mesures exigées de l'État et la vie privée des requérants, doute qu'ils n'ont pas su réfuter. Dès lors, l'article 8 ne s'appliquait pas selon la majorité des juges.
45.  Dans Mółka c. Pologne (déc.), no 56550/00, CEDH 2006-IV, le requérant s'est plaint, entre autre au regard de l'article 8, d'avoir été privé de son droit de voter en raison du défaut d'accès adéquat au bureau de vote lié à son handicap. La cour n'excluait pas que, dans des circonstances telles que celles de l'espèce, il puisse exister un lien suffisant pour justifier la protection de l'article 8. Cependant, elle ne jugea pas nécessaire, en fin de compte, de statuer sur l'applicabilité de cette disposition à la présente affaire, dès lors que de toute façon la requête était irrecevable à d'autres égards.
46.  Enfin, dans l'affaire Neagu, précitée, la requérante, qui se déplace en chaise roulante, s'est plaint, en vertu des articles 8 et 14 de la Convention, qu'elle ne pouvait pas jouir de sa vie privée étant donné que la porte principale du bâtiment dans lequel se trouvait son appartement ne lui était pas accessible. La Cour a laissé ouverte la question de savoir si la situation de la requérante entre dans le champ d'application de l'article 8, dans la mesure où elle a déclaré ce grief irrecevable pour d'autres raisons.
c)  Application des principes susmentionnés au cas d'espèce à la lumière de la jurisprudence précitée
47.  S'agissant de la présente affaire, la Cour rappelle, certes, que l'un des principes de la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées de 2006 est « la participation et l'intégration pleines et effectives à la société » (article 3 lettre c) ; paragraphe 16 ci-dessus). Par contre, elle souligne également que l'article 8 de la Convention entre en jeu dans de telles circonstances seulement dans les cas exceptionnels où un manque d'accès aux établissements publics et ouverts au public empêcherait la requérante de mener sa vie de façon telle que le droit à son développement personnel et son droit d'établir et d'entretenir des rapports avec d'autres êtres humains  et le monde extérieur soient mis en cause (Zehnalová et Zehnal (précitées)).
48.   Le requérant soutient que les tribunaux suisses et le Gouvernement n'ont pas suffisamment pris en compte des contacts sociaux qui sont créés lors d'une visite au cinéma. Rappelant qu'il y a lieu de prendre en compte les spécificités du cas concret, et notamment les réalités sociales et familiales du requérant, la Cour n'exclut pas que, pour le requérant, paraplégique, l'importance de se rendre au cinéma ne se réduit en effet pas à la consommation d'un film, qu'il pourrait éventuellement voir à la maison, mais implique également des échanges avec autrui. Par ailleurs, le requérant, qui doit renoncer à de nombreux autres loisirs à cause de son handicap physique, se considère cinéphile, ce qui n'a pas été mis en doute par le Gouvernement.
49.  Par contre, la Cour estime qu'il ne découle pas de l'article 8 un droit d'avoir accès à un cinéma particulier pour y voir un film spécifique, aussi longtemps qu'est assuré un accès général aux cinémas se trouvant dans les environs proches. Or, la Cour considère pertinent l'argument du Gouvernement, non contesté par le requérant, selon lequel d'autres cinémas exploités par Pathé Romandie Sàrl, notamment Pathé Balexert et Pathé Rex, seraient adaptés aux besoins du requérant. La Cour prend également note des statistiques figurant dans les décisions des instances internes et rappelées par le Gouvernement ci-dessus (paragraphe 26) démontrant que le pourcentage de films uniquement projetés au cinéma en cause dans la présente affaire, à savoir le Pathé Rialto, s'élevait seulement à environ 10 à 12 % en 2009 et 2010. Il s'ensuit que, dans le cas d'espèce, le requérant avait généralement accès aux cinémas de sa région.
50.  En d'autres termes, la Cour estime que le refus d'accès au cinéma Pathé Rialto, pour voir le film souhaité (« Vinyan »), n'a pas empêché le requérante de mener sa vie de façon telle que le droit à son développement personnel et son droit d'établir et d'entretenir des rapports avec d'autres êtres humains  et le monde extérieur soient mis en cause, dans le sens de la jurisprudence précitée.
51.  La Cour rappelle également que les États jouissent d'une marge d'appréciation généralement étendue lorsqu'ils doivent ménager un équilibre entre des intérêts privés et des intérêts publics concurrents ou différents droits protégés par la Convention (S.H. et autres c. Autriche [GC], no 57813/00, § 94, CEDH 2011). En même temps, les tribunaux internes doivent motiver leurs décisions de manière suffisamment circonstanciée, afin notamment de permettre à la Cour d'assurer le contrôle européen qui lui est confié (voir, mutatis mutandis, X c. Lettonie [GC], no 27853/09, § 107, CEDH 2013, et El Ghatet c. Suisse, no 56971/10, § 47, 8 novembre 2016).
52.  S'agissant d'abord de la législation interne mise en place, la Cour observe que l'un des buts de la LHand est de créer des conditions propres à faciliter aux personnes handicapées la participation à la vie de la société, en les aidant notamment à être autonomes dans l'établissement de contacts sociaux (article premier, alinéa 2 ; paragraphe 12 ci-dessus). Par contre, il découle des travaux préparatoires de la LHand que le champ d'application de son article 6, portant sur les prestations des particuliers, est limité. Il ressort notamment de l'arrêt du Tribunal fédéral que cette disposition a pour but de prévenir des comportements ségrégationnistes graves qui tendent à exclure les personnes handicapées de certaines activités de peur que leur seule présence ne trouble la quiétude ou les habitudes sociales de la clientèle habituelle (arrêt du Tribunal fédéral, cons. 3.3.1 ; paragraphe 11 ci-dessus). Par ailleurs, cette interprétation restrictive est confirmée par la définition de discrimination découlant de l'article 2 de l'OHand selon laquelle constitue une discrimination toute différence de traitement « particulièrement marquée et gravement inégalitaire qui a pour intention ou pour conséquence de déprécier une personne handicapée ou de la marginaliser » (paragraphe 13 ci-dessus).
53.  Ensuite, quant à l'application de la loi au cas d'espèce, la Cour estime que le Tribunal fédéral a donné suffisamment de motifs expliquant pourquoi la situation subie par le requérant n'est pas assez grave pour tomber sous le coup de la notion de discrimination. Dès lors, elle ne voit aucun motif de se départir des conclusions des tribunaux suisses, en particulier du Tribunal fédéral qui, dans un arrêt circonscrit et se référant aux affaires pertinentes de la Cour, a conclu que la Convention n'oblige pas la Suisse à adopter, dans sa législation interne, une notion de la discrimination telle que demandée par le requérant.
54.  Il s'ensuit que le requérant ne peut se prévaloir de l'article 8 de la Convention. S'agissant de l'applicabilité de l'article 10 de la Convention, la Cour partage l'avis du Gouvernement selon lequel cette disposition ne présente pas, pour la présente affaire, une portée qui va au-delà de celle de l'article 8 de la Convention. En d'autres termes, la Cour estime que l'article 10 de la Convention, plus particulièrement le droit de recevoir de l'information, ne va pas jusqu'à permettre au requérant l'accès au cinéma où est projeté un film qu'il souhaite regarder.
55.  Il s'ensuit que ce grief est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention au sens de l'article 35 § 3 a) et doit être rejeté en application de l'article 35 § 4.
 


Disposizione

Par ces motifs, la Cour, à la majorité,
Déclare la requête irrecevable.
Fait en français puis communiqué par écrit le 18 juillet 2019.
    Fatoş Aracı    Greffière adjointe
    Georgios A. Serghides    Président

contenuto

decisione CorteEDU intera
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Fatti

Considerandi

Dispositivo

referenze

Articolo: art. 6 LHand, art. 8 CEDH, art. 14 CEDH, art. 8 et 10 CEDH seguito...