Intestazione
68995/13
Schweizerische Radio- und Fernsehgesellschaft et autres gegen Schweiz
Nichtzulassungsentscheid no. 68995/13, 12 novembre 2019
Regesto
Questo riassunto esiste solo in francese.
DÉCISION D'IRRECEVABILITÉ de la CourEDH:
SUISSE: Art. 10 CEDH. Emission sur le botox et liberté d'expression.
Les autorités internes ont constaté que l'émission télévisée consacrée au botox n'avait pas abordé la question des expérimentations animales et que la Société suisse de radiodiffusion et télévision (SSR) n'avait pas respecté son obligation, en tant que prestataire public, de présenter les événements de manière fidèle. Selon la Cour, il n'y a pas d'ingérence ni d'effet dissuasif sur l'exercice du droit à la liberté d'expression de la société. Aucune interdiction de diffuser l'émission litigieuse n'a été prononcée et il n'a pas été imposé à la SSR d'enlever celle-ci de son portail vidéo. La société a été informée qu'il lui suffisait de mentionner l'existence des décisions prononcées sur son site web et elle a eu le choix de décider comment faire apparaître cette information (ch. 66-82).
Conclusion: requête déclarée irrecevable
Sintesi dell'UFG
(4° rapporto trimestriale 2019)
Libertà di espressione (art. 10 CEDU); constatazione secondo cui una trasmissione sul botulino avrebbe dovuto parlare degli esperimenti condotti sugli animali.
La causa riguarda l'esito di un reclamo nei confronti di una trasmissione televisiva sul botulino. L'Autorità indipendente di ricorso in materia radiotelevisiva e il Tribunale federale hanno constatato che la trasmissione non aveva affrontato il tema degli esperimenti sugli animali necessari alla produzione di questa tossina disattendendo così il suo dovere, in qualità di servizio pubblico, di presentare i fatti in modo fedele. Appellandosi all'articolo 10 CEDU, la Società svizzera di radiotelevisione (SSR) e tre membri della redazione della trasmissione in oggetto (i ricorrenti) criticano l'effetto deterrente esercitato dalla sentenza del Tribunale federale.
La Corte ha dichiarato irricevibile il ricorso dei tre membri della redazione della trasmissione per mancato esaurimento dei rimedi giuridici interni. Per quanto riguarda il ricorso della SSR, i giudici di Strasburgo hanno constatato che la ricorrente non ha dimostrato che il presunto effetto deterrente si sia concretamente verificato. Inoltre hanno rilevato che il procedimento non ha comportato alcuna conseguenza materiale o giuridica per la SSR. Hanno altresì constatato che quest'ultima ha continuato a omettere di citare, in altre trasmissioni sul botulino, gli esperimenti sugli animali senza che questo abbia avuto conseguenze giuridiche. Del resto sarebbe stato sufficiente segnalare sul sito web della ricorrente le decisioni delle istanze nazionali. La Corte ha quindi ritenuto che la decisione oggetto della presente causa non ha costituito un'«ingerenza» nel diritto alla libertà di espressione della ricorrente. Irricevibile (maggioranza).
Fatti
TROISIÈME SECTION
DÉCISION
Requête no 68995/13
SCHWEIZERISCHE RADIO- UND FERNSEHGESELLSCHAFT et autres
contre la Suisse
La Cour européenne des droits de l'homme (troisième section), siégeant le 12 novembre 2019 en une chambre composée de :
Paul Lemmens, président,
Georgios A. Serghides,
Helen Keller,
Dmitry Dedov,
María Elósegui,
Gilberto Felici,
Erik Wennerström, juges,
et de Stephen Phillips, greffier de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 25 octobre 2013,
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par les requérants,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
1. Les quatre requérants (les « requérants »), à savoir la Société suisse de radiodiffusion et télévision (la « SSR » ou « la requérante ») ainsi que Mme Alexa Broglé et M. Jürg Niggli, des ressortissants suisses, et M. Gerald Tippelmann, un ressortissant suisse et allemand (les « trois autres requérants ») ont été représentés par Me R. Mayr von Baldegg, avocat à Lucerne.
2. Le gouvernement suisse (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. A. Chablais, de l'Office fédéral de la justice.
3. Le gouvernement allemand, qui a reçu communication de la requête (article 36 § 1 de la Convention et article 44 § 1 a) du règlement de la Cour), n'a pas souhaité exercer son droit d'intervenir dans la procédure.
Les circonstances de l'espèce
4. Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
La genèse de l'affaire
5. La Société suisse de radiodiffusion et télévision est une association de droit privé à but non lucratif et première entreprise média de Suisse. Les trois autres requérants sont des membres de la rédaction de l'émission « Puls ».
6. En tant que magazine de santé hebdomadaire à contenu informatif et de conseil, « Puls » traite de questions d'actualité concernant la santé et la médecine humaine. Sur la page d'accueil, la rédaction définit son champ thématique de la façon suivante :
« Magazine de conseils offrant une mine d'informations utiles pour le téléspectateur. Pendant une demi-heure, les tendances, les nouveautés et les surprises en termes de diagnostic, de prévention et de thérapie sont décortiquées. Il s'agit essentiellement de savoir ce que l'on peut faire soi-même afin de préserver ou de retrouver sa santé et son bien-être. « Puls » fait passer les aspects humains et professionnels relevant du domaine de la santé et de la maladie avant les questions d'ordre économique et de politique de santé ».
7. L'émission litigieuse du 2 janvier 2012 fut introduite par la remarque de la modératrice selon laquelle l'émission était consacrée entièrement à un seul thème (Spezialbeitrag) comportant « de nombreux et intéressants aspects » sur la toxine botulique (le « botox »), une neurotoxine qui paralyse tous les muscles dès la plus petite dose, raison pour laquelle cette toxine est utilisée de façon ciblée en tant que médicament : « Nous vous proposons aujourd'hui un documentaire d'une demi-heure consacré à ces aspects. Et, bien évidemment, à la carrière de la toxine botulique, mieux connue sous le nom de botox, dans la correction des rides. Les Suissesses, qui sont particulièrement aisées, comptent parmi les plus nombreuses clientes au monde. »
8. Dans le documentaire, fut notamment abordé en lien avec cette substance :
- Deux femmes d'âges différents, qui recourent à des traitements au botox pour des motifs esthétiques, ont été montrées. Ce faisant, ont été mentionés les motifs d'un tel traitement, l'effet du botox, ses coûts et la croissance de ce domaine d'utilisation esthétique.
- Le reportage décrivit également la découverte du botulisme (du latin botulus ; « boudin ») - une maladie paralytique grave, mais très rare, notamment due à l'ingestion de la charcuterie avariée - dans les années 1820.
- Ensuite, un médecin esthétique des États-Unis témoigna de sa longue expérience et des désirs de sa clientèle.
- Le documentaire constata que le botox est devenu un commerce global, aussi en Suisse, où de plus en plus de cliniques esthétiques spécialisées ont vu le jour. Un co-fondateur d'une telle clinique mentionna que le traitement par botox est un traitement de « life style », voire de luxe, qu'un rendez-vous peut être pris dans le 24 heures au plus tard et que les personnes traitées ne sont pas des patients, mais des clients.
- Le documentaire constata l'augmentation fulgurante des traitements cosmétiques au botox et indiqua que pour les différents producteurs de ce poison, le tout est devenu un « commerce à plusieurs milliards ».
- L'émission comprenait également des informations sur les possibilités effectives d'utilisation médicale pour le traitement de différentes pathologies.
- Devant une image de fond montrant des rats, un scientifique italien expliqua qu'il procède à des expérimentations animales avec de la toxine botulique dans son laboratoire. L'émission litigeuse montrait comment il injectait du botox directement dans les muscles des moustaches des rats, suite de quoi ceux-ci ne pouvaient plus bouger les moustaches d'un côté. Suite à ces expérimentations animales, le scientifique a pu prouver que des traces du poison étaient également détectables dans des zones du cerveau de l'animal très éloignées de l'endroit de l'injection.
- Faisaient également parties du reportage, des considérations concernant l'innocuité du botox ainsi que la présentation d'une formation spécialisée à Paris pour des médecins pratiquant les interventions au botox afin de lisser les rides.
9. Dans l'émission litigeuse, il n'a pas été mentionné que le site internet contenait des informations relatives aux expériences animales nécessaires en lien avec la fabrication du botox. Ce n'est que dans le générique de l'émission qu'il a été renvoyé, de manière générale, au site internet de l'émission « Puls ».
La décision de l'Autorité indépendante d'examen des plaintes en matière de radio-télévision (« AIEP »)
10. Suite à l'émission, l'association Verein gegen Tierfabriken Schweiz (« VgT ») introduisit une plainte contre la SSR devant l'Autorité indépendante d'examen des plaintes en matière de radio-télévision (« AIEP »), alléguant une violation de l'obligation de présenter les événements de manière fidèle (Sachgerechtigkeitsgebot) découlant de la Loi fédérale sur la radio et la télévision (« LRTV » ; paragraphe 41 ci-dessous). Elle fit valoir que l'émission litigieuse prétendait aborder différents aspects du botox, mais avait toutefois omis de mentionner la problématique des cruelles expérimentations animales, particulièrement les tests DL-50 (paragraphe 21 ci-dessous), nécessaires à la fabrication de ce produit.
11. Dans sa décision du 30 août 2012, l'AIEP, autorité de surveillance fédérale, admit la plainte.
12. Se basant sur le devoir de présenter les évènements de manière fidèle, prévu au deuxième alinéa de l'article 4 LRTV, elle estima qu'il aurait été nécessaire, pour garantir la libre formation de l'opinion du public, de donner des informations sur les expérimentations animales nécessaires à la production de botox.
13. L'AIEP retint notamment que le magazine « Puls » se comprend comme un magazine de service et d'information. Si, dans une telle émission, toutes sortes d'aspects du botox et des traitements au botox sont largement traités, le recours aux tests DL-50 - à savoir des tests qui permettent de déterminer la dose de substance causant la mort de 50 % des êtres vivants dans l'expérimentation animale -, actuellement encore nécessaires pour la fabrication de ce produit, constitue une information pertinente pour permettre au public de se former une opinion. Cette information ne constituait pas un aspect secondaire, dans le cadre d'une émission spéciale de 33 minutes qui traite des « nombreux aspects » du botox. La problématique connue des tests DL-50 fait, au contraire, partie des facettes importantes de ce produit, qui devient économiquement de plus en plus important.
14. À l'avis de l'AIEP, le fait de cacher cet élément essentiel était de nature à influencer l'impression générale de l'émission, marquée par l'essor rapide et inarrêtable du botox en général et surtout dans le domaine esthétique. Cette omission a rendu impossible la libre formation de l'opinion du public.
15. Pour ces motifs, l'AIEP a conclu que l'émission spéciale « Puls » a violé le devoir de présenter les événements de manière fidèle.
16. En vertu du premier alinéa de l'article 89 de la RTVG (paragraphe 45 ci-dessous), elle demanda également à la SSR de lui soumettre, dans un délai de 60 jours après l'entrée en force de chose jugée de la décision, un rapport sur les mesures prises suite à la violation constatée.
17. Il n'a pas été perçu de frais de procédure.
L'arrêt du Tribunal fédéral
18. Saisi d'un recours en matière de droit public de la SSR du 14 décembre 2012, la IIe cour de droit public du Tribunal fédéral confirma la décision de l'AIEP, par l'arrêt 2C_1246/2012 du 12 avril 2013. Ce jugement, n'étant pas considéré par les juges fédéraux comme un arrêt de principe, ne fut pas publié dans le Recueil officiel des arrêts du Tribunal fédéral suisse (« ATF »).
19. Quant au devoir de présenter les événements de manière fidèle, l'arrêt du Tribunal fédéral, rédigé en langue allemande, rappela (traduction):
« 2.1 Selon le premier alinéa de l'article 17 Cst.féd., la liberté de la presse, de la radio et de la télévision, ainsi que des autres formes de diffusion de productions et d'informations ressortissant aux télécommunications publiques est garantie. Le but de cet ordre constitutionnel est d'avoir un système de médias le plus ouvert et le plus libéral possible (...). Dans ce cadre, les émissions rédactionnelles ayant un contenu informatif doivent présenter les événements de manière fidèle et permettre au public de se faire sa propre opinion ; en outre, les vues personnelles et les commentaires doivent être identifiables comme tels (article 4, alinéa 2 LTV ; ...). L'étendue de la diligence nécessaire lors de la préparation de l'émission dépend des circonstances, en particulier du caractère et des particularités de l'émission, ainsi que des connaissances préalables du public (...). Le devoir de présenter les événements de manière fidèle n'exige pas que tous les points de vue soient présentés qualitativement et quantitativement exactement de la même manière ; le point décisif est que le spectateur puisse reconnaître si et dans quelle mesure une déclaration est contestée et qu'il ne soit pas manipulé dans la formation de son opinion. Est considérée comme manipulation, une information non conforme qui est donnée en violation du devoir de diligence du journaliste exigé dans le cas particulier (...). L'article 6 LRTV, qui garantit l'autonomie dans la conception des programmes, vaut dans le cadre des principes généraux relatifs à l'information, respectivement des exigences minimales en ce qui concerne le contenu des programmes, de l'article 4 et suivants LRTV, respectivement de l'article 93, alinéa 2 Cst.féd. (...). Les programmes des concessionnaires doivent refléter équitablement, dans l'ensemble de leurs émissions rédactionnelles, la diversité des événements et des opinions (article 4, alinéa 4 LRTV). (...) »
20. Le Tribunal fédéral a ensuite retenu que dans le cadre d'une émission spéciale du magazine de santé « Puls » et de l'annonce correspondante, le téléspectateur pouvait, selon l'expérience générale de la vie, partir de l'idée qu'après avoir vu l'émission, il avait été informé de tous les aspects essentiels, pour lui en tant que patient et consommateur, du thème « botox ».
21. Selon le Tribunal fédéral, le fait de passer sous silence la manière dont la sécurité du dosage de ce produit, également utilisé en cosmétique, est testé pour chaque lot de production (et non pas une seule fois ou de manière ponctuelle, comme pour d'autres médicaments), constituait la renonciation à un point essentiel pour permettre au public de se faire sa propre opinion en lien avec ce sujet. Le nombre de souris mourant de cette manière est estimé à plusieurs centaines de milliers. La question de la justification éthique des tests DL-50 constitue une problématique reconnue aux plans national et international et constitue ainsi une information pertinente en relation avec la toxine botulique. Une émission spéciale de 33 minutes sur le botox ne pouvait pas passer sous silence cette problématique, tout en mettant l'accent sur l'augmentation fulgurante des traitements cosmétiques au botox et en indiquant que, pour les différents producteurs de ce poison, ce marché est devenu un commerce à plusieurs milliards et un commerce qui a eu pour conséquence que de plus en plus de cliniques esthétiques spécialisées ont vu le jour. Le fait que l'émission litigieuse ait donné l'occasion au co-fondateur d'une telle clinique de mentionner qu'un rendez-vous peut être pris dans le 24 heures et que les personnes traitées ne sont pas des patients mais des clients, démontre que le sujet a été traité de manière plus large que ne le prétendait la SSR. Le Tribunal fédéral a constaté que l'appréciation des preuves de l'AIEP sur ce point n'était pas arbitraire, ce que les recourants ne prétendaient d'ailleurs pas.
22. Dans son jugement, le Tribunal fédéral a encore souligné que la pratique actuelle pour la production et l'admission de botox a pour conséquence que plus la toxine botulique est utilisée, plus les expérimentations animales sont nécessaires. L'information correspondante était de nature à influencer la position de « clients » potentiels en relation avec le botox et éventuellement à les amener à renoncer, au nom de la protection des animaux, à son utilisation pour des motifs esthétiques.
23. Le Tribunal fédéral est parti du principe qu'on pouvait, respectivement devait, attendre d'un magazine, qui met au centre de ses activités des fonctions de service et de conseils, que cet aspect ne soit pas passé sous silence dans une émission spéciale. Ce n'est qu'en mentionnant de manière adéquate les souffrances animales nécessairement liées à la production du botox, que le public aurait été en mesure de se forger une opinion complète et propre sur toutes les questions entourant son utilisation dans le domaine cosmétique.
24. La cour suprême a également souligné que la rédaction du magazine « Puls » était consciente de ce qui précède, vu qu'elle avait publié sur son site internet un article critique sur cette problématique, sans toutefois mentionner cet aspect dans l'émission même ou renvoyer à l'article en question.
25. Le Tribunal fédéral a finalement souligné que, selon le deuxième chiffre de l'article 6 de la LRTV (paragraphe 42 ci-dessous) :
« 2.2.5. (...) les diffuseurs conçoivent en effet librement leurs publications rédactionnelles et en choisissent notamment les thèmes, le contenu ainsi que la présentation et ils en sont responsables. Le choix des thèmes est toutefois - comme il a déjà été dit - seulement couvert par l'autonomie dans la conception des programmes, dans la mesure où les exigences légales minimales en ce qui concerne le contenu des programmes sont respectées. Si un sous-thème important pour la formation de l'opinion n'est pas traité en violation de l'obligation journalistique de rendre compte de manière complète des événements (« Vollständigkeitsgebot »), alors l'émission correspondante n'est plus conforme à la LRTV (article 4, alinéa 2 LRTV). Ce n'est que s'il s'agit d'un point accessoire que l'intérêt du diffuseur de droit public au bénéfice d'un mandat pour un programme au respect de sa liberté des médias et de son autonomie dans la conception des programmes, prévaut sur l'intérêt du public, respectivement de l'opinion publique à un compte-rendu couvrant tous les aspects importants du thème qu'il peut raisonnablement attendre. Une intervention de l'autorité de surveillance se justifie - également au vu de l'article 10 CEDH (...) - selon la jurisprudence, quand le téléspectateur (majeur) est « manipulé » en violation du devoir de diligence des journalistes ; qu'il ne peut plus, en se basant sur les informations fournies ou leur présentation, se faire une image propre, complète, sur le thème de l'émission, ce qui peut - comme il a été dit - également être le cas si des aspects essentiels ne sont pas communiqués, respectivement si le diffuseur fait valoir que ces aspects n'étaient pas objet de l'émission (...). »
26. Le Tribunal fédéral a finalement précisé que la contribution de l'émission « Kassensturz » de 2007, mentionnée par la SSR et traitant de la problématique des expérimentations animales liées à la production de botox, remontait à des années et ne s'adressait pas au même public que celui de l'émission litigieuse. Il a ajouté qu'il aurait été possible à la SSR de mentionner la problématique des tests DL-50 sans influer sur le sens de l'émission, respectivement sans en perdre le fil rouge, au contraire. Il a également retenu que le fait que le public soit informé sur internet d'un autre aspect (important) d'un thème traité dans une émission ne suffit pas à répondre aux exigences du devoir de présenter les événements de manière fidèle, d'autant plus lorsqu'il s'agit, comme en l'espèce, d'un renvoi, dans le générique de l'émission, général et écrit, au site internet de l'émission.
27. Basé sur ces considérants, le Tribunal fédéral a rejeté le recours de la SSR.
28. À l'instar de l'AIEP, il n'a pas perçu de frais de procédure.
Développements ultérieurs
29. Par la suite, l'AIEP, se référant au dispositif de sa décision du 30 août 2012, a demandé à la SSR de lui soumettre un rapport sur les mesures prises (paragraphe 45 ci-dessous).
30. Dans une autre contribution sur la transpiration excessive, diffusée dans l'émission de « Puls » du 10 juin 2013, la modératrice a affirmé, entre autres, que le seul problème d'un traitement au botox était son prix élevé, sans mentionner la problématique des expérimentations animales.
31. La SSR a répondu par lettre du 13 juin 2013, en précisant les mesures prises (traduction):
- l'émission litigieuse a été retirée du portail vidéo de la SSR (« SRF-Player ») ;
- la SSR a discuté de manière détaillée la décision lors de la séance de division, à laquelle tous les rédacteurs en chef prennent part ;
- la décision a été traitée dans la Newsletter de la rédaction en chef de la SSR ;
- le service juridique a envoyé un résumé de la décision à toutes les unités de la SSR; ce résumé est également accessible en français.
32. Par courrier du 15 juillet 2013, l'AIEP a informé la SSR que l'examen de ces mesures a conduit aux constatations suivantes :
« - Est positive, l'information de la rédaction, ainsi que la discussion de la décision lors d'une séance de division.
- Le retrait de l'émission du portail vidéo constitue également une mesure importante et effective. Comme elle l'a plusieurs fois mentionné, le retrait de l'émission des archives électroniques n'aurait toutefois pas été absolument nécessaire. Une mention de la décision de l'AIEP, respectivement de l'arrêt du Tribunal fédéral, aurait été suffisante.
- Constitue une disposition moins adéquate le texte dans la Newsletter 5/2013 de la rédaction en chef de la SRF qui discute de manière critique l'arrêt du Tribunal fédéral. De plus, des éléments importants de l'arrêt du Tribunal fédéral, allant au-delà du cas d'espèce, n'ont pas été mentionnés dans le résumé. Ceci est le cas du passage de l'arrêt où le Tribunal fédéral parle pour la première fois de « sous-thèmes » importants pour la formation de l'opinion et du devoir du journaliste de rendre compte de manière complète (journalistischen Vollständigkeitsgebot). »
Dans ce même courrier, l'AIEP a mentionné une information de l'association VgT selon laquelle une autre émission « Puls », diffusée le 10 juin 2013 sur la transpiration excessive, serait problématique au regard de l'arrêt du Tribunal fédéral. Dans cette contribution, la modératrice avait affirmé, entre autres, que le seul problème d'un traitement au botox est son prix élevé, sans mentionner la problématique des expérimentations animales.
33. Dans le même courrier, l'AIEP a conclu que les mesures prises n'étaient, dans leur ensemble, que partiellement suffisantes. Elle a retenu qu'afin d'éviter des violations semblables dans le futur, les mesures prises devaient être complétées à la lumière de ses remarques, en particulier dans le cadre de la formation en droit des médias pour les collaborateurs. Elle a toutefois renoncé à une demande au Département au sens de l'article 89 LTVG (paragraphe 46 ci-dessous) et a clos la procédure.
34. Dans une contribution d'une trentaine de minutes intitulée « Ce botox qui nous veut du bien », diffusée le 21 octobre 2015, dans le magazine de santé de la SSR « 36.9o », il ne fut pas mention des expérimentations animales nécessaires à la fabrication du produit.
Le droit et la pratique internes pertinents
Le droit interne
Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (« Cst.féd. » ; Recueil systématique de la législation fédérale suisse - « RS » - 101)
35. La Constitution fédérale garantit dans son article 17 la liberté de la presse, de la radio et de la télévision ainsi que des autres formes de diffusion de productions et d'informations ressortissant aux télécommunications publiques (premier alinéa) ; la censure est interdite (deuxième alinéa) et le secret de rédaction est garanti (troisième alinéa).
36. Le premier alinéa de l'article 93 Cst.féd. prévoit que la législation sur la radio et la télévision ainsi que sur les autres formes de diffusion de productions et d'informations ressortissant aux télécommunications publiques relève de la compétence de la Confédération.
37. Le deuxième alinéa de l'article 93 Cst.féd. est libellé comme suit :
« La radio et la télévision contribuent à la formation et au développement culturel, à la libre formation de l'opinion et au divertissement. Elles prennent en considération les particularités du pays et les besoins des cantons. Elles présentent les événements de manière fidèle et reflètent équitablement la diversité des opinions. »
38. En vertu du troisième alinéa de l'article 93 Cst.féd., l'indépendance de la radio et de la télévision ainsi que l'autonomie dans la conception des programmes sont garanties.
39. Finalement, le cinquième alinéa de l'article 93 Cst.féd. stipule que les plaintes relatives aux programmes peuvent être soumises à une autorité indépendante.
Loi fédérale sur la radio et la télévision du 24 mars 2006 (« LRTV » ; RS 784.40)
40. En Suisse, la SSR est le principal prestataire de service public de radio et télévision. Quoiqu'une association organisée selon le droit privé, elle dispose toutefois, de par la loi, d'une concession de service public, à savoir un service d'utilité publique, sans but lucratif (article 23 LRTV). En tant que diffuseur de droit public, la SSR assume le mandat d'assurer l'information de toute la population et, en contrepartie, d'obtenir la garantie d'un financement de ses activités, tandis que les diffuseurs privés doivent s'affirmer eux-mêmes dans la concurrence, mais disposent par contre d'une plus grande liberté en ce qui concerne leurs programmes que les diffuseurs inclus dans le service public. Ces derniers sont obligés, du fait du financement par les émoluments, de concrétiser la diversité des différentes opinions en présentant une information complète, diversifiée et fidèle, en particulier sur les réalités politiques, économiques et sociales (cf. lettre (a) du quatrième alinéa de l'article 24 LRTV).
41. L'article 4 de la LRTV énonce, en son alinéa 2, l'obligation de présenter les évènements de manière fidèle (Sachgerechtigkeitsgebot). Les alinéas 1, 3 et 4 traitent, quant à eux, des autres exigences minimales relatives au contenu des programmes :
« Article 4 - Exigences minimales quant au contenu des programmes
1 Toute émission doit respecter les droits fondamentaux. Elle doit en particulier respecter la dignité humaine, ne pas être discriminatoire, ne pas contribuer à la haine raciale, ne pas porter atteinte à la moralité publique et ne pas faire l'apologie de la violence ni la banaliser.
2 Les émissions rédactionnelles ayant un contenu informatif doivent présenter les événements de manière fidèle et permettre au public de se faire sa propre opinion. Les vues personnelles et les commentaires doivent être identifiables comme tels.
3 Les émissions ne doivent pas nuire à la sûreté intérieure ou extérieure de la Confédération ou des cantons ni à leur ordre constitutionnel, ni violer les obligations contractées par la Suisse en vertu du droit international.
4 Les programmes des concessionnaires doivent refléter équitablement, dans l'ensemble de leurs émissions rédactionnelles, la diversité des événements et des opinions. Si une zone de desserte est couverte par un nombre suffisant de diffuseurs, l'autorité concédant peut exempter un ou plusieurs concessionnaires de l'obligation de diversité. »
42. La SSR contribue à la libre formation de l'opinion en présentant une information complète, diversifiée et fidèle, en particulier sur les réalités politiques, économiques et sociales. Son autonomie est garantie par la LRTV comme suit :
« Art. 6 - Autonomie
1 Les diffuseurs ne sont soumis à aucune directive des autorités fédérales, cantonales ou communales si le droit fédéral n'en dispose pas autrement.
2 Ils conçoivent librement leurs publications rédactionnelles et la publicité et en choisissent notamment les thèmes, le contenu ainsi que la présentation ; ils en sont responsables.
3 Nul ne peut exiger d'un diffuseur la diffusion de productions ou d'informations déterminées. »
Sur l'Autorité indépendante d'examen des plaintes en matière de radio-télévision (y compris la voie de recours au Tribunal fédéral)
43. Depuis 1984, l'AIEP est compétente pour le traitement des plaintes concernant le contenu des publications rédactionnelles et le refus d'accorder l'accès au programme ou aux autres services journalistiques de la SSR. Sa compétence est basée sur la Constitution fédérale et la LRTV (paragraphe 39 ci-dessus). L'AIEP est une commission extra-parlementaire de la Confédération. Elle statue en tant qu'organe quasi-judiciaire.
44. Dans sa décision, l'AIEP établit si les publications rédactionnelles contestées enfreignent les dispositions relatives au contenu ou le droit international applicable (lettre (a) du deuxième alinéa de l'article 97 LRTV).
45. Si l'autorité de plainte constate une violation, elle peut prendre les mesures prévues à l'article 89 LRTV. Le premier alinéa de cette disposition prévoit dans sa lettre (a) que l'AIEP peut exiger de la personne morale ou physique responsable de la violation (1.) qu'elle remédie au manquement constaté et qu'elle prenne les mesures propres à prévenir toute nouvelle violation, (2.) qu'elle informe l'autorité des dispositions qu'elle a prises, (3.) qu'elle cède à la Confédération l'avantage financier illicite obtenu du fait de la violation. Le diffuseur doit informer l'autorité des dispositions prises. L'AIEP ne peut toutefois ni exiger la diffusion d'une émission avec un contenu déterminé, ni une rectification, ni des excuses publiques. Lors de l'examen des mesures prises, elle doit tenir compte de l'autonomie des programmes prévue au troisième alinéa de l'article 93 Cst.féd. et 6 LRTV.
46. L'AIEP n'a donc qu'un pouvoir de constatation et n'est pas habilitée à prononcer des sanctions de quelque nature que ce soit. Par contre, selon la lettre (b) de l'article 89 LRTV, l'AIEP peut proposer au Département fédéral de l'environnement, des transports, de l'énergie et de la communication (« DETEC ») de restreindre, suspendre ou retirer la concession ou encore l'assortir de charges. Le DETEC peut, sur demande de l'autorité de plainte, interdire la diffusion du programme ou attacher certaines charges à l'activité du diffuseur (deuxième alinéa de l'article 89 LRTV).
47. L'AIEP ne peut pas non plus prononcer de sanction administrative pour une éventuelle violation de l'obligation de présenter les événements de manière fidèle du deuxième alinéa de l'article 4 LRTV (cf. article 90 LRTV).
48. Les décisions de l'AIEP peuvent faire l'objet d'un recours de droit public au Tribunal fédéral (troisième alinéa de l'article 99 LRTV).
49. Conformément au premier alinéa de l'article 89 de la Loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (« LTF » ; RS 173.110), a qualité pour former un recours en matière de droit public quiconque : (a.) a pris part à la procédure devant l'autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire ; (b.) est particulièrement atteint par la décision ou l'acte normatif attaqué ; et (c.) a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification.
La pratique interne pertinente
50. Le Tribunal fédéral s'est prononcé sur la question de la compatibilité de la surveillance des programmes par l'AIEP avec les conditions de l'article 10 de la Convention dans un arrêt de principe (ATF 122 II 471 ; traduction) :
« 4b. L'article 10 CEDH ne permet pas d'arriver à une autre conclusion, dans la mesure où la recourante peut l'invoquer, en tant que concessionnaire. La « liberté de recevoir et de communiquer des informations ou des idées sans ingérence des autorités publiques » prévue par cette disposition comprend en effet également la liberté de la radio et de la télévision [...], celle-ci n'est toutefois pas sans limites. La recourante remplit des tâches d'intérêt public et remplit un service public ([...] développement culturel, information présentée de manière fidèle, mise à disposition équilibrée des programmes de radio et de télévision à l'ensemble de la population, intégration institutionnelle etc. [...]). Elle dispose pour ce faire, de par la loi, d'une concession pour la diffusion de programmes nationaux et pour les différentes régions linguistiques. D'autres diffuseurs ne peuvent obtenir une concession pour la diffusion de programmes à l'échelon national ou à celui de la région linguistique que si « la diffusion ne compromet pas gravement l'accomplissement par la SSR ainsi que par les diffuseurs locaux et régionaux de la mission que leur assigne la concession » (...). La recourante obtient finalement également la grande partie des redevances de réception (...). C'est pourquoi elle peut, de même que les autres diffuseurs suisses, - au regard de l'article 10, chiffre 1, 3ème phrase CEDH - être tenue dans le cadre de la surveillance concessionnaire, d'informer le public objectivement et de manière équilibrée [...]. La procédure de surveillance des programmes sert à la libre formation de la volonté du public, laquelle ne peut être assurée au seul moyen d'un pur système de concurrence du fait des intérêts économiques qui sont alors en premier plan [...]. Les limitations de la liberté d'information du prestataire liées à cela servent à la réalisation de l'aspect institutionnel de la liberté correspondante du public [...]. La réalisation d'une information pluraliste au sens de l'article 10 CEDH [...] peut, aux conditions de l'article 10 chiffre 2 CEDH, justifier une intervention étatique ou justement l'exiger, même si des intérêts couverts par la liberté d'information de certains seraient limités [...]. La surveillance des programmes par l'autorité indépendante d'examen des plaintes est ainsi compatible avec l'article 10 CEDH [...] ».
51. Dans l'arrêt 2C_383/2016 du 20 octobre 2016, la IIe cour de droit public du Tribunal fédéral a statué (traduction) :
« 2.5 (...) La procédure devant l'AIEP n'est pas une surveillance technique (« Fachaufsicht ») ; l'autonomie des programmes pose des limites à l'examen d'une contribution par l'AIEP ; seules des violations claires du devoir de diligence du journaliste, qui sont propres à limiter la formation de l'opinion du public, respectivement à tromper ce dernier, justifient, sur plainte, une intervention de l'autorité de surveillance des programmes. D'autres imperfections mineures relèvent de la responsabilité rédactionnelle du diffuseur et sont couvertes par son autonomie des programmes (...). »
Documents pertinents du Conseil de l'Europe
52. Les normes relatives au service public de radiodiffusion, convenues entre les États contractants par l'intermédiaire du Comité des Ministres du Conseil de l'Europe, sont résumées dans l'affaire Manole et autres c. Moldova, no 13936/02, § 51-54, CEDH 2009 (extraits).
53. En outre, dans sa Recommandation CM/Rec(2011)7 sur une nouvelle conception des médias, adoptée le 21 septembre 2011, le Comité des Ministres décrit comme suit les attentes du public :
« 52. Les attentes du public varient selon la finalité et la nature du média : elles seront plus fortes vis-à-vis d'un média de service public que d'un autre média, par exemple. (...) »
54. Dans sa Recommandation CM/Rec(2012) sur la gouvernance des médias de service public, adoptée le 15 février 2012, le Comité des Ministres a rappelé et précisé ces exigences à l'égard des médias de service public. Cette Recommandation prévoit au chiffre 48 que « ce rôle comporte de lourdes responsabilités et les médias de service public devraient s'assurer d'agir selon les normes éditoriales et journalistiques les plus strictes » (voir également la Déclaration sur la gouvernance des médias de service public, adoptée le 15 février 2012 par le Comité des Ministres). Au chiffre 49, elle prévoit que :
« (...) les médias de service public devraient promouvoir activement une culture de journalisme responsable et sans concession, axée sur la recherche de la vérité. Ce devrait être une culture caractérisée par la rigueur des enquêtes et des débats, par le traitement équitable des points de vue divergents où la soif de défis internes favorise une remise en question permanente » et que « les médias de service public devraient procéder à la mise en place de mécanismes clairs de contrôle éditorial interne et de traitement des plaintes et leur donner une grande publicité, en veillant à énoncer clairement les devoirs et les responsabilités du rédacteur en chef ; ces codes ne devraient pas se limiter au comportement journalistique mais devraient aborder également les questions plus larges de normes éditoriales et de déontologie ».
55. La Recommandation CM/Rec(2007)3 sur la mission des médias de service public dans la société de l'information, adoptée le 31 janvier 2007 prévoit que :
« [l]es Etats membres devraient veiller à ce que, dans la profusion des médias numériques, les médias de service public représentent un espace de crédibilité et de fiabilité, remplissant leur rôle de source impartiale et indépendante d'informations, d'opinions et de commentaires, et offrant un large éventail de programmes et de services respectueux de normes éthiques et de qualité élevées » (ch. 12).
56. La Recommandation CM/Rec(2007)2 sur le pluralisme des médias et la diversité du contenu des médias, adoptée le 31 janvier 2007, rappelle quant à elle que :
« [c]onsidérant que les exigences qui résultent de l'article 10 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales seront pleinement satisfaites si chaque individu se voit offrir la possibilité de se former ses propres opinions à partir de sources d'information variées ».
GRIEF
57. Selon les requérants, la simple constatation des autorités internes selon laquelle ils avaient violé leur obligation de présenter les événements de manière fidèle aurait déjà un effet dissuasif (« chilling effect ») et constituerait une violation de leur liberté d'expression en vertu de l'article 10 de la Convention.
Considerandi
EN DROIT
Quant à la requête des trois particuliers
58. À l'égard des trois membres de la rédaction de l'émission « Puls », le Gouvernement soulève, au moins en substance, l'exception d'irrecevabilité tirée du non-épuisement des voies de recours internes. Les trois requérants rétorquent que la seule raison pour laquelle ils n'ont pas été partis à la procédure devant les tribunaux nationaux est que la procédure engagée devant l'AIEP est uniquement une procédure de surveillance, à laquelle seul le diffuseur, à savoir la SSR, peut être partie.
59. La Cour estime qu'il n'est pas nécessaire qu'elle se prononce sur les autres exceptions préliminaires du Gouvernement tirées de l'absence de qualité de victime et d'un préjudice important des trois autres requérants, leur requête étant de toute manière irrecevable pour les raisons exposées ci-après.
60. La Cour rappelle qu'elle entend jouer un rôle subsidiaire par rapport aux systèmes nationaux de protection des droits de l'homme. Ainsi, aux termes de l'article 35 § 1 de la Convention, la Cour ne peut être saisie qu'après l'épuisement des voies de recours internes (voir, notamment, Selmouni c. France [GC], no 25803/94, § 76, CEDH 1999-V ; Vučković et autres c. Serbie (exceptions préliminaires) [GC], no 17153/11 et suivants, § 74, 25 mars 2014, et Molla Sali c. Grèce [GC], no 20452/14, § 89, 19 décembre 2018).
61. En l'espèce, la Cour note que seule la SSR en tant que concessionnaire et diffuseur de l'émission était partie à la procédure devant l'AIEP et que la décision de cette instance était dirigée exclusivement contre cette dernière. Elle observe également que les trois requérant soutiennent, à juste titre, que la qualité de partie n'appartient pas aux journalistes dans le cadre de la surveillance des programmes par l'AIEP, celle-ci visant exclusivement les diffuseurs au bénéfice d'une concession.
62. En outre, la Cour observe que les trois requérants ne se sont pas constitués parties à la procédure devant le Tribunal fédéral.
63. À cet égard, la Cour note que dans une affaire similaire, elle avait déclaré recevable la requête d'un journaliste de la SSR, qui avait participé à la procédure devant le Tribunal fédéral, notamment dû au fait que l'admission des plaintes de l'AIEP destinées à l'employeur du requérant, à savoir la SSR, mais visant une émission dont le requérant était l'auteur, pourrait avoir des répercussions importantes sur la sécurité de son emploi de journaliste (Monnat c. Suisse, no 73604/01, § 33 in fine, CEDH 2006-X).
64. En l'espèce, les trois requérants, employés de la SSR et auteurs de l'émission litigieuse, n'expliquent nullement dans leurs observations pourquoi ils n'ont pas recouru devant le Tribunal fédéral. À juste titre, ils ne font pas valoir que cette voie de recours eût été illusoire ainsi que, avant de saisir la Cour, leur recours en matière de droit public n'aurait constitué qu'une pure formalité devant la cour suprême en tant que simple instance intermédiaire (reine Durchlaufinstanz).
65. Il s'ensuit que la requête de ces trois requérants doit être rejetée, en application de l'article 35 §§ 1 et 4 de la Convention, pour non-épuisement des voies de recours internes.
Quant à la requête de la SSR
66. La requérante soutient que de l'arrêt du Tribunal fédéral aurait un effet dissuasif dans la mesure où il lui cause une grande insécurité juridique quant aux questions de savoir quelles informations devront, à l'avenir, nécessairement figurer ou non dans une contribution thématique. Elle allègue une violation de l'article 10 de la Convention, ainsi libellée :
« 1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n'empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations.
2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire. »
67. Le Gouvernent s'oppose à cette thèse. Il soutient principalement que la requérante n'a pas la qualité de victime eu égard au fait qu'il n'y a pas eu ingérence dans la liberté d'expression de la SSR.
68. Selon la jurisprudence de la Cour, de la même manière que la question de la qualité de victime, la question de l'existence d'une ingérence dans le droit à la liberté d'expression est intimement liée à celle d'un effet dissuasif sur l'exercice de ce droit (Metis Yayıncılık Limited Şirketi et Sökmen c. Turquie, no 4751/07, §§ 35-36, 13 juillet 2017).
69. La Cour rappelle que la notion d'ingérence est très large et doit s'entendre à toute forme d'immixtion à la liberté d'expression de la part des autorités étatiques. Les ingérences à la liberté d'expression peuvent prendre la forme d'une large variété de mesures qui se manifestent généralement dans le cadre d'une « formalité, condition, restriction ou sanction » (article 10 § 2 de la Convention).
70. La Cour procède à un examen au cas par cas des situations qui peuvent avoir un impact limitatif dans la jouissance de la liberté d'expression. Pour répondre s'il y a eu ingérence il est nécessaire de préciser la portée de la mesure litigieuse en la replaçant dans le contexte des faits de la cause et de la législation pertinente (voir déjà Leander c. Suède, 26 mars 1987, § 72, série A no 116).
71. D'après la jurisprudence de la Cour peut notamment être considérée comme une forme d'ingérence dans l'article 10 de la Convention :
- une interdiction de publier (Cumhuriyet Vakfı et autres c. Turquie, no 28255/07, § 46, 8 octobre 2013) ;
- la confiscation d'une publication (Handyside c. Royaume-Uni, 7 décembre 1976, § 43, série A no 24) ;
- le refus d'autoriser à filmer dans un centre pénitentiaire et à interviewer l'une des détenues (Schweizerische Radio- und Fernsehgesellschaft SRG c. Suisse, no 34124/06, § 41, 21 juin 2012) ;
- le refus d'octroyer une fréquence de diffusion (Autronic AG c. Suisse, 22 mai 1990, §§ 47-48, série A no 178) ;
- l'interdiction d'une publicité (Barthold c. Allemagne, 25 mars 1985, § 43, série A no 90) ;
- une condamnation pénale (Lindon, Otchakovsky-Laurens et July c. France [GC], nos 21279/02 et 36448/02, § 59, CEDH 2007-IV) assortie d'une amende (Kasabova c. Bulgarie, no 22385/03, § 50, 19 avril 2011) ou d'un emprisonnement (Cumpănă et Mazăre c. Roumanie [GC], no 33348/96, § 84, CEDH 2004-XI) ;
- l'arrestation et détention de protestataires (Steel et autres c. Royaume-Uni, 23 septembre 1998, § 92, Recueil des arrêts et décisions 1998-VII ; Açık et autres c. Turquie, no 31451/03, § 40, 13 janvier 2009) ;
- une condamnation même en cas de sursis à l'exécution (Otegi Mondragon c. Espagne, no 2034/07, § 60, CEDH 2011) ;
- une condamnation à payer des dommages-intérêts (Tolstoy Miloslavsky c. Royaume-Uni, 13 juillet 1995, § 51, série A no 316-B), même de nature symbolique (Paturel c. France, no 54968/00, § 49, 22 décembre 2005) ;
- le simple fait d'avoir fait l'objet d'une poursuite, ou le risque réel d'être poursuivi, en vertu d'une loi rédigée et interprétée par les juridictions nationales de manière vague (Altuğ Taner Akçam c. Turquie, no 27520/07, §§ 70-75, 25 octobre 2011) ;
- une annonce par le chef de l'État concernant son intention de ne plus nommer un magistrat du fait que celui-ci a exprimé une opinion qui serait contraire à celle du chef de l'État (Wille c. Liechtenstein [GC], no 28396/95, § 50, CEDH 1999-VII) ;
- une sanction disciplinaire infligée à un médecin pour violation des règles déontologiques, en raison des critiques qu'il a formulées concernant un traitement médical administré à un patient (Frankowicz c. Pologne, no 53025/99, § 44, 16 décembre 2008) ;
- la condamnation d'un avocat pour diffamation simple en raison de ses critiques envers le procureur lors d'un procès, même si cette condamnation avait été finalement infirmée par la Cour suprême et l'amende infligée annulée (Nikula c. Finlande, no 31611/96, § 54, CEDH 2002-II) ;
- une injonction de divulgation des sources journalistiques (Goodwin c. Royaume-Uni, 27 mars 1996, § 28, Recueil des arrêts et décisions 1996-II) même lorsque l'injonction n'a pas été exécutée (Financial Times Ltd et autres c. Royaume-Uni, no 821/03, § 56, 15 décembre 2009) ou lorsque la source s'est volontairement dénoncée et que le journaliste est contraint de témoigner contre elle (Becker c. Norvège, no 21272/12, § 59, 5 octobre 2017).
72. En l'espèce, la Cour observe que la requérante se contente seulement d'alléguer que les décisions internes comportent un effet dissuasif, à savoir de lourdes conséquences sur la conception des programmes et une grande insécurité juridique. Or, elle ne démontre pas dans sa requête ou ses observations que lesdites hypothèses se soient produites dans une situation concrète. À cet égard, la Cour rappelle que des « risques purement hypothétiques » pour le requérant de subir un effet dissuasif ne suffisent pas pour constituer une ingérence au sens de l'article 10 de la Convention (voir, a contrario, Dilipak c. Turquie, no 29680/05, § 50, 15 septembre 2015).
73. La Cour note d'emblée que, contrairement à l'affaire Monnat, précitée, une interdiction de diffuser l'émission litigieuse n'a pas été prononcée par les autorités suisses.
74. Elle observe que la voie de recours devant l'AIEP est une actio popularis destinée à permettre au public de s'exprimer sur le contenu des publications rédactionnelles de la requérante (paragraphe 43 ci-dessus). De même, elle note que la présente affaire concerne uniquement les décisions de l'AIEP et du Tribunal fédéral constatant que la requérante avait omis de mentionner, dans l'émission litigieuse, un aspect important de la thématique présentée pour permettre au public de se former une opinion libre. La Cour fait également remarquer que l'aspect en question était mentionné sur le site web de la requérante - démontrant qu'elle était consciente de la problématique - et qu'il aurait suffi, pour les autorités nationales, d'un renvoi explicite durant l'émission.
75. De même, la Cour relève qu'il n'a jamais été imposé à la requérante d'enlever l'émission litigieuse du portail vidéo, ce qu'elle ne conteste d'ailleurs pas. L'AEIP a même informé la requérante que le retrait de l'émission auquel cette dernière avait procédé ne constituait pas une mesure nécessaire.
76. La Cour constate également que la requérante, en tant que concessionnaire et prestataire d'un service public, était seulement tenue, de par la loi (paragraphe 45 ci-dessus), d'informer l'AEIP des dispositions prises afin d'éviter des violations semblables dans le futur. Quoique l'AEIP ait considéré que ces mesures n'étaient que partiellement suffisantes, la procédure fut close et n'a engendré aucune conséquence factuelle ou juridique pour la requérante.
77. Preuve en est notamment le comportement de la requérante suite aux décisions internes dont la Cour ne saurait non plus déduire que la requérante eut subi de lourdes conséquences ou une grande insécurité juridique. Au contraire, la Cour observe que la requérante a continué, dans des émissions ultérieures sur le botox, à ne pas mentionner les expérimentations animales, sans que cela eût de conséquences juridiques. Comme l'indique le Gouvernement, à juste titre, dans ses observations, il a été mentionné, dans une émission dédiée à la transpiration excessive, que l'unique problème du traitement au botox était son prix (paragraphe 30 ci-dessus). Certes, cette émission a été diffusée peu après le prononcé de l'arrêt du Tribunal fédéral du 12 avril 2013 ainsi que la sollicitation de l'AEIP d'être informée des mesures prises suite aux décisions en cause. Toutefois, le 21 octobre 2015, à savoir plus de deux ans après les déterminations de l'AEIP du 15 juillet 2013 sur les mesures prises par la requérante (paragraphe 32 ci-dessus), la requérante a également produit et diffusé l'émission intitulée « Ce botox qui nous veut du bien » dans laquelle les expérimentations animales nécessaires à la fabrication du produit n'ont pas été signalées (paragraphe 34 ci-dessus).
78. La requérante affirme également subir un préjudice du fait qu'elle ne pourrait plus utiliser le film ARTE acquis pour l'émission litigieuse. Toutefois, la Cour constate que les décisions nationales n'ont prononcé aucune interdiction quant à l'utilisation dudit film par la requérante.
79. La Cour ne saurait non plus déceler une « pénalisation » de la requérante du fait que l'AIEP a informé celle-ci qu'il aurait été suffisant de mentionner l'existence des décisions internes sur le site web (paragraphe 32 ci-dessus). Cette mesure visait l'intérêt public de la libre formation de l'opinion publique, à savoir d'offrir à chaque individu la possibilité de se former ses propres opinions. À cet égard, la Cour observe que l'AEIP n'a pas donné plus de précisions concernant la forme de ladite mention laissant à la requérante le libre choix de décider comment faire apparaître sur le portail vidéo l'existence des décisions internes.
80. Partant, contrairement à ce que soutient la requérante, la Cour n'est pas d'avis que les décisions nationales ont engendré un effet dissuasif.
81. Il s'ensuit que la décision litigieuse mise en cause dans la présente affaire n'a pas constitué une « ingérence » dans l'exercice par la requérante de son droit à la liberté d'expression. Par conséquent, les griefs tirés de l'article 10 de la Convention sont manifestement mal fondés.
82. Partant, la requête de la requérante doit être rejetée, en application de l'article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
Disposizione
Par ces motifs, la Cour, à la majorité,
Décide de déclarer la requête irrecevable.
Fait en français puis communiqué par écrit le 5 décembre 2019.
Stephen Phillips Paul Lemmens
Greffier Président