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Chapeau

119 V 271


38. Arrêt du 25 mai 1993 dans la cause U. contre Caisse cantonale neuchâteloise de compensation et Tribunal administratif du canton de Neuchâtel

Regeste

Art. 3 al. 1 let. b et f LPC: prise en compte d'intérêts hypothétiques produits par la valeur de rachat d'une assurance-vie dans le revenu déterminant aux fins de calcul de la prestation complémentaire.
- Ces intérêts ne sont perçus qu'à l'échéance du contrat d'assurance; pendant la durée de celui-ci, ils n'ont pas à être pris en compte, comme rendement de la fortune mobilière (art. 3 al. 1 let. b LPC), dans le revenu déterminant (consid. 4a).
- La non-perception des intérêts en cours de contrat ne constitue pas un dessaisissement au sens de l'art. 3 al. 1 let. f LPC (consid. 4b).
Art. 3 al. 2 LPC: prise en compte des indemnités de chômage dans le revenu déterminant aux fins de calcul de la prestation complémentaire.
N'est un revenu privilégié au sens de l'art. 3 al. 2 LPC (dans sa teneur en vigueur depuis le 1er janvier 1987) que le revenu provenant d'une activité lucrative. Les indemnités de l'assurance-chômage, de même que les prestations d'autres assurances, doivent être prises en compte intégralement (changement de la jurisprudence rendue quant à des indemnités journalières de l'assurance-maladie avant le 1er janvier 1987; consid. 3).

Faits à partir de page 272

BGE 119 V 271 S. 272

A.- Astrid U. bénéficie d'une demi-rente de l'assurance-invalidité depuis le 1er juin 1987 et de prestations complémentaires depuis le 1er juin 1988.
Au mois de juin 1992, la Caisse cantonale neuchâteloise de compensation (ci-après: la caisse) apprit qu'un changement était intervenu dans la situation économique de son assurée: cette dernière n'exerçait plus d'activité lucrative et percevait des indemnités journalières de l'assurance-chômage pour un montant de 12'460 francs par an.
La caisse procéda alors à une révision du cas et, par décision du 26 juin 1992, elle réduisit le montant mensuel de la prestation complémentaire de 830 à 566 francs, avec effet au 1er juillet suivant. Dans le calcul du revenu annuel déterminant, la caisse prit en considération le montant total des indemnités de chômage, conformément aux directives édictées à ce sujet par l'Office fédéral des assurances sociales (ci-après: l'OFAS); à ce montant, elle ajouta, au titre de revenu de la fortune mobilière, une somme de 263 francs correspondant au rendement hypothétique de la valeur de rachat - 5'000 francs - d'une assurance sur la vie souscrite par l'assurée.

B.- Astrid U. recourut contre cette décision devant le Tribunal administratif du canton de Neuchâtel. Elle conclut à l'annulation de
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ladite décision; mettant en doute la légalité des directives précitées, elle fit valoir que les indemnités de chômage ne devaient être comprises dans le revenu déterminant qu'à raison des deux tiers, soit dans la même mesure que le salaire. Elle contesta en outre la prise en compte d'un intérêt hypothétique de la valeur de rachat de son assurance-vie.
Par jugement du 1er octobre 1992, la juridiction cantonale rejeta le recours.

C.- Astrid U. interjette recours de droit administratif contre ce jugement, dont elle demande l'annulation. Son argumentation sera exposée dans le corps de l'arrêt, pour autant que de besoin.
La caisse conclut au rejet du recours tandis que l'OFAS en propose l'admission partielle: il estime qu'il ne doit pas être tenu compte d'un intérêt hypothétique de la valeur de rachat de l'assurance-vie.

Considérants

Considérant en droit:

1. a) Aux termes de l'art. 3 al. 1 LPC, le revenu déterminant pour les prestations complémentaires comprend notamment les ressources en espèces ou en nature provenant de l'exercice d'une activité lucrative (let. a), le produit de la fortune mobilière et immobilière ainsi qu'une part de la fortune nette dans la mesure où elle dépasse certaines limites (let. b), les rentes, pensions et autres prestations périodiques (let. c), les ressources et parts de fortune dont un ayant droit se dessaisit (let. f).
b) Conformément à l'al. 2 de la même disposition, une somme forfaitaire est déduite du revenu annuel provenant de l'exercice d'une activité lucrative et le solde n'est pris en compte qu'à raison des deux tiers; il s'agit là du revenu dit privilégié.

2. En l'espèce, le litige porte sur le point de savoir si c'est à bon droit que la caisse et les premiers juges ont d'une part nié la qualification de revenu privilégié des indemnités de chômage et d'autre part assimilé le rendement hypothétique produit par la valeur de rachat d'une assurance sur la vie à un revenu de la fortune mobilière.

3. a) L'art. 3 al. 2 LPC ne mentionne expressément que le revenu provenant de l'exercice d'une activité lucrative.
Une prise en compte de prestations d'assurance en tant que revenu privilégié irait donc manifestement au-delà de ce qui ressort d'une interprétation strictement littérale de cette disposition.
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Or, la loi s'interprète d'abord selon sa lettre. En vertu de la jurisprudence, l'on ne peut déroger au sens littéral d'un texte clair par voie d'interprétation que si des raisons objectives - découlant par exemple des travaux préparatoires, du but et du sens de la disposition ou de la systématique de la loi - permettent de penser que ce texte trahit le sens véritable de la disposition en cause (ATF 117 III 45 consid. 1, ATF 117 V 5 consid. 5a et les arrêts cités; IMBODEN/RHINOW/KRÄHENMANN, Schweizerische Verwaltungsrechtsprechung, no 21b IV).
b) Tel n'est pas le cas en ce qui concerne l'art. 3 al. 2 LPC. L'examen des travaux préparatoires démontre au contraire que la lettre de cette disposition en reflète bien le sens véritable et voulu.
La teneur actuelle de l'art. 3 al. 2 LPC est le fruit de la deuxième révision de la LPC, entrée en vigueur le 1er janvier 1987. Auparavant, cette disposition prévoyait le privilège des rentes et pensions, à l'exception des rentes de l'AVS et de l'AI (RO 1965 543). Les raisons qui ont conduit à supprimer ce privilège sont exposées dans le message du Conseil fédéral relatif à la révision susmentionnée (FF 1985 I 112):
"A l'avenir, les rentes servies par des assurances sociales étrangères ainsi que les rentes et pensions de toutes sortes, devront être entièrement prises en compte, comme le sont les rentes de l'AVS et l'AI.
On ne voit en effet pas pourquoi les titulaires de rentes servies par des assurances sociales étrangères devraient jouir d'un traitement privilégié par rapport aux autres bénéficiaires de PC. La prise en compte partielle se limitera donc aux revenus provenant d'une activité lucrative; cette solution a rencontré une approbation presque unanime auprès des milieux consultés. Elle incite à l'exercice d'une activité lucrative."
Ainsi, c'est délibérément et en toute connaissance de cause que le législateur a adopté, lors de la deuxième révision de la LPC, une réglementation restrictive en matière de revenu privilégié, limitant l'étendue de celui-ci au seul revenu tiré d'une activité lucrative (cf. à cet égard Bulletin officiel 1985 Conseil des Etats p. 289, Conseil national pp. 1393 et ss). Il en résulte que toute interprétation extensive de l'art. 3 al. 2 LPC, qui consisterait à privilégier d'autres revenus, contreviendrait à la volonté du législateur et serait par conséquent inadmissible.
c) De l'avis de la recourante, lorsque le législateur a supprimé la référence aux rentes et pensions de l'art. 3 al. 2 LPC, il ne visait pas les prestations de courte durée, telles les indemnités de chômage, destinées à compenser, provisoirement ou partiellement, la perte de
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salaire. Autrement dit, la recourante estime qu'outre le privilège des rentes et pensions, qui a été supprimé par la deuxième révision de la LPC, il existait, sous l'empire de l'ancien droit, un privilège accordé à d'autres prestations, lequel n'aurait pas été touché par ladite révision.
Il est vrai que la Cour de céans a admis, avant la deuxième révision de la LPC, que des indemnités journalières versées par une caisse-maladie constituaient un revenu privilégié (arrêt non publié H.-M. du 1er octobre 1969).
Cependant, les modifications apportées depuis lors à l'art. 3 al. 2 LPC s'opposent au maintien d'une telle jurisprudence, qui serait contraire non seulement à la teneur actuelle de la disposition en cause mais également à son esprit: comme on l'a vu, le privilège qui était accordé par la loi à certaines prestations d'assurance a été supprimé dans le but, notamment, d'inciter les bénéficiaires de prestations de chômage à se remettre au travail le plus rapidement possible s'ils sont en mesure de le faire; or, en maintenant la jurisprudence précitée - et a fortiori en l'appliquant par analogie aux indemnités de l'assurance-chômage ou à d'autres prestations - le juge irait à l'encontre de cet objectif, il ne respecterait pas la ratio legis de l'actuel art. 3 al. 2 LPC.
d) La recourante entend également tirer argument de ce que le résultat d'une interprétation littérale de l'art. 3 al. 2 LPC "se révèle particulièrement choquant et inopportun: la recourante, du fait de la perte de son emploi, ne reçoit qu'un salaire de substitution partiel par rapport à son gain antérieur et, en outre, voit sa prestation complémentaire largement diminuée".
Ce moyen n'est toutefois pas pertinent, quand bien même il est indéniable que l'art. 3 al. 2 LPC pénalise les chômeurs indemnisés par rapport aux personnes exerçant une activité lucrative. En effet, conformément à l'art. 113 al. 3 Cst., le juge doit appliquer les lois votées par l'Assemblée fédérale et les arrêtés de cette assemblée qui ont une portée générale; lorsqu'une solution adoptée par le parlement lui paraît inopportune, le juge peut le signaler mais il ne peut en aucun cas y remédier en interprétant un texte légal clair de façon extensive; en d'autres termes, il n'est pas autorisé à s'écarter d'une interprétation littérale de la loi au seul motif que cette interprétation conduit à un résultat insatisfaisant à ses yeux (ATF 113 V 104).
De ce qui précède, il faut conclure que l'art. 3 al. 2 LPC doit être interprété et appliqué selon sa lettre. Il faut en conclure également que le ch. 2088 des directives de l'OFAS concernant les prestations
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complémentaires, selon lequel les indemnités journalières de l'assurance-maladie, accidents, invalidité et chômage doivent être intégralement prises en considération, est conforme à la loi; la Cour de céans l'a du reste récemment déclaré (arrêt non publié D. du 17 février 1993).
Le recours est mal fondé sur ce point et doit être rejeté dans la mesure où il s'y rapporte.

4. Quant au rendement hypothétique de la valeur de rachat de l'assurance-vie souscrite par la recourante, c'est à tort qu'il en a été tenu compte comme produit de la fortune mobilière au sens de l'art. 3 al. 1 let. b LPC.
a) Cette manière de procéder révèle une méconnaissance des propriétés actuarielles des assurances sur la vie: dans ces assurances, en particulier celles pour lesquelles il est certain que l'événement assuré se réalisera, et qui ont par conséquent une valeur de rachat légale (selon l'art. 90 al. 2 LCA), il est tenu compte, dans la détermination de la prime, de l'intérêt produit par la réserve mathématique; au contraire toutefois de ce qui se produit pour les comptes d'épargne bancaires, cet intérêt n'est pas versé périodiquement au preneur d'assurance, mais est obligatoirement accumulé auprès de l'assureur: le titulaire du contrat d'assurance - ou l'ayant droit - n'en bénéficie effectivement qu'à l'échéance du contrat. Il est par conséquent erroné de tenir compte, dans le revenu de la fortune mobilière d'un bénéficiaire de prestations complémentaires, des intérêts produits par la réserve mathématique ou par la valeur de rachat (qui constitue une fraction de celle-ci) au titre de "rendement hypothétique" d'une assurance sur la vie.
L'on peut encore noter, bien que cela ne soit pas déterminant, qu'en droit fiscal les intérêts et participations aux excédents provenant d'assurances sur la vie ne sont pas davantage imposés comme revenu de la fortune mobilière.
b) Il convient par ailleurs de relever que la non-perception des intérêts pendant la durée du contrat ne constitue à l'évidence pas un dessaisissement au sens de l'art. 3 al. 1 let. f LPC: l'assuré ne renonce pas à ces intérêts, dès lors qu'il les touchera intégralement à l'échéance de l'assurance.
Par conséquent, ces intérêts n'avaient pas à être inclus dans les revenus de l'assurée; le recours se révèle donc fondé sur ce point et il y a lieu de renvoyer le dossier de la cause à l'administration pour qu'elle fixe le revenu déterminant conformément au présent considérant.

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Etat de fait

Considérants 1 2 3 4

références

ATF: 117 III 45, 117 V 5, 113 V 104

Article: Art. 3 al. 2 LPC, art. 3 al. 1 let. b LPC, art. 3 al. 1 let, art. 3 al. 1 LPC suite...