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Chapeau

118 IV 233


42. Extrait de l'arrêt de la Cour de cassation pénale du 3 juin 1992 dans la cause F. c. Procureur général du canton de Genève (pourvoi en nullité)

Regeste

Art. 113 CP; Meurtre passionnel.
Pour qualifier un homicide de meurtre passionnel, il ne suffit pas que l'auteur ait été, au moment de l'acte, dans un état de profond désarroi, il faut encore que cet état soit rendu excusable par les circonstances; les critères permettant de trancher cette question ne seront pas nécessairement les mêmes que lorsqu'il s'agit d'une émotion violente.

Faits à partir de page 233

BGE 118 IV 233 S. 233

A.- F. a épousé Catherine X. le 10 octobre 1986; deux enfants sont nés de cette union. Déjà deux ans après le mariage, l'entente au sein du couple s'était progressivement dégradée. F. avait exercé des violences sur son épouse afin de l'obliger à subir l'acte sexuel et, au mois de février 1990, la police était intervenue, à la demande de celle-ci, et avait saisi une arme à feu. Le 5 juin 1990, après des violences exercées par F. sur son épouse et constatées par trois médecins, celle-ci avait quitté le domicile conjugal avec ses enfants et souhaité intenter une action en séparation de corps. Le 10 juillet 1990, en présence
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de deux témoins, F. a proféré des menaces de mort contre sa femme. Le lendemain, 11 juillet 1990, il est allé chercher son épouse à son lieu de travail et l'a amenée chez lui, afin qu'elle signe un document en vue de la vente d'un véhicule (sur ce point l'arrêt cantonal, duquel il ressort que le couple se serait rendu au nouveau domicile de la victime, contient une inadvertance manifeste qui doit être rectifiée en application de l'art. 277bis PPF). Il a voulu alors entretenir des relations sexuelles avec elle, ce qu'elle a refusé. Il en est résulté une dispute au cours de laquelle il a étranglé sa femme avec le bras, provoquant ainsi sa mort par asphyxie. Le corps de la victime présentait des traces de violence au niveau du bas-ventre.

B.- La cause fut appelée devant la Cour d'assises du canton de Genève le 15 octobre 1991.
Sur requête de la défense, il fut demandé au jury si F. avait agi par négligence. La question posée contenait en particulier le passage suivant: "étant précisé que lorsqu'il a serré le cou de Catherine F. avec son bras, c'était sans l'intention de causer la mort, agissant sans se rendre compte ou sans tenir compte des conséquences de son acte". A cette question, le jury donna une réponse négative.
Sur requête de la défense, il fut également demandé au jury si F. avait commis un meurtre passionnel en agissant dans un état de profond désarroi. La question posée contenait notamment le passage suivant: "étant précisé qu'au moment d'agir, F. se trouvait dans un état de profond désarroi découlant des rapports familiaux et conjugaux complètement perturbés". A cette question, le jury donna une réponse négative, en ajoutant la motivation suivante: "il n'est pas établi que l'éventuel désarroi de F. serait excusable au vu des circonstances ressortant du dossier, son acte apparaissant au contraire être la conséquence de son attitude égoïste et brutale."
A la question de savoir si F. avait commis un meurtre au sens de l'art. 111 CP, question qui résultait de l'ordonnance de renvoi de la Chambre d'accusation, le jury a répondu affirmativement. Il fut constaté que l'accusé n'avait pas agi dans l'une des circonstances atténuantes prévues par la loi, le jury expliquant à ce propos: "il n'est pas retenu de circonstances atténuantes notamment de détresse profonde pour le motif expliqué à la réponse à la question subsidiaire du meurtre par passion. Par ailleurs, il n'est pas établi que F. était provoqué ou offensé par son épouse".
Retenant ainsi un meurtre sans circonstance atténuante, la Cour d'assises a condamné F. à la peine de 13 ans de réclusion et a révoqué par ailleurs un sursis antérieur.
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Par arrêt du 13 février 1992, la Cour de cassation cantonale a rejeté le pourvoi formé par le condamné. Contrairement à la Cour d'assises, elle a jugé que le profond désarroi n'avait pas à être excusable pour que l'art. 113 CP, dans sa nouvelle version, puisse être applicable; elle a toutefois estimé que l'acte reproché à F. ne pouvait être qualifié de meurtre passionnel puisque l'autorité de première instance n'avait pas considéré comme établi que celui-ci se trouvait dans un état de profond désarroi lorsqu'il a agi.

C.- Contre cet arrêt, F. s'est pourvu en nullité à la Cour de cassation pénale du Tribunal fédéral. Soutenant que la cour cantonale a méconnu la notion de "profond désarroi" contenue à l'art. 113 CP, il conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de la décision attaquée et sollicite par ailleurs l'assistance judiciaire.

D.- Invité à présenter des observations, le Ministère public a conclu au rejet du pourvoi, qu'il estime infondé.

Considérants

Considérant en droit:

2. a) Le recourant soutient que la cour cantonale a méconnu la notion de "profond désarroi" figurant à l'art. 113 CP et que, dans les circonstances d'espèce, cette qualification aurait dû être retenue.
Selon l'art. 113 CP, il y a meurtre passionnel "si le délinquant a tué alors qu'il était en proie à une émotion violente que les circonstances rendaient excusable, ou qu'il était au moment de l'acte dans un état de profond désarroi".
Cette disposition a été modifiée dans le cadre de la revision du 23 juin 1989 des dispositions du CP relatives aux infractions contre la vie et l'intégrité corporelle, entrée en vigueur le 1er janvier 1990 (RO 1989, 2449 ss). A cette occasion, le législateur a ajouté une seconde hypothèse à celle prévue par l'ancienne version, selon laquelle devait être reconnu coupable de meurtre par passion le délinquant qui avait tué alors qu'il était en proie à une émotion violente et que les circonstances rendaient excusable. Dans sa nouvelle teneur, l'art. 113 CP permet également de retenir cette forme privilégiée d'homicide lorsque l'auteur était, au moment de l'acte, dans un état de profond désarroi.
Cette adjonction apportée à l'art. 113 CP tend à étendre l'application de cette disposition à certaines situations différentes de celles qui étaient couvertes jusqu'alors mais qui ont pour conséquence de diminuer de manière tout à fait comparable la culpabilité de l'auteur.
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Le message du Conseil fédéral cite l'exemple de la mère qui se résout à tuer son enfant incurable parce qu'elle n'en peut plus de le voir souffrir et, surtout, ne peut plus endurer la situation qui s'y rattache (FF 1985 II 1036). On constate donc que cette seconde alternative a trait à des situations différentes de la première, même s'il est concevable que certains cas se situent à la limite entre les deux. Ainsi, cet amendement de l'art. 113 CP ne doit être considéré ni comme une extension de l'hypothèse envisagée dans l'ancienne version, ni comme une modification de celle-ci, qui continue à trouver application dans les mêmes conditions que précédemment.
L'émotion violente est un état psychologique particulier, d'origine émotionnelle et non pas pathologique, qui se caractérise par le fait que l'auteur est submergé par un sentiment violent qui restreint dans une certaine mesure sa faculté d'analyser correctement la situation ou de se maîtriser (cf. TRECHSEL, Kurzkommentar, StGB, n. 2 ad art. 113; STRATENWERTH, Bes. Teil I, 3e éd., p. 31 No 28; REHBERG, Strafrecht III, 5e éd., p. 21; NOLL, Bes. Teil I, p. 20; HURTADO POZO, Droit pénal, Partie spéciale I, 2e éd., Fribourg 1991, p. 44 No 86).
Tandis que l'émotion violente suppose que l'auteur réagisse de façon plus ou moins immédiate à un sentiment soudain qui le submerge, le profond désarroi vise un état d'émotion qui mûrit pendant une longue période progressivement, couve pendant longtemps jusqu'à ce que l'auteur soit complètement désespéré et n'y voie d'autre issue que l'homicide (FF 1985 II 1035 s.).
La première question que pose l'application de cette disposition ainsi modifiée est de savoir si, comme l'émotion violente, l'état de profond désarroi doit être rendu excusable par les circonstances. Si une telle exigence résulte clairement du texte légal s'agissant de l'émotion violente, elle ne s'impose pas de manière aussi manifeste, en raison d'une formulation un peu différente, pour le profond désarroi. Néanmoins, le message du Conseil fédéral relatif à la modification de l'art. 113 CP relève que le but de cette adjonction était de faire bénéficier également de cette forme privilégiée d'homicide celui qui "n'a agi ni par passion ni sous l'effet de pressions aigu s qui se seraient manifestées de manière relativement subite, mais dans un état d'émotion qui a mûri pendant une longue période, progressivement, et qui est tout aussi excusable" (FF 1985 II 1035 s.). Le caractère excusable de l'état de profond désarroi a en outre été évoqué par le rapporteur de la commission du Conseil national, autorité qui a ensuite adopté la modification, comme l'avait fait le Conseil des Etats, sans aucune discussion (voir BO 1989 CN 680). On doit en
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conclure que la volonté du législateur n'était pas de mettre au bénéfice de l'art. 113 CP quiconque a tué alors qu'il se trouvait dans un état de profond désarroi, sans tenir compte des circonstances qui ont généré cet état, mais qu'il entendait au contraire ne le prendre en considération que dans la mesure où il était rendu excusable par les circonstances (voir également REHBERG, op.cit., p. 23; TRECHSEL, op.cit., n. 8 ad art. 113; HURTADO POZO, op.cit., p. 48 No 94; HAUSER/REHBERG, StGB, 12e éd., p. 143).
STRATENWERTH (Bes. Teil I et II, Teilrevisionen 1987 bis 1990, p. 20 s. No 20) a recours à une formule légèrement différente mais dont le contenu est analogue. Selon lui, il faut se demander si, et le cas échéant dans quelle mesure, l'auteur est lui-même responsable de l'état de profond désarroi dans lequel il se trouvait lorsqu'il a agi.
Pour sa part, SCHULTZ (Die Delikte gegen Leib und Leben nach der Novelle 1989, RPS 1991, p. 402) doute que l'on ne puisse tenir compte du profond désarroi que s'il n'est pas imputable à l'auteur. Il cite à ce propos l'exemple de celui qui a causé, par un accident, l'invalidité d'un proche et lui prodigue ensuite pendant une longue période des soins attentifs. Si, sentant qu'il ne sera bientôt plus en mesure de s'occuper de la personne dont il a causé l'invalidité et désespéré à l'idée que celle-ci sera alors abandonnée à elle-même, il en vient à commettre un homicide, SCHULTZ estime que son profond désarroi doit être pris en considération bien qu'il soit, à l'origine, imputable à une faute de l'auteur. Cet exemple met bien en lumière la différence qui existe entre l'émotion violente et le profond désarroi. Le premier de ces états étant la conséquence d'une pression aiguë qui s'est manifestée de manière relativement subite, il est assez aisé de déterminer s'il a été provoqué fautivement par l'auteur lui-même. En revanche, le profond désarroi est en règle générale un état qui a mûri pendant une longue période, progressivement (cf. FF 1985 II 1036), dont les causes ne peuvent souvent pas être élucidées avec autant de précision et ne sont pas nécessairement imputables à une seule personne, le concours de plusieurs fautes étant parfaitement concevable; de même, il est envisageable qu'un comportement fautif constaté à un moment donné soit contrebalancé par une attitude ultérieure ou apparaisse moins grave en raison de ce qu'avait enduré précédemment l'auteur.
Par conséquent, si l'on doit admettre que le profond désarroi ne peut être retenu que dans la mesure où il est rendu excusable par les circonstances, il faut souligner que les critères permettant de déterminer si l'état de l'auteur était excusable ne seront pas forcément les
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mêmes suivant que l'on se trouve en présence d'une émotion violente ou d'un profond désarroi. On pourrait même concevoir dans certaines circonstances que ce caractère excusable résulte, avec l'écoulement du temps, de l'état dans lequel se trouvait l'auteur.
Il n'est cependant pas nécessaire de définir avec précision les circonstances dans lesquelles le profond désarroi doit être considéré comme excusable, tant il apparaît évident que tel n'est pas le cas en l'espèce.
Il faut relever tout d'abord que le caractère excusable de l'émotion violente ou du profond désarroi suppose un certain jugement porté sur les faits; il s'agit donc d'une question de droit, qui peut être librement examinée dans le cadre d'un pourvoi en nullité (voir CORBOZ, Le pourvoi en nullité, SJ 1991, p. 95 et les références citées). C'est néanmoins sur la base des faits constatés par l'autorité cantonale que la Cour de cassation doit examiner si ces notions ont été interprétées correctement.
b) A la question de savoir si, en l'espèce, le recourant avait commis un meurtre passionnel, le jury de la Cour d'assises a répondu négativement, en motivant ainsi sa décision: "il n'est pas établi que l'éventuel désarroi de F. serait excusable au vu des circonstances ressortant du dossier, son acte apparaissant au contraire être la conséquence de son attitude égoïste et brutale".
Le jury n'a considéré l'état de profond désarroi que comme une éventualité, renonçant à trancher la question, dès lors qu'il lui apparaissait que, de toute manière, cet état - s'il était réalisé - n'était pas excusable. Il a dénié le caractère excusable d'un éventuel profond désarroi en considérant que tout procédait en définitive de l'attitude égoïste et brutale de l'accusé.
Etant rappelé que la Cour de cassation est liée par les constatations de fait de l'autorité cantonale, il faut observer que si le recourant se trouvait profondément perturbé par l'échec de son union conjugale, cette situation résultait surtout de ses brutalités envers son épouse. L'état dans lequel il se trouvait était donc principalement dû à sa faute. S'il était en proie à une émotion violente au moment des faits, cela résulte essentiellement de ce qu'il tentait d'imposer des relations sexuelles à son épouse, sans tenir compte de son refus lié à la séparation et à la détérioration du lien conjugal; il a ainsi provoqué son état d'excitation par ses exigences égoïstes, ne tenant pas compte de la personnalité et de la volonté de sa femme. Dans de telles circonstances, en déniant le caractère excusable, sous quelque forme que ce soit, d'un éventuel état de profond désarroi ou d'émotion violente,
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l'autorité cantonale n'a pas fait une fausse interprétation des conditions posées par l'art. 113 CP.
c) Dans son pourvoi cantonal, le recourant a invoqué à ce sujet un seul grief, à savoir que l'exigence de l'excusabilité ne s'attachait pas à l'état de profond désarroi, mais seulement à l'émotion violente. Sur ce point, comme il a été démontré, le recourant avait tort et son pourvoi aurait donc dû être rejeté pour ce motif.
La Cour de cassation cantonale a cependant suivi le recourant, de sorte que son arrêt est erroné sur cette question de droit. Cela ne suffit cependant pas pour entraîner l'annulation de l'arrêt attaqué. La Cour de cassation cantonale a rejeté le pourvoi, de sorte que l'annulation de son arrêt, dans les circonstances d'espèce, ne changerait rien à la situation du recourant, mais entraînerait seulement une modification des considérants en droit de l'arrêt cantonal. Or, le pourvoi en nullité n'est pas ouvert pour se plaindre seulement de la motivation de la décision attaquée (ATF 116 IV 292 consid. c et les arrêts cités); la Cour de cassation examinant librement l'application du droit (cf. art. 277bis al. 2 PPF), elle peut substituer une autre motivation à celle retenue dans l'arrêt attaqué.
Sur la base des faits constatés, la Cour d'assises a admis, sans violer le droit fédéral, que le recourant ne s'était pas trouvé dans un état excusable de profond désarroi, ce qui suffit pour justifier le refus d'appliquer l'art. 113 CP, qui est seul litigieux dans le cadre du présent pourvoi.

contenu

document entier
regeste: allemand français italien

Etat de fait

Considérants 2

références

ATF: 116 IV 292

Article: Art. 113 CP, art. 277bis PPF, art. 111 CP, art. 277bis al. 2 PPF