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Urteilskopf

148 II 25


3. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour de droit public dans la cause Dargaud (Suisse) SA contre Commission de la concurrence COMCO (recours en matière de droit public)
2C_43/2020 du 21 décembre 2021

Regeste

Art. 5 Abs. 4 und Art. 49a KG; vertikale Gebietsabsprache; Alleinvertriebsvertrag; Verbot von Passivverkäufen; absoluter Gebietsschutz bei Einkaufsmöglichkeit über ausländische Commerce-Websites.
Kriterien für einen Vertriebsvertrag, der einen absoluten Gebietsschutz gewährt und wirksamen Wettbewerb im Sinne von Art. 5 Abs. 4 KG ausschaltet (E. 8).
Im vorliegenden Fall können Verträge, in denen bestimmte Verleger die Beschwerdeführerin mit der exklusiven Verbreitung und dem Vertrieb ihrer Werke an alle Schweizer Buchhändler beauftragen, unter Art. 5 Abs. 4 KG fallen. Es ist unerheblich, ob es ausländischen Online-Händlern freisteht, die gleichen Produkte über das Internet in die Schweiz zu verkaufen (E. 9).

Sachverhalt ab Seite 26

BGE 148 II 25 S. 26

A. Dargaud (Suisse) SA est une société anonyme de droit suisse. Son capital-actions est détenu à 100 % par la société française Dargaud FR, elle-même détenue à 98,5 % par la société Media Participations Paris SA. Cette dernière société chapeaute les différentes entités du groupe Media Participations (ci-après: le groupe MP), qui rassemble plusieurs sociétés actives dans le milieu de l'édition, de la diffusion et de la distribution de livres en français, notamment de bandes dessinées, de livres pour la jeunesse et de livres religieux.
Dargaud (Suisse) SA exerce des activités de diffusion et de distribution de livres en Suisse. L'activité de diffusion consiste à définir le plan commercial et promotionnel des livres, à faire connaître ceux-ci aux divers points de vente et à en prendre les commandes. Celle de distribution revient à organiser les flux physiques, logistiques et financiers entre les points de ventes de livres et l'éditeur. Dargaud (Suisse) SA diffuse et distribue en priorité les ouvrages des éditeurs appartenant à son groupe commercial, soit au groupe MP, mais elle offre également ses services à des éditeurs extérieurs à son groupe. Les contrats que la société a conclus en vue de la diffusion et/ou de la distribution de livres en français sur le territoire suisse - édités ou non au sein du groupe MP - contiennent tous une clause d'exclusivité territoriale, dont le type et la formulation peut néanmoins diverger d'un accord à l'autre.

B. Du 12 juillet 2007 au 13 mars 2008, le secrétariat de la Commission de la concurrence (ci-après: la COMCO) a mené une enquête préalable sur le marché du livre écrit en français. Les informations obtenues auprès des diffuseurs-distributeurs et des revendeurs actifs en Suisse ont fait apparaître que les premiers occupaient une position forte sur le marché en cause et que le niveau des prix y était élevé.
BGE 148 II 25 S. 27
En date du 27 mai 2013, la COMCO a rendu une décision à l'encontre de la société Dargaud (Suisse) SA et de neuf autres diffuseurs-distributeurs de livres. Elle a condamné en particulier la société précitée au paiement d'une sanction de 1'650'008 fr. en application de l'art. 49a al. 1 LCart en raison de sa participation à des accords illicites au sens de l'art. 5 al. 4 et 1 de la loi fédérale sur les cartels et autres restrictions à la concurrence (LCart; RS 251). Elle lui a par ailleurs interdit - comme aux neuf autres diffuseurs/distributeurs concernés par sa décision - d'entraver par des contrats de distribution et/ou de diffusion exclusives les importations parallèles de livres écrits en français par tout détaillant actif en Suisse.
Le 11 juillet 2013, Dargaud (Suisse) SA a interjeté recours auprès du Tribunal administratif fédéral contre la décision de la COMCO. Par arrêt du 30 octobre 2019, le Tribunal administratif fédéral a admis partiellement le recours. Il a considéré que certains accords de diffusion et de distribution de livres auxquels Dargaud (Suisse) SA était partie ne relevaient pas de la LCart, en particulier ceux qui concernaient des ouvrages édités à l'interne du groupe MP. Il a ainsi réduit à 825'004 fr. la sanction prononcée à l'encontre de la société. Il a confirmé la décision attaquée pour le surplus.

C. Le 4 janvier 2020, la société Dargaud (Suisse) SA (ci-après: la recourante) a déposé un recours en matière de droit public auprès du Tribunal fédéral contre l'arrêt précité du Tribunal administratif fédéral.
Le Tribunal fédéral a admis partiellement le recours, annulé partiellement l'arrêt attaqué et renvoyé la cause au Tribunal administratif fédéral afin, notamment, qu'il revoie à la baisse le montant de la sanction infligée à la recourante.
(résumé)

Erwägungen

Extrait des considérants:
V. Portée de l'art. 5 al. 4 LCart

8. La recourante conteste en l'occurrence avoir participé à des accords verticaux remplissant les conditions de l'art. 5 al. 4 LCart dans le cadre de son activité de diffusion et de distribution de livres en Suisse et, partant, avoir institué un système de distribution propre à supprimer toute concurrence efficace sur ce marché. Elle soulève à cet égard plusieurs griefs qui ne peuvent être traités qu'après un bref
BGE 148 II 25 S. 28
résumé de la portée de l'art. 5 al. 4 LCart. Pour rappel, cette disposition prévoit que les "contrats de distribution attribuant des territoires" sont, entre autres accords, présumés entraîner la suppression d'une concurrence efficace sur le marché qu'ils concernent "lorsque les ventes par d'autres fournisseurs agréés sont exclues". La présomption qu'elle institue implique ainsi la réalisation de trois conditions qu'il convient de passer en revue: (1) l'existence d'un accord vertical de distribution, (2) l'attribution d'un territoire et (3) la mise en place d'une protection territoriale absolue (cf. ATF 143 II 297 consid. 6.2).

8.1 Il n'y a d'accord vertical de distribution au sens l'art. 5 al. 4 LCart que lorsque des entreprises occupant des échelons du marché différents s'entendent sur des modalités de distribution de biens, services ou produits dans le cadre d'un contrat de distribution. Selon la jurisprudence, la notion de "contrats de distribution" doit être comprise largement. Elle englobe évidemment les contrats de distribution proprement dits, par lesquels un producteur ou un prestataire de services organise son réseau de distribution et convient avec son distributeur que ses produits seront écoulés selon des modalités qu'ils spécifient (contrat de distribution exclusive, système de distribution sélective, contrat d'achat exclusif, contrat de fourniture exclusive, franchise, contrat de licence). Elle couvre cependant aussi les clauses de distribution spécifiques insérées dans d'autres contrats, comme des contrats de franchise ou de licence (ATF 143 II 297 consid. 6.3.1).

8.2 Un accord vertical de distribution procède à une attribution de territoire lorsqu'il contient une clause d'attribution de territoire se référant à une surface délimitée ou délimitable (p. ex. la Suisse qui constitue un marché potentiellement clos, ce qui a justifié l'introduction de l'art. 5 al. 4 LCart; ATF 143 II 297 consid. 6.3.2). Il convient de souligner à cet égard que le texte clair de l'art. 5 al. 4 LCart ne se réfère qu'aux répartitions de marchés sur la base de "territoires". La présomption de suppression de la concurrence efficace prévue par cette disposition ne vaut dès lors pas pour les accords de distribution qui segmenteraient le marché en fonction d'une "clientèle" (cf. aussi BO 2003 CE 330). Un accord d'exclusivité de clientèle par lequel un fournisseur s'engagerait à ne vendre ses produits qu'à un seul distributeur aux fins de leur revente à une clientèle déterminée (p. ex. à des clients exerçant une profession déterminée ou
BGE 148 II 25 S. 29
figurant sur une liste préétablie sur la base d'un critère donné; cf. Communications de la Commission européenne du 10 mai 2010, Lignes directrices sur les restrictions verticales, JO C 130/1 du 19 mai 2010 [ci-après: Lignes directrices UE], n° 168) ne relève en principe pas de l'art. 5 al. 4 LCart, à moins bien sûr que la clientèle en question soit définie sur la base d'un critère géographique uniquement (AMSTUTZ/CARRON/REINERT, in Commentaire romand, Droit de la concurrence, 2e éd. 2013, n° 594 ad art. 5 LCart).

8.3 D'après l'art. 5 al. 4 LCart, un accord vertical de distribution attribuant un territoire n'est enfin présumé supprimer la concurrence efficace que s'il est exclu que d'autres fournisseurs agréés procèdent à des ventes sur ce territoire. Sur la base d'une interprétation historique et téléologique, le Tribunal fédéral considère que seuls les cas de protection territoriale "absolue" sont visés par la norme et concernés par la présomption de suppression de la concurrence instituée par celle-ci. Il existe une telle protection lorsque les partenaires de distribution externes au territoire attribué se voient empêchés de procéder à des ventes non seulement "actives", mais également "passives" vers le territoire en question (ATF 143 II 297 consid. 6.3.4). Par "vente active", il faut comprendre le fait pour un distributeur de chercher à obtenir des clients ou une clientèle installés sur le territoire d'un autre distributeur par le biais de moyens ciblés. Quant à la "vente passive", elle consiste uniquement à répondre à des commandes spontanées effectuées par des clients installés sur ce territoire. Ainsi, s'il reste possible d'opérer de telles ventes passives à destination d'un territoire attribué à titre exclusif à un distributeur, il faut considérer que celui-ci ne bénéficie d'aucune protection territoriale absolue, même si aucun autre distributeur ne peut procéder à des ventes actives sur ce territoire; on se trouve dans un tel cas face à une protection territoriale "relative", laquelle ne relève pas de l'art. 5 al. 4 LCart (ATF 143 II 297 consid. 6.3.5).

8.4 Il s'agit à présent de se demander si les 36 accords de diffusion et de distribution de livres auxquels la recourante a participé et qui tombent sous le coup de l'art. 4 al. 1 LCart remplissent les conditions qui précèdent, comme l'a retenu le Tribunal administratif fédéral. A cet égard, la recourante formule un premier grief lié à la vente de livres par internet qui doit être traité en premier lieu, dans la mesure où il est susceptible de conduire à lui seul à l'admission entière du recours.
BGE 148 II 25 S. 30
VI. Distribution parallèle par internet et présomption de suppression de la concurrence efficace au sens de l'art. 5 al. 4 LCart

9. Dans ses écritures, la recourante soutient qu'en raison de l'importance que revêtait déjà la vente de livres par internet entre 2005 et 2011, il ne peut pas lui être reproché d'avoir participé à des accords de distribution cloisonnant le marché suisse et remplissant les conditions de l'art. 5 al. 4 LCart. Elle affirme que les acteurs du commerce en ligne comme Amazon vendaient à cette époque déjà les ouvrages qu'elle-même était censée diffuser et distribuer dans le pays. Le Tribunal administratif fédéral aurait dès lors considéré à tort qu'elle avait mis en place un système de diffusion/distribution empêchant toute importation parallèle d'ouvrages en français en Suisse: les éditeurs qu'elle diffusait et distribuait en Suisse auraient toujours été libres de livrer leurs ouvrages aux différents sites de vente en ligne, et ceux-ci de revendre ces produits directement à des acheteurs suisses, que ce soit directement à des lecteurs, des librairies et d'autres types de revendeurs de livres installés en Suisse.

9.1 Il ressort en l'espèce de l'arrêt attaqué que les entreprises actives dans le commerce par internet, en particulier Amazon, concurrençaient effectivement déjà de manière importante les librairies helvétiques durant la période sous enquête, soit entre 2005 et 2011. Le Tribunal administratif fédéral a par ailleurs établi qu'à la même période, quelques librairies suisses s'étaient elles-mêmes tournées de manière ponctuelle vers la vente par internet pour se faire livrer des ouvrages en français en vue de leur revente à des clients. Ainsi, les entreprises du commerce en ligne vendaient à cette époque déjà de nombreux livres en Suisse, après se les être procurés auprès de divers distributeurs ou grossistes français, voire directement auprès de leurs éditeurs. On notera que certains contrats conclus par la recourante précisaient d'ailleurs que celle-ci n'était pas chargée de la distribution des livres aux "librairies en ligne non suisses". Reste à savoir si l'existence de ce double canal de distribution de livres en français vers la Suisse empêche par principe de considérer que la recourante a pu participer à des accords de distribution cloisonnant le marché suisse et remplissant les conditions de l'art. 5 al. 4 LCart, comme le prétend l'intéressée.

9.2 Répondre à cette question suppose, entre autres aspects, de déterminer si une entreprise comme Amazon - qui exploite un site internet accessible depuis la Suisse et qui propose d'y livrer des ouvrages rédigés en français - doit être considérée, au sens du droit
BGE 148 II 25 S. 31
des cartels, comme un revendeur de livres implanté dans le pays, ce au même titre que n'importe quelle librairie helvétique. Dans une telle hypothèse, il faudrait en effet considérer que les contrats de diffusion/distribution conclus par la recourante ne rempliraient jamais la deuxième condition fixée à l'art. 5 al. 4 LCart, en ce sens qu'ils ne lui attribueraient aucun "territoire" de distribution exclusif, mais uniquement le droit exclusif de fournir une "clientèle" spécifique, englobant les points de vente physiques de livres situés en Suisse (librairies, supermarchés, etc.), à l'exclusion des revendeurs en ligne actifs dans le pays (cf. supra consid. 8.2).

9.2.1 La problématique de la vente en ligne n'a pas été thématisée par le Conseil fédéral et le Parlement dans le cadre de l'adoption de la LCart, qui date du 6 octobre 1995. Elle n'a pas été évoquée non plus lors de la révision législative ayant conduit à l'adoption en 2003 du nouvel art. 5 al. 4 LCart, même si le phénomène était en expansion. La COMCO s'est en revanche penchée sur la question en 2010. Sa Communication concernant l'appréciation des accords verticaux 1 (Décision de la Commission de la concurrence du 28 juin 2010 [ci-après: CommVert], FF 2010 4625 ch. 2 et 3) précise que les ventes réalisées par internet constituent en principe des ventes dites "passives", en ce sens qu'elles satisfont généralement à des demandes non sollicitées provenant d'un autre territoire. Cette appréciation de la vente en ligne reprend celle défendue par la Commission européenne dans ses Lignes directrices sur les restrictions verticales du 10 mai 2010. La Commission y affirme que l'on a en principe affaire à une vente passive si un client visite le site internet d'un distributeur et prend contact avec ce dernier et si ce contact débouche sur une vente et une livraison à l'acheteur (Lignes directrices UE, n° 52). Le commerce en ligne peut tout au plus s'assimiler à de la vente "active" - visant une clientèle ou des clients situés sur un teritoire déterminé - lorsqu'elle s'accompagne d'une publicité spécifiquement adressée à ces derniers ou lorsqu'elle se caractérise par un effort visant à atteindre spécifiquement un territoire particulier (p. ex. payer un moteur de recherche ou un fournisseur d'espace publicitaire en ligne pour qu'ils diffusent une publicité spécifiquement aux utilisateurs établis sur un territoire particulier; cf. Lignes directrices UE, n° 53).

9.2.2 Relevons que la doctrine suisse soutient l'avis de la COMCO et de la Commission européenne. Elle considère également que les ventes par internet constituent en principe une forme de ventes pasives. Selon elle, seule l'exploitation d'un site internet clairement
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destiné à un territoire ou à un groupe cible situé en dehors du territoire attribué au distributeur peut équivaloir à de la vente active sur ce territoire (cf. notamment AMSTUTZ/CARRON/REINERT, op. cit., nos 625 ss ad art. 5 LCart; ZIRLICK/BANGARTER, in KG, Kommentar zum Bundesgesetz über Kartelle und andere Wettbewerbsbeschränkungen, 2018, nos 511 et 519 ad art. 5 LCart; KRAUSKOPF/SCHALLER, in Basler Kommentar, Kartellgesetz, 2010, n° 566 ad art. 5 LCart).

9.2.3 En l'occurrence, rien n'indique dans l'arrêt attaqué que les sites de vente en ligne comme Amazon auraient fourni, entre 2005 et 2011, un effort particulier pour atteindre précisément et spécifiquement le marché suisse du livre en français. La recourante ne le prétend pas dans ses écritures non plus. Il faut donc retenir que durant la période ayant fait l'objet de l'enquête de la COMCO, les commerçants en ligne n'ont opéré que des ventes passives à la demande de clients suisses et qu'ils n'ont, partant, déployé aucune activité commerciale justifiant de les assimiler éventuellement à des revendeurs de livres actifs sur le territoire suisse. Partant, il n'y a pas lieu de considérer que les contrats qui liaient à cette époque la recourante à différents éditeurs et diffuseurs externes à son groupe auraient constitué, en réalité, des accords d'exclusivité de clientèle, non concernés par l'art. 5 al. 4 LCart, quand bien même ils se concentraient sur la diffusion et la distribution de livres auprès des points de vente physiques suisses, sans inclure les entreprises de commerce par internet.

9.3 Il s'agit encore de se demander si les acteurs de la vente en ligne - qui, selon l'arrêt attaqué, ont toujours pu livrer sans obstacle les librairies helvétiques depuis l'étranger - doivent éventuellement être qualifiés de "fournisseurs agréés" au sens de l'art. 5 al. 4 LCart. Dans l'affirmative, il faudrait admettre que le système de distribution mis en place par la recourante n'aurait jamais exclu - ni même visé à exclure - les ventes passives à destination du territoire suisse par d'"autres fournisseurs agréés" et que les contrats de diffusion/ distribution qu'elle a passés ne lui ont ainsi assuré aucune protection territoriale absolue; ces accords ne rempliraient sous cet angle pas la troisième condition nécessaire à la reconnaissance d'accords verticaux au sens de l'art. 5 al. 4 LCart (cf. supra consid. 8.3).

9.3.1 Selon l'art. 5 al. 4 LCart, les accords verticaux attribuant des territoires sont présumés entraîner la suppression de toute concurrence efficace lorsque des ventes aussi bien actives que passives (cf. supra consid. 8.3) par d'"autres fournisseurs agréés" y sont exclues.
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La version française de la disposition diverge quelque peu de celles allemande et italienne qui évoquent, pour leur part, une interdiction de vente par des "gebietsfremde Vertriebspartner" ou des "distributori esterni" (distributeurs externes). Il en ressort que la présomption de suppression de la concurrence de l'art. 5 al. 4 LCart implique que des entreprises actives dans la distribution d'un produit donné se voient interdire de procéder à tout type de ventes de ce produit à destination d'un territoire de distribution attribué à une autre entreprise (cf. ATF 143 II 297 consid. 6.3.3). Ainsi, l'accord par lequel une entreprise uniquement productrice se contenterait de renoncer à la vente directe de ses produits en Suisse, après en avoir externalisé la distribution à une autre entreprise, ne tombe pas en tant que tel sous le coup de l'art. 5 al. 4 LCart et n'est pas sanctionnable au sens de l'art. 49a al. 1 LCart. Il en va de même de l'accord par lequel un producteur étranger s'obligerait à transmettre à son importateur suisse toutes les demandes d'achat qui lui parviendraient dans la mesure où elles émaneraient de Suisse. En effet, de telles restrictions de vente ne concernent en règle générale que le producteur du bien concerné, sans forcément s'étendre à d'éventuels distributeurs de celui-ci (cf. BO 2003 CE 329 ss; Note explicative CommVert, ch. 9, 1er point; AMSTUTZ/CARRON/REINERT, op. cit., nos 557 ss ad art. 5 LCart). Il est possible que ces accords soient malgré tout illicites à l'aune de l'art. 5 al. 1 LCart, dans la mesure ils sont susceptibles de restreindre d'une manière notable la concurrence sur le marché considéré, ou qu'ils résultent d'un abus de position dominante de la part du distributeur au sens de l'art. 7 LCart. Ne limitant pas en tant que tels la liberté d'action d'une entreprise "distributrice", ils ne constitueront cependant pas des contrats présumés conduire à la suppression de toute concurrence efficace au sens de l'art. 5 al. 4 LCart.

9.3.2 En l'occurrence, le litige concerne d'éventuelles entraves à la concurrence instituées par la recourante en vue d'empêcher les revendeurs de livres suisses d'acquérir des ouvrages en français auprès d'autres distributeurs ou grossistes à l'étranger. Il a ainsi trait au marché suisse de la distribution "en gros" de livres en français, soit à un marché de distribution de niveau dit "wholesale"; la recourante ne conteste pas ce point, qui distingue d'ailleurs la présente cause de l' ATF 129 II 18, où il était question du marché de la distribution de livres en allemand à son niveau "retail". Cela étant, le Tribunal administratif fédéral a retenu que la recourante - qui diffuse et distribue des livres en français aux librairies et autres
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boutiques intéressées - se situait du côté de l'offre sur ce marché "wholesale", tandis que les librairies et autres magasins, qui achètent des livres en vue de leur revente aux consommateurs finaux, se trouvaient du côté de la demande. Il n'a en revanche pas explicitement qualifié la position occupée par les commerçants de livres en ligne. Il ressort toutefois de l'arrêt attaqué que le modèle d'affaires de ces entreprises consiste à acheter des ouvrages à des distributeurs ou directement à des éditeurs afin de les revendre aux consommateurs finaux par internet; ils représentent de ce fait incontestablement des concurrents directs des librairies. Rien ne permet de dire qu'ils se trouveraient également en compétition - même potentielle - avec les grandes sociétés de diffusion/distribution, auprès desquelles ils se fournissent en partie au demeurant, contrairement à ce que soutient la recourante. Il faut en déduire qu'ils se situent du côté de la demande sur le marché de l'approvisionnement du livre de niveau wholesale. A ce titre, on ne voit pas qu'il faille les qualifier de "distributeurs" ou de "fournisseurs" agréés sur ce marché au sens de l'art. 5 al. 4 LCart.

9.3.3 Le seul fait que les acteurs de la vente en ligne aient été, durant la période sous enquête, libres de fournir des revendeurs de livres suisses - ce qu'ils ont d'ailleurs fait exceptionnellement - ne change rien à la conclusion qui précède, quoi qu'en dise la recourante, qui prétend qu'il serait égal que ces détaillants aient pu ou non dégager une marge bénéficiaire grâce à un tel procédé. Certes, un distributeur ne jouit en principe d'aucune protection territoriale absolue au sens de l'art. 5 al. 4 LCart lorsque des ventes passives à destination de son territoire s'avèrent possibles depuis l'étranger. Cette possibilité d'opérer des importations parallèles - en particulier par le biais du commerce en ligne - ne doit cependant pas se cantonner en une simple faculté abstraite et théorique; elle doit représenter une alternative crédible d'approvisionnement à des conditions acceptables pour les acteurs du marché suisse au niveau wholesale, au risque sinon de permettre un contournement facile de l'art. 5 al. 4 LCart et, partant, de vider cette disposition d'une grande partie de sa portée. On remarquera à cet égard qu'il est admis que la présomption de suppression de la concurrence fixée à l'art. 5 al. 4 LCart s'applique aussi aux contrats de distribution établissant une protection territoriale absolue uniquement de manière indirecte, c'est-à-dire aux situations dans lesquelles des importations parallèles resteraient en soi possibles sur un territoire attribué selon le contrat, mais à des
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conditions si peu attrayantes qu'elles représenteraient en réalité un non-sens d'un point de vue commercial et économique (cf. notamment CommVert, ch. 10 al. 2; ROGER ZÄCH, Schweizerisches Kartellrecht, 2e éd. 2005, n. 469).

9.3.4 En l'espèce, il ressort de l'arrêt attaqué qu'un approvisionnement par internet ne permettrait pas aux détaillants de retirer de véritable marge pour leurs activités, dès lors qu'ils devraient acheter chaque livre à l'unité au même prix que n'importe quel consommateur. Il n'a par ailleurs nullement été établi que les revendeurs pourraient négocier des rabais auprès des sites de commerce en ligne pour d'éventuelles commandes groupées, ce dont on peut douter compte tenu du rapport de concurrence existant entre eux; la recourante ne le soutient d'ailleurs pas dans ses écritures. A cela s'ajoute, toujours d'après l'arrêt attaqué, que les librairies doivent être en mesure d'offrir à leurs clients un large assortiment de références et, le cas échéant, plusieurs exemplaires d'un même titre pour être attractifs et satisfaire à la demande des consommateurs, ce qui implique de pouvoir exercer un droit de retour auprès des fournisseurs. Or, un tel droit n'existe pas en cas d'achats auprès des acteurs de la vente en ligne. En somme, ainsi que cela ressort de l'arrêt attaqué, les quelques démarches d'approvisionnement par internet effectuées par certains revendeurs helvétiques l'ont toujours été dans des circonstances particulières et de manière très ponctuelle, ce que la recourante ne conteste pas. Compte tenu de ces spécificités, on ne voit pas qu'il faille considérer les sociétés de commerce en ligne comme des "distributeurs agréés" au sens de l'art. 5 al. 4 LCart sur le marché de la distribution wholesale du livre durant la période sous enquête et, de ce fait, dénier d'emblée que la recourante ait pu bénéficier d'une protection territoriale absolue sur ce marché.

9.4 Sur le vu de ce qui précède, il faut retenir que la recourante - quoi qu'elle prétende - a pu participer à des accords verticaux remplissant les conditions de l'art. 5 al. 4 LCart en lien avec la diffusion et la distribution d'ouvrages en français, malgré l'existence d'un canal de vente de livres par internet parallèle durant la période sous enquête.

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Erwägungen 8 9

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BGE: 143 II 297, 129 II 18

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