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Chapeau

118 Ib 468


57. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour civile du 27 août 1992 dans la cause Ch. contre L.T.G. SA (recours de droit public)

Regeste

Art. 1er al. 1, 3, 11 et 17 al. 1 ch. 1 de la Convention entre la Suisse et la France sur la compétence judiciaire et l'exécution des jugements en matière civile du 15 juin 1869; garantie du juge naturel du défendeur, compétence du tribunal étranger.
1. La garantie du juge naturel prévue à l'art. 1er al. 1 de la Convention franco-suisse n'entre en considération que lorsque l'une des parties est suisse et l'autre française (consid. 4).
2. La prorogation de for au sens de l'art. 3 de la Convention franco-suisse peut résulter non seulement d'une entente formelle entre les parties, mais aussi du fait que le défendeur a discuté le fond du litige sans soulever l'exception d'incompétence (consid. 4a).
3. A défaut d'une prorogation de for expresse ou tacite, le juge incompétent doit, en vertu de l'art. 11 de la Convention franco-suisse, décliner d'office sa compétence, sans même que le défendeur soit tenu de comparaître et de soulever le déclinatoire (consid. 4b).
4. Le défendeur qui n'a pas fait appel du jugement ne perd pas en principe le droit de contester la compétence du juge saisi dans la procédure d'exécution forcée (consid. 4c).

Considérants à partir de page 469

BGE 118 Ib 468 S. 469
Extrait des considérants:

4. Aux termes de l'art. 1er al. 1 de la Convention franco-suisse (RS 0.276.193.491), dans les contestations en matière mobilière et personnelle, civile ou de commerce, qui s'élèvent, soit entre Suisses et Français, soit entre Français et Suisses, le demandeur est tenu de poursuivre son action devant les juges naturels du défendeur, à savoir les juges de son domicile (ATF 40 I 489 consid. 1). Cette disposition n'est toutefois applicable, selon son texte clair, que lorsque l'une des parties est suisse et l'autre française (ATF 102 Ia 410 consid. 2b et les arrêts cités, ATF 40 I 485 /486 consid. 2); elle ne l'est pas aux litiges entre Suisses (ATF 63 I 242, ATF 22 I 49, 18 p. 774/775 consid. 1, 11 p. 342, 10 p. 85 consid. 4 in fine) ou entre Français (ATF 62 I 246, ATF 29 I 438 consid. 3, ATF 24 I 691 consid. 3, 18 p. 671 consid. 1 et 763 consid. 2, 4 p. 262 consid. 2), ou encore entre Suisses ou Français et ressortissants d'un Etat tiers (ATF 80 III 156 /157 consid. 4a et 164, ATF 26 I 268 consid. 2). Elle exclut
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donc, à l'égard des Suisses, l'application de l'art. 14 CCfra., en vertu duquel l'étranger, même non résidant en France, pourra être cité devant les tribunaux français, pour l'exécution des obligations par lui contractées en France avec un Français (PETITPIERRE, La reconnaissance et l'exécution des jugements civils étrangers en Suisse, Paris 1924, p. 79; RCDIP 1991 p. 837; cf. a contrario ATF 56 I 185). En l'espèce, ni la nationalité française de l'intimée ni la nationalité suisse du recourant ne sont contestées. Ce dernier peut ainsi invoquer en sa faveur les règles de compétence de la convention.
a) L'art. 1er al. 1 de la convention vise à assurer la même garantie de for que celle prévue à l'art. 59 Cst. dans les relations intercantonales (ATF 102 Ia 409 consid. 2a, ATF 94 II 62); les conditions requises par la jurisprudence pour admettre l'existence d'une prorogation de for et, partant, une dérogation au principe du for naturel du défendeur, sont toutefois plus rigoureuses dans le cadre de l'art. 59 Cst. que dans celui de la convention (ATF 104 Ia 147 let. c). Mais le traité admet la possibilité d'une élection de domicile dans un lieu autre que celui du domicile du défendeur; les juges du lieu du domicile élu sont alors seuls compétents pour connaître des difficultés auxquelles l'exécution du contrat peut donner lieu (art. 3). Le terme d'"élection de domicile" comprend également la convention de prorogation de for (ATF 96 II 430 /431 consid. 2). La question de la renonciation au for ordinaire doit être uniquement résolue sur la base de l'art. 3 de la convention (ATF 104 Ia 146 let. a, ATF 94 II 62), lequel ne définit cependant pas la manière dont le for prorogé peut être convenu. A la suite du Conseil fédéral (FF 1869 II 505/506), la jurisprudence constante estime que la prorogation de for n'a pas besoin d'être formelle, mais peut être tacite (ATF 104 Ia 146 let. a, ATF 94 II 62 /63, 49 I 552, ATF 48 I 93); il en est ainsi lorsque le défendeur a discuté au fond devant le juge saisi du litige sans soulever l'exception d'incompétence (ATF 104 Ia 146 let. b, ATF 90 II 114 consid. 1, ATF 75 I 154 consid. 5, ATF 58 I 187, ATF 49 I 204 et 552, ATF 30 I 735 /736 consid. 5, ATF 23 I 105 /106 consid. 1). Mais pour admettre une prorogation de for tacite, encore faut-il qu'elle résulte clairement des circonstances (ATF 94 II 63 in fine, ATF 48 I 93); elle ne saurait être admise qu'avec retenue et en présence d'une intention claire des parties (arrêt L. c. dame B. du 17 octobre 1991, SJ 1992 p. 184 et les références, non publié in ATF ATF 117 Ib 347).
b) Par assignation du 8 décembre 1983, Me Pierre Duc, huissier de justice près le Tribunal de Grande Instance de Bourg-en-Bresse, a cité à comparaître le recourant. Ce dernier n'a toutefois pas constitué
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avocat dans le délai légal et ne s'est pas présenté à l'audience. Le tribunal a dès lors prononcé un jugement, "réputé contradictoire" (art. 473 al. 2 NCPC), c'est-à-dire non susceptible d'opposition (SOLUS/PERROT, Droit judiciaire privé, t. III, Procédure de première instance, Paris 1991, No 199). Par lettre du 23 janvier 1984, adressée à l'huissier, le recourant avait toutefois déclaré "que si pour quelque motif que ce soit vous vouliez me faire un procès, vous devriez l'intenter à Genève, et non en France". On ne saurait dès lors déduire de son attitude devant le tribunal et de sa manière de procéder (ATF 30 I 736), qu'il aurait admis, fût-ce de manière tacite, la compétence des juges français.
D'une part, l'attitude purement passive du recourant - qui ne s'est pas même présenté à l'audience et, partant, n'a pas discuté le fond - ne saurait être assimilée à une participation au procès (ATF 75 I 154 consid. 5 et les arrêts cités); il n'y a donc pas d'"Einlassung" (cf. arrêt non publié G. c. A.-P. GmbH & CO. KG du 4 mars 1992, consid. 2d, ad art. 2 ch. 3 de la Convention entre la Suisse et l'Allemagne). Il est à cet égard sans importance que le jugement soit "réputé contradictoire" (art. 473 al. 2 NCPC). D'autre part, le recourant a clairement manifesté, dans sa lettre adressée à l'huissier, qu'il ne reconnaissait pas la compétence des autorités judiciaires françaises. Certes, l'exception d'incompétence n'a pas été invoquée devant le tribunal, encore qu'il ne semble pas douteux que ce dernier ait pris connaissance de la correspondance du recourant. Mais il n'importe. En effet, l'art. 11 de la convention impose au tribunal suisse ou français saisi d'une demande qui ne serait pas de sa compétence, de renvoyer les parties, d'office et même en l'absence du défendeur, devant le juge qui en doit connaître. Les rédacteurs du traité ont ainsi "voulu que leur oeuvre ne fût pas déjouée par la négligence ou l'ignorance des parties, ou la mauvaise volonté des juges" (LAGARDE, RCDIP 1983 p. 326 ch. 8). Or, si elle n'exclut pas la validité d'une prorogation de for découlant de l'accord tacite des parties, notamment lorsque le défendeur procède au fond sans soulever le déclinatoire (ATF 104 Ia 146 let. b, 25 I 102/103 consid. 2), cette disposition impose au juge, qui "n'est pas en présence d'une déclaration de volonté (expresse ou tacite) fondant sa compétence", de se "dénantir d'office, sans même que le défendeur soit tenu de se présenter et de soulever le déclinatoire" (ATF 25 I 103 consid. 2; cf. LAGARDE, ibid.). C'est ce qu'aurait dû faire le Tribunal de Grande Instance de Bourg-en-Bresse.
c) Les arguments de l'intimée n'y changent rien. C'est en vain qu'elle soutient que le tribunal français était compétent en vertu de
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l'art. 46 NCPC, selon lequel le demandeur peut, en matière contractuelle, saisir à son choix, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur, celle du lieu de la livraison effective de la chose ou du lieu de l'exécution de la prestation de service. Il s'agit en effet d'une règle de compétence interne qui ne saurait prévaloir sur la convention (RCDIP 1991 p. 837, 1988 p. 775, 1986 p. 767, 1984 p. 696). Elle prétend ensuite à tort que le recourant aurait implicitement admis la compétence du tribunal en ne faisant pas appel du jugement. Selon une jurisprudence - certes ancienne, mais qui n'a pas été démentie (cf. ATF 80 III 156 consid. 4) -, le défendeur qui n'a pas fait appel d'un jugement écartant l'exception d'incompétence (ATF 21 II 733), ou qui, après avoir soulevé vainement cette exception, entre en matière et ne recourt pas contre la décision rendue sur le fond (ATF 23 II 1578/1579), ne reconnaît pas, de ce fait, la compétence du tribunal et ne perd pas le droit de la contester au stade de l'exécution forcée (art. 17 al. 1 ch. 1). Plus récemment, le Tribunal fédéral a jugé que le défendeur, qui ne s'est pas présenté à l'audience, ne renonce pas à invoquer l'irrégularité de la citation (art. 17 al. 1 ch. 2) en ne faisant pas appel du jugement: "cette abstention ne le prive nullement du droit de faire état de l'irrégularité dans la procédure d'exécution" (ATF 75 I 154 consid. 5). Ce qui est au contraire décisif, on l'a vu, c'est l'attitude du défendeur devant le juge incompétent; or, en l'espèce, celle du recourant est sans équivoque. Enfin, l'affirmation selon laquelle, en lui proposant un arrangement pour régler le litige, le recourant aurait admis implicitement la compétence du tribunal français, est dénuée de pertinence. La proposition en cause date du 4 juillet 1986, à savoir plus de deux ans après le jugement; elle ne saurait rendre compétent, a posteriori, un tribunal qui ne l'était pas.