Avis important:
Les versions anciennes du navigateur Netscape affichent cette page sans éléments graphiques. La page conserve cependant sa fonctionnalité. Si vous utilisez fréquemment cette page, nous vous recommandons l'installation d'un navigateur plus récent.
Retour à la page d'accueil Imprimer
Ecriture agrandie
 
Chapeau

114 Ia 14


3. Arrêt de la Ire Cour de droit public du 20 janvier 1988 dans la cause G. contre Conseil d'Etat du canton de Genève (recours de droit public)

Regeste

Art. 4 Cst., 33 al. 2 LAT, 6 ch. 1 CEDH. Exercice d'un droit de préemption conféré au canton de Genève par la législation cantonale sur le logement; procédure.
1. Le droit d'être entendu garanti par l'art. 4 Cst. n'est pas respecté lorsque les intéressés ne peuvent prendre position que de manière abstraite, en termes généraux, sur une mesure dont ils ignorent la motivation éventuelle (consid. 2b).
2. Le droit de préemption est destiné à assurer une occupation rationnelle des zones à bâtir, correspondant aux besoins de logements de la population, conformément aux objectifs et aux principes de la LAT. Les prescriptions qui instituent le droit de préemption établi à ces fins doivent être considérées comme des règles d'exécution de cette loi; les exigences de l'art. 33 al. 2 et 3 LAT relatives aux voies de recours doivent être respectées (consid. 2c).
3.Les propriétaires touchés par l'exercice du droit de préemption ont droit à un procès équitable au sens de l'art. 6 ch. 1 CEDH. Cette exigence est-elle satisfaite par la procédure du recours de droit public pour violation de l'art. 22ter Cst.? (consid. 2c).

Faits à partir de page 15

BGE 114 Ia 14 S. 15
Par acte authentique du 18 décembre 1986, G. a acheté un bien-fonds situé à Vernier, assujetti à la loi cantonale sur les zones de développement du 29 juin 1957. Cette opération a été annoncée à l'administration cantonale conformément aux dispositions relatives au droit de préemption légal du canton de Genève sur les terrains situés en zone de développement, institué par l'art. 3 de la loi générale sur le logement et la protection des locataires du 4 décembre 1977 (LLPL). Le 4 février 1987, le Conseil d'Etat du canton de Genève a décidé d'exercer ce droit; la collectivité devait acquérir l'immeuble à la place de G., aux conditions fixées dans l'acte de vente.
Agissant par la voie du recours de droit public, G. a requis le Tribunal fédéral d'annuler cette décision pour violation de l'art. 22ter Cst. et du droit d'être entendu déduit de l'art. 4 Cst. Le Conseil d'Etat du canton de Genève a conclu au rejet du recours.

Considérants

Considérant en droit:

1. a) Selon la jurisprudence relative à l'art. 84 al. 1 OJ, le recours de droit public n'est recevable que si l'acte attaqué émane
BGE 114 Ia 14 S. 16
d'une autorité cantonale agissant en vertu de la puissance publique et affecte d'une façon quelconque la situation de l'individu, en lui imposant une obligation de faire, de s'abstenir ou de tolérer, soit sous la forme d'un arrêté de portée générale, soit sous celle d'une décision particulière (ATF 113 Ia 234 consid. 1, 107 Ia 80 consid. 1, 104 Ia 355 consid. 6). Le droit de préemption légal des art. 3 ss LLPL relève du droit public; lorsqu'une autorité décide d'en faire usage, elle impose aux parties à la vente une restriction de leur liberté de vendre, respectivement d'acquérir l'immeuble. Sa décision peut par conséquent être attaquée par un recours de droit public (arrêt du 23 janvier 1985 en la cause S.I. Centre-Rhône).
b) L'art. 22ter Cst. n'assure pas seulement la protection du propriétaire; il garantit aussi le libre accès à la propriété (ATF 113 Ia 126 consid. 3b, 86 I 102 consid. 3). L'acheteur évincé a dès lors qualité pour recourir contre la décision relative à l'exercice du droit de préemption légal.

2. a) Le recourant prétend qu'il n'a pas eu l'occasion de s'exprimer avant que la décision attaquée ne soit rendue. Il invoque les dispositions de la loi cantonale du 12 septembre 1985 sur la procédure administrative relatives au droit d'être entendu. L'autorité intimée conteste que cette loi soit applicable. Il suffit cependant d'examiner si la procédure qui a été suivie respecte les garanties déduites de l'art. 4 Cst.; en effet, le recourant ne prétend pas que les dispositions cantonales invoquées lui assurent une protection plus étendue.
b) Selon l'art. 4 al. 1 LLPL, le propriétaire qui entend aliéner un terrain soumis au droit de préemption doit en aviser l'Etat et lui indiquer les prix et conditions prévus par la promesse ou l'acte de vente. L'Etat dispose d'un délai de quarante-cinq jours, comptés dès cet avis, pour se déterminer sur l'exercice du droit de préemption (art. 5 al. 1 LLPL). Sur la base de ces dispositions, le Conseil d'Etat soutient que la procédure n'est pas engagée par l'autorité et qu'elle est au contraire consécutive à une démarche des parties à la vente de l'immeuble. Celles-ci se trouveraient dans la même situation que celui qui présente une requête à l'autorité et qui exerce de ce fait son droit d'être entendu, parce qu'il a alors l'occasion d'exprimer son point de vue sur tous les points qui peuvent influencer le sort de sa requête (ATF 111 Ia 103 consid. b).
Selon le Conseil d'Etat, le recourant connaissait les points importants, sur lesquels il aurait pu donner son avis lors de la communication de la vente à l'administration, parce que les
BGE 114 Ia 14 S. 17
conditions de l'exercice du droit de préemption sont énoncées par la loi. Or, l'art. 3 al. 1 et 2 LLPL détermine les terrains assujettis au droit de préemption; pour le surplus, la loi se borne à disposer que l'Etat encourage la construction de logements d'utilité publique, qu'il peut entreprendre lui-même la construction de tels logements et que dans ce but, il acquiert des terrains en usant notamment des droits de préemption et d'expropriation qui lui sont conférés (art. 1er al. 1 et al. 2 lettre a LLPL). L'art. 2 LLPL prévoit une politique générale d'acquisition de terrains.
Ces principes laissent un large pouvoir d'appréciation au Conseil d'Etat. Lors de chaque vente immobilière permettant l'exercice du droit de préemption, cette autorité doit déterminer si l'acquisition du terrain concerné est opportune du point de vue de sa politique en faveur de la construction de logements. Les arguments développés dans la présente procédure montrent que ce choix ne peut obéir à des critères définis à l'avance et de manière précise. Le Conseil d'Etat doit tenir compte de la situation et des caractéristiques particulières de la parcelle et de ses environs. Il doit faire un pronostic sur les possibilités de bâtir, à moyen terme, des logements sur l'emplacement considéré. Il doit prendre en considération et éventuellement anticiper les facteurs propres à influencer le développement de la région (déterminations des autorités locales en matière d'urbanisme; intentions des propriétaires voisins).
Dans ces conditions, au moment où ils annoncent la vente à l'administration, les intéressés ne peuvent guère connaître les intentions du Conseil d'Etat et les circonstances concrètes qui peuvent mener cette autorité à exercer le droit de préemption. Ils ne peuvent donc prendre position que dans l'abstrait, en termes généraux, sur une mesure dont ils ignorent la motivation éventuelle. Il faut admettre avec le recourant que cette possibilité d'expression réduite ne correspond pas aux exigences de la garantie du droit d'être entendu déduit de l'art. 4 Cst. Dans son arrêt précité en la cause S.I. Centre-Rhône, le Tribunal fédéral a certes écarté le grief de violation du droit d'être entendu, mais dans cette affaire, un échange de correspondance était intervenu entre les parties et l'autorité. De toute façon, dans la mesure où la solution retenue alors pouvait avoir une portée de principe, elle ne saurait être confirmée. Par ailleurs, le Conseil d'Etat objecte en vain que s'il informait les parties de ses intentions avant de statuer sur l'exercice du droit de préemption, celui-ci serait compromis parce que les
BGE 114 Ia 14 S. 18
intéressés pourraient renoncer à la vente de l'immeuble. Il est certes possible que le droit cantonal en vigueur n'autorise pas les mesures provisionnelles nécessaires à assurer à la fois l'exercice du droit de préemption et le respect du droit des intéressés à être entendus. Cette circonstance ne justifie cependant pas une restriction de la garantie constitutionnelle invoquée.
c) Le Tribunal fédéral ne sanctionne pas une violation du droit d'être entendu commise par une instance inférieure, si l'intéressé a eu la possibilité d'attaquer la décision prise et de faire valoir tous ses moyens devant une autorité de recours jouissant d'un plein pouvoir d'examen (ATF 112 Ib 175 consid. e, ATF 110 Ia 82 consid. d, ATF 110 II 71 consid. 1). En l'espèce, G. n'a pu exercer aucun recours sur le plan cantonal. Saisi d'un recours de droit public pour violation de l'art. 22ter Cst., le Tribunal fédéral examine en principe librement si la mesure attaquée répond à un intérêt public et respecte le principe de la proportionnalité; il s'impose toutefois une certaine retenue lorsqu'il s'agit de tenir compte de circonstances locales ou de trancher de pures questions d'appréciation (ATF 113 Ia 33 consid. 2, ATF 112 Ia 316 consid. b, ATF 109 Ia 258 consid. 4). Or, il est avéré que de telles questions jouent un rôle essentiel dans la décision prise par le Conseil d'Etat (cf. consid. 2b ci-dessus). Leur examen par le Tribunal fédéral, dans le cadre de la présente procédure, n'assure pas au recourant une protection équivalente à celle du droit d'être entendu qu'il aurait dû pouvoir exercer devant l'autorité intimée. Il en résulte que la décision attaquée doit être annulée pour violation de l'art. 4 Cst.
Au surplus, l'art. 33 al. 2 LAT impose aux cantons d'instituer une voie de recours contre les décisions fondées sur cette loi ou sur les dispositions fédérales et cantonales d'exécution, et l'autorité de recours doit avoir un pouvoir d'examen complet (art. 33 al. 3 lettre b LAT). Les règles cantonales d'exécution de la LAT sont celles qui visent principalement des objectifs d'aménagement du territoire; il s'agit, plus précisément, des règles établies en vue d'assurer une utilisation judicieuse du sol et une occupation rationnelle du territoire (ATF 112 Ia 121 consid. 3, voir aussi ATF 108 Ib 127 consid. b in fine). Par l'exercice du droit de préemption légal, le Conseil d'Etat peut, à l'occasion d'une aliénation immobilière, promouvoir la construction effective de logements sur des terrains déjà affectés au développement d'une agglomération. Le droit de préemption apparaît comme un moyen direct de réaliser une occupation du territoire correspondant à la
BGE 114 Ia 14 S. 19
fois aux besoins de logements de la population genevoise et aux objectifs de la LAT (cf. art. 3 al. 3 LAT). Les dispositions instituant ce droit doivent être considérées comme des règles d'exécution de la LAT et les décisions fondées sur elles doivent pouvoir être déférées à une autorité cantonale de recours conformément aux principes de l'art. 33 al. 2 et 3 LAT. C'est à cette autorité de recours que doit être soumise une contestation relative à l'exercice du droit de préemption, y compris en ce qui concerne la violation du droit d'être entendu.
Le droit de préemption du canton de Genève équivaut aussi, par ses effets, à une expropriation (ATF 88 I 257 consid. III/1). Or, selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, une contestation portant sur l'admissibilité d'une expropriation met en cause des droits et des obligations à caractère civil au sens de l'art. 6 ch. 1 CEDH (ATF 111 Ib 231 consid. e, avec références à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme; voir aussi ATF 112 Ib 177 consid. a, 294, ATF 110 Ib 372). La personne concernée a par conséquent droit, conformément à cette disposition conventionnelle, à ce que sa cause soit entendue équitablement par un tribunal indépendant et impartial. La Suisse doit respecter cette garantie de la même manière que les autres Etats parties à la convention. Les exigences d'un procès équitable ne sont pas satisfaites par une procédure de recours de droit public pour violation de l'art. 4 Cst., où le Tribunal fédéral ne revoit les faits de la cause que sous l'angle de l'arbitraire. Dans le cadre d'un recours pour violation de l'art. 22ter Cst., le Tribunal fédéral exerce, certes, un contrôle en principe plus étendu (cf. ci-dessus); on peut toutefois se demander si ce contrôle est suffisant au regard de la convention. Cette question peut cependant rester indécise en l'état; elle ne devra être tranchée ultérieurement que si le canton de Genève ne désigne pas une autorité judiciaire comme autorité de recours.

3. Il n'est pas nécessaire d'examiner les griefs du recours tirés de l'art. 22ter Cst., car pour les motifs qui précèdent, la décision attaquée doit de toute manière être annulée. Bien qu'elle s'avère inconstitutionnelle, elle a été prise dans le délai de quarante-cinq jours fixé par la législation applicable. Le Conseil d'Etat a donc manifesté à temps sa volonté d'exercer le droit de préemption; il lui appartient maintenant de prendre les mesures nécessaires, dans le respect des droits procéduraux du recourant.
BGE 114 Ia 14 S. 20

Dispositif

Par ces motifs, le Tribunal fédéral,
Admet le recours et annule la décision attaquée au sens des considérants.

contenu

document entier
regeste: allemand français italien

Etat de fait

Considérants 1 2 3

Dispositif

références

ATF: 113 IA 234, 113 IA 126, 111 IA 103, 112 IB 175 suite...

Article: Art. 4 Cst., art. 22ter Cst., art. 33 al. 2 et 3 LAT, art. 6 ch. 1 CEDH suite...