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Urteilskopf

33362/04


Küçük Murat, Küçük Nevzat Abdullah c. Turquie et Suisse
Arrêt no. 33362/04, 17 mai 2011

Regeste

Diese Zusammenfassung existiert nur auf Französisch.

SUISSE et TURQUIE: Art. 8 CEDH. Obligations positives des autorités nationales de prendre des mesures adéquates pour assurer l'exécution rapide de décisions judiciaires accordant au père l'autorité parentale et la garde de l'enfant enlevé par la mère.

La non-restitution de l'enfant par la mère à la suite de l'exercice de son droit de visite entre dans le champ d'application de la Convention de la Haye à laquelle la Turquie et la Suisse sont parties. En l'espèce, les autorités suisses et turques ont accompli de nombreux actes d'investigation et ont suivi toutes les démarches imposées par leur droit national et les conventions internationales pour assurer la remise de l'enfant au parent titulaire du droit de garde. Malgré le laps de temps écoulé entre l'enlèvement de l'enfant et son retour en Turquie, les autorités ont atteint le résultat souhaité et n'ont pas manqué à leurs obligations positives résultant des faits litigieux (ch. 59 - 77).
Conclusion: non-violation de l'art. 8 CEDH.



Inhaltsangabe des BJ
(2. Quartalsbericht 2011)

Recht auf Achtung des Privat- und Familienlebens (Art. 8 EMRK); Kindsentführung durch die Mutter.

Der Beschwerdeführer rügt, dass die schweizerischen Behörden die Entführung seines Kindes durch die Mutter aus der Türkei in die Schweiz nicht mit der gebotenen Sorgfalt und Zügigkeit untersucht hätten. Der Gerichtshof weist darauf hin, dass beide Vertragsstaaten eng zusammengearbeitet haben und die Schweizer Stellen den verschiedenen Hinweisen jeweils umgehend nachgegangen sind. Dass die Bemühungen nicht immer nach dem Wunsch des Beschwerdeführers erfolgt sind, lässt sie noch nicht als unzureichend erscheinen. Dies gelte auch für die Dauer der Suche nach dem Kind, welche ohne Phasen der Inaktivität stetig vorangetrieben worden sei.

Keine Verletzung von Art. 8 EMRK durch die Schweiz (einstimmig).





Sachverhalt

En l'affaire Küçük c. Turquie et Suisse,
La Cour européenne des droits de l'homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
Françoise Tulkens, présidente,
David Thór Björgvinsson,
Danute Jociene,
Dragoljub Popovic,
Giorgio Malinverni,
András Sajó,
Isil Karakas, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 12 avril 2011,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE

1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 33362/04) dirigée contre la République de Turquie et la Confédération suisse et dont deux ressortissants turcs, MM. Murat Küçük et Nevzat Abdullah Küçük (« les requérants »), ont saisi la Cour le 23 août 2004 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Les requérants sont représentés par Me S. Ugur Akyazan, avocat à Ankara. Les gouvernements turc et suisse (« le(s) Gouvernement(s) ») sont représentés par leur agent respectif.

3. Les requérants alléguaient la violation de l'article 5 § 1 à l'égard de la Turquie et la violation de l'article 8 de la Convention à l'égard de la Turquie et de la Suisse.

4. Le 26 mai 2009, la Cour a décidé de communiquer la requête aux Gouvernements. Comme le permet l'article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.

5. Tant les requérants que les Gouvernements ont déposé des observations écrites sur le fond de l'affaire (article 59 § 1 du règlement).
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

6. Le premier requérant, Murat Küçük, est un ressortissant turc né en 1972 et résidant à Ankara. Il agit en son nom propre ainsi qu'au nom de son fils, Nevzat Abdullah Küçük (« N.A.K.»), né le 8 juillet 1997 à Ankara, de nationalité turque.

7. Le divorce du requérant et de Nurgül Tonoz (« N.T.») fut prononcé par un jugement du 18 juillet 2001 et l'autorité parentale ainsi que la garde de l'enfant furent attribuées exclusivement au père. Ce jugement devint définitif par un arrêt de la Cour de cassation rendu en avril 2002.

8. Le 1er juillet 2002, N.T. exerça son droit de visite et partit pour un mois avec l'enfant, accompagnée de son frère, Yakup Özkan (« Y.Ö. »).

9. Le 31 juillet 2002, à la fin de la période prévue par le droit de visite, N.T. ne ramena pas l'enfant à son père.

10. Le 2 août 2002, le requérant saisit le juge de l'exécution auprès du tribunal de Bursa afin d'établir une main courante pour obtenir le retour de son fils au domicile. N.T. et son fils étant partis sans laisser d'adresse, l'affaire fut classée sans suite.

11. Informé que son fils et la mère de ce dernier avaient franchi le 3 août 2002 la frontière turco-bulgare en utilisant des documents falsifiés, le requérant déposa une plainte auprès du parquet d'Edirne, lequel ouvrit une instruction pour utilisation de faux passeports.

12. Faisant valoir l'autorité parentale exclusive dont il bénéficiait, il introduisit également, devant le juge de l'exécution près le tribunal d'Ankara, une demande afin d'obtenir la vigilance de la police des frontières en cas de retour de son fils en Turquie.

13. Le 16 août 2002, le juge rendit une ordonnance d'interdiction de sortie du territoire pour N.A.K. et N.T., au motif que cette dernière n'avait pas ramené l'enfant à son père conformément au jugement régissant le droit de garde et le droit de visite. Par ailleurs, il ordonna à la police des frontières de prendre des mesures de contrôle appropriées en cas du retour de l'enfant en Turquie.

14. Le 5 septembre 2002, le requérant déposa plainte contre N.T. et son frère Y.Ö. pour enlèvement d'enfant, utilisation de son identité dans de fausses pièces d'identité et établissement d'actes notariés et de tout autre acte éventuel sur la base de ces documents falsifiés.

15. Le 15 novembre 2002, le tribunal de police d'Istanbul émit un mandat d'arrêt national à l'encontre de N.T.

16. Par un acte d'accusation du 21 novembre 2002, le procureur près la cour d'assises d'Istanbul engagea des poursuites pénales contre N.T. et son frère Y.Ö. pour faux et usage de faux.

17. Le 19 décembre 2002, une notice jaune de recherche à l'égard de N.A.K., N.T. et Y.Ö. fut préparée par le bureau central national d'Interpol à Ankara pour diffusion dans les pays membres d'Interpol.

18. Le 8 janvier 2003, le ministère de la Justice français informa le directorat général du droit international et des relations étrangères du ministère de la Justice turc, en tant qu'autorité centrale chargée de l'application de la Convention de La Haye, que N.A.K. avait quitté le centre de la Croix-Rouge de Sangatte le 9 décembre 2002, accompagné de. N.T. et de Y.Ö. Les deux adultes auraient demandé l'asile politique en France et auraient été acheminés vers un centre d'hébergement à Châteauroux, dans l'Indre.

19. Le 30 janvier 2003, le tribunal de grande instance de Châteauroux ordonna, en vertu de l'article 12 de la Convention de La Haye sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants, le retour immédiat de N.A.K. à sa résidence habituelle en Turquie, chez son père.

20. Selon le « procès-verbal de recherches infructueuses » du 22 février 2003, établi par un huissier de justice à Châteauroux, N.T. et N.A.K. étaient introuvables à leur dernière adresse connue.

21. Le 12 juin 2003, la cour d'assises d'Istanbul ordonna l'émission d'une notice rouge de recherche à l'égard de N.T. et Y.Ö.

22. Le 25 juin 2003, l'autorité centrale turque informa l'Office fédéral de la justice à Berne (Suisse) (l'« O.F.J. »), autorité centrale en charge de la coopération avec les autorités étrangères dans les divers domaines de l'entraide judiciaire, que N.T. et N.A.K. étaient entrés en Suisse et se trouvaient dans un centre de réfugiés à Berne, et lui demanda de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer le retour immédiat de l'enfant.

23. Le 1er juillet 2003, accusant réception de la demande de l'autorité centrale turque, l'O.F.J. indiqua l'avoir enregistrée sous le numéro LK 150.

24. Le 19 août 2003, l'avocat du requérant saisit l'autorité centrale en matière d'enlèvement international d'enfant près l'O.F.J. au sujet du passage et de la localisation de N.T. et de N.A.K en Suisse.

25. Par une lettre du 19 septembre 2003, l'autorité centrale suisse informa l'autorité centrale turque que les intéressés étaient entrés en Suisse le 24 janvier 2003 et que, le 27 février 2003, ils avaient été enregistrés comme « disparus ». Elle précisa par ailleurs que, une fois expirée son autorisation de séjour temporaire en Suisse, N.T. avait été sommée de retourner en France. Les autorités suisses demandèrent aux autorités turques de transmettre l'ordonnance de retour en France à l'autorité centrale française.

26. Le 24 septembre 2003, le ministère de la Justice turc informa le requérant de cette dernière lettre.

27. A une date non précisée, l'intéressé se rendit en Suisse pour effectuer des recherches lui-même. Après avoir recueilli des témoignages selon lesquels son fils, N.T. et Y.Ö. avaient été vus au camp de Porrentruy, et appris que la demande de statut de réfugié de Y.Ö. restait en cours d'instruction en Suisse, le requérant déposa une plainte auprès de la police à Delémont (Suisse). Le lendemain, il reçut la réponse de la police l'informant que Y.Ö. n'avait jamais été vu à Porrentruy.

28. Le 29 octobre 2003, l'O.F.J. informa le ministère de la Justice turc que N.T. figurait sur la liste de RIPOL (système de recherches informatisées de la police) pour infraction à la loi fédérale sur le séjour et l'établissement des étrangers.

29. Le 30 octobre 2003, le requérant déposa plainte auprès de la police cantonale du Jura à l'encontre de N.T. et Y.Ö. pour enlèvement de mineur. Le jour même, un mandat d'amener fut délivré par la police cantonale à leur encontre pour l'infraction qui leur était reprochée.

30. Les 20 et 24 novembre 2003, une notice jaune de recherche en vue de la localisation de N.A.K. et une notice rouge de recherche à l'encontre de N.T. et Y.Ö. pour usage de faux en écriture furent diffusées par le secrétariat général d'Interpol.

31. Le même jour, le requérant fournit au bureau central national d'Interpol à Ankara toutes les informations (numéros de passeport, de téléphone et de comptes en banque) dont il disposait concernant les personnes recherchées.

32. Le 22 janvier 2004, à la suite de la diffusion de la notice rouge, la division de l'entraide judiciaire internationale de l'O.F.J. informa le secrétariat général d'Interpol à Ankara que toutes les recherches étaient restées vaines et qu'ils n'avaient aucune information sur le lieu de résidence des personnes recherchées.

33. Le requérant se rendit une deuxième fois en Suisse afin d'effectuer lui-même des recherches pour retrouver son fils.

34. Par une lettre du 24 février 2004, il informa le ministère de la Justice qu'un dénommé A.D., gérant d'un bar à Olten-Seon (Suisse), lui avait indiqué que son ex-épouse travaillait comme femme de ménage et que son fils était inscrit à l'école sous un autre nom. Par ailleurs, le requérant s'était rendu à Bienne (Suisse), dans le supermarché « Carrefour », où deux caissières avaient identifié son fils d'après photo et indiqué qu'il était venu dans ce magasin le 13 février 2004.

35. Le 2 mars 2004, le ministère de la Justice turc transmit toutes les informations issues des recherches du requérant à l'O.F.J., et lui demanda de prendre toutes les mesures appropriées pour la localisation de N.A.K., déplacé et retenu illicitement, et son retour immédiat.

36. Les 28 mai et 8 juin 2004, l'O.F.J. informa le ministère de la Justice turc qu'à la lumière des informations fournies, A.D. avait été interrogé par la police suisse et qu'aucun résultat n'avait été obtenu quant à la localisation des fugitifs. D'une part, les personnes recherchées n'avaient pas été vues dans le supermarché « Carrefour » à Bienne et d'autre part, N.A.K. n'était scolarisé dans aucune des écoles de Bienne. Par ailleurs, aucun autre supermarché « Carrefour » n'avait été localisé dans la région de Grenchen-Solothurn (Suisse).

37. En juillet 2004, nonobstant l'absence de tout renseignement lui permettant de dire que les fuyards étaient sur le territoire vaudois, le requérant déposa une plainte pour enlèvement de mineur devant le juge d'instruction de l'arrondissement de Lausanne. Lors de l'audience du 16 juillet 2004, le requérant indiqua qu'il avait réussi à obtenir deux numéros de téléphone portable utilisés par son ex-épouse et le frère de celle-ci pour contacter leurs parents en Turquie. D'ailleurs, il mit ces deux numéros à la disposition de la justice afin que ces personnes soient localisées et interpellées.

38. Par une télécopie du 22 juillet 2004, l'autorité centrale turque communiqua à l'O.F.J. les numéros de téléphone utilisés par N.T. et lui demanda de prendre les mesures appropriées pour localiser l'enfant, en vertu de l'article 7 de la Convention de La Haye.

39. Le 26 juillet suivant, l'autorité centrale suisse répondit que les numéros en question correspondaient à des cartes de téléphone prépayées et qu'il n'était pas possible de connaître l'identité de l'utilisateur.

40. Par une ordonnance du 17 août 2004, constatant qu'une action pénale engagée à l'encontre de N.T. et Y.Ö. pour usage de faux en écriture demeurait pendante devant les tribunaux turcs, le juge d'instruction de Lausanne refusa de donner suite à la plainte du requérant au motif qu'aucune infraction n'avait été établie sur le territoire vaudois. Par ailleurs, il déclara que la possibilité de localisation des fugitifs n'était pas envisageable sur la base de la loi relative à la surveillance de la correspondance par poste et télécommunication dans la mesure où cette loi permettait la mise sur écoute uniquement dans le cadre d'une procédure pénale engagée en Suisse.

41. Le 18 août 2004, le ministère des Affaires étrangères turc informa les ministères de la Justice et de l'Intérieur turcs que les recherches relatives aux numéros de téléphone seraient plus efficaces dans le cadre de l'entraide pénale internationale et leur demanda l'envoi d'un dossier de mise à exécution de cette procédure.

42. Le 15 octobre 2004, l'autorité centrale suisse informa le requérant qu'elle avait localisé son fils à Bâle. Le requérant, qui se trouvait en Suisse, demanda la restitution immédiate de son enfant, hébergé dans un foyer dans cette ville.

43. Le 18 novembre 2004 à 1 heure du matin, le requérant retourna en Turquie en compagnie de son fils. Arrivés à Ankara, ils furent tous deux appréhendés par la police et placés en détention dans un poste de police à l'aéroport d'Esenboga, du fait de la restriction ordonnée auparavant pour les fugitifs.

44. Le requérant exposa la situation, documents à l'appui, et demanda à être traduit devant un magistrat.

45. C'est seulement le lendemain matin, après plusieurs heures en détention, qu'il put être entendu par le procureur et remis en liberté avec son fils.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNATIONAUX PERTINENTS

46. Le droit et la pratique internationaux pertinents en l'espèce sont décrits dans les arrêts Maumousseau et Washington c. France, no 39388/05, §§ 43-47, CEDH 2007-XIII, Neulinger et Shuruk c. Suisse [GC], no 41615/07, §§ 48-57, CEDH 2010-..., Tapia Gasca et D. c. Espagne, no 20272/06, §§ 62-66, 22 décembre 2009.


Erwägungen

EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

47. Le premier requérant se plaint de l'inactivité des autorités turques et suisses qui auraient manqué à leur obligation de prendre des mesures adéquates pour assurer l'exécution rapide des décisions de justice rendues en l'espèce et favoriser, en vertu de la Convention de La Haye, le retour immédiat de son fils en Turquie, où il avait sa résidence habituelle. Il se plaint que le manque de diligence des autorités en question a constitué une rupture des liens familiaux entre lui et son enfant. Les requérants invoquent les articles 8 et 13 de la Convention. Etant donné la formulation des griefs, la Cour les examinera sous le seul angle de l'article 8 qui se lit comme suit :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...)
2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
A. Sur la recevabilité

48. Le gouvernement turc ne soulève aucune objection à la recevabilité de cette partie de la requête.

49. Le gouvernement suisse soulève des exceptions en deux branches :
1. L'exception tirée du non-épuisement des voies de recours internes

50. Le gouvernement suisse excipe du non-épuisement des voies de recours internes, faisant valoir que le grief tiré en substance de la violation de l'article 8 de la Convention n'a pas fait l'objet d'une procédure devant les autorités internes.

51. Compte tenu de la conclusion à laquelle elle parvient ci-dessous, la Cour n'estime pas nécessaire d'examiner l'exception du Gouvernement.
2. L'exception tirée de l'absence de qualité de victime

52. Le gouvernement suisse souligne que les activités déployées par les autorités nationales ont produit le résultat voulu par les requérants, et que ces derniers ne sauraient être considérés comme victimes d'une violation du droit au respect de la vie familiale.

53. Les requérants s'opposent à cet argument.

54. La Cour observe que le premier requérant ne se plaint pas du non-retour de l'enfant mais dénonce l'inactivité des autorités suisses et l'exécution tardive des décisions de justice rendues afin de favoriser le retour immédiat de l'enfant, sur le fondement de la Convention de La Haye. Partant, l'exception du Gouvernement ne saurait être retenue.

55. La Cour constate que le grief n'est pas manifestement mal fondé, au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. En outre, il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
1. Thèses des parties
a) Les Gouvernements
i. Le gouvernement turc

56. Rappelant les mesures multiples et variées adoptées par les autorités judiciaires et policières turques ainsi que leur collaboration étroite avec les autorités suisses dans la recherche de l'enfant enlevé par sa mère et son oncle, le Gouvernement estime que l'obligation positive de protéger le droit à la vie privée et familiale des requérants a ainsi été pleinement assumée par les autorités turques.
ii. Le gouvernement suisse

57. Le gouvernement suisse rappelle que la police fédérale, l'O.F.J., le bureau central national d'Interpol à Berne et les juridictions nationales ont donné suite à toutes les informations fournies par les autorités turques et le premier requérant afin d'assurer une collaboration étroite avec eux pour localiser l'enfant et procéder rapidement au retour à sa résidence habituelle. A cet égard, le Gouvernement soutient que les autorités suisses n'ont pas manqué à leurs obligations découlant de l'article 8 de la Convention. Par ailleurs, s'agissant du refus de l'O.F.J. d'autoriser la mise sur écoute concernant les numéros de téléphone transmis par l'autorité centrale turque, le Gouvernement rappelle qu'il appartenait aux autorités turques de recourir au mécanisme de l'entraide pénale internationale pour que les autorités judiciaires suisses ordonnent une commission rogatoire ayant pour objet la mise en oeuvre d'une surveillance téléphonique.
b) Les requérants

58. Dénonçant l'inactivité des autorités turques et suisses pour assurer l'exécution rapide des décisions de justice rendues et favoriser le retour immédiat de l'enfant, le premier requérant affirme avoir pris toutes les initiatives pour leur fournir des informations nécessaires relatives à la localisation de son enfant. Il fait valoir qu'il s'est rendu à plusieurs reprises en Suisse afin d'effectuer lui-même des recherches pour retrouver son fils. Ainsi, par ses propres moyens, il a pris contact avec des témoins ayant vu les fugitifs et identifié les numéros de téléphone qu'ils utilisaient. Le requérant se plaint notamment que bien qu'il eût mis à la disposition de la justice suisse ces numéros de téléphone mobile afin que les fugitifs soient localisés et interpellés, le juge d'instruction de Lausanne n'avait pas autorisé la mise en oeuvre d'une surveillance téléphonique. Ayant ainsi tout essayé pour inciter les autorités turques et suisses à adopter les mesures propres à lui permettre de récupérer son fils, le requérant dénonce le manque de diligence des autorités, qui a provoqué une rupture de ses liens familiaux avec son fils.
2. Appréciation de la Cour

59. La Cour note d'emblée qu'il n'est pas contesté que, pour le premier requérant et son fils, dont la garde lui a été attribuée, continuer à vivre ensemble représente un élément fondamental qui relève de la vie familiale, au sens du premier paragraphe de l'article 8 de la Convention, lequel est donc applicable en l'espèce ( Tapia Gasca et D., précité, § 93).

60. La Cour a eu plusieurs fois l'occasion d'élaborer et de développer les principes directeurs qui doivent la guider pour déterminer si, confrontées à l'enlèvement d'un enfant, les autorités d'un Etat partie à la Convention ont respecté les obligations qui leur incombaient en vertu de l'article 8 de la Convention.

61. Au vu des principes qui se dégagent de sa jurisprudence, la Cour rappelle que l'article 8 de la Convention implique le droit d'un parent à des mesures propres à le réunir à son enfant et l'obligation pour les autorités nationales de les prendre ( Maumousseau et Washington, précité, § 83).

62. Le point décisif consiste donc à savoir si les autorités nationales ont pris toutes les mesures que l'on pouvait raisonnablement exiger d'elles pour faciliter l'exercice des droits de garde, de visite ou d'autorité parentale reconnus à un parent par la législation applicable ou résultant de décisions judiciaires.

63. Toutefois, l'obligation pour les autorités nationales de prendre des mesures à cet effet n'est pas absolue. La nature et l'étendue des actions requises dépendent des circonstances de chaque espèce. Pour ce qui est plus précisément des obligations positives que l'article 8 de la Convention fait peser sur les Etats contractants en matière de réunion d'un parent à ses enfants, celles-ci doivent s'interpréter à la lumière de la Convention relative aux droits de l'enfant du 20 novembre 1989 et de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants ( Tapia Gasca et D., précité, § 90).

64. Dans le préambule de ce dernier instrument, les Parties contractantes expriment leur conviction que « l'intérêt de l'enfant est d'une importance primordiale pour toute question relative à sa garde » et soulignent leur volonté de « protéger l'enfant, sur le plan international, contre les effets nuisibles d'un déplacement ou d'un non-retour illicites et d'établir des procédures en vue de garantir le retour immédiat de l'enfant dans l'Etat de sa résidence habituelle, ainsi que d'assurer la protection du droit de visite ». Ces dispositions, considérées à la lumière de l'article 7 de ladite convention, qui dresse une liste non exhaustive de mesures que doivent prendre les Etats pour assurer le retour immédiat des enfants, doivent être perçues comme exprimant l'objet et le but, au sens de l'article 31 § 1 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, de la Convention de La Haye ( Tapia Gasca et D., précité, § 91).

65. Dans ce contexte, la Cour note par ailleurs que l'adéquation d'une mesure se juge à la rapidité de sa mise en oeuvre. En effet, les procédures relatives à l'attribution de l'autorité parentale, y compris l'exécution des décisions rendues à leur issue, exigent un traitement urgent, car le passage du temps peut avoir des conséquences irrémédiables pour les relations entre les enfants et celui des parents qui ne vit pas avec eux ( Tapia Gasca et D., précité, § 92).

66. En l'espèce, la non-restitution de l'enfant du premier requérant par son ex-épouse, à la suite de l'exercice par elle de son droit de visite, entre assurément dans le champ d'application de la Convention de La Haye, à laquelle la Turquie et la Suisse sont parties.

67. La Cour rappelle que dans ses articles 3, 7, 12 et 13, la Convention de La Haye contient tout un ensemble de mesures tendant à assurer le retour immédiat des enfants déplacés ou retenus illicitement dans tout Etat contractant. Conformément à ces articles, les autorités centrales doivent coopérer entre elles et promouvoir une collaboration entre les autorités compétentes dans leurs États respectifs pour assurer le retour immédiat des enfants (voir, mutatis mutandis, Tapia Gasca et D., précité, § 103).

68. La Cour doit examiner la question de savoir si, à la lumière des obligations découlant tant du droit interne que du droit international, les autorités turques et suisses ont déployé des efforts adéquats et suffisants pour faire respecter le droit du premier requérant au retour de son enfant et le droit de ce dernier à rejoindre son père.
i. S'agissant des obligations incombant aux autorités turques

69. La Cour note à titre liminaire que, à peine un jour après la saisine du juge de l'exécution auprès du tribunal de Bursa par le premier requérant, son ex-épouse avait franchi la frontière turco-bulgare avec leur fils en utilisant des documents falsifiés.

70. La Cour estime qu'il est indéniable qu'une fois la soustraction illicite de l'enfant constatée, les juridictions saisies de l'affaire ont pris de nombreuses mesures conformément à la législation en vigueur, au cours de l'année qui a suivi l'enlèvement d'enfant.
Ainsi, à la suite des informations fournies par le requérant et de la plainte déposée par ce dernier, le parquet d'Edirne a ouvert une instruction contre l'ex-épouse du requérant et le frère de celle-ci pour utilisation de faux passeports. Des ordonnances ont été rendues par les juridictions nationales afin d'interdire la sortie de l'enfant du territoire turc et de prendre des mesures de contrôle appropriées en cas de retour de celui-ci en Turquie. Le procureur près la cour d'assises d'Istanbul a engagé des poursuites pénales contre N.T. et son frère Y.Ö. pour faux et usage de faux. Lors de la procédure pénale, un mandat d'arrêt national et une notice rouge de recherche à l'égard de N.T. et Y.Ö. furent émis (paragraphes 11-16 ci-dessus). Par ailleurs, après avoir recueilli toutes les informations concernant les intéressés, le bureau central national d'Interpol à Ankara a diffusé des notices jaune et rouge dans tous les pays membres d'Interpol (paragraphe 30 ci-dessus).

71. Entre-temps, après avoir obtenu des informations relatives à la localisation des intéressés en Suisse, l'autorité centrale auprès du ministère de la Justice turc a saisi immédiatement l'O.F.J. afin que soient prises toutes les mesures nécessaires pour assurer le retour de l'enfant (paragraphe 22 ci-dessus). La Cour observe que, transmettant d'une manière systématique et transparente toutes les informations issues des procédures pénales devant les autorités nationales et les informations fournies par le requérant à l'O.F.J., l'autorité centrale turque a mené une collaboration étroite avec les autorités suisses en vue de retrouver les fugitifs et de favoriser le retour de l'enfant en Turquie (paragraphes 22-41 ci-dessus).
ii. S'agissant des obligations incombant aux autorités suisses

72. La Cour relève qu'en l'espèce il n'est pas contesté que le fils du premier requérant a été emmené en Suisse et retenu illicitement par sa mère.

73. La Cour observe qu'après avoir reçu la demande de l'autorité centrale turque, l'O.F.J. a procédé immédiatement à la recherche des intéressés pour les localiser et exécuter les décisions rendues pour le retour de l'enfant en Turquie. Suivant les informations fournies par les autorités turques et le premier requérant, la police fédérale a interrogé les témoins indiqués, effectué des recherches dans les écoles et les locaux où les fugitifs avaient été aperçus (paragraphes 25-27 et 36 ci-dessus). La Cour note par ailleurs qu'un mandat d'amener a été délivré par la police cantonale du Jura à l'encontre de la mère et de l'oncle du second requérant pour enlèvement d'enfant (paragraphe 29 ci-dessus). Toutefois, le juge d'instruction du tribunal de Lausanne rejeta la plainte du premier requérant au motif qu'aucune infraction sur le territoire vaudois n'avait été établie (paragraphe 40 ci-dessus). Par ailleurs, quant à la localisation des fugitifs sur la base de la loi fédérale relative à la surveillance de la correspondance par poste et télécommunication, les autorités suisses ont informé les autorités turques qu'elles devaient recourir au mécanisme de l'entraide pénale internationale pour mettre à exécution des commissions rogatoires entraînant l'application de toutes les mesures de contrainte admissibles dans une procédure pénale, notamment les écoutes téléphoniques. A cet égard, le ministère turc des Affaires étrangères demanda au ministère de la Justice de préparer le dossier comportant les informations nécessaires en vue de former la demande d'entraide pénale internationale auprès de l'O.F.J. (paragraphe 41 ci-dessus).

74. Enfin, un an et quatre mois après la saisine de l'O.F.J. par l'autorité centrale turque, les autorités suisses ont localisé l'enfant, qui vivait dans la clandestinité avec sa mère et son oncle, et l'ont placé dans un foyer pour mineurs (paragraphe 42 ci-dessus).
iii. Conclusion

75. Au vu de ce qui précède, la Cour tient à souligner que le fait que les procédures judiciaires, policières et diplomatiques turques et suisses ne se soient pas déroulées selon le souhait du premier requérant et que l'intéressé n'ait pas obtenu le résultat voulu dans un délai plus court, ne signifie pas que les autorités en question soient demeurées inactives.

76. En l'espèce, la Cour constate que les autorités suisses et turques ont fait le nécessaire pour la remise de l'enfant au parent titulaire du droit de garde et qu'elles ont accompli de nombreux actes d'investigation. Si le premier requérant n'a pu obtenir que d'autres actes soient effectués, en particulier des écoutes téléphoniques, ou que d'autres pistes soient explorées par les autorités nationales, cela ne saurait suffire en soi à faire qualifier les instructions d'insuffisantes (voir, mutatis mutandis, Tapia Gasca et D., précité, § 108).

77. Eu égard à ce qui précède, la Cour conclut que malgré le laps de temps écoulé entre l'enlèvement de l'enfant et son retour en Turquie, ayant suivi toutes les démarches imposées par leur droit national et les conventions internationales, les autorités turques et suisses ont atteint le résultat souhaité par les requérants, et n'ont pas manqué à leur obligation positive résultant des faits litigieux.
Partant, il n'y a pas eu violation de l'article 8 de la Convention.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 5 § 1 DE LA CONVENTION EN CE QUI CONCERNE LA TURQUIE

78. Les requérants soutiennent que leur maintien en détention pendant une nuit à l'aéroport d'Esenboga, à Ankara, dépourvue de base légale, correspond à une privation de liberté, en violation de l'article 5 § 1 de la Convention, ainsi libellé dans son passage pertinent :
« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales : (...) »
A. Sur la recevabilité

79. Le gouvernement turc ne soulève aucune objection à la recevabilité de cette partie de la requête.

80. La Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond

81. Le Gouvernement rappelle qu'à la suite de l'enlèvement de l'enfant, les autorités nationales avaient pris de nombreuses mesures de sécurité permettant la recherche de l'enfant, à savoir l'interdiction de sortie du territoire pour l'enfant et la notice jaune diffusée dans tous les pays membres d'Interpol. A cet égard, la vigilance de la police des frontières sur l'enlèvement du second requérant nécessitait un contrôle d'identification beaucoup plus rigoureux. Le Gouvernement ne mentionne l'existence d'aucun mandat d'arrêt contre les requérants ni d'aucune disposition légale concernant le maintien en détention litigieux. Il fait valoir par ailleurs que les requérants furent libérés une fois entendus par le procureur de la République de Çubuk (Ankara).

82. Les requérants contestent ces arguments. Etant le titulaire du droit de garde vis-à-vis de son enfant et l'auteur des démarches judiciaires ayant débouché sur les mandats d'arrêt émis à l'encontre de son ex-épouse et du frère de celle-ci, le premier requérant se plaint que la police des frontières n'ait pas effectué de contrôle diligent et qu'elle l'ait, avec son fils mineur, placé en détention durant une nuit de manière arbitraire.

83. La Cour note qu'en l'occurrence il n'est pas contesté que les requérants ont été arrêtés lors de la « vérification de leur identité » et maintenus en détention.

84. La Cour constate que le Gouvernement n'a pas fourni d'informations concrètes concernant les démarches de vérification de l'identité des requérants effectuées par la police, ni l'heure à laquelle ils ont été conduits devant le procureur de la République.

85. La question à trancher en l'espèce est de savoir si la privation de liberté des requérants, le matin du 18 novembre, de 1 heure jusqu'à une heure non précisée, est intervenue « selon les voies légales » au sens de l'article 5 § 1 de la Convention.

86. La Cour rappelle d'abord que l'article 5 de la Convention garantit le droit fondamental à la liberté et à la sûreté. Ce droit revêt une très grande importance dans « une société démocratique », au sens de la Convention (Zervudacki c. France, no 73947/01, § 40, 27 juillet 2006). Les termes « selon les voies légales » qui figurent à l'article 5 § 1 renvoient pour l'essentiel à la législation nationale et consacrent l'obligation d'en observer les normes de fond comme de procédure. S'il incombe au premier chef aux autorités nationales, notamment aux tribunaux, d'interpréter et d'appliquer le droit interne, il en est autrement lorsque l'inobservation de ce dernier est susceptible d'emporter violation de la Convention. Tel est le cas, notamment, des affaires dans lesquelles l'article 5 § 1 de la Convention est en jeu et la Cour doit alors exercer un certain contrôle pour rechercher si le droit interne a été respecté (Baranowski c. Pologne, no 28358/95, §§ 50, CEDH 2000-III). En particulier, il est essentiel, en matière de privation de liberté, que le droit interne définisse clairement les conditions de détention et que la loi soit prévisible dans son application (Zervudacki, précité, § 43).

87. En l'occurrence, même si les juridictions nationales avaient rendu des ordonnances prévoyant la recherche et la protection de l'enfant déplacé et retenu illicitement (la police oeuvrant à la restitution de l'enfant au parent titulaire du droit de garde), la Cour constate que les mandats d'arrêt émis à l'encontre de la mère de l'enfant et de son oncle ne pouvaient constituer une base légale conforme à l'article 5 § 1 de la Convention pour détenir les requérants durant plusieurs heures à l'aéroport pour vérification de leur identité, et ce d'autant moins que ceux-ci avaient immédiatement exposé tous les documents relatifs à leur identité et au droit de garde. Par ailleurs, le Gouvernement défendeur n'a aucunement démontré que la détention litigieuse correspondait à l'un des alinéas de l'article 5 § 1.

88. Dès lors, compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que la privation de liberté des requérants n'avait pas de base légale en droit interne.
Partant, en ce qui concerne la Turquie, il y a eu violation de l'article 5 § 1 de la Convention.
III. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

89. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage

90. Les requérants réclament 250 000 euros (EUR) au titre du préjudice matériel. Ils demandent également 300 000 EUR pour le préjudice moral qu'ils auraient subi.

91. Les gouvernements turc et suisse contestent ces prétentions.

92. La Cour n'aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande. En revanche, la Cour estime que les requérants ont subi un tort moral indéniable du fait de la violation constatée sur le terrain de l'article 5 § 1 en ce qui concerne la Turquie. Statuant en équité, comme le veut l'article 41 de la Convention, elle considère qu'il y a lieu de leur octroyer conjointement 9 000 EUR pour le dommage moral subi.
B. Frais et dépens

93. Les requérants demandent également 250 000 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et la Cour. Ils fournissent uniquement une note d'honoraires concernant les opérations effectuées en Suisse dans le cadre du retour de l'enfant en Turquie, pour un montant de 5 970 francs suisse (CHF) (soit environ 3 900 EUR).

94. Le gouvernement turc juge ces demandes non fondées et excessives.

95. Le gouvernement suisse s'oppose lui aussi à ces prétentions. Il indique que, selon la jurisprudence constante de la Cour, celle-ci n'accorde le remboursement des frais et dépens que dans la mesure où ils se rapportent à la violation constatée.

96. La Cour rappelle que le remboursement des frais et dépens ne peut être obtenu que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (Bottazzi c. Italie [GC], no 34884/97, § 30, CEDH 1999-V, et Linnekogel c. Suisse, no 43874/98, § 49, 1er mars 2005).

97. En l'occurrence, la Cour considère que, pour le remboursement des frais et dépens, il y a lieu de tenir compte du fait que seule une violation de l'article 5 § 1 de la Convention a été constatée en raison de la détention des requérants durant une nuit de manière arbitraire par les autorités turques.

98. La Cour observe que le montant sollicité de 5 970 CHF, correspondant aux frais et honoraires de l'avocat qui s'est occupé en Suisse des procédures relatives au retour de l'enfant en Turquie, se rapporte à un grief qui n'a pas débouché sur le constat d'une violation. Rien n'est par conséquent dû par le gouvernement suisse à ce titre (voir, mutatis mutandis, Olsson c. Suède (no 2), 27 novembre 1992, § 113, série A no 250).

99. Pour le reste, la Cour partage l'avis du gouvernement turc selon lequel les requérants n'ont pas suffisamment étayé leurs prétentions.

100. Compte tenu des critères sus rappelés et vu l'absence de tout justificatif de paiement, la Cour rejette la demande des requérants relative aux frais encourus.
C. Intérêts moratoires

101. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.


Entscheid

PAR CES MOTIFS, LA COUR,
1. Déclare, à l'unanimité, la requête recevable;
2. Dit, à l'unanimité, qu'il y a eu violation de l'article 5 § 1 de la Convention de la part des autorités turques ;
3. Dit, à l'unanimité, qu'il n'y a pas eu violation de l'article 8 de la Convention ;
4. Dit, par cinq voix contre deux,
a) que l'Etat turc doit verser aux requérants conjointement, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 9 000 EUR (neuf mille euros), pour dommage moral, somme à convertir en livres turques au taux applicable à la date du règlement, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt ;
b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
5. Rejette, à l'unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 17 mai 2011, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Stanley Naismith Françoise Tulkens
Greffier     Présidente
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l'exposé de l'opinion dissidente partielle commune des juges Jociene et Sajó.
F.T.
S.H.N.
OPINION DISSIDENTE PARTIELLE COMMUNE DES JUGES JOCIENE ET SAJÓ
Nous avons voté avec la majorité de la Section et nous partageons la conclusion de la Cour dans cette affaire.
Néanmoins, s'agissant du dommage moral au titre de l'article 41 de la Convention, nous ne partageons pas l'opinion de la Section. La somme de 9 000 EUR, accordée aux requérants conjointement, compte tenu de la très courte durée et des circonstances de la détention, à notre avis, est très élevée.

Referenzen

Artikel: Art. 8 CEDH