Chapeau
19338/18
Maddalozzo Giuliano c. Suisse
Décision d'irrecevabilité no. 19338/18, 03 décembre 2019
Regeste
DÉCISION D'IRRECEVABILITÉ de la CourEDH:
SUISSE: Art. 3 et 5 par. 1 CEDH . Maintien de l'internement d'un homme présentant des risques de récidive et un comportement dangereux.
La Cour estime d'une part que le requérant s'est vu offrir un suivi médical cohérent et adapté à sa situation et que sa détention s'est déroulée dans des établissements appropriés à la détention de personnes délinquantes et souffrant de troubles mentaux. D'autre part, elle constate que la possibilité de libération a été examinée à intervalles réguliers, d'office ou sur demande. Dès lors, l'internement en cause n'est pas incompressible. La Cour conclut que la décision de maintien de l'internement s'est fondée sur une évaluation raisonnable et suffisamment récente de la dangerosité du requérant (ch. 28-60).
Conclusion: requête déclarée irrecevable.
Synthèse de l'OFJ
(4ème rapport trimestriel 2019)
Interdiction des traitements inhumains et dégradants (art. 3 CEDH) ; droit à la liberté et à la sûreté (art. 5 CEDH) ; Maintien de l'internement d'un homme présentant des risques de récidive et un comportement dangereux.
L'affaire concerne une décision de maintien de l'internement d'un homme préalablement condamné à cinq années de réclusion.Invoquant l'article 5 § 1 CEDH, le requérant se plaint de l'absence de lien de causalité suffisant entre sa condamnation initiale et la décision ordonnant le maintien de l'internement. Il se plaint également du fait que le régime d'exécution de sa mesure dans des établissements pénitentiaires ne serait pas approprié. Invoquant l'article 3 CEDH, il se plaint d'être soumis à une peine privative de liberté sans perspective de libération, ainsi que d'un manque de suivi psychothérapeutique.La Cour a estimé d'une part que le requérant s'est vu offrir un suivi médical cohérent et adapté à sa situation et que sa détention s'est déroulée dans des établissements appropriés à la détention de personnes délinquantes souffrant de troubles mentaux. D'autre part, elle a constaté que la possibilité de libération a été examinée à intervalles réguliers, d'office ou sur demande. Dès lors, l'internement en cause n'est pas incompressible. Elle a conclu que la décision de maintien de l'internement du requérant s'est fondée sur une évaluation raisonnable et régulièrement à jour de la dangerosité de celui-ci. Irrecevable (unanimité).
Faits
TROISIÈME SECTION
DÉCISION
Requête no 19338/18
Giuliano MADDALOZZO
contre la Suisse
La Cour européenne des droits de l'homme (troisième section), siégeant le 3 décembre 2019 en un comité composé de :
Paulo Pinto de Albuquerque, président,
Helen Keller,
María Elósegui, juges,
et de Stephen Phillips, greffier de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 19 avril 2018,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
1. Le requérant, M. Giuliano Maddalozzo, est un ressortissant français né en 1954 et détenu aux Établissements d'exécution des peines de Bellevue, à Gorgier (canton de Neuchâtel). Il a été représenté devant la Cour par Me B. Viredaz, avocat exerçant à Lausanne.
Les circonstances de l'espèce
2. Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.
3. Par arrêt du 3 novembre 1998, la Cour d'assises de la République et Canton de Genève (« la Cour d'assises ») reconnut le requérant, qui avait auparavant été plusieurs fois condamné pour des infractions contre l'intégrité sexuelle, certaines commises dès l'adolescence, coupable de tentative de viol avec cruauté et rupture de ban. Elle condamna le requérant à une peine de cinq ans de réclusion, ordonna la suspension de ladite peine au profit d'un internement et ordonna un traitement psychiatrique. En tant que dernière instance nationale, le Tribunal fédéral confirma ce jugement en 1999.
4. Le 20 juin 2011, le requérant sollicita le réexamen de sa libération conditionnelle de l'internement.
5. Dans son rapport du 15 novembre 2012, le Dr S. diagnostiqua un trouble mixte de la personnalité à caractéristique paranoïaque, comprenant également des éléments narcissiques-pervers, et une composante psychopathique, ainsi qu'un trouble mental organique, dû à une lésion ou un dysfonctionnement cérébral, ou à une affection physique, sans précision, et une immaturité du développement psycho-sexuel. L'expert constata qu'il restait toujours sérieusement à craindre que le requérant ne commît de nouvelles infractions portant gravement atteinte à l'intégrité physique, psychique ou sexuelle d'autrui, et souligna qu'un internement, ne pouvant pas être remplacé par une mesure thérapeutique institutionnelle et, encore moins, par un traitement ambulatoire, demeurait nécessaire. Il ajouta que, au vu des échecs répétés des différentes prises en charge du requérant, les chances d'évolution s'amenuisaient de plus en plus et, qu'au fil du temps, les mesures de traitement visant à diminuer la dangerosité et/ou le risque de récidive du requérant avaient de plus en plus tendance à devenir « une vue de l'esprit ».
6. Par jugement du 22 avril 2013, le Tribunal d'application des peines et des mesures de la République et Canton de Genève (« le TAPEM ») rejeta la demande du requérant et confirma le maintien de la mesure.
7. Ce jugement fut confirmé aux niveaux cantonal et fédéral en 2013.
8. La Cour déclara la requête du requérant, datant du 16 juin 2014, irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes (Maddalozzo c. Suisse, no 45165/14, 31 mai 2016).
9. En février 2014, la direction des Établissements de la Plaine de l'Orbe (« EPO »), prison de haute sécurité, décida de renvoyer le requérant de l'établissement et de procéder à son transfert urgent vers la Prison de Champ-Dollon suite à une suspicion d'entrée d'arme à feu avec la perspective d'une évasion avec prise d'otage. À cette occasion, le Service pénitentiaire des EPO communiqua un rapport de comportement concernant le requérant à la direction de la Prison de Champ-Dollon.
10. Le 18 décembre 2014, le Service d'application des peines (« le SAPEM ») rendit un préavis dans lequel il se prononçait en faveur du maintien de l'internement.
11. En janvier 2015, le Ministère public genevois, dans sa requête en réexamen de l'internement adressée au TAPEM, conclut également au maintien de l'internement du requérant.
12. Dans son avis du 25 février 2015, la Commission d'évaluation de la dangerosité, au sein de laquelle siégeait également une psychiatre, constata que le requérant ne s'était pas présenté à l'audience du 26 mars 2014 conduite devant la commission, qu'aucun élément nouveau ne lui permettait de s'écarter des conclusions de l'expertise du 15 novembre 2012 et que le requérant représentait dès lors toujours un danger pour la collectivité.
13. En date du 5 mars 2015, le TAPEM ordonna le maintien de l'internement, prenant en compte le rapport d'expertise du 15 novembre 2012, le fait que la dangerosité du requérant ait été confirmée deux fois par la Commission d'évaluation de la dangerosité (le 26 mars 2014 et le 25 février 2015) et l'absence de nouveaux éléments de nature à remettre ces conclusions en cause. Il conclut également qu'une nouvelle expertise du requérant ne s'imposait pas et invita le SAPEM à faire le nécessaire pour que le requérant puisse reprendre un suivi thérapeutique en détention, soulignant la nécessité pour une personne internée de pouvoir bénéficier de soins psychiatriques adaptés.
14. Il ressort du rapport du Service de médecine et de psychiatrie pénitentiaires du 10 août 2015 que le requérant refusait systématiquement toute consultation psychiatrique, rendant un suivi médical impossible.
15. Le 30 septembre 2015, le requérant fut transféré aux Établissements d'exécution des peines de Bellevue, un établissement pénitentiaire de haute sécurité.
16. Selon le bilan de suivi psychologique volontaire du requérant établi par le Centre neuchâtelois de psychiatrie (« le CNP ») du 15 février 2016, le requérant bénéficia d'une prise en charge psychologique volontaire deux fois par mois à partir d'octobre 2015. Le requérant niait toujours certains délits et ne semblait pas être disposé à se positionner dans un processus de remise en question.
17. Dans un second rapport du 12 octobre 2016, le CNP indiqua que le requérant continuait à contester les charges retenues contre lui et ne faisait pas preuve d'une réelle demande thérapeutique. En conséquence, les entretiens avaient été réduits à une fréquence mensuelle.
18. Le 21 octobre 2016, la Direction de l'Établissement de Bellevue rendit un rapport dans lequel elle indiquait également que le requérant bénéficiait d'entretiens avec un psychologue une fois par mois, mais ne faisait preuve d'aucune évolution concernant sa perception du délit et sa position de déni. Bien qu'une nouvelle expertise psychiatrique soit inutile, une évaluation criminologique pourrait apporter de nouvelles considérations et pistes de prise en charge.
19. Le SAPEM, dans un préavis du 28 octobre 2016, se prononça en faveur du maintien de l'internement au vu de l'absence d'évolution du requérant. Le Ministère public genevois exprima un avis similaire.
20. Lors de l'audience du 8 décembre 2016 devant le TAPEM, le requérant indiqua qu'il avait décidé d'arrêter tout traitement thérapeutique, d'un commun accord avec le thérapeute, une quinzaine de jours avant l'audience. Il persistait à nier les actes pour lesquels il avait été condamné, ainsi que l'existence de ses troubles psychiatriques.
21. Le même jour, le TAPEM ordonna le maintien de l'internement du requérant, se basant sur le rapport d'expertise du 15 novembre 2012 ainsi que sur les prises de position figurant au dossier, aucun événement de nature à remettre fondamentalement en cause ces éléments n'étant intervenu depuis lors.
22. Par jugement du 24 février 2017, la Cour de justice rejeta le recours, soulignant que le maintien de l'internement se justifiait par la persistance du danger pour la sécurité publique et que les conditions de détention du requérant étaient de plus examinées régulièrement.
23. Par jugement du 19 octobre 2017, le Tribunal fédéral rejeta le recours, constatant que le lien de causalité entre la condamnation initiale du requérant et la prolongation de sa détention n'était pas rompu eu égard au risque inchangé de récidive et/ou de dangerosité, et que la détention du requérant ne constituait pas un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 de la Convention.
Le droit interne pertinent
24. Les dispositions pertinentes ont déjà été résumées dans l'affaire précédente concernant le requérant (Maddalozzo, précité, §§ 12-14).
25. Selon l'article 76, al. 2 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (« CP » ; Recueil systématique de la législation fédérale suisse 311.1), « [l]e détenu est placé dans un établissement fermé ou dans la section fermée d'un établissement ouvert s'il y a lieu de craindre qu'il ne s'enfuie ou ne commette de nouvelles infractions. »
GRIEFS
26. Invoquant l'article 5 § 1 de la Convention, le requérant se plaint en premier lieu de l'absence de lien de causalité suffisant entre sa condamnation initiale et la décision ordonnant le maintien de l'internement, prononcée par le TAPEM le 8 décembre 2016. En outre, le régime d'exécution de sa peine dans des établissements pénitentiaires ne serait pas approprié.
27. En deuxième lieu, le requérant allègue une violation de l'article 3 de la Convention eu égard au fait qu'il se trouve soumis à une peine privative de liberté sans perspective de libération. Le requérant se plaint également du manque de suivi psychothérapeutique.
Considérants
EN DROIT
Quant aux griefs tirés de l'article 5 § 1 de la Convention
Sur le maintien de l'internement (« lien de causalité »)
28. Le requérant soutient que sa dangerosité actuelle, son risque de récidive et la gravité de l'infraction commise ne justifient pas le maintien de son internement. Selon lui, le lien de causalité entre la condamnation initiale et la décision de ne pas libérer, se basant sur l'expertise du 15 novembre 2012, serait rompu.
29. La Cour rappelle que selon sa jurisprudence concernant l'alinéa a) de l'article 5 § 1 de la Convention, il est nécessaire qu'un lien de causalité suffisant existe entre la condamnation initiale et la décision de ne pas libérer ou de réincarcérer ; dans le cas contraire, un internement régulier à l'origine se muerait en une privation de liberté arbitraire et serait dès lors incompatible avec l'article 5 (Kadusic c. Suisse, no 43977/13, 9 janvier 2018, §§ 39 et 40 ; M. c. Allemagne, no 19359/04, 17 décembre 2009, § 88 ; Eriksen c. Norvège, no 17391/90, 27 mai 1997, § 78, et Weeks c. Royaume-Uni, no 9787/82, 2 mars 1987, § 49).
30. Cependant, la Cour observe que la présente affaire se distingue de l'affaire Kadusic en ce que l'internement du requérant a été ordonné, non pas plusieurs années après la condamnation initiale, mais dès le prononcé du jugement de la Cour d'assises du 3 novembre 1998 l'ayant reconnu coupable de tentative de viol avec cruauté et rupture de ban.
31. En l'espèce, les tribunaux nationaux ont prolongé la détention du requérant pour l'empêcher de commettre d'autres infractions contre l'intégrité sexuelle similaires à celles dont il avait été reconnu coupable par le passé, le risque de récidive et la dangerosité du requérant n'ayant pas diminué. À la lumière de la jurisprudence de la Cour, cette décision peut être jugée conforme aux objectifs de la décision initiale d'interner le requérant prononcée par la Cour d'assises (H.W. c. Allemagne, no 17167/11, 19 septembre 2013, § 105).
32. La Cour rappelle qu'il est cependant nécessaire de déterminer si la décision litigieuse était fondée sur une évaluation raisonnable au regard de ces objectifs et si le juge avait à sa disposition des éléments suffisants pour justifier de la prolongation de l'internement (H.W., précité, § 106 ; Herz c. Allemagne, no 44672/98, 12 juin 2003, § 51). La privation de liberté du requérant ne saurait en effet se prolonger sans la persistance du trouble, établi de manière probante sur la base d'une expertise médicale objective (Herz, précité, § 47, Johnson c. Royaume-Uni, no 22520/93, 24 octobre 1997, § 60, et Herczegfalvy c. Autriche, no 10533/83, 24 septembre 1992, § 63).
33. En l'espèce, la Cour observe d'emblée que le rapport d'expertise du 15 novembre 2012, intervenu plus de quatre ans avant la décision du TAPEM, n'est pas suffisamment récent pour justifier, à lui seul, le maintien de la privation de liberté du requérant (Kadusic, précité, § 55, Yaikov c. Russie, no 39317/05, 18 juin 2015, § 64, et Herz, précité, § 50).
34. Or, la Cour note que les juridictions nationales n'ont pas fondé leur décision uniquement sur ce rapport d'expert (Dörr c. Allemagne (déc.), no 2894/08, 22 janvier 2013). En effet, le TAPEM a également pris en compte les nombreuses prises de position figurant au dossier. Celles-ci préconisaient toutes le maintien de l'internement. Le TAPEM conclut dès lors au maintien de l'internement, aucun élément nouveau de nature à remettre fondamentalement en cause les conclusions du Dr S. n'étant intervenu depuis cette expertise.
35. Au vu de la jurisprudence de la Cour dans des affaires similaires (Rooman c. Belgique [GC], no 18052/11, 31 janvier 2019, § 221 ; H.W., précitée, § 108, et Dörr, précitée) et du dossier, cette décision du TAPEM, confirmée par le Tribunal fédéral, ne semble pas déraisonnable. La Cour observe que les tribunaux nationaux ont pris en compte un certain nombre d'éléments permettant de conclure qu'il était probable que le requérant récidiverait s'il était libéré et qu'il était toujours dangereux pour le public, tels que les antécédents judiciaires du requérant pour des infractions très graves contre l'intégrité sexuelle, le diagnostic du Dr S., le fait que le requérant ne semblait pas avoir médité sur les infractions commises ou sur ses troubles, ainsi que les échecs des tentatives de traitements psychothérapeutiques entreprises.
36. La Cour note également que le requérant a, au fil des années, fait l'objet de nombreux avis et évaluations par des personnes disposant d'une expertise médicale, le plus récent datant d'octobre 2016 - soit deux mois avant la décision du TAPEM - et confirmant l'absence d'évolution du requérant (H.W., précité, § 111). Enfin, le requérant a été entendu par le TAPEM lors de l'audience du 8 décembre 2016, durant laquelle il persista à nier les actes pour lesquels il avait été condamné, ainsi que l'existence de ses troubles psychiatriques (Dörr, précité, et, a contrario, Herz, précité, § 45).
Sur le lieu et le régime de l'internement
37. Le requérant se plaint qu'il exécute son internement dans des établissements pénitentiaires inadaptés car il s'agissait majoritairement d'établissements de détention notamment destinés à la détention provisoire (prisons de Champ-Dollon et de la Croisée). Il soutient que les prises en charge somatiques et psychiatriques y sont lacunaires.
38. Selon la jurisprudence de la Cour, un lien doit exister entre le motif invoqué pour la privation de liberté autorisée et le lieu et le régime de la détention. En principe, la « détention » d'une personne en tant que malade mental ne sera « régulière » au regard de l'article 5 § 1 de la Convention que si elle se déroule dans un hôpital, une clinique ou un autre établissement approprié (voir, à titre d'exemples, Kadusic, précité, § 45, et Aerts c. Belgique, no 25357/94, 30 juillet 1998, § 46). Pour vérifier le caractère approprié de l'établissement, la Cour a tenu compte non pas tellement du but premier de celui-ci, mais plutôt des conditions spécifiques de la détention et de la possibilité pour les intéressés d'y bénéficier d'un traitement adapté (Rooman, précité, § 200 ; Bergmann c. Allemagne, no 23279/14, 7 janvier 2016, § 124, et Kadusic, précité, §§ 56 et 59). Le seul fait qu'une personne souffrant de troubles mentaux ne soit pas intégrée dans un établissement approprié n'a cependant pas pour effet automatique de rendre sa détention irrégulière au regard de l'article 5 § 1 de la Convention (Swennen c. Belgique, no 53448/10, 10 janvier 2013, § 72).
39. Dans la présente affaire, le requérant fait l'objet d'un internement au sens de l'article 64 du Code pénal (paragraphe 24 ci-dessus), et non d'une mesure thérapeutique institutionnelle comme dans l'affaire Kadusic, précitée. L'article 64, al. 4 du Code pénal prévoit expressément que l'internement peut être exécuté dans un établissement d'exécution des mesures ou dans un établissement prévu à l'art. 76, al. 2 du Code pénal (paragraphe 25 ci-dessus), c'est-à-dire « un établissement fermé ou dans la section fermée d'un établissement ouvert s'il y a lieu de craindre qu'il [l'auteur] ne s'enfuie ou ne commette de nouvelles infractions ». L'auteur peut être soumis, si besoin est, à une prise en charge psychiatrique.
40. En l'espèce, le requérant a passé plus de onze ans dans des établissements de détention notamment destinés à la détention provisoire (prisons de Champ-Dollon et de la Croisée) et est, depuis octobre 2015, interné aux Établissements d'exécution des peines de Bellevue, un établissement pénitentiaire de haute sécurité.
41. À cet égard, la Cour observe que ni l'expertise du 15 novembre 2012, ni les diverses conclusions des services médicaux pénitentiaires ne suggèrent que le requérant aurait dû être placé dans une autre institution plus appropriée. De plus, concernant la Suisse, la Cour n'a jamais conclu à l'existence d'un problème structurel dans la prise en charge des personnes délinquantes souffrant de troubles mentaux (Papillo c. Suisse, no43368/08, 27 janvier 2015, § 46).
42. Quant au régime de la privation de liberté, les personnes internées doivent être placées dans un établissement permettant l'administration de soins adéquats, appropriés à la situation de leur état de santé et individualisés (voir, à titre d'exemple, Rooman, précité, §§ 215 et 222).
43. Sur ce point, la Cour observe que dans son jugement initial du 3 novembre 1998, la Cour d'assises avait ordonné un traitement psychiatrique. Or, au vu des faits énoncés plus haut, le requérant n'a pas souhaité suivre un tel traitement de manière régulière.
44. La Cour a déjà rappelé dans sa jurisprudence que si l'attitude persistante d'une personne privée de liberté peut contribuer à faire obstacle à une modification de son régime de détention, cela ne dispense pas les autorités de prendre les initiatives appropriées en vue d'assurer à cette personne un traitement adapté à son état et de nature à l'aider à retrouver sa liberté (Swennen, précité, § 80).
45. Bien qu'une personne faisant l'objet d'un placement involontaire ne soit pas obligée d'accepter les offres thérapeutiques qui lui sont faites, la Cour accorde du poids en l'occurrence aux refus répétés du requérant - qui a toujours été représenté devant les autorités internes comme devant la Cour - de poursuivre les soins et de coopérer avec les différents intervenants en charge de son traitement, ces refus ayant inévitablement confronté les autorités compétentes à un obstacle sérieux. Dans ce cas de figure, on ne peut attendre des autorités qu'elles imposent au requérant un traitement médical, mais qu'elles continuent à lui proposer des mesures thérapeutiques adaptées à sa situation personnelle (Rooman, précité, §§ 246-248).
46. Or, il ressort du dossier que le requérant n'a pas été laissé sans choix thérapeutique. Un plan d'exécution de la sanction avait été mis en place afin de permettre un suivi individualisé et le requérant pouvait bénéficier d'un traitement thérapeutique s'il le désirait. Durant les périodes où le requérant accepta de bénéficier d'un tel traitement, la fréquence des entretiens fut de plus adaptée en fonction de sa demande personnelle, d'un commun accord avec le thérapeute.
47. Dès lors, la Cour estime que le requérant, malgré son manque de coopération, s'est vu offrir un suivi médical cohérent et adapté à sa situation et qu'il a donc été détenu dans des établissements appropriés pour la détention de personnes délinquantes souffrant de troubles mentaux (Bergmann, précité, §§ 126-128).
Conclusion
48. Eu égard à ce qui précède, la Cour est d'avis que la décision de maintien de l'internement se fondait sur une évaluation raisonnable et suffisamment récente de la dangerosité du requérant.
49. Elle estime également que le requérant a été détenu dans des établissements appropriés à sa situation et permettant l'administration de soins adéquats.
50. Dès lors, la décision de maintien de l'internement était compatible avec les objectifs de la condamnation initiale.
51. Partant, la Cour conclut que ces griefs doivent être rejetés pour défaut manifeste de fondement, en application de l'article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
Quant au grief tiré de l'article 3 de la Convention
52. Le requérant allègue qu'il serait soumis à une peine incompressible et perpétuelle suite aux conclusions de l'expertise du 15 novembre 2012, ce qui serait incompatible avec l'article 3 de la Convention.
53. La Cour rappelle que pour tomber sous le coup de l'article 3 de la Convention, un traitement doit atteindre un minimum de gravité, l'appréciation de ce minimum étant relative et dépendant de l'ensemble des faits de la cause (Vilvarajah et autres c. Royaume-Uni, 30 octobre 1991, série A no 215, p. 36, § 107).
54. En l'espèce, la Cour observe que le requérant a été condamné à un internement qui, en vertu de l'article 64 a) et b) du Code pénal (paragraphe 24 ci-dessus), offre la possibilité d'une libération conditionnelle à condition qu'il soit possible de prévoir que l'interné se conduira correctement en liberté. Cette possibilité de libération est d'ailleurs examinée à intervalles réguliers, d'office ou sur demande. Dès lors, contrairement à ce qui soutient le requérant, l'internement n'est pas incompressible.
55. De même, la Cour est d'avis que le seul fait que le requérant se soit vu débouter de sa demande de liberté conditionnelle au motif qu'il constitue toujours un danger pour la société ne viole pas l'article 3 de la Convention. En effet, la Convention impose aux États contractants de prendre des mesures visant à protéger la collectivité des crimes violents et elle ne leur interdit pas d'infliger à une personne convaincue d'une infraction grave une peine de durée indéterminée permettant de la maintenir en détention lorsque la protection du public l'exige (Vinter et autres c. Royaume-Uni [GC], no66069/09, 130/10 et 3896/10, 9 juillet 2013, § 108).
56. Dans la mesure où le requérant allègue que l'expertise du 15 novembre 2012 aurait écarté toute perspective de libération, il sied de rappeler que le pronostic du Dr S. n'est pas immuable et pourrait être modifié par le biais d'une nouvelle expertise dans le futur. Comme souligné aux paragraphes ci-dessus, le requérant a de plus, au fil des années, fait l'objet de nombreux avis et évaluations, par des personnes disposant d'une expertise médicale, confirmant son absence d'évolution.
57. Concernant la nécessité d'un traitement approprié durant la privation de liberté, le requérant se plaint du manque de suivi psychothérapeutique et du fait que les établissements de détention, notamment destinés à la détention provisoire dans lesquels il était interné, étaient inadaptés.
58. Dans l'arrêt W.D. c. Belgique (no 73548/13, 6 septembre 2016, § 113), la Cour a estimé que « l'obligation découlant de la Convention ne s'arrête pas à celle de protéger la société contre les dangers que peuvent représenter les personnes délinquantes souffrant de troubles mentaux mais impose également de dispenser à ces personnes une thérapie adaptée visant à les aider à se réinsérer le mieux possible dans la société ». Le manque de soins médicaux appropriés pour des personnes privées de liberté peut ainsi engager la responsabilité d'un État au regard de l'article 3 de la Convention (Murray c. Pays-Bas, no 10511/10, 26 avril 2016, § 105; Naoumenko c. Ukraine, no 42023/98, 10 février 2004, § 112).
59. En l'occurrence, la Cour a déjà conclu ci-dessus que le requérant, malgré son manque de coopération, s'était vu offrir un suivi médical cohérent et adapté à sa situation et qu'il avait été détenu dans des établissements appropriés pour la détention de personnes délinquantes souffrant de troubles mentaux. Contrairement à ce que soutient le requérant, la Cour ne saurait non plus déceler sous l'angle de l'article 3 de la Convention des indices que la privation de la liberté du requérant est « nettement disproportionnée » (Vinter et autres, précité, § 102). Elle considère qu'il n'a pas été démontré à suffisance que le requérant a souffert d'un traitement pouvant être qualifié d'inhumain ou dégradant.
60. Partant, ce grief est rejeté pour défaut manifeste de fondement, en application de l'article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
Disposition
Par ces motifs, la Cour, à l'unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
Fait en français puis communiqué par écrit le 16 janvier 2020.
Stephen Phillips Paulo Pinto de Albuquerque
Greffier Président