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Chapeau

12629/87


S. c. Suisse
Requête no 12629/87; 13965/88, 28 novembre 1991

Regeste

SUISSE: Art. 6 par. 3 let. c CEDH. Entraves à la libre communication entre un accusé en détention provisoire et son avocat.

Le droit pour l'accusé de communiquer avec son avocat hors de portée d'ouïe d'un tiers, bien que non consacré en termes exprès par la Convention, figure parmi les exigences élémentaires du procès équitable dans une société démocratique et découle de l'art. 6 ch. 3 let. c CEDH.
Le Gouvernement invoque que la mesure litigieuse se fondait sur des "indices révélant un danger de collusion dans la personne de l'avocat de la défense". La Cour estime que pareille éventualité ne saurait justifier la restriction dénoncée, celle-ci ayant en outre duré plus de sept mois.
Conclusion: violation de l'art. 6 par. 3 let. c CEDH.





Faits

En l'affaire S. c. Suisse, [1]
La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention")[2]? et aux clauses pertinentes de son règlement??? Les amendements au règlement entrés en vigueur le 1er avril 1989 s'appliquent en l'espèce.??, en une chambre composée des juges dont le nom suit:
MM. J. Cremona, président,
Thór Vilhjálmsson,
Mme D. Bindschedler-Robert,
MM. F. Gölcüklü,
F. Matscher,
B. Walsh,
R. Bernhardt,
J. De Meyer,
Mme E. Palm,
ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier, et H. Petzold, greffier adjoint,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 27 juin et 25 octobre 1991,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date:
PROCEDURE
1. L'affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l'Homme ("la Commission") le 8 octobre 1990, puis par le gouvernement de la Confédération suisse ("le Gouvernement") le 12 décembre 1990, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention. A son origine se trouvent deux requêtes (nos 12629/87 et 13965/88) dirigées contre la Suisse et dont un ressortissant de cet État, S., avait saisi la Commission les 18 novembre 1986 et 28 mai 1988, en vertu de l'article 25 (art. 25). Le requérant a prié la Cour de ne pas divulguer son identité.
La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu'à la déclaration suisse reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46), la requête du Gouvernement aux articles 45, 47 et 48 (art. 45, art. 47, art. 48). Elles ont pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'État défendeur aux exigences des articles 6, par. 3 b) et c), et 5 par. 4 (art. 6-3-b, art. 6-3-c, art. 5-4).
2. En réponse à l'invitation prévue à l'article 33 par. 3 d) du règlement, le requérant a exprimé le désir de participer à l'instance et a désigné son conseil (article 30).
3. La chambre à constituer comprenait de plein droit Mme D. Bindschedler-Robert, juge élu de nationalité suisse (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 par. 3 b) du règlement). Le 26 octobre 1990, celui-ci a tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir M. J. Cremona, M. Thór Vilhjálmsson, M. F. Matscher, M. B. Walsh, Sir Vincent Evans, M. J. De Meyer et Mme E. Palm, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 4 du règlement) (art. 43).
4. Ayant assumé la présidence de la chambre (article 21 par. 5 du règlement), M. Ryssdal a consulté, par l'intermédiaire du greffier, l'agent du Gouvernement, le délégué de la Commission et l'avocat du requérant au sujet de la nécessité d'une procédure écrite (article 37 par. 1). Conformément à l'ordonnance rendue en conséquence, le greffier a reçu les mémoires du requérant et du Gouvernement le 30 avril 1991. Le 10 juin, le secrétaire de la Commission l'a informé que le délégué s'exprimerait en plaidoirie.
5. Le 11 février 1991, le président avait fixé au 24 juin 1991 la date de celle-ci après avoir recueilli l'opinion des comparants par les soins du greffier (article 38 du règlement).
6. Par la suite, un empêchement de M. Ryssdal et de Sir Vincent Evans a entraîné le remplacement du premier par M. Cremona, vice-président de la Cour, à la tête de la chambre, du second par M. F. Gölcüklü, suppléant, et de M. Cremona lui-même, en qualité de membre de celle-ci, par M. R. Bernhardt, lui aussi suppléant (articles 21 paras. 3 b) et 5, 22 par. 1 et 24 par. 1).
7. L'audience s'est déroulée en public le jour dit, au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.
Ont comparu:
- pour le Gouvernement
MM. O. Jacot-Guillarmod, sous-directeur
de l'Office fédéral de la Justice, chef de la division des
affaires internationales, agent,
R. Hauser, professseur émérite de droit pénal
à l'Université de Zurich,
F. Schürmann, adjoint scientifique
à l'Office fédéral de la Justice, conseils ;
- pour la Commission
M. S.Trechsel, délégué ;
- pour le requérant
Me J.-P.Garbade, avocat, conseil,
Me M.-P.Honegger, avocat, conseiller.
La Cour a entendu en leurs déclarations, ainsi qu'en leurs réponses à ses questions, M. Jacot-Guillarmod pour le Gouvernement, M. Trechsel pour la Commission et Me Garbade pour le requérant.
EN FAIT
8. S., maçon, réside à Zurich.
9. À l'automne 1980, un mouvement de protestation éclata dans la ville de Winterthour (canton de Zurich) contre la livraison de centrales nucléaires à un pays d'Amérique latine alors sous régime militaire. Il continua en 1981 par des manifestations contre la tenue d'une exposition internationale d'armements ainsi que par l'inscription de graffiti et l'occupation d'immeubles pour protester contre la pénurie de logements. En 1983 et 1984 eut lieu une série d'incendies criminels et d'attentats à l'explosif qui endommagèrent plusieurs bâtiments publics et privés dont le domicile de M. Friedrich, à l'époque conseiller fédéral et chef du département de Justice et de Police.
Le 20 juillet 1984, la police de Winterthour constitua un groupe spécial chargé de coordonner la recherche des auteurs de ces infractions; il opéra des filatures, des écoutes téléphoniques et la vidange régulière des poubelles d'une communauté qui, pensait-on, abritait les coupables.
Le 20 novembre, la police arrêta vingt-sept personnes; à cette occasion, elle saisit de nombreux documents. Dix des intéressés furent relâchés le jour même. Les autres, placés en détention préventive dans l'isolement complet, sans pouvoir correspondre librement avec leurs avocats, firent chacun l'objet d'une procédure distincte.
10. Soupçonné d'avoir trempé dans les infractions susmentionnées, S. fut arrêté chez lui, à Genève, le 21 novembre 1984, mais réussit à prendre la fuite. Appréhendé à nouveau le 30 mars 1985, il se vit inculper d'usage d'explosifs en relation avec l'attentat contre la maison de M. Friedrich.
11. Les 2 et 4 avril 1985, le procureur général de la Confédération transmit aux autorités genevoises divers documents incriminant le requérant. Interrogé le 10 avril par des agents du ministère public fédéral au sujet des accusations pesant sur lui, l'intéressé se prévalut de son droit de se taire.
A. La phase de l'instruction
12. Le 22 mai 1985, la poursuite de l'instruction échut au parquet du district de Winterthour (Bezirksanwaltschaft) et S. fut conduit à la prison de cette ville.
Après l'avoir entendu le 28 mai 1985, le procureur de district ("le procureur") l'accusa d'avoir provoqué une explosion au domicile de M. Friedrich et d'avoir déclenché un incendie dans un centre de protection civile; il le plaça derechef en détention préventive en raison du risque de fuite et de collusion avec ses coïnculpés. Le 7 juin 1985, il l'accusa de surcroît d'avoir incendié deux stands de tir, inondé un local commercial et endommagé des biens par des graffiti. Selon l'avocat du requérant, toutes ces imputations se fondaient sur des expertises graphologiques établies à partir de pièces dont la police s'était emparée le 20 novembre 1984 (paragraphe 9 ci-dessus).
13. Le 19 juillet 1985, les autorités genevoises communiquèrent au parquet de Winterthour les résultats des enquêtes qu'elles avaient menées de leur côté.
1. La surveillance des contacts et de la correspondance du requérant avec son conseil
14. En avril 1985, l'intéressé avait demandé à sa mère de prier Me Rambert, l'avocat d'un autre inculpé, W., d'assumer aussi sa défense. Celui-ci ayant refusé, S. désigna, le 1er mai 1985, Me Garbade, que le président de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Zurich nomma défenseur d'office le 10 juin avec effet rétroactif au 4 mai.
15. Le 8 mai 1985, alors qu'il se trouvait encore incarcéré à Berne, le requérant avait pu conférer librement avec Me Garbade pendant une demi-heure environ. A partir du 15 mai, au contraire, les visites se déroulèrent sous la surveillance d'un fonctionnaire de police. Trois lettres de l'intéressé à son avocat, datées des 4, 6 et 21 mai, furent interceptées; elles servirent ultérieurement à des expertises graphologiques.
Après son transfert à la prison de Winterthour, S. continua de subir un contrôle de son courrier et des visites de son conseil; toutefois, il put rencontrer sans témoins, le 29 mai, un avocat pressenti par sa mère pour assumer sa défense, Me H.
16. Le 31 mai 1985, le requérant s'entretint avec Me Garbade en présence d'un policier qui prit des notes et, après une heure, interrompit leur discussion au motif qu'elle ne portait plus sur l'affaire et qu'il devait vaquer à d'autres occupations.
17. Dans une lettre du 12 juin 1985, le procureur de Winterthour informa le procureur général de Zurich que les mesures adoptées lui semblaient nécessaires en raison du risque de voir l'avocat de l'intéressé se concerter avec des confrères ou des coïnculpés. Il invoquait l'article 18 par. 2 du code de procédure pénale de Zurich, aux termes duquel
"L'inculpé arrêté est autorisé à avoir des contacts écrits et verbaux avec son défenseur, dans la mesure où l'objectif de l'enquête n'est pas contrecarré.
Dès que la durée de la détention préventive excède quatorze jours, il n'est plus permis de refuser à l'inculpé, sans des motifs spéciaux, notamment le risque de collusion, l'autorisation de consulter librement et sans surveillance son défenseur. Dès la clôture de l'instruction, le requérant peut exercer ce droit sans aucune restriction.
(...)."
18. Le 27 juin 1985, la chambre d'accusation de la cour d'appel de Zurich autorisa l'avocat de S. à consulter au greffe du tribunal trois rapports de police et quelques procès-verbaux des dépositions des coïnculpés, mais non à en établir des copies. Depuis lors et jusqu'en janvier 1986 (paragraphe 33 ci-dessous), Me Garbade n'eut accès à aucune autre pièce du dossier.
19. De nombreux conflits surgirent entre le personnel de surveillance et l'avocat, en particulier le 23 août 1985, lorsque celui-ci voulut remettre à son client quelques décisions et lettres du procureur de district ainsi que la copie du mémoire du recours de droit public du 19 août 1985 (paragraphe 27 ci-dessous). Le fonctionnaire s'empara de ce document et le communiqua au procureur.
20. A la demande du parquet de Winterthour, le président de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Zurich prolongea jusqu'au 12 septembre 1986 la détention préventive du requérant afin de l'empêcher de s'entendre avec ses coïnculpés, élargis entre temps, et d'altérer les éléments de preuve.
21. En octobre 1985, Me Garbade prit connaissance de quelques extraits du rapport final de police du 8 août 1985, mais il n'eut accès au dossier qu'en janvier 1986.
2. La première série de recours contre les mesures de surveillance
22. Le 3 juin 1985, l'intéressé introduisit un recours devant la chambre d'accusation de la cour d'appel de Zurich pour se plaindre de la surveillance de la visite du 31 mai (paragraphe 16 ci-dessus). Il le compléta le 14 juin à la suite d'autres visites qui eurent lieu les 7 et 14 juin.
23. La chambre d'accusation débouta S. le 27 juin. Elle soulignait qu'on le soupçonnait d'avoir commis les infractions en cause et estima qu'eu égard à la complexité et à l'ampleur de l'enquête menée par les autorités, il existait un grave risque de collusion; l'inculpé ayant refusé de témoigner, il aurait aisément pu altérer les preuves car ses coïnculpés, sauf W., avaient recouvré la liberté. En outre, il avait gardé avec eux des contacts étroits et avait à répondre de manquements graves ayant porté atteinte à l'ordre public et social. A quoi s'ajoutait un danger involontaire de collusion de la part de Me Garbade, vu les relations qu'il entretenait avec les conseils des autres inculpés et notamment de W. Quant au comportement du policier chargé de surveiller la visite du 31 mai 1985 (paragraphe 16 ci-dessus), il pouvait se justifier.
24. Le requérant contesta cette décision devant la chambre civile de la cour d'appel de Zurich, laquelle la confirma le 26 juillet 1985. D'après elle, le refus de témoigner laissait apparaître un risque de collusion avec les coïnculpés et il y avait lieu de présumer que le prévenu s'emploierait de toutes ses forces à faire coïncider (abstimmen) leurs déclarations respectives. Sans doute Me H. avait-il pu conférer librement avec lui, mais la chambre civile ne jugea pas dignes de foi les allégations de Me Garbade selon lesquelles ses contacts avec les conseils des autres accusés n'étaient pas plus étroits que ceux de Me H.; en outre, le défenseur de W. avait averti le parquet que tous les avocats étaient convenus de coordonner leur stratégie.
La chambre ajoutait:
"Ce comportement n'est pas inacceptable, mais il doit être compatible avec l'impératif de la recherche de la vérité (Gebot der materiellen Wahrheitsfindung). Puisque les inculpés représentés par les avocats Garbade et Rambert usent de leur droit de s'abstenir de toute déclaration, le danger n'est pas exclu que les avocats de la défense non seulement coordonnent leur manière de procéder sur le plan tactique et juridique, mais aussi, délibérément ou non, nuisent à la découverte de la vérité matérielle. Il existe dès lors, précisément pour des infractions telles que les présentes qui doivent s'analyser en atteintes à l'ordre public et social, assez d'indices révélant un danger de collusion dans la personne de l'avocat de la défense."
25. Le 10 juin 1985, d'autre part, le requérant avait attaqué une décision du président de la chambre d'accusation prolongeant sa détention préventive. Il se plaignait de l'impossibilité de consulter toutes les pièces du dossier et du caractère purement écrit de la procédure. Le 18 juillet 1985, la chambre d'accusation avait rejeté le recours et entériné la prolongation jusqu'au 12 septembre 1985, au motif qu'il existait un risque de collusion et de fuite.
26. S. saisit alors, les 19 et 27 août, le Tribunal fédéral de deux recours de droit public.
27. Dans le premier, dirigé contre l'arrêt du 18 juillet 1985 (paragraphe 25 ci-dessus), il invoquait l'article 6 par. 3 b) de la Convention combiné avec l'article 5 par. 4 (art. 6-3-b, art. 5-4): selon lui, la surveillance des visites rendait illusoire son droit d'introduire un recours, au sens de l'article 5 par. 4 (art. 5-4), et son droit à être équitablement entendu se trouvait vidé de sa substance quant au contrôle de la légalité de sa détention préventive. En particulier, ladite surveillance entravait toute conversation confidentielle avec son avocat, destinée à réfuter les preuves rassemblées pendant l'instruction; de plus, il n'avait pas accès au dossier et son avocat ne pouvait en prendre copie.
Le second recours visait les arrêts des 27 juin et 26 juillet 1985 (paragraphes 23 et 24 ci-dessus); il formulait pour l'essentiel les mêmes griefs.
28. Le Tribunal fédéral rejeta le recours du 19 août (paragraphe 27 ci-dessus) le 15 octobre 1985. Il constata notamment que Me Garbade, à qui il appartenait de rédiger la demande d'élargissement, avait eu accès au dossier de sorte qu'il n'avait pas été porté atteinte aux droits de S. dans la procédure de prorogation de la détention provisoire. Il ajouta que l'avocat aurait eu droit, au plus tard au stade de la mise en état, à une copie du dossier pour son client s'il l'avait demandée.
29. Le recours du 27 août 1985 (paragraphe 27 ci-dessus) subit le même sort le 4 décembre. Le Tribunal fédéral estima que seuls entraient en ligne de compte les articles 4 de la Constitution fédérale et 6 par. 3 c) (art. 6-3-c) de la Convention - tel que l'avait interprété la Commission européenne des Droits de l'Homme -, et non l'article 6 par. 3 b) (art. 6-3-b) car la surveillance n'avait pas nui à la préparation du procès.
Or les autorités n'avaient pas versé dans l'arbitraire en qualifiant les infractions litigieuses d'atteintes systématiques à l'ordre public et social: les inculpés semblaient extrêmement dangereux et il y avait lieu de supposer qu'ils auraient employé des moyens illégaux même pendant la procédure judiciaire. Par conséquent, et indépendamment de la personne de Me Garbade, la surveillance des contacts de celui-ci avec son client cadrait avec la Constitution et la Convention européenne.
En cas d'irrégularités imputables à un avocat, il incombait en premier lieu aux autorités disciplinaires de le sanctionner. Un conseil pouvait, délibérément ou non, devenir complice d'un accusé. Il en allait spécialement ainsi de Me Garbade, qui entretenait des relations étroites avec Me Rambert dont le client, W., avait été autorisé à communiquer librement avec lui. Le requérant ne pouvait pour autant se prétendre victime d'une discrimination car W., détenu depuis beaucoup plus longtemps, se trouvait inculpé d'infractions supplémentaires.
3. La deuxième série de recours contre les mesures de surveillance
30. Entre temps, la surveillance ne s'était pas relâchée. Le policier qui en avait la charge avait établi des notes les 23 août, 11 octobre, 21 octobre et 18 décembre; elles furent ultérieurement versées au dossier. Il ressortait de la première que Me Garbade avait dû lui montrer les pièces qu'il examinait avec son client.
31. Par une lettre du 15 octobre 1985, le parquet de Winterthour avait informé le procureur général que le contrôle visait à écarter tout risque de collusion; il estimait toutefois improbable qu'une certaine conversation écoutée pût, d'une manière ou d'une autre, servir de moyen de preuve contre S.
32. Le 21 octobre 1985, le procureur de Winterthour avisa Me Garbade qu'il mettrait fin à la surveillance aussitôt après avoir entendu le requérant sur les accusations portées contre lui. L'avocat répondit que tant qu'elle durerait, celui-ci s'abstiendrait de toute déclaration.
33. La surveillance des visites et de la correspondance fut levée le 10 janvier 1986 après un interrogatoire d'une journée et demie. Invité à cette occasion par le procureur à s'exprimer, l'intéressé avait usé de son droit de se taire. Par la suite, il put conférer avec son conseil au local de la bibliothèque de la prison sans vitre de séparation ni aucune autre restriction.
34. Le 20 décembre 1985, le requérant avait introduit un recours dirigé notamment contre la surveillance des visites et l'interdiction pour lui de consulter le dossier.
Le 8 janvier 1986, la chambre d'accusation de la cour d'appel de Zurich avait sursis à statuer sur le premier point, au motif que le parquet s'apprêtait à renoncer à ladite surveillance. Quant au second, elle avait relevé que S. demeurait soupçonné des infractions en cause et que la longueur de l'instruction résultait de son silence obstiné.
Le 10 juillet 1986, elle constata que le grief réservé par elle le 8 janvier n'avait plus d'objet depuis la levée des mesures de surveillance (paragraphe 33 ci-dessus). Pour déterminer si le requérant devait supporter les dépens et pouvait prétendre à des dommages-intérêts, elle évalua les chances de succès que le recours aurait offertes si la surveillance avait continué. Elle nota que les circonstances mentionnées dans l'arrêt du Tribunal fédéral du 4 décembre 1985 (paragraphe 29 ci-dessus) n'avaient pas changé jusqu'au 20 décembre, date de sa propre saisine, de sorte que les limitations à la libre communication de l'intéressé avec son conseil restaient alors justifiées; en conséquence, elle ne lui alloua aucune réparation pécuniaire.
35. S. attaqua cette décision devant la chambre civile de la cour d'appel de Zurich, laquelle la confirma le 19 janvier 1987, estimant elle aussi que le recours du 20 décembre 1985 aurait probablement échoué.
36. Le requérant forma enfin un recours de droit public le 27 février 1987. Le Tribunal fédéral l'en débouta le 30 novembre 1987. Se bornant à rechercher si le refus de toute indemnité se trouvait entaché d'arbitraire, il releva l'existence d'un risque de collusion et approuva pour l'essentiel les conclusions de la chambre d'accusation (paragraphe 34 ci-dessus).
B. L'acte d'accusation et la procédure devant la cour d'appel de Zurich
37. Dans une expertise établie le 26 mars 1986 pour le parquet de Winterthour, la police de Zurich avait formulé l'opinion que certaines des lettres anonymes envoyées au lendemain des infractions litigieuses émanaient sans nul doute de l'intéressé.
38. Le dernier interrogatoire eut lieu le 28 juillet 1986. D'après le procès-verbal, S. ne voulut pas répondre aux accusations portées contre lui et son avocat les attribua au fait que l'on prêtait à son client des convictions anarchistes.
39. Long de 235 pages, le rapport final (Schlussbericht) du parquet de Winterthour, du 21 août 1986, reprochait au requérant dix-neuf infractions et tentatives d'incendie criminel, sa participation à trois attentats à l'explosif ainsi que divers vols et dommages causés à des biens dont une voie ferroviaire, le préjudice atteignant 7 670 000 francs suisses environ. Le rapport fut transmis au parquet général de Zurich.
40. Les 12 septembre, 6 octobre et 22 décembre 1986, l'intéressé demanda en vain au ministère public un complément d'instruction. Il réitéra sa démarche le 1er avril 1987.
41. Conformément à l'article 198 a par. 3 c) du code zurichois de procédure pénale, il laissa à la chambre d'accusation le choix de la juridiction qui allait le juger. Elle décida de le renvoyer devant la cour d'appel plutôt que devant la cour d'assises (Geschworenengericht), considérant que ses intérêts - eu égard notamment à son jeune âge - seraient ainsi mieux protégés.
42. Les débats devaient commencer le 14 janvier 1988, mais le requérant ne comparut pas. La cour d'appel sursit alors à statuer.
Une nouvelle audience se déroula le 11 décembre 1989 en l'absence, non motivée, de S. qui avait été mis en liberté provisoire le 15 septembre 1988. La cour d'appel le jugea coupable, notamment, de fabrication d'explosifs, d'incendie, de vol et de dommages à la propriété, et le condamna à sept ans de réclusion, moyennant déduction de 1 291 jours passés en détention préventive, et aux frais et dépens.
Le requérant fit opposition. Toujours en son absence, un nouveau procès eut lieu le 8 février 1990. Après avoir entendu son avocat et le représentant du procureur général de Zurich, la cour d'appel confirma son arrêt du 11 décembre 1989. Il saisit la Cour de cassation du canton de Zurich d'un pourvoi qui entraîna la suspension de l'exécution de cet arrêt.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
43. Dans ses requêtes des 18 novembre 1986 (no 12629/87) et 28 mai 1988 (no 13965/88), S. se plaignait de n'avoir pas été autorisé à communiquer librement et sans contrôle avec son avocat; à cet égard, il invoquait l'article 6 par. 3 b) et c) (art. 6-3-b, art. 6-3-c) de la Convention. Il prétendait en outre que la surveillance litigieuse avait rendu illusoire son droit d'introduire un recours devant un tribunal, au sens de l'article 5 par. 4 (art. 5-4). Il alléguait enfin une violation de l'article 13 (art. 13), au motif que le Tribunal fédéral s'était borné à rechercher si les autorités zurichoises avaient versé dans l'arbitraire en estimant que le recours du 20 décembre 1985 eût été rejeté (paragraphe 34 ci-dessus).
44. Le 12 décembre 1988, la Commission a ordonné la jonction des requêtes en vertu de l'article 29 de son règlement intérieur.
Le 9 novembre 1989, elle a déclaré irrecevable, pour défaut manifeste de fondement, le grief tiré de l'article 13 (art. 13); en revanche, elle a retenu les allégations relatives aux articles 5 par. 4 et 6 par. 3 b) et c) (art. 5-4, art. 6-3-b, art. 6-3-c). Dans son rapport du 12 juillet 1990 (article 31) (art. 31), elle arrive aux conclusions suivantes:
- il y a eu violation de l'article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c) en ce que le requérant, du 31 mai 1985 au 10 janvier 1986, n'a pu s'entretenir librement avec son avocat (quatorze voix contre une);
- aucune question distincte ne se pose sur le terrain des articles 6 par. 3 b) (art. 6-3-b) (quatorze voix contre une) et 5 par. 4 (art. 5-4) (unanimité).
Le texte intégral de son avis et de l'opinion dissidente dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt*.
* Note du greffier: Pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 220 de la série A des publications de la Cour), mais on peut se le procurer auprès du greffe.
CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT
45. Dans son mémoire, le Gouvernement a invité la Cour "à dire que la Suisse n'a pas violé la Convention européenne des Droits de l'Homme à raison des faits qui ont donné lieu aux deux requêtes introduites par S."


Considérants

EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L'ARTICLE 6 PAR. 3 c) (art. 6-3-c)
46. S. allègue la violation de l'article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c), ainsi libellé:
"Tout accusé a droit notamment à:
(...)
c) se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix (...)"
Il reproche aux autorités suisses d'avoir surveillé ses rencontres avec Me Garbade et de n'avoir autorisé ce dernier à consulter qu'une fraction infime du dossier, de sorte qu'il aurait eu du mal à contester les décisions prolongeant la détention provisoire. Le Gouvernement semblerait méconnaître le but des garanties offertes par la Convention et confondre l'efficacité des droits protégés avec le succès de leur exercice. Or ces droits, et notamment le droit à l'assistance d'un défenseur, n'appartiendraient pas à ceux-là seuls qui savent en profiter ou qui bénéficient des services d'un bon avocat: ils seraient destinés à assurer l'égalité des armes. La libre communication d'un conseil avec son client détenu constituerait un droit fondamental essentiel dans une société démocratique, surtout pour les affaires les plus sérieuses. Il y aurait donc contradiction entre le fait de désigner un avocat d'office dès le début d'une enquête, en raison de la gravité des infractions incriminées, et celui de l'empêcher de s'acquitter librement de sa tâche.
47. Le Gouvernement souligne, en s'appuyant sur le rapport de la Commission, que le droit pour l'accusé de communiquer sans entraves avec son conseil, dans la mesure où l'article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c) le consacre implicitement, peut donner lieu à une réglementation de nature à en limiter, dans certains cas, l'exercice.
La restriction, "particulièrement drastique", imposée en l'espèce, se justifierait par les circonstances exceptionnelles de la cause. Les motifs des arrêts des juridictions suisses, les mieux à même d'apprécier la situation, fourniraient deux arguments décisifs à l'appui de la prolongation "très inhabituelle" de la surveillance: d'une part, le caractère "extraordinairement dangereux" de l'inculpé - dont les méthodes s'apparenteraient à celles des terroristes - et l'existence d'infractions systématiques contre l'ordre étatique et social; d'autre part, le risque de collusion entre Me Garbade et les coprévenus. Comme la chambre d'accusation de la cour d'appel de Zurich le releva le 27 juin 1985, pareil risque s'accroîtrait quand un accusé, tel le requérant, use de son droit de se taire. Enfin, S. n'aurait nullement démontré que le contrôle dont il se plaint ait porté préjudice à sa défense.
48. La Cour note qu'à la différence de plusieurs législations nationales et de l'article 8 par. 2 d) de la Convention américaine relative aux Droits de l'Homme, la Convention européenne ne consacre pas en termes exprès le droit, pour l'accusé, de communiquer sans entrave avec son défenseur. Toutefois, au sein du Conseil de l'Europe il se trouve énoncé à l'article 93 des Règles minimales pour le traitement des détenus, - annexées à la résolution (73) 5 du Comité des Ministres -, aux termes duquel
"Un prévenu doit, dès son incarcération, pouvoir choisir son avocat ou être autorisé à demander la désignation d'un avocat d'office, lorsque cette assistance est prévue, et à recevoir des visites de son avocat en vue de sa défense. Il doit pouvoir préparer et remettre à celui-ci des instructions confidentielles, et en recevoir. Sur sa demande, toute facilité doit lui être accordée à cette fin. Il doit notamment pouvoir se faire assister gratuitement par un interprète dans ses rapports essentiels avec l'administration et la défense. Les entrevues entre le prévenu et son avocat peuvent être à portée de la vue, mais ne peuvent pas être à portée d'ouïe directe ou indirecte d'un fonctionnaire de la police ou de l'établissement."
Dans un contexte différent, l'Accord européen concernant les personnes participant aux procédures devant la Commission et la Cour européennes des Droits de l'Homme, qui lie non moins de vingt États membres, y compris la Suisse depuis 1974, prévoit en son article 3 par. 2:
"En ce qui concerne les personnes détenues, l'exercice de ce droit [le droit 'de correspondre librement avec la Commission et la Cour' - paragraphe 1 du même article] implique notamment que:
(...)
c. ces personnes ont le droit, au sujet d'une requête à la Commission et de toute procédure qui en résulte, de correspondre avec un conseil admis à plaider devant les tribunaux du pays où elles sont détenues, et de s'entretenir avec lui sans pouvoir être entendues par quiconque d'autre."
La Cour estime que le droit, pour l'accusé, de communiquer avec son avocat hors de portée d'ouïe d'un tiers figure parmi les exigences élémentaires du procès équitable dans une société démocratique et découle de l'article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c) de la Convention. Si un avocat ne pouvait s'entretenir avec son client sans une telle surveillance et en recevoir des instructions confidentielles, son assistance perdrait beaucoup de son utilité, alors que le but de la Convention consiste à protéger des droits concrets et effectifs (voir notamment l'arrêt Artico du 13 mai 1980, série A no 37, p. 16, par. 33).
49. Le danger de "collusion" invoqué par le Gouvernement mérite cependant examen.
Selon les juridictions suisses, il existait des "indices révélant" un tel risque "dans la personne de l'avocat de la défense": on pouvait craindre que Me Garbade ne collaborât avec le conseil de W., Me Rambert, qui avait averti le parquet de Winterthour de l'intention de tous les avocats de coordonner leur stratégie (paragraphe 24 ci-dessus).
La Cour estime que pareille éventualité, malgré la gravité des infractions reprochées au requérant, ne saurait justifier la restriction litigieuse, et aucune raison suffisamment convaincante n'a été avancée. Il n'y a rien d'extraordinaire à ce que plusieurs défenseurs collaborent afin de coordonner leur stratégie. D'ailleurs, ni la probité déontologique de Me Garbade, nommé défenseur d'office par le président de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Zurich (paragraphe 14 ci-dessus), ni la régularité de son comportement n'ont jamais prêté à contestation en l'espèce. En outre, la durée de la restriction dénoncée dépassa sept mois (31 mai 1985 - 10 janvier 1986).
50. Il échet d'écarter aussi l'argument selon lequel les mesures litigieuses n'ont pas lésé le requérant car il a pu introduire plusieurs demandes de mise en liberté provisoire: une violation de la Convention n'implique pas nécessairement l'existence d'un préjudice (voir, parmi beaucoup d'autres, l'arrêt Alimena du 19 février 1991, série A no 195-D, p. 56, par. 20).
51. Partant, il y a eu infraction à l'article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c).
II. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L'ARTICLE 6 PAR. 3 b) (art. 6-3-b)
52. A l'origine, S. s'appuyait aussi sur l'alinéa b) de l'article 6 par. 3 (art. 6-3-b): la surveillance de ses entretiens avec son avocat l'aurait privé de son droit à "disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense". Toutefois, il n'a plus invoqué cette disposition devant la Cour et point n'est besoin de traiter la question d'office.
III. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L'ARTICLE 5 PAR. 4 (art. 5-4)
53. A titre subsidiaire, l'intéressé allègue que l'impossibilité de conférer librement avec son défenseur rendit illusoire son droit d'attaquer la prolongation de sa détention; elle aurait entraîné de la sorte un manquement aux exigences de l'article 5 par. 4 (art. 5-4), ainsi libellé:
"Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d'introduire un recours devant un tribunal, afin qu'il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale."
Eu égard à la conclusion figurant au paragraphe 51 ci-dessus, la Cour ne croit pas nécessaire d'examiner l'affaire sur le terrain de l'article 5 par. 4 (art. 5-4).
IV. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 50 (art. 50)
54. Aux termes de l'article 50 (art. 50),
"Si la décision de la Cour déclare qu'une décision prise ou une mesure ordonnée par une autorité judiciaire ou toute autre autorité d'une Partie Contractante se trouve entièrement ou partiellement en opposition avec des obligations découlant de la (...) Convention, et si le droit interne de ladite Partie ne permet qu'imparfaitement d'effacer les conséquences de cette décision ou de cette mesure, la décision de la Cour accorde, s'il y a lieu, à la partie lésée une satisfaction équitable."
A. Dommage
55. Le requérant sollicite d'abord une indemnité, dont il laisse à la Cour le soin d'apprécier le montant, pour tort moral; il s'agirait de compenser le sentiment de frustration et la détérioration de son état de santé résultant de la surveillance des visites de son avocat.
Le Gouvernement estime qu'un constat de manquement fournirait en l'espèce une satisfaction suffisante. Toutefois, si la Cour devait accorder une réparation pécuniaire il l'invite à prendre en compte l'ensemble des circonstances de l'espèce et notamment l'importance des dégâts causés par l'intéressé.
Le délégué de la Commission, lui, préconise le versement de 2 500 francs suisses (FS).
La Cour considère que S. a dû subir un certain dommage moral. Statuant en équité comme le veut l'article 50 (art. 50), elle lui alloue de ce chef 2 500 FS.
B. Frais et dépens
56. Le requérant réclame aussi 1 000 FS au titre des émoluments et frais de justice auxquels les juridictions zurichoises l'ont condamné dans le cadre de ses recours contre les mesures de surveillance, plus 14 000 FS pour honoraires et frais relatifs aux instances suivies à Strasbourg.
Le Gouvernement se déclare prêt à rembourser les frais correspondant aux seules décisions judiciaires nationales pertinentes au regard de l'article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c), et 2 000 FS pour les procédures européennes; sur ce dernier point, il souligne l'absence de débats devant la Commission.
Sur la base des éléments en sa possession, des observations des comparants et de sa propre jurisprudence en la matière, la Cour juge équitable d'octroyer 12 500 francs suisses.


Disposition

PAR CES MOTIFS, LA COUR, A L'UNANIMITE,
1. Dit qu'il y a eu infraction au paragraphe 3 c) de l'article 6 (art. 6-3-c);
2. Dit qu'il ne s'impose pas d'examiner l'affaire sous l'angle de l'alinéa b) de l'article 6 par. 3 (art. 6-3-b), ni de l'article 5 par. 4 (art. 5-4);
3. Dit que l'État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, 2 500 (deux mille cinq cents) francs suisses pour dommage moral et 12 500 (douze mille cinq cents) francs suisses pour frais et dépens;
4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le 28 novembre 1991.
John CREMONA
Président
Marc-André EISSEN
Greffier
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 51 par. 2 (art. 51-2) de la Convention et 53 par. 2 du règlement, l'exposé des opinions séparées de MM. Matscher et De Meyer.
J.C.
M.-A. E.
OPINION SEPAREE DE M. LE JUGE MATSCHER
J'ai voté avec la majorité en ce qui concerne la violation de l'article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c), mais je tiens à souligner ce qui suit:
1. Je reconnais que, en principe, le prévenu doit avoir la possibilité de communiquer librement et sans surveillance avec son défenseur.
2. Cependant, il ne s'agit pas d'un principe absolu: il existe des situations exceptionnelles où la surveillance de la communication du prévenu avec son défenseur peut être nécessaire et, dès lors, compatible avec le principe énoncé plus haut. Que cette nécessité puisse être réelle est démontré par les cas, pas tellement rares, de collusion grave entre des avocats et des détenus. Il s'en est produit, ces dernières années, dans différents pays.
Ce que je reproche à la motivation du présent arrêt, c'est qu'à juste titre il met en relief le principe, mais, à tort, il n'indique pas d'une manière explicite la possibilité d'exceptions qui, d'après moi, est un corollaire essentiel du principe, l'un et l'autre étant nécessaires dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice.
Dans la présente affaire, j'ai voté pour la violation par le motif qu'en l'espèce les conditions pour faire appel à l'exception envisagée au point 2 ci-dessus n'étaient pas réunies.
OPINION CONCORDANTE DE M. LE JUGE DE MEYER
Il me paraît utile de souligner que la liberté et l'inviolabilité des communications d'un accusé avec son avocat figurent parmi les exigences essentielles d'un procès équitable: elles sont inhérentes au droit à l'assistance d'un avocat et indispensables à son exercice effectif[4].
Il en est de même quant aux communications d'un avocat avec ses confrères: il est parfaitement légitime qu'il se concerte avec eux. Le fait qu'il peut en résulter une coordination de la stratégie de la défense ne peut, même et surtout lorsqu'il s'agit d'infractions graves, servir de prétexte à la limitation et au contrôle des communications entre l'avocat et son client.
Il ne me semble pas qu'il puisse y avoir des exceptions à ces principes[5]?.
1.
L'affaire porte le n° 48/1990/239/309-310. Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.
2.
Les amendements au règlement entrés en vigueur le 1er avril 1989 s'appliquent en l'espèce.
3.
Tel que l'a modifié l'article 11 du Protocole n° 8 (P8-11), entré en vigueur le 1er janvier 1990.
4.
Il ne suffit pas de dire que les communications doivent avoir lieu "hors de la portée d'ouïe de tiers": il y a trop d'autres moyens d'en violer le caractère confidentiel pour qu'on puisse se contenter de formules de ce genre.
5.
On peut admettre des contrôles de sécurité, mais uniquement dans la mesure où ceux-ci ne portent pas atteinte à la liberté et à l'inviolabilité des communications dont il s'agit.

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