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Urteilskopf

108 II 278


55. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour civile du 17 juin 1982 dans la cause Fondation Russel-Eynard et consorts contre Commune de Rolle (procès direct)

Regeste

Art. 2 Abs. 2, 80 ff., 482 Abs. 1, 601 ZGB.
1. Auslegung eines Testaments und einer Stiftungsurkunde (E. 4a und b).
2. Wird der Vermächtnisnehmer testamentarisch angewiesen, eine Stiftung zu gründen und ihr die vermachten Vermögenswerte zu übertragen, liegt ein Vermächtnis unter Auflage vor (E. 4c).
3. Berechtigt, die Vollziehung der Auflage zu verlangen, ist nicht nur die begünstigte Stiftung, sondern sind auch ein Erbe sowie diejenigen Personen, denen die vom Erblasser festgelegte Leistung zukommen soll (E. 4d).
4. Ist Art. 601 ZGB auf die durch die Auflage eingeräumten Rechte analog anwendbar? Frage offen gelassen (E. 5a).
5. Der Vermächtnisnehmer, der die Einrede der Verjährung erhebt, nachdem er durch sein Verhalten den Begünstigten in den Glauben versetzt hat, er werde die Auflage vollziehen, und ihn dadurch davon abgehalten hat, die Vollziehung zu verlangen, handelt rechtsmissbräuchlich (E. 5b).

Sachverhalt ab Seite 279

BGE 108 II 278 S. 279

A.- a) Marguerite Russell-Eynard était propriétaire d'un domaine dit "Au Pré de Vert", sis à Rolle, dans la partie ouest, de part et d'autre de la route du lac. Comportant maison de maître, dépendance et ruraux, ce domaine est formé des parcelles 326 et 327 du feuillet 15 de la commune de Rolle.
Le 1er novembre 1918, Marguerite Russel-Eynard rédigea un testament instituant héritière unique une fondation qu'elle chargeait ses exécuteurs testamentaires de constituer et qui devait porter le nom de son fils prédécédé, Claudi Russell-Eynard. Elle expliquait qu'elle désirait perpétuer la mémoire de Claudi Russell-Eynard par une oeoeuvre humanitaire venant en aide à des enfants tuberculeux dont les moyens étaient insuffisants pour faire face à la maladie. Ces enfants devaient pouvoir vivre dans la propriété et jouir de ses produits. Aussi la testatrice déclarait-elle laisser à cette oeuvre sa campagne de Pré de Vert "et tout ce qu'elle contient, à moi appartenant au jour de mon décès, à l'exception de tout objet spécialement disposé autrement, ainsi que la presque totalité de ma fortune, afin que ladite oeuvre puisse être organisée et subsister".
Par un second testament, du 22 août 1923, Marguerite Russel-Eynard annula ses dispositions antérieures, tout en renvoyant à son testament de 1918 pour expliquer les sentiments qui l'avaient inspirée. Elle tenait compte d'une importante modification des circonstances survenue depuis 1918: sa soeur Rachel avait divorcé et repris le nom de Eynard. Marguerite Russell-Eynard instituait donc héritière Rachel Eynard et, à son défaut, le fils de celle-ci, Paul Eynard. En ce qui concerne la fondation à créer, elle disposait:
"Je lègue à la Commune de Rolle ma propriété de Pré de Vert, maison, campagnes et dépendances, ainsi qu'un capital de cent vingt mille francs qui représente dans sa presque totalité la fortune qui m'a été laissée par mon mari.
BGE 108 II 278 S. 280
Je désire que ce legs (120'000 fr.) soit consacré à une Fondation pour enfants indigents et délicats, atteints légèrement ou menacés de tuberculose osseuse, sans distinction d'origine ni de religion. Si la Commune de Rolle n'a pas les fonds nécessaires pour créer cette fondation, elle aura la faculté de céder les biens que je lui lègue à une fondation ou autre oeuvre existant déjà et qui devra s'engager à poursuivre le but indiqué par moi sous le nom "Fondation Claudi Russell-Eynard".
Je lègue à la Commune de Rolle, pour la fondation susmentionnée, tout le mobilier proprement dit qui se trouve à Pré de Vert, à l'exception des tableaux et de quelques meubles de souvenir que ma mère et ma soeur devront choisir."
Marguerite Russell-Eynard est décédée à Rolle le 25 juin 1924. Ses dispositions testamentaires furent homologuées par le juge de paix du cercle de Rolle le 26 juin 1924.
b) Des divergences de vues apparurent bientôt entre les exécuteurs testamentaires de Marguerite Russell-Eynard et la commune de Rolle au sujet de l'interprétation du legs fait à la commune. Les exécuteurs testamentaires soutenaient que les immeubles pouvaient être immatriculés au registre foncier, au chapitre ordinaire de la commune de Rolle, et même à un chapitre spécial, mais seulement jusqu'à ce que la fondation Claudi Russell-Eynard eût son existence propre et pût vivre de ses moyens: à ce moment là, disaient-ils, les immeubles devraient passer au chapitre personnel de la fondation.
La Municipalité prétendait, au contraire, que la commune de Rolle, instituée légataire avec charge, avait le droit, après acceptation du legs, de faire inscrire les immeubles au chapitre de la commune de Rolle avec réserve d'usufruit.
Finalement, un accord intervint, en 1930-1931, entre la commune et les exécuteurs testamentaires: une fondation au sens des art. 80 ss CC serait constituée, la somme de 120'000 fr. lui serait affectée, les immeubles seraient transférés à un chapitre cadastral spécial intitulé "Commune de Rolle, fondation Claudi Russell-Eynard" et voués exclusivement à l'oeuvre à créer.
Le Conseil communal accepta le legs et la création de la fondation. L'acte de délivrance du legs, notarié le 26 avril 1932, fut inscrit le 30 avril au registre foncier.
Le même jour, la commune de Rolle a constitué la fondation. L'acte constitutif contient notamment les dispositions admises par les parties, soit l'attribution définitive du legs de 120'000 fr. à la fondation, à titre de capital initial, l'attribution en propriété exclusive du mobilier légué et la clause suivante relative aux immeubles:
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"Enfin, est encore affecté à titre définitif à la Fondation Claudi Russell-Eynard l'usage de tous les immeubles formant la campagne de Pré de Vert, communes de Rolle et de Gilly, et qui viennent de faire l'objet d'un acte de délivrance de legs en faveur de Rolle, étant entendu que ces immeubles sont inscrits au Registre foncier à un chapitre spécial de la Commune de Rolle intitulé "Commune de Rolle (Fondation Claudi Russell-Eynard)", sans que ladite commune ait jamais la possibilité de distraire tout ou partie de ces immeubles du but fixé par Mme Marguerite Russell-Eynard, cela sous réserve toutefois que dans l'éventualité où il paraîtrait nécessaire pour la Fondation de réaliser une partie du domaine, la Commune se prêterait à cette aliénation moyennant que le produit de la vente vienne accroître le capital inaliénable de la Fondation. La Fondation aura sur ces immeubles le droit de jouissance le plus étendu avec la faculté de les gérer et d'en tirer tous les revenus, mais avec l'obligation de les maintenir en bon état.
Elle supportera tous les frais d'exploitation, impôts, assurances et autres contributions publiques.
La Commune de Rolle n'aura pas à rembourser le coût d'installations, réparations d'entretien pour les transformations, constructions et reconstructions qui pourraient être apportées aux immeubles et ouvrages, toutes ces dépenses devant être supportées par la Fondation bénéficiaire."
L'acte constitutif arrête ensuite les statuts de la fondation, dont l'art. 1 est ainsi libellé:
"La Fondation Claudi Russell-Eynard a pour but de créer sur le domaine de Pré de Vert, à Rolle, un établissement en faveur d'enfants indigents et délicats, atteints légèrement ou menacés de tuberculose osseuse, sans distinction d'origine ni de religion; le tout conformément aux dispositions des dernières volontés de Mme Marguerite Russell-Eynard."
c) En 1944, le comité de la fondation, d'accord avec la commune de Rolle, envisagea de vendre les immeubles et d'en affecter le produit à une oeuvre en faveur d'enfants atteints de tuberculose osseuse, le traitement de cette maladie ne pouvant pas être pratiqué à Rolle en raison du climat. Autorité supérieure en matière de surveillance des fondations, le Conseil d'Etat du canton de Vaud décida, le 11 janvier 1946, de ne pas autoriser la vente en principe, tout en se réservant d'examiner une nouvelle demande de vente partielle destinée à augmenter les ressources de l'oeuvre. Toutefois, il autorisa le comité de la fondation à s'intéresser, non seulement à des enfants atteints de tuberculose osseuse, mais à des enfants délicats, débiles ou prédisposés à la tuberculose, qui ont besoin de passer leur vie au grand air.
d) En 1978, la fondation établit un projet de nouvelles constructions qui devait être financé par des subventions et par des emprunts garantis par hypothèque sur les immeubles. Elle chargea le notaire Chuard de trouver une solution permettant d'assurer le
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financement hypothécaire. Consultant le registre foncier, cet homme de loi constata que le propriétaire des immeubles était inscrit en les termes suivants: "Rolle, La Commune - Fondation Claudi Russell-Eynard". Il demanda conseil au professeur Piotet, qui, dans un avis de droit du 30 mai 1978, estima que la propriété des immeubles devait être transférée par la commune à la fondation. La Municipalité se rallia à cette manière de voir et proposa au Conseil communal de l'autoriser à exécuter le transfert. Mais le Conseil communal refusa son accord dans sa séance du 5 février 1980. Dans l'intervalle, le 27 octobre 1978, le conservateur du registre foncier de Rolle rectifia la désignation du propriétaire des parcelles 326 et 327, en biffant les mots "Fondation Claudi Russell-Eynard" pour ne laisser subsister que "Rolle, La Commune".
Cette rectification ne fut pas notifiée à la fondation. Le notaire Chuard en prit connaissance fortuitement à la fin de l'année 1978, en consultant de nouveau le registre foncier dans le cadre de ses démarches pour chercher comment créer un crédit hypothécaire. Le conservateur lui déclara alors qu'il en avait référé à son supérieur hiérarchique.

B.- Le 11 juillet 1980, la Fondation Claudi Russell-Eynard, Paul Eynard et les enfants mineurs Marc-Etienne Rochat, Thierry Gallay et Patrick Favre, tous trois représentés par leurs parents, ont ouvert action contre la commune de Rolle. Ils demandaient que la défenderesse fût condamnée à transférer gratuitement à la fondation la propriété des immeubles légués par Marguerite Russell-Eynard.
Le Tribunal fédéral a admis l'action.

Erwägungen

Extrait des considérants:

4. Selon les demandeurs, la volonté de la testatrice était, non seulement que la commune constituât la fondation, mais encore qu'elle lui transférât tous les biens légués, y compris les immeubles.
a) Pour déterminer les intentions d'un testateur, il faut se référer à ce qu'il a écrit et, s'il subsiste une obscurité, interpréter les termes dont il s'est servi en tenant compte de l'ensemble du testament, voire d'éléments extrinsèques - dans la mesure où ils permettent d'élucider, d'appuyer ou de corroborer une indication contenue dans le texte (ATF 101 II 34 consid. 3 et les références) - sans s'arrêter au sens que le légataire a pu donner de bonne foi aux seules énonciations (cf., notamment, TUOR, Das Erbrecht, Erste Abteilung, Vorbemerkungen zum dritten Abschnitt, n. 11 ss; PIOTET, Droit successoral, Traité de droit privé suisse, IV p. 192).
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En l'espèce, les termes employés dans le testament du 22 août 1923 ne prêtent pas à équivoque au sujet de la somme de 120'000 francs et du mobilier légués à la commune: ces biens devaient être consacrés à la fondation. En revanche, la testatrice ne le précise pas expressément à propos du legs des immeubles. Mais cette interprétation s'impose. Il ne fait pas de doute, d'après le contexte, que la testatrice léguait à la commune de Rolle immeubles, espèces et mobilier pour qu'ils fussent affectés soit à une fondation que créerait la légataire, soit à une fondation ou une oeuvre préexistantes. Il ressort en outre du testament de 1918, auquel Marguerite Russell-Eynard s'est référée pour expliquer sa volonté, que la testatrice entendait que les immeubles eux-mêmes fussent consacrés à la fondation. On y lit:
"... Depuis la mort de notre enfant nous avions pris ensemble, mon mari et moi, la décision de faire de Pré de Vert, maison et campagne, une Fondation pour enfants indigents et délicats, en souvenir de notre fils... Je laisse donc à cette oeuvre ma campagne Pré de Vert et tout ce qu'elle contient... C'est le désir de mon mari et le mien que tout soit fait pour le bien-être, le confort et la joie de ces enfants afin qu'ils puissent jouir à Pré de Vert de tout ce que notre enfant a aimé ici-même dans sa courte vie..."
La commune de Rolle ne doute d'ailleurs pas de cette interprétation, puisqu'elle a toujours déclaré vouloir consacrer les immeubles aux enfants bénéficiaires: elle l'a admis dans l'acte constitutif de la fondation et le dit encore en procédure. Toutefois, elle conteste que cette affectation doive nécessairement se faire par un transfert de propriété à la fondation.
b) Dans l'acte constitutif du 26 avril 1932, la commune déclare consacrer l'usage des immeubles, à titre définitif, à la fondation, s'engageant à n'en jamais distraire tout ou partie, sauf si la fondation elle-même devait en avoir besoin pour atteindre son but; la commune se prêterait alors à l'aliénation, moyennant que le produit de la vente vienne accroître le capital inaliénable de la fondation. Celle-ci doit avoir le droit de jouissance le plus étendu sur les immeubles, avec faculté de les gérer et d'en tirer tous les fruits, mais elle est aussi chargée de toutes les contributions publiques, ainsi que des frais d'installations, de réparations et de transformations.
Un tel faisceau de droits et d'obligations ne peut pas relever de la liberté des contrats, s'il doit durer perpétuellement (LIVER, Die Dienstbarkeiten und Grundlasten, 1980, Einleitung, n. 142). Un contrat serait d'ailleurs inconcevable en l'espèce, l'acte de fondation étant un acte unilatéral du fondateur, faute d'un cocontractant (RIEMER, Die Stiftungen, n. 4 ad art. 80 CC; PIOTET, Droit successoral, p. 161).
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Dans ces conditions, l'ensemble de droits et d'obligations indiqué dans l'acte constitutif ne peut que faire l'objet d'un droit réel. Le nombre et les modalités des droits réels sont exhaustivement fixés par la loi (LIVER, op.cit., Einleitung, n. 12; MEIER-HAYOZ, Das Eigentum, 5e éd., Quellen und Hilfsmittel der Rechtsfindung, n. 78 ss). Il ne saurait s'agir d'un usufruit, puisque l'usufruit des personnes morales ne peut pas durer plus de cent ans (art. 749 al. 2 CC). Le seul droit réel qui puisse avoir une portée aussi large est la propriété.
La commune a d'ailleurs indiqué par acte concluant qu'elle admettait que la fondation devait acquérir les immeubles légués, puisqu'elle a ménagé son inscription au registre foncier. Mais cette inscription était inefficace. L'inscription de deux personnes en qualité de propriétaires n'est possible qu'en cas de propriété commune ou de copropriété, modalités qui ne correspondaient ni à la volonté de la testatrice, ni à celle des parties. La radiation de la fondation par décision du 27 octobre 1978 était donc bien fondée, lors même qu'elle est intervenue sous une forme critiquable.
La commune a également manifesté qu'à son avis la fondation devait être propriétaire des immeubles quand, dans l'acte constitutif, elle a prévu qu'une partie des immeubles pourrait être vendue si cela se révélait utile pour atteindre le but de la fondation, et que la somme ainsi obtenue devrait revenir à la fondation exclusivement. Elle a exprimé la même intention en 1944, lorsqu'il a été question de vendre les immeubles.
La commune ne saurait soutenir que la testatrice ne voulait pas créer une véritable fondation, au sens des art. 80 ss CC, mais qu'elle se contentait d'une fondation dépendante ou fiduciaire, ou subordonnée, soit de l'attribution à une personne de biens à employer à une certaine fin (J. L. KRAFFT, Les fonds de prévoyance et la théorie générale des fondations, thèse Lausanne 1956, p. 51 ss; RIEMER, p. 264 ss, n. 418; PIOTET, Droit successoral, p. 135). Si une telle figure juridique est analogue à la fondation, notamment par l'affectation durable d'un patrimoine à un but déterminé, elle s'en distingue cependant fondamentalement par l'absence de personnalité juridique. Or, en l'espèce, c'est bien une personnalité indépendante, soit une personne morale capable d'acquérir des droits, qu'a voulue Marguerite Russell-Eynard. Dans son testament de 1918, elle en faisait sa seule héritière; dans celui de 1923, elle lui a expressément destiné la somme de 120'000 francs et le mobilier, lui attribuant en outre les immeubles litigieux,
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comme l'a confirmé l'interprétation de ses dispositions de dernières volontés. Au demeurant, en créant une fondation au sens des art. 80 ss CC, la défenderesse a elle-même manifesté la signification qu'elle donnait aux intentions de la testatrice.
Personne morale, la fondation demanderesse a la capacité d'être propriétaire des biens qui lui sont affectés et le fondateur est tenu de lui en transférer la propriété, dès lors qu'il doit nécessairement y renoncer lui-même (KRAFFT, op.cit., p. 43).
Le titre au transfert de la propriété est donc établi. Il réside dans la disposition testamentaire de Marguerite Russell-Eynard qui prévoit l'affectation à la fondation des immeubles légués à la commune. Cette dernière ne saurait prétendre que la fondation a renoncé au titre d'acquisition en se contentant des modalités stipulées dans l'acte constitutif: la fondation n'était pas partie à cet acte; au surplus, on l'a vu, le faisceau de droits et d'obligations qui y est énoncé ne peut faire l'objet que d'un droit de propriété.
c) La question se pose dès lors de savoir si la disposition testamentaire qui fonde le titre d'acquisition de la fondation doit être qualifiée de charge, comme le soutiennent les demandeurs, ou de sous-legs, ainsi que l'affirme la défenderesse. La distinction porte à conséquence en l'espèce pour déterminer la qualité pour agir des demandeurs autres que la fondation et, éventuellement, pour statuer sur l'exception de prescription soulevée par la défenderesse.
aa) Le legs, au sens des art. 484 ss CC, crée une véritable créance en faveur du bénéficiaire, tandis que la charge, telle qu'elle est prévue à l'art. 482 CC, se borne à conférer aux intéressés un droit sui generis à l'exécution (ATF 105 II 259 /260 c et d, 103 II 226 consid. I 2, 101 II 27/28 et les références; cf. PIOTET, Droit successoral, p. 113, 118, 134, qui précise que le legs confère un avantage patrimonial).
bb) Il est évident que le legs fait à la commune de Rolle était grevé d'une charge dans la mesure où la testatrice a invité la légataire à créer une fondation, subsidiairement à désigner une fondation ou une oeuvre préexistante qui pût le recueillir. Dans la seconde hypothèse, la fondation préexistante n'aurait pas pu faire valoir contre la commune une créance pour qu'elle la désignât. Dans la première éventualité envisagée par la testatrice, soit celle qui s'est réalisée, la commune était tenue de créer une fondation, c'est-à-dire, on l'a vu, d'accomplir un acte unilatéral. Il ne pouvait donc y avoir de créancier au sens du droit des obligations.
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cc) Du fait de l'art. 488 al. 3 CC, le légataire peut être grevé d'une substitution fidéicommissaire lui imposant de rendre le legs à un tiers, l'appelé. En application de l'art. 545 al. 1 CC, la fondation demanderesse pourrait remplir ce rôle d'appelé bien qu'elle n'existât pas au moment de l'ouverture de la succession. A première vue, on pourrait donc concevoir qu'en vertu du testament la fondation a contre la commune, légataire grevée de substitution, une action en délivrance d'un sous-legs (art. 562 CC), si bien qu'elle serait titulaire d'une créance en transfert des immeubles.
Mais une telle distinction entre la création de la fondation et le transfert des biens qui lui sont consacrés est impossible. On ne peut imaginer une fondation sans que des biens soient affectés à un but spécial (RIEMER, n. 24 ad art. 80 CC): d'après la définition de l'art. 80 CC, cette affectation est l'essence même de l'institution. Dès lors, quand le légataire est obligé par une charge de créer une fondation et de lui transférer ce qu'il a acquis dans la succession, le transfert est dû en vertu de la charge, comme la constitution de la fondation elle-même, dont il est indissociable (cf. PIOTET, Clause d'un pacte successoral prévoyant la constitution d'une fondation et sa dotation, JdT 1980 I p. 315 ss, sp. p. 316).
d) Aux termes de l'art. 482 al. 1 CC, tout intéressé a le droit de requérir l'exécution de la charge. Le cercle des intéressés ne doit pas être déterminé de manière restrictive. Il n'est pas besoin d'un intérêt patrimonial: un intérêt moral suffit (TUOR, n. 14 ad art. 482 CC; PIOTET, Droit successoral, p. 135). Paul Eynard a un double intérêt moral à voir exécuter la charge. Il est le neveu de la testatrice. De plus, si sa tante n'avait pas testé en faveur de la fondation, les biens qui sont affectés à celle-ci lui seraient normalement revenus par l'intermédiaire de sa mère: dès l'instant qu'il en est privé, il est fondé à demander qu'ils parviennent à la personne désignée par la testatrice (cf. TUOR, n. 15 ad art. 482 CC).
Quant aux enfants demandeurs, qui accomplissent leur scolarité à l'institution de Pré de Vert, ils sont du nombre des destinataires de la prestation voulue par Marguerite Russell-Eynard. Leur qualité pour agir ne saurait dès lors être douteuse (TUOR, n. 15 ad art. 482 CC; PIOTET, Droit successoral, p. 135).

5. La défenderesse soulève l'exception de prescription.
a) Le droit de la fondation d'obtenir le transfert des immeubles n'étant pas une créance découlant d'un sous-legs (art. 562 CC), l'art. 601 CC n'est pas applicable directement. La loi ne prévoit pas expressément que les droits conférés aux intéressés par la charge
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sont soumis à prescription. Dans l'arrêt ATF 76 II 208 consid. 5, le Tribunal fédéral a estimé que c'était douteux, mais a laissé la question indécise; dans l'arrêt ATF 87 II 362, il est dit que, aussi longtemps que le bénéficiaire jouira de la libéralité, il sera lié par les charges qui l'affectent, sauf si elles sont illicites ou contraires aux moeurs. Selon ESCHER (Das Erbrecht, Erste Abteilung: Die Erben, 3e éd., n. 22 ad art. 482 CC), l'absence de créance a pour conséquence l'imprescriptibilité du droit à l'exécution. En revanche, SPIRO (Die Begrenzung privater Rechte durch Verjährungs-, Verwirkungs- und Fatalfristen, Band I: Die Verjährung der Forderungen, § 61, p. 131/132 et n. 23) et PIOTET (Droit successoral, p. 138) estiment que l'art. 601 CC devrait s'appliquer par analogie, étant donné la parenté qui existe entre la charge et le legs.
Point n'est besoin de trancher en l'espèce, car les demandeurs font valoir avec raison que la défenderesse ne saurait invoquer la prescription sans abuser de son droit.
b) Le débiteur commet un abus de droit en se prévalant de la prescription, non seulement lorsqu'il amène astucieusement le créancier à ne pas agir en temps utile, mais aussi lorsque, sans dol, il a un comportement qui incite le créancier à renoncer à entreprendre des démarches juridiques pendant le délai de prescription et que, selon une appréciation raisonnable, fondée sur des critères objectifs, ce retard apparaît compréhensible (ATF 89 II 262 /263 consid. 4 et les références).
Tel est le cas en l'occurrence. Dès qu'elle a acquis le legs et qu'ainsi la charge a sorti ses effets (art. 482 al. 1 CC), la défenderesse n'a cessé de déclarer qu'elle entendait affecter les immeubles litigieux à la fondation demanderesse, à titre définitif, sans avoir jamais la possibilité de distraire tout ou partie de ces immeubles du but visé par la testatrice, et que la fondation aurait sur ces biens le droit de jouissance le plus étendu. Elle a même fait inscrire la fondation au registre foncier, conjointement avec elle, comme propriétaire: certes, telle qu'elle a été opérée, cette inscription n'avait pas de portée juridique, mais elle manifestait chez la défenderesse la volonté de mettre les immeubles à l'entière disposition de la fondation. La commune est allée jusqu'à s'obliger à consentir à une aliénation partielle qui serait conforme aux intérêts et au but de la fondation. Du fait de cette attitude, la fondation a toujours vu reconnaître son droit à user des immeubles comme un propriétaire, dans les limites qui lui sont assignées par
BGE 108 II 278 S. 288
son but. Elle n'avait dès lors aucune raison d'exiger le transfert des immeubles. C'est seulement lorsque, après la radiation de la fondation au registre foncier, le Conseil communal a, par décision du 5 février 1980, refusé le transfert que la commune a clairement indiqué qu'elle n'entendait pas exécuter pleinement la charge dont est grevé le legs, en recourant à une institution reconnue par le droit et correspondant à la volonté de la testatrice.

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BGE: 101 II 34, 105 II 259, 87 II 362, 89 II 262

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