136 I 241
Chapeau
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22. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit public dans la cause Association Oxyromandie, Diethelm et Starobinski contre Grand Conseil du canton de Genève (recours en matière de droit public)
1C_491/2009 du 2 juin 2010
Regeste
Art. 178B Cst./GE; loi genevoise sur l'interdiction de fumer dans les lieux publics; art. 95 let. c LTF.
L'art. 178B Cst./GE sur la protection contre la fumée passive ne consacre pas un droit fondamental directement invocable (consid. 2.2 et 2.3). Le Tribunal fédéral examine donc sous l'angle de l'arbitraire si la loi cantonale d'application respecte la disposition constitutionnelle (consid. 2.4 et 2.5). La loi autorise les fumoirs dans les établissements publics, mais à des conditions telles que le but de santé publique poursuivi par la norme constitutionnelle ne s'en trouve pas compromis (consid. 3).
A. Le 22 juin 2006, le Grand Conseil de la République et canton de Genève a partiellement validé l'initiative populaire intitulée "Fumée passive et santé" (IN 129). Celle-ci portait sur l'introduction, dans la Constitution genevoise (Cst./GE), d'un nouvel article 178B intitulé "Protection de l'hygiène publique et de la santé; Fumée passive". Tel qu'il a été validé, le texte de cette disposition était ainsi libellé:
Art. 178B
1 Vu l'intérêt public que constitue le respect de l'hygiène publique et la protection de la santé, le Conseil d'Etat est chargé de prendre des mesures contre les atteintes à l'hygiène et à la santé de la population résultant de l'exposition à la fumée du tabac, dont il est démontré scientifiquement qu'elle entraîne la maladie, l'invalidité et la mort.
2 Afin de protéger l'ensemble de la population, il est interdit de fumer dans les lieux publics intérieurs ou fermés, tout particulièrement dans ceux qui sont soumis à une autorisation d'exploitation.
3 Sont concernés:
a) tous les bâtiments ou locaux publics dépendant de l'Etat et des communes ainsi que toutes autres institutions de caractère public;
b) tous les bâtiments ou locaux ouverts au public, notamment ceux affectés à des activités médicales, hospitalières, para-hospitalières, culturelles, récréatives, sportives ainsi qu'à des activités de formation, de loisirs, de rencontres, d'exposition;
c) tous les établissements publics au sens de la législation sur la restauration, le débit de boissons et l'hébergement;
d) les transports publics et les autres transports professionnels de personnes;
Par arrêt du 28 mars 2007 (ATF 133 I 110), le Tribunal fédéral a rejeté le recours formé contre cette décision de validation. (...) Il a notamment considéré que (...) l'interdiction générale de fumer dans les lieux publics fermés devrait être assortie d'exceptions, en particulier pour les détenus et les pensionnaires d'établissements médicaux, ainsi que pour les lieux publics à usage privatif. (...)
L'IN 129 a été acceptée en votation populaire le 24 février 2008, par près de 80 % des votants.
B. Le 3 mars 2008, le Conseil d'Etat genevois a adopté un règlement d'exécution relatif à l'interdiction de fumer dans les lieux publics. Celui-ci a toutefois été annulé par arrêt du Tribunal fédéral du 5 décembre 2008, pour défaut de base légale (ATF 134 I 322).
C. Le 22 janvier 2009, le Grand Conseil genevois a adopté la loi sur l'interdiction de fumer dans les lieux publics (LIF; RSG K 1 18). Celle-ci reprend le principe de l'interdiction de fumer dans les lieux publics ou accessibles au public, intérieurs ou fermés (art. 2). Son champ d'application est défini de la manière suivante:
Art. 3 Champ d'application
L'interdiction concerne notamment:
a) les bâtiments et locaux publics dépendant de l'Etat et des communes ainsi que toutes autres institutions de caractère public;
b) les hôpitaux et les autres institutions de santé, au sens de la loi sur la santé, du 7 avril 2006;
c) les établissements de formation, les écoles et les garderies;
d) les bâtiments ou locaux dédiés à la culture, au sport, aux loisirs, aux rencontres et aux expositions;
e) les maisons de jeux;
f) les commerces, les centres commerciaux et les galeries marchandes;
g) les établissements d'exécution des peines et des mesures;
h) les véhicules de transports publics et les autres transports professionnels de personnes;
i) les établissements au sens de la loi sur la restauration, le débit de boissons et l'hébergement, du 17 décembre 1987.
La loi prévoit également les exceptions suivantes à son article 4:
Art. 4 Exceptions
Lieux privatifs
1 Des exceptions à l'interdiction de fumer peuvent être prévues pour les lieux à caractère privatif suivants, pour autant qu'ils soient isolés, ventilés de manière adéquate et désignés comme tels:
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a) les fumoirs clos et correctement ventilés installés dans les établissements et lieux publics sont autorisés pour autant que ceux-ci soient isolés et qu'aucun service n'y soit effectué;
b) les cellules de détention et d'internement;
c) les chambres d'hôtels et d'autres lieux d'hébergement;
d) les chambres d'hôpitaux, de cliniques et d'autres lieux de soins, dans lesquels les patients séjournent de manière prolongée et dont ils ne peuvent aisément sortir compte tenu de leur état de santé.
2 L'exploitant ou le responsable de ces lieux soumet pour approbation au département en charge de la santé (ci-après: département) les modalités d'application des exceptions qu'il entend prévoir.
Cercles
3 Les cercles ne sont pas soumis à l'interdiction de fumer, pour autant qu'ils remplissent les conditions du droit fédéral.
Commerces spécialisés dans la vente de tabac
4 L'exploitant d'un lieu de vente spécialisé dans le domaine du tabac est autorisé à aménager un local de dégustation réservé aux clients consommateurs de tabac, à la condition qu'il soit isolé, ventilé de manière adéquate et désigné comme tel.
Aéroport international de Genève
5 L'Aéroport international de Genève est autorisé à exploiter un fumoir isolé dans la zone de transit, à la condition que le local soit ventilé de manière adéquate et désigné comme tel.
La LIF définit encore le rôle des exploitants (art. 6), les procédures de contrôle (art. 7) et les sanctions (art. 8). Une demande de référendum ayant abouti, la loi a été soumise au vote populaire. Elle a été acceptée, le 29 septembre 2009, par 81,7 % des votants. Elle est entrée en vigueur le 31 octobre 2009, le lendemain de sa promulgation dans la Feuille d'avis officielle.
Le 7 octobre 2009, le Conseil d'Etat genevois a adopté le règlement d'application relatif à la LIF (RIF; RSG K 1 18.01). Il comporte notamment les dispositions suivantes, s'agissant des exceptions à l'interdiction.
Art. 2 Approbation des modalités d'application des exceptions à l'interdiction de fumer
1 L'exploitant ou le responsable des lieux décrits à l'article 4, alinéa 1, de la loi soumet au préalable et par écrit à la direction générale la demande d'approbation des modalités d'aménagement du lieu à caractère privatif fumeur prévue par l'article 4, alinéa 2, de la loi.
2 Cette demande doit être accompagnée des plans d'aménagement, du descriptif du système de ventilation et de toutes les pièces permettant le contrôle du respect des prescriptions de la loi et du présent règlement.
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3 La direction générale statue sur l'approbation de ces modalités d'aménagement.
4 (...)
Art. 3 Conception des locaux fumeurs
1 Les locaux fumeurs au sein de lieux publics au sens des articles 4, alinéas 1, lettre a, 4 et 5 de la loi doivent:
a) être dotés de portes à fermeture automatique, être séparés hermétiquement des pièces contiguës et ne pas constituer un lieu de passage;
b) disposer d'un système de ventilation mécanique séparé de celui du reste du bâtiment; ce dernier doit permettre un renouvellement d'air minimal conformément à la norme SIA 382/1 et être entretenu régulièrement et conformément à l'état de la technique;
c) être maintenus en dépression continue d'au moins 5 pascals par rapport aux pièces communicantes, pendant les heures d'ouverture de l'établissement.
2 Dès la mise en service, leur exploitant doit être en mesure de produire sur toute réquisition de l'autorité compétente une attestation émanant d'un spécialiste en dispositifs de ventilation, certifiant que l'installation est conforme aux dispositions du présent article.
3 Les locaux fumeurs doivent être signalés, de manière visible, notamment à leur entrée.
D. Par acte du 30 octobre 2009, l'association genevoise Oxyromandie, Pascal Diethelm et Michel Starobinksi forment un recours en matière de droit public par lequel ils demandent l'annulation de l'art. 4 al. 1 let. a LIF. (...)
Le Tribunal fédéral a rejeté le recours.
(extrait)
Extrait des considérants:
1. Selon l'art. 82 let. b et c LTF, le Tribunal fédéral connaît des recours dirigés directement contre les actes normatifs cantonaux, ainsi que des recours concernant le droit de vote des citoyens. Les recourants s'appuient sur l'une et l'autre de ces dispositions.
1.1 Ils se plaignent d'une violation des dispositions sur le droit d'initiative (art. 34 Cst.), en reprochant au Grand Conseil de s'être écarté du texte de l'art. 178B Cst./GE, et d'avoir ainsi violé la volonté des auteurs de l'initiative populaire IN 129.
1.1.1 Le recours prévu à l'art. 82 let. c LTF permet à l'électeur de se plaindre d'une violation des dispositions cantonales légales et constitutionnelles qui définissent le contenu et l'étendue des droits
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politiques des citoyens (ATF 129 I 392 consid. 2.1 p. 394 et les références). La violation du droit de vote doit toutefois résulter directement de l'acte attaqué (ATF 130 I 226 consid. 1.2 p. 228; ATF 123 I 41 consid. 6b p. 46 et les références; STEINMANN, in Basler Kommentar, Bundesgerichtsgesetz, 2008, n° 87 ad art. 82 LTF).
1.1.2 Les moyens soulevés dans le recours reviennent tous à affirmer que la loi ne respecterait pas la disposition constitutionnelle cantonale relative à l'interdiction de fumer dans les lieux publics. Un tel grief ne relève pas du recours pour violation des droits politiques. En effet, lorsqu'il est prétendu qu'une loi viole la constitution cantonale, il est toujours possible de reprocher au législateur d'avoir violé la volonté du constituant ou celle des auteurs du projet d'article constitutionnel. On peut également lui faire le reproche, dans certains cas, d'avoir fait l'économie d'une révision constitutionnelle soumise au référendum obligatoire. Cela ne saurait toutefois suffire pour permettre aux recourants d'agir par la voie de l'art. 82 let. c LTF, sans quoi la voie du recours pour violation du droit de vote serait ouverte chaque fois qu'un acte normatif en viole un autre, soumis à un régime différent du point de vue des droits politiques (ATF 131 I 386 consid. 2.2 et 2.3 et les arrêts cités). Dans la mesure où la norme attaquée n'a matériellement aucun rapport direct avec les votations ou les élections cantonales (cf. ATF 131 I 291 consid. 1.1; ATF 130 I 226 consid. 1.2 p. 228; ATF 123 I 41 consid. 6b p. 46 et les références), le recours fondé sur l'art. 82 let. c LTF est irrecevable. Les moyens soulevés relèvent exclusivement de l'art. 82 let. b LTF (ATF 131 I 386 consid. 2.3 p. 390).
1.2 Selon cette disposition, le recours en matière de droit public est ouvert contre les actes normatifs cantonaux. La loi attaquée ne peut, en droit genevois, faire l'objet d'aucun recours cantonal, de sorte que le recours est directement recevable (art. 87 al. 1 LTF).
1.2.1 Selon l'art. 101 LTF, le recours contre un acte normatif doit être interjeté dans un délai de 30 jours à compter de sa publication selon le droit cantonal. Lorsque la loi est soumise, comme en l'espèce, au référendum facultatif, ce délai commence à courir non pas avec sa publication en vue de l'exercice du droit de référendum, mais avec la publication de la décision de promulgation (ATF 133 I 286 consid. 1 p. 288 et les arrêts cités). En l'occurrence, les recourants ont agi en temps utile.
1.2.2 L'art. 89 al. 1 LTF confère la qualité pour former un recours en matière de droit public à quiconque est particulièrement atteint par
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la décision ou l'acte normatif attaqué (let. b) et a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification (let. c). Lorsque l'acte attaqué est un acte normatif, l'intérêt personnel requis peut être simplement virtuel; il suffit qu'il existe un minimum de vraisemblance que le recourant puisse se voir un jour appliquer les dispositions contestées. Un intérêt de fait est suffisant (arrêt 8C_184/2008 du 3 octobre 2010 consid. 2.1, non publié in ATF 134 I 269; ATF 133 I 286 consid. 2.2 p. 290).En l'occurrence, l'un des recourants au moins est domicilié dans le canton de Genève. Il est ainsi susceptible d'être touché par les effets de la réglementation attaquée, ce qui suffit pour admettre sa qualité pour agir (arrêt 1C_155/2008 du 5 septembre 2008 consid. 1.3, non publié in ATF 134 I 322). Il y a lieu d'entrer en matière, sans s'interroger sur la qualité pour agir des autres recourants (soit un citoyen suisse domicilié en France voisine et une association de prévention du tabagisme).
2. Les recourants s'en prennent uniquement à l'art. 4 al. 1 let. a LIF, en tant qu'il prévoit l'introduction de fumoirs en particulier dans les restaurants. Cette disposition, ajoutée lors des débats parlementaires, irait à l'encontre de l'art. 178B Cst./GE, dont le but est l'interdiction complète de la fumée dans les lieux publics. Dans son arrêt concernant l'IN 129 (ATF 133 I 110), le Tribunal fédéral avait relevé que des exceptions devaient être aménagées afin de respecter le principe de la proportionnalité, mais uniquement pour les lieux à caractère privatif. L'objectif de santé publique poursuivi par la disposition constitutionnelle serait ainsi compromis. Les recourants invoquent, sur ce point également, le principe de la légalité (hiérarchie des normes), le cas échéant en relation avec celui de la séparation des pouvoirs, ainsi que l'interdiction de l'arbitraire.
2.1 Selon l'art. 95 LTF, le recours peut être formé pour violation du droit fédéral - y compris le droit constitutionnel (let. a).
A juste titre, les recourants ne se prévalent pas de la loi fédérale du 3 octobre 2008 sur la protection contre le tabagisme passif (RS 818.31), entrée en vigueur le 1er mai 2010. Les dispositions qu'elle contient prévoient en effet expressément la création de locaux fumeurs "isolés des autres espaces, désignés comme tels et dotés d'une ventilation adéquate" (art. 2), ainsi que des autorisations d'établissements fumeurs aux restaurants remplissant certaines conditions (art. 3). L'art. 178B Cst./GE fait ainsi partie des dispositions plus strictes que les cantons peuvent adopter, conformément à l'art. 4 de la loi fédérale.
BGE 136 I 241 S. 248
2.2 S'agissant du droit cantonal, le recours peut être formé pour violation "de droits constitutionnels cantonaux" (art. 95 let. c LTF), de dispositions sur le droit de vote et sur les élections et votations (let. d) ainsi que du droit intercantonal (let. e). Le législateur a entendu maintenir le principe selon lequel, afin de préserver l'autonomie cantonale, il n'appartient pas au Tribunal fédéral de contrôler l'interprétation ou l'application de l'ensemble du droit constitutionnel cantonal, mais seulement des droits fondamentaux (Message du 28 février 2001 concernant la révision totale de l'organisation judiciaire fédérale, FF 2001 4133). La notion de droits constitutionnels cantonaux, au sens de l'art. 95 let. c LTF (ou de l'art. 116 LTF, concernant le recours constitutionnel subsidiaire) ne s'étend donc pas à n'importe quelle disposition constitutionnelle cantonale, mais seulement à celles qui garantissent des droits individuels aux citoyens et sont, à ce titre, directement applicables (ATF 131 I 366; HÄFELIN/HALLER/KELLER, Schweizerisches Bundesstaatsrecht, 7e éd. 2008, p. 592; SCHOTT, in Basler Kommentar, Bundesgerichtsgesetz, 2008, n° 56 ad art. 95 LTF). Tel était le cas sous l'empire de la loi fédérale d'organisation judiciaire (art. 84 al. 1 let. a OJ; ATF 121 I 267 consid. 3a p. 269 et les références citées; ATF 104 Ia 284 consid. 2b p. 286), et le législateur n'a pas voulu changer la pratique suivie jusque-là.
2.3 Les recourants estiment que l'art. 178B Cst./GE consacrerait un droit fondamental puisqu'il garantit aux citoyens le droit de ne pas être exposés à la fumée du tabac. Cette opinion ne peut être suivie.
L'art. 178B Cst./GE constitue une norme générale de protection de la santé qui tend à préserver le public dans son ensemble des effets de la fumée passive (ATF 133 I 110 consid. 4.5 p. 117). Comme l'a déjà relevé le Tribunal fédéral, il ne s'agit pas d'une norme d'application immédiate. Celle-ci doit être concrétisée par une loi au sens formel, telle la loi attaquée, prévoyant notamment les mesures de contrôle, les sanctions et les dérogations (même arrêt consid. 6.2 p. 122). On ne saurait par conséquent y voir un droit dont les particuliers pourraient directement se prévaloir, le cas échéant devant un juge, mais une norme de type programmatique dans la concrétisation de laquelle, on le verra, le législateur dispose d'une certaine liberté. Au demeurant, même la loi attaquée, qui vient concrétiser la disposition constitutionnelle, s'analyse davantage comme une norme d'interdiction (assortie de contrôle et de sanctions) que comme un droit que l'individu pourrait faire valoir à l'encontre de l'Etat.
BGE 136 I 241 S. 249
Il en résulte que les recourants ne sont pas recevables à invoquer directement une violation de l'art. 178B Cst./GE.
2.4 En dehors des griefs mentionnés à l'art. 95 let. c et d LTF, la violation du droit cantonal ne constitue pas un motif de recours (ATF 134 III 379 consid. 1.2). Le recourant peut donc uniquement se plaindre de ce que la violation du droit cantonal par l'autorité précédente consacrerait simultanément une violation du droit fédéral au sens de l'art. 95 let. a LTF (ATF 133 III 462 consid. 2.3; ATF 133 II 249 consid. 1.2.1).
2.5 A ce titre, les recourants invoquent également le principe de la légalité, consacré à l'art. 5 al. 1 Cst., selon lequel le droit est la base et la limite de l'activité de l'Etat. Ils estiment que le principe de hiérarchie des normes en serait le corollaire, et qu'il constituerait un droit constitutionnel distinct. Tel n'est toutefois pas le cas. Au contraire du principe de la suprématie du droit fédéral (art. 49 al. 1 Cst.), le principe de la légalité et de la hiérarchie des normes ne constitue pas (hormis en matière pénale et fiscale; ATF 132 I 117 consid. 4.1; ATF 118 Ia 137 consid. 1c) un droit constitutionnel distinct: il s'agit d'un principe constitutionnel dont la violation ne peut pas être invoquée séparément, mais uniquement en relation avec, notamment, le principe de la séparation des pouvoirs, d'un droit fondamental particulier ou de l'interdiction de l'arbitraire (ATF 134 I 322 consid. 2.1 p. 326).
2.5.1 Le principe de la séparation des pouvoirs est garanti par l'art. 130 Cst./GE et, plus généralement, par toutes les constitutions cantonales implicitement ou explicitement; il représente un droit constitutionnel dont peut se prévaloir le citoyen (ATF 130 I 1 consid. 3.1 p. 5 et la jurisprudence citée). Il interdit à un organe de l'Etat d'empiéter sur les compétences d'un autre organe (ATF 106 Ia 389 consid. 3a p. 394). Ce principe garantit le respect des compétences établies par la Constitution. Il appartient en premier lieu au droit public cantonal de fixer les compétences des autorités (ATF 130 I 1 consid. 3.1 p. 5; ATF 128 I 113 consid. 2c p. 116 et les nombreuses références citées).
Le principe de la séparation des pouvoirs régit la répartition des compétences entre les trois pouvoirs, législatif, exécutif et judiciaire. Pour l'essentiel, il s'applique au rapport entre la loi et l'ordonnance, en interdisant au pouvoir exécutif d'édicter des règles de droit, si ce n'est dans le cadre d'une délégation valablement conférée par le législateur (ATF 134 I 322 consid. 2.2 p. 326). L'arrêt cité par les recourants
BGE 136 I 241 S. 250
(ATF 106 Ia 389 consid. 3a p. 394) n'étend pas la portée de ce principe puisqu'il sanctionne l'attribution par le parlement cantonal de compétences appartenant au gouvernement.En l'occurrence, il n'est pas contesté que l'adoption de la LIF relève bien de la compétence du parlement cantonal; la nécessité d'une telle législation d'exécution a été plusieurs fois confirmée dans le cadre des précédentes procédures. Cela étant, la question de savoir si la loi est matériellement conforme à la disposition constitutionnelle ne relève pas de la séparation des pouvoirs proprement dite, principe qui ne s'applique pas au demeurant à l'organe électoral (MOOR, Droit administratif, 2e éd. 1994, vol. I, p. 201) et, par voie de conséquence, au constituant.
2.5.2 Cela signifie qu'en dehors des dispositions constitutionnelles cantonales conférant directement des droits aux particuliers au sens de l'art. 95 let. c LTF, et à défaut d'un droit constitutionnel particulier valablement invoqué par les recourants, le Tribunal fédéral n'examine que sous l'angle de l'interdiction de l'arbitraire la manière dont le législateur cantonal s'est acquitté du mandat qui lui est attribué par l'art. 178B Cst./GE.
3. Les recourants soulèvent le grief d'arbitraire. L'art. 178B al. 2 Cst./GE prévoirait une interdiction stricte de fumer et les cafés et restaurants seraient expressément visés à l'alinéa 3 de la disposition. L'avis de droit réalisé lors de l'examen de constitutionnalité de l'IN 129 ferait clairement ressortir que les exceptions nécessaires, du point de vue de la proportionnalité, seraient limitées aux lieux à caractère privatif (établissements médicaux ou de détention, chambres d'hôtels). L'introduction de fumoirs dans tous les lieux publics serait dès lors clairement contraire au texte constitutionnel. Il serait arbitraire de considérer des fumoirs comme des lieux privatifs. La possibilité d'installer des fumoirs irait à l'encontre du but de santé publique poursuivi, puisque seule une interdiction totale de la fumée offrirait une protection suffisante.
3.1 Un arrêté de portée générale viole le principe de l'interdiction de l'arbitraire s'il ne repose pas sur des motifs objectifs sérieux ou s'il est dépourvu de sens et de but (ATF 124 I 297 consid. 3b p. 299 et la jurisprudence citée). Le législateur cantonal, organe politique soumis à un contrôle démocratique, doit se voir reconnaître une grande liberté dans l'élaboration des lois (ATF 135 I 130 consid. 6.2 p. 138 et les arrêts cités). Il dispose d'un pouvoir formateur étendu, en
BGE 136 I 241 S. 251
particulier dans les domaines qui dépendent très largement de facteurs politiques (ATF 131 I 1 consid. 4.2 p. 7; ATF 111 Ia 86 consid. 3a p. 91).Le Tribunal fédéral n'a pas à revoir l'opportunité des choix effectués dans ce cadre. Il n'annulera pas une disposition légale au motif que d'autres solutions lui paraîtraient envisageables, voire même préférables (ATF 134 I 140 consid. 5.4 p. 148; ATF 133 I 149 consid. 3.1 p. 153; ATF 132 I 13 consid. 5.1 p. 17).Par ailleurs, le principe de la proportionnalité, bien qu'étant de rang constitutionnel n'est pas un droit constitutionnel ayant une portée propre (ATF 126 I 112 consid. 5b p. 120; ATF 125 I 161 consid. 2b p. 163). Ainsi, lorsque ce principe constitutionnel est invoqué dans le cadre d'un recours pour violation de l'art. 9 Cst., le Tribunal fédéral n'examine ce moyen que sous l'angle restreint de l'arbitraire; autrement dit, ce grief se confond lui aussi avec celui de l'arbitraire (ATF 117 Ia 27 consid. 7a p. 32).
3.2 La rédaction de l'art. 178B Cst./GE a été légèrement modifiée par le Grand Conseil, dans sa décision d'invalidation partielle de l'IN 129, afin précisément de tenir compte des réserves d'interprétation qui avaient été formulées, sur la base d'un avis de droit demandé par le Grand Conseil au Professeur Martenet. Le Tribunal fédéral a confirmé la position du Grand Conseil genevois en considérant que, pour être conforme au principe de la proportionnalité, l'interdiction de fumer devait être assortie de dérogations et d'exceptions afin de tenir compte des situations particulières dans lesquelles la personne désireuse de fumer est appelée à rester durant un certain temps dans un espace fermé dont elle ne peut sortir, notamment les détenus ou pensionnaires d'établissements médicaux; le cas des lieux publics à usage privatif (chambres d'hôtel) devait aussi être réservé (ATF 133 I 110 consid. 6.2 p. 122 et 7.3 p. 125). Ces considérations n'excluent nullement que d'autres exceptions ou aménagements puissent être prévus, pour des raisons différentes, par le législateur cantonal.
3.3 L'art. 178B Cst./GE pose certes le principe de l'interdiction de fumer. Toutefois, en tant que principe général assorti d'un mandat législatif, il ne présente pas un caractère normatif absolu (AUBERT, Notion et fonctions de la Constitution, in: Thürer/Aubert/Müller (éd.), Droit constitutionnel suisse, 2001, p. 12). Il autorise au contraire des exceptions, que le législateur peut prévoir afin de ménager au mieux les intérêts en présence. Seule apparaîtrait arbitraire, dans un tel contexte, une loi qui, par le nombre d'exceptions prévues, viderait
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pratiquement de son sens le principe posé par la disposition constitutionnelle, ou en compromettrait la réalisation (cf. concernant l'institution du référendum financier, ATF 121 I 291 consid. 2c p. 295).Tel n'est assurément pas le cas en l'occurrence.
3.3.1 L'art. 4 LIF traite des exceptions à l'interdiction de fumer. Les alinéas 1 et 2 de cette disposition sont consacrés aux lieux
privatifs dont font partie (let. a) les fumoirs clos et correctement ventilés installés dans les établissements et lieux publics. Contrairement à ce que soutient le Grand Conseil, de tels fumoirs ne sauraient être considérés comme des lieux privatifs, dans la mesure où ils se situent par définition dans des lieux publics et sont librement accessibles à n'importe quelle personne fréquentant ces lieux. Le fait qu'il s'agit d'endroits fermés n'y change évidemment rien. Cette simple erreur de dénomination ne saurait toutefois être qualifiée d'arbitraire: la disposition demeure, dans son ensemble et dans chacune de ses parties, parfaitement compréhensible.
3.3.2 Les recourants ne peuvent non plus être suivis lorsqu'ils prétendent que l'exception en faveur des fumoirs dans les établissements publics dénaturerait totalement l'interdiction de fumer. En effet, la création de fumoirs ne peut être autorisée à n'importe quelle condition. La loi impose en effet des locaux fermés, correctement ventilés et sans aucun service. L'exploitant doit par ailleurs soumettre sa demande d'exception au Département cantonal de la santé, pour approbation (art. 4 al. 2 LIF).
Appelé à s'interroger sur la constitutionnalité d'une norme de droit cantonal, le Tribunal fédéral doit aussi tenir compte de la manière dont le texte sera vraisemblablement appliqué, le cas échéant sur le vu des travaux préparatoires de l'acte litigieux (ATF 133 I 110 consid. 2.5 non publié; SJ 2001 I p. 241; ATF 121 I 334 consid. 2c p. 338). En l'occurrence, la LIF a fait l'objet d'un règlement d'application (RIF), adopté le 7 octobre 2009 et entré en vigueur en même temps que la loi. Le RIF définit de manière très stricte la procédure d'autorisation et les conditions matérielles auxquelles sont soumis les fumoirs. Ainsi, les locaux doivent être dotés de portes à fermetures automatiques, être séparés hermétiquement des pièces contiguës et ne pas constituer un lieu de passage (art. 3 al. 1 let. a RIF). Le système de ventilation doit être séparé de celui du reste du bâtiment et permettre un renouvellement d'air minimal conforme à la norme SIA 382/1; il doit être entretenu régulièrement (art. 3 al. 1 let. b RIF). Le local doit être
BGE 136 I 241 S. 253
maintenu en dépression d'au moins 5 pascals par rapport aux pièces communicantes pendant les heures d'ouverture de l'établissement (art. 3 al. 1 let. c RIF). Selon l'art. 2 RIF, l'exploitant doit produire, à l'appui de sa demande, les plans d'aménagement, le descriptif du système de ventilation et toutes les pièces permettant de vérifier le respect des conditions légales et réglementaires. Dès la mise en service, l'exploitant doit pouvoir produire une attestation d'un spécialiste certifiant la conformité de l'installation (art. 3 al. 2 RIF).Sur le vu de l'ensemble de ces conditions, il apparaît d'emblée que les autorisations d'aménager un fumoir dans les établissements publics ne seront pas délivrées à la légère. Les exigences applicables aux locaux, en particulier celles qui concernent la ventilation et celles qui sont destinées à empêcher la fumée de s'échapper du local paraissent suffisamment contraignantes, d'un point de vue technique et économique, pour qu'il n'y ait pas à redouter une multiplication incontrôlée des établissements dotés de fumoirs.
3.3.3 Les recourants relèvent qu'il n'existe pas de seuil au-dessous duquel l'exposition à la fumée du tabac serait sans danger. Ils invoquent diverses publications selon lesquelles les fumoirs ventilés et isolés ne permettraient pas une élimination à 100 % de la fumée. Ces critiques d'ordre général ne tiennent pas comptes des mesures supplémentaires exigées dans le règlement, notamment les portes automatiques et le maintien du local en dépression. Quoi qu'il en soit, la situation s'est radicalement modifiée depuis l'entrée en vigueur de l'interdiction de principe de fumer dans les lieux publics: les personnes qui craignent d'être incommodées dans un établissement public disposant d'un fumoir ont en effet désormais le choix d'en fréquenter d'autres, puisque la grande majorité des établissements sera entièrement non-fumeur.
3.3.4 La LIF procède ainsi d'une pesée des intérêts en présence et de choix d'opportunité, afin de permettre aux fumeurs de ne pas se trouver systématiquement exclus des établissements publics, sans pour autant compromettre le but de santé publique qui est à la base de l'art. 178B Cst./GE. Elle ne saurait être qualifiée d'arbitraire.