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120 Ia 299


44. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour de droit public du 25 novembre 1994 dans la cause Association Suisse des Banques de Crédit et Etablissements de Financement et consorts contre Grand Conseil et Conseil d'Etat du canton de Neuchâtel (recours de droit public)

Regeste

Art. 2 Disp. trans. Cst. et art. 31 Cst.; loi sur la police du commerce du canton de Neuchâtel du 30 septembre 1991; règlement d'exécution de la loi sur la police du commerce du canton de Neuchâtel du 4 novembre 1992.
Les dispositions neuchâteloises attaquées ne sont pas des normes de droit civil, mais des restrictions de droit public au sens de l'art. 6 CC. La législation fédérale sur le crédit à la consommation n'est pas exclusive; c'est pourquoi les cantons peuvent, conformément à l'art. 31 al. 2 Cst., édicter des dispositions de droit public répondant à des buts de police du commerce et de politique sociale (consid. 2).
Intérêt public de prescriptions de droit public protégeant contre le surendettement; définition du surendettement; constitutionnalité de l'interdiction de renouveler un crédit ou d'en octroyer un nouveau avant le remboursement total du crédit initial (consid. 3).
Constitutionnalité de l'autorisation cantonale à laquelle est soumis le fait d'octroyer professionnellement des crédits à la consommation ou de s'entremettre en vue de la conclusion de tels contrats (consid. 4).
Constitutionnalité de l'obligation de rappeler dans la publicité l'interdiction d'un surendettement du droit neuchâtelois (consid. 5).

Faits à partir de page 300

BGE 120 Ia 299 S. 300
Le 30 septembre 1991, le Grand Conseil du canton de Neuchâtel a adopté
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une loi sur la police du commerce (ci-après: LPC). Dans ses articles 67 à 70, cette loi contient des dispositions sur le crédit à la consommation, dont la teneur est la suivante:
"Crédit à la consommation
a) définition:
Art. 67
On entend par crédit à la consommation, au sens de la présente loi, tout prêt d'argent ou toute autre forme de crédit destiné à permettre l'acquisition de biens ou de services de consommation.
b) interdiction en cas de surendettement:
Art. 68
1 Le crédit à la consommation est interdit lorsqu'il a pour effet de provoquer le surendettement de l'emprunteur.
2 Il y a surendettement lorsque les engagements pris par l'emprunteur excèdent la part saisissable de ses revenus et de sa fortune.
c) limitation en matière de renouvellement:
Art. 69
Il est interdit au prêteur d'inciter l'emprunteur, directement ou indirectement, à solliciter le renouvellement du crédit, ou de l'octroi d'un nouveau crédit, tant que le crédit initial n'est pas entièrement remboursé, en capital, intérêts et frais.
d) autres dispositions applicables:
Art. 70
1 Le crédit à la consommation est soumis aux dispositions du concordat intercantonal réprimant les abus en matière d'intérêts conventionnels, du 8 octobre 1957.
2 Lorsqu'il est pratiqué professionnellement, il est en outre soumis au régime de l'autorisation, conformément à l'art. 28, lettre g, de la présente loi.
3 Le Conseil d'Etat arrête pour le surplus les mesures de contrôle et de
surveillance nécessaires."
L'art. 28 lettre g LPC soumet à autorisation les activités consistant à procurer un crédit destiné à la consommation ou à s'entremettre en vue de la conclusion de tels contrats.
Le 4 novembre 1992, le Conseil d'Etat neuchâtelois a édicté un règlement d'exécution de la loi sur la police du commerce (ci-après: RLPC) dont l'art. 12 dispose:
"Crédit à la consommation:
Art. 12
1 La publicité pour le crédit à la consommation est soumise à
l'obligation de la clarté et de la véracité.
2 Elle doit notamment indiquer en détail:
a) le taux de l'intérêt et les autres prestations exigées de l'emprunteur;
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b) les conditions de remboursement du crédit.
3 Elle doit également rappeler que le crédit à la consommation est interdit lorsqu'il a pour effet de provoquer le surendettement de l'emprunteur."
Par un même acte, l'Association Suisse des Banques de Crédit et Etablissements de Financement et douze consorts forment un recours de droit public contre la loi neuchâteloise sur la police du commerce et contre son règlement d'exécution. Ils demandent au Tribunal fédéral d'annuler les art. 68, 69, 70 al. 2 et 28 lettre g LPC ainsi que l'art. 12 al. 2 (en réalité al. 3) RLPC. Ils invoquent les art. 2 Disp. trans. Cst. (force dérogatoire du droit fédéral) et 31 Cst. (liberté du commerce et de l'industrie).
Le Tribunal fédéral rejette le recours.

Considérants

Extrait des considérants:

2. a) Les recourants se réclament tout d'abord du principe de la force dérogatoire du droit fédéral (art. 2 Disp. trans. Cst.). Les dispositions cantonales attaquées seraient matériellement des normes de droit civil que les cantons n'ont pas la compétence d'édicter en l'absence d'habilitation expresse (art. 5 al. 1 CC en relation avec l'art. 64 Cst.). Même si on reconnaissait que ces dispositions ont un caractère de droit public, elles n'en violeraient pas moins le droit civil fédéral. La liberté du commerce et de l'industrie (art. 31 Cst.) serait également atteinte du fait que les prescriptions entreprises ne respecteraient pas le principe de la proportionnalité.
b) Le Tribunal fédéral vérifie avec un libre pouvoir d'examen si une réglementation cantonale est compatible avec l'art. 2 Disp. trans. Cst. (ATF 120 Ia 89 consid. 2b p. 90 et la jurisprudence citée). Appelé à procéder au contrôle abstrait de la constitutionnalité de prescriptions légales ou réglementaires cantonales, le Tribunal fédéral recherche s'il est possible, selon les principes d'interprétation reconnus, de donner à la norme entreprise une portée qui la fasse apparaître comme conforme à la Constitution. Il n'annule la disposition attaquée que si elle ne se prête à aucune interprétation compatible avec la Constitution; il ne le fait pas si une de ces interprétations peut être admise de façon soutenable (ATF 120 Ia 89 consid. 3a p. 92/93 et la jurisprudence citée). Si une réglementation de portée générale apparaît comme défendable au regard de la Constitution, dans des situations normales, telles que le législateur pouvait les prévoir, l'éventualité que, dans certains cas, elle puisse se révéler inconstitutionnelle ne saurait en principe justifier une intervention du
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juge constitutionnel au stade du contrôle abstrait des normes; les intéressés gardent la possibilité de faire valoir une inconstitutionnalité de la réglementation lors de son application dans un cas particulier (ATF 118 Ia 305 consid. 1f p. 309 et la jurisprudence citée).
c) aa) D'après le principe de la force dérogatoire du droit fédéral contenu dans l'art. 2 Disp. trans. Cst., les cantons ne peuvent pas édicter de règle contraire au droit fédéral. Ils ne sont pas habilités à légiférer dans les domaines réglés exclusivement dans la législation fédérale (ATF 120 Ia 89 consid. 2b p. 91; ATF 119 Ia 59 consid. 2a p. 61, 197 consid. 3b p. 203 et 453 consid. 2b p. 456).
Selon l'art. 64 Cst., il appartient à la Confédération de légiférer dans le domaine du droit civil. Les cantons ne peuvent édicter des dispositions de droit civil que dans la mesure où le droit fédéral réserve expressément ou implicitement la validité du droit cantonal (ATF 119 Ia 59 consid. 2b p. 61 et la jurisprudence citée). En revanche, l'art. 6 CC prévoit que les compétences de droit public des cantons ne sont pas limitées par le droit civil fédéral. Les cantons peuvent, dans l'intérêt public, édicter des prescriptions qui complètent les règles de droit civil. On ne peut définir de manière générale jusqu'où s'étend le droit public et quelles prescriptions de droit civil forment une réglementation exhaustive qui exclut toute disposition de droit public cantonal. D'après la jurisprudence, l'adoption de normes cantonales de droit public dans un domaine réglé par le droit civil fédéral est admissible en vertu de l'art. 6 CC, pour autant que les trois conditions suivantes soient remplies: le législateur fédéral n'a pas entendu réglementer la matière de façon exhaustive, les règles cantonales sont justifiées par un intérêt public pertinent et enfin lesdites règles n'éludent pas le droit civil fédéral, ni n'en contredisent le sens ou l'esprit (ATF 120 Ia 89 consid. 2b p. 90; 119 Ia 59 consid. 2b p. 61 et la jurisprudence citée).
Le législateur neuchâtelois n'a pas prétendu compléter ou modifier les prescriptions du droit civil fédéral sur le prêt de consommation (art. 312 ss CO) par du droit privé cantonal; il n'y aurait manifestement pas été habilité, à défaut de compétence en la matière. Au contraire, les dispositions cantonales attaquées, comme le montre déjà leur forme, c'est-à-dire leur insertion dans une réglementation sur la police du commerce, posent des limites de droit public au sens de l'art. 6 CC. C'est pourquoi il faut vérifier si les conditions mentionnées ci-dessus sont remplies.
bb) Le 1er avril 1994 (c'est-à-dire durant la présente procédure de recours) est entrée en vigueur la loi fédérale sur le crédit à la
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consommation du 8 octobre 1993 (LCC; RO 1994 p. 367). La constitutionnalité d'un acte cantonal se juge en principe sur la base des circonstances de fait et de droit existant au moment où il a été édicté. Mais en cas de contrôle abstrait des normes, notamment en cas d'examen d'une loi cantonale, le Tribunal fédéral peut aussi tenir compte d'une modification ultérieure de la situation juridique et, en particulier, prendre en considération le droit supérieur nouvellement entré en vigueur (ATF 119 Ia 460 consid. 4d p. 473 et la jurisprudence citée; cf. également ATF 120 Ia 126 consid. 3b p. 130 concernant l'interdiction zurichoise des appareils automatiques servant au jeu d'adresse avec mise d'argent, où la norme supérieure - constitutionnelle -, édictée ultérieurement, n'était pas encore en vigueur lors du jugement du Tribunal fédéral). Comme les recourants ainsi que le canton de Neuchâtel ont pu s'exprimer sur la portée et l'application de la loi fédérale nouvellement entrée en vigueur, cette dernière doit être prise en considération lors du présent contrôle des normes.
Au cours des délibérations parlementaires relatives à la loi fédérale sur le crédit à la consommation, la question de savoir si et dans quelle mesure les cantons pouvaient continuer à édicter leurs propres prescriptions de droit public a donné lieu à discussion (cf. SCHÖBI, Das Bundesgesetz vom 8. Oktober 1993 über den Konsumkredit - Entstehungsgeschichte sowie Verhältnis zum Obligationenrecht und zur kantonalen Gesetzgebung, in Das neue Konsumkreditgesetz, Berner Bankrechtstag, Berne 1994, vol. I, p. 25, 29 ss, et les références aux travaux préparatoires). Finalement, une section 7 "Relation avec le droit cantonal" a été introduite dans la loi avec la disposition suivante:
"Art. 19
1 La Confédération règle les contrats à la consommation de manière exhaustive.
2 L'article 73, 2e alinéa du code des obligations et le droit public cantonal sont réservés."
Cette réglementation confirme les règles de compétence qui existaient déjà dans le domaine du crédit à la consommation (SCHÖBI, op.cit., p. 32; cf. également ATF 119 Ia 59 consid. 5f p. 67). Le fait que le droit public cantonal reste réservé expressément et de façon générale dans l'art. 19 al. 2 LCC - indépendamment de la référence à l'art. 73 al. 2 CO (possibilité d'édicter des prescriptions de droit public contre les abus en matière d'intérêt conventionnel) - clarifie en quelque sorte la situation
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juridique. La réserve peut être comprise en ce sens que le législateur fédéral lui-même n'a pas réglementé le crédit à la consommation de façon exclusive à tous égards, mais a laissé ouverte la possibilité de limitations ultérieures (sortant du cadre de l'art. 73 al. 2 CO) par le droit public cantonal. En réalité, la loi fédérale sur le crédit à la consommation se borne pour l'essentiel à établir des obligations en matière d'information et elle ne contient ni taux d'intérêt maximum ni disposition protectrice matérielle visant à empêcher un surendettement de l'emprunteur; dans cette mesure, la réglementation fédérale (partielle) du crédit à la consommation semble nécessiter ou en tout cas admettre un complément (STAUDER, Konsumkreditrecht - Das Bundesgesetz über den Konsumkredit vom 8. Oktober 1993, in AJP/PJA 1994, p. 675, p. 689; SCHÖBI, op.cit., p. 32). Le législateur fédéral en était conscient. Pendant les délibérations relatives à la loi fédérale sur le crédit à la consommation, le Parlement a encore donné suite à une initiative du canton de Lucerne, qui demandait aux Chambres fédérales d'autres dispositions pour protéger les emprunteurs et empêcher les abus, en particulier l'établissement d'un taux d'intérêt maximum, d'une durée maximum et d'un droit de révocation (BO 1993 CE 204/205, 396/397, CN 792/793, 2358). Le Conseil national et le Conseil des Etats ont également donné suite, respectivement le 14 décembre 1993 et le 3 mars 1994, à une initiative semblable déposée un peu plus tard par le canton de Soleure - taux d'intérêt annuel maximum de 15%, indication du taux d'intérêt maximum dans la publicité, durée maximum de 24 mois - (BO 1993 CN 2359/2360; BO 1994 CE 85/86). Une motion Affolter du 14 juin 1989 à laquelle il avait déjà été donné suite antérieurement allait dans le même sens (BO 1990 CE 258). De son côté, le Conseil fédéral a manifesté l'intention d'élaborer dès que possible un projet de loi visant à une réglementation fédérale globale (BO 1993 CE 395, 703).
Dans ces conditions, on ne peut pas dire que la législation fédérale existant en matière de prêt de consommation (art. 312 ss CO ainsi que LCC) ne laisse aucune place à des dispositions cantonales de droit public comme celles qui sont ici en question. Le législateur fédéral lui-même a considéré au contraire, comme le montre la suite donnée aux propositions susmentionnées, que sa réglementation avait besoin de compléments, notamment quant à la protection de l'emprunteur contre le surendettement. Cependant, tant qu'il ne fait pas usage de ses compétences législatives, fondées sur les art. 31sexies ou 64 Cst. et qu'il n'existe aucune réglementation fédérale topique exclusive, les cantons peuvent, pour leur
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part, conformément à l'art. 31 al. 2 Cst., édicter des dispositions de droit public répondant à des buts de police du commerce et de politique sociale; dans cette mesure, il existe une compétence concurrente de la Confédération et des cantons (RHINOW, Commentaire de la Constitution fédérale de la Confédération suisse, n. 35 ss ad art. 31sexies).
cc) Pour savoir quelle place le droit fédéral laisse à une réglementation cantonale telle que celle qui est en cause ici, chaque disposition doit faire l'objet d'un examen particulier. En même temps, il convient de vérifier si la restriction en question est compatible avec la liberté du commerce et de l'industrie également invoquée (art. 31 Cst.). Les limites apportées à ce droit fondamental doivent reposer sur une base légale, être justifiées par un intérêt public prépondérant et respecter les principes de la proportionnalité et de l'égalité devant la loi (ATF 119 Ia 59 consid. 6a p. 68; ATF 118 Ia 175 consid. 1 p. 177).

3. a) D'après l'art. 68 al. 1 LPC, le crédit à la consommation est interdit lorsqu'il a pour effet de provoquer le surendettement de l'emprunteur. Il y a surendettement lorsque les engagements pris par l'emprunteur excèdent la part saisissable de ses revenus et de sa fortune (art. 68 al. 2 LPC).
b) Dans la mesure où les recourants attaquent l'interdiction du surendettement comme telle, en prétendant que le soi-disant risque de surendettement serait minime, leur argumentation n'est pas pertinente. Il n'est pas contesté que le commerce du crédit à la consommation est lié à des risques importants pour les emprunteurs insouciants et socialement faibles. Il est conforme à un intérêt public reconnu de politique sociale de s'opposer à ce qu'un large cercle de la population s'endette de manière exorbitante par des crédits à la consommation excédant sa capacité économique (ATF 119 Ia 59 consid. 5f p. 67 et consid. 6b p. 68). Un tel objectif est compatible aussi bien avec l'art. 31 Cst. qu'avec les réglementations fédérales spécifiques (cf. consid. 2c/bb).
Que les prêteurs eux-mêmes aient intérêt à ne pas octroyer de crédits qui ne peuvent être recouvrés, vu le surendettement, et qu'ils s'y efforcent ne remet pas en question l'intérêt public de prescriptions protectrices de droit public à ce sujet. Il en va de même du fait qu'apparemment presque tous les établissements de crédit sont reliés à une centrale d'information en matière de crédit, auprès de laquelle sont enregistrés les opérations de crédit effectuées par les établissements raccordés et, le cas échéant, les incidents négatifs s'y rapportant. Même si, sur la base des indications des recourants, on admettait que seule une petite partie des emprunteurs
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(environ 0,5%) donne lieu à des poursuites pour le remboursement de leur crédit, l'expérience montre cependant que beaucoup d'individus et de familles sont excessivement chargés par des crédits à la consommation; par conséquent, ils ne peuvent plus remplir leurs obligations, sinon à l'égard des établissements de crédit, du moins dans d'autres domaines comme les impôts, les primes de caisse-maladie, les loyers; ils doivent alors réduire leurs dépenses d'entretien au minimum vital pendant tout un temps pour assainir leur situation financière. De telles situations menacent aussi là où des crédits à la consommation peuvent être contractés pour rembourser d'autres dettes déjà existantes. Le fait que l'emprunteur potentiel surévalue souvent ses possibilités financières ressort déjà du pourcentage élevé des refus de crédits soit 60% (pour la nouvelle clientèle), respectivement 34% (pour l'ensemble de la clientèle), mentionnés par les recourants eux-mêmes. Ensuite, on ne saurait partir de l'idée que tous les établissements de crédit font toujours preuve, lors de l'octroi de crédits à la consommation, d'une prudence et d'une retenue pareilles à celles que le recours dépeint comme habituelles dans la profession.
Le but du législateur neuchâtelois visant à lutter par des prescriptions de droit public contre le surendettement des emprunteurs n'est contestable ni sous l'angle de l'art. 2 Disp. trans. Cst. ni sous celui de l'art. 31 Cst.
c) Il reste à examiner si l'art. 68 al. 2 LPC donne du surendettement une définition admissible au regard du droit constitutionnel. D'après cette disposition, les engagements pris par l'emprunteur ne peuvent pas excéder la part saisissable de ses revenus et de sa fortune.
aa) Les recourants qualifient cette réglementation de "fonctionnellement impropre" à empêcher un surendettement. Pour pouvoir déterminer la part saisissable des revenus et de la fortune d'un emprunteur potentiel, les établissements de crédit devraient pouvoir effectuer le calcul du minimum vital comme un office de poursuites dans la procédure de saisie et établir exactement l'ensemble des actifs et des passifs. Cela obligerait à soumettre les éventuels emprunteurs à un questionnaire précis en particulier sur les passifs; comme le raccordement à la centrale d'information en matière de crédit n'est pas obligatoire, ceux-ci ne pourraient pas tous être connus à coup sûr, même en ce qui concerne les dettes existantes. Aucun consommateur n'accepterait, lors de la demande d'un petit crédit, un tel "interrogatoire" qui irait bien au-delà des renseignements habituellement obtenus aujourd'hui. En outre, contrairement
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aux fonctionnaires des offices de poursuites (cf. art. 91 LP), les établissements de crédit n'auraient aucun moyen juridique d'obliger le débiteur à donner des informations véridiques sur l'état de ses revenus et de sa fortune. Ils en seraient réduits à vérifier les informations obtenues de l'emprunteur potentiel.
En plus, la définition du surendettement figurant à l'art. 68 al. 2 LPC serait objectivement absurde. En effet, la demande de crédit à la consommation est provoquée par le manque de liquidités, indispensables pour faire face à certains engagements ou satisfaire certains besoins courants; il s'agit en quelque sorte d'utiliser par anticipation les revenus futurs. De toute façon, pour le bailleur de fonds, le crédit et sa garantie ne se fondent pas sur les actifs actuels du débiteur, mais sur ses revenus à venir. Par conséquent, l'octroi d'un crédit à la consommation - pour autant que l'on prenne en considération l'endettement global et non seulement les arrérages mensuels - impliquerait, par définition, un surendettement, car l'endettement résultant de l'ensemble des crédits dépasse évidemment les actifs existants et les revenus du mois courant. Mais, la situation comptable apparaît différente si les revenus futurs du débiteur sont pris en considération. La réglementation légale de l'art. 68 al. 2 LPC serait tout à fait obscure sur ce point. Elle exigerait des établissements de crédit quelque chose d'impossible, en ce sens qu'on ne pourrait pas déterminer sur la base du texte de loi ce que lesdits établissements devraient faire pour empêcher un surendettement.
bb) Le Conseil d'Etat neuchâtelois ne s'est pas autrement exprimé sur ces critiques. Il faut accorder aux recourants qu'il serait souhaitable que l'application détaillée de la norme de l'art. 68 al. 2 LPC soit réglée par une ordonnance pour en supprimer les éventuelles obscurités. Cette disposition est en effet assez vague. On peut cependant lui donner une interprétation plausible, que les recourants eux-mêmes considèrent en principe comme applicable: les engagements mensuels résultant d'un contrat de crédit à la consommation doivent ne pas empiéter sur le minimum vital au sens du droit de la poursuite, c'est-à-dire ne pas dépasser la part saisissable des revenus et de la fortune. Les établissements de crédit peuvent normalement calculer le minimum vital de l'emprunteur potentiel, car il dépend de facteurs schématiques qui peuvent être déterminés, respectivement vérifiés, à moindres frais (Conférence des préposés aux poursuites et faillites de Suisse in BlSchK 51/1987 p. 232 ss et 57/1993 p. 239/240). Plus les revenus de l'emprunteur potentiel sont élevés, plus le
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montant disponible, et par conséquent les possibilités d'obtenir du crédit, sont ordinairement grands. Il semble en principe juste de limiter les possibilités de crédit en fonction des disponibilités futures de l'emprunteur. Il n'est contraire ni aux réglementations qui existent dans ce domaine en droit fédéral ni au principe de proportionnalité, contenu dans celui de la liberté du commerce et de l'industrie, de devoir tenir compte du minimum vital du droit des poursuites (comme vu ci-dessus), en établissant un crédit à la consommation, c'est-à-dire en fixant l'engagement mensuel en résultant.
Que seul le minimum vital de l'emprunteur - et non ses dettes déjà existantes ou éventuelles - soit compris dans le calcul de l'étendue du crédit autorisé (cf. à ce sujet AMONN, Grundriss des Schuldbetreibungs- und Konkursrechts, Berne 1993, 5e éd., p. 185 ss), bien qu'il puisse en résulter un surendettement, peut apparaître comme une lacune; elle ne saurait cependant remettre en question la constitutionnalité de cette réglementation. Pour autant que les passifs consistent en crédits de consommation déjà existants, l'interdiction d'un deuxième crédit figurant à l'art. 69 LPC trouve application. Le fait de négliger éventuellement certains passifs favorise au surplus la liberté contractuelle, en permettant des crédits plus élevés que ne l'aurait autorisé une estimation selon le but de la loi. C'est aux établissements de crédit de tirer parti, dans leur pratique de crédit, de cette "lacune" de la loi, dans leur intérêt bien compris. A vrai dire, il serait souhaitable que l'autorité compétente édicte une réglementation d'exécution concrétisant le principe de l'art. 68 LPC, qui prenne en considération la situation et les possibilités pratiques des établissements de crédit pour la détermination du minimum vital. L'absence d'une telle réglementation ne fait cependant pas apparaître comme inconstitutionnelle la prescription de l'art. 68 LPC. Ce qui est déterminant pour la présente procédure de contrôle des normes, c'est que la disposition légale en cause puisse être interprétée d'une manière conforme à la Constitution et directement appliquée - même si c'est avec une certaine insécurité.
Sur ce point, le recours de droit public n'apparaît pas fondé car, malgré son indétermination, la prescription attaquée n'est pas contraire aux art. 1 CP et 4 Cst.
cc) Dans leur argumentation, les recourants considèrent que les dispositions de la loi sur la police du commerce en matière de crédit à la consommation seraient aussi valables, de manière générale, pour le découvert des comptes salaire. Le Conseil d'Etat neuchâtelois n'a apparemment pas pris position sur ce point. La définition du crédit à la
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consommation figurant à l'art. 67 LPC est certes large, mais il n'en résulte pas impérativement que le simple découvert toléré de comptes salaire tombe sous le coup de la loi. Toutefois, dans la mesure où l'ouverture d'un compte doit seulement permettre à son titulaire de se voir accorder des crédits à quelques fins que ce soit, on ne peut pas exclure d'emblée que des limitations de droit public au crédit à la consommation ne puissent s'appliquer (cf. à ce sujet les réglementations différentes des art. 6 al. 2 et 10 LCC et STAUDER, op.cit., p. 679 ss). Au surplus, la lettre des dispositions litigieuses, prévues normalement pour des contrats de crédit à la consommation, ne permet pas de savoir si et dans quelle mesure elles pourraient aussi s'appliquer à des rapports de crédit en dehors de ce domaine. Sur ce point également, il n'y a aucune raison d'intervenir dans le cadre du contrôle abstrait des normes, d'autant plus que le recours se réfère avant tout au cas du découvert toléré de comptes salaire qui, a priori, ne devrait pas tomber sous le coup de la loi en question.
d) Selon l'art. 69 LPC, il est interdit au prêteur d'inciter l'emprunteur, directement ou indirectement, à solliciter le renouvellement du crédit, ou l'octroi d'un nouveau crédit, tant que le crédit initial n'est pas entièrement remboursé en capital, intérêts et frais.
Les recourants font tout d'abord valoir que la portée de l'interdiction d'inciter l'emprunteur "directement ou indirectement" à renouveler son crédit ou à s'en faire octroyer un nouveau serait obscure. Une norme prohibitive de ce genre ne serait pas applicable. De toute façon, les interdictions de renouveler un crédit ou d'en obtenir un deuxième ne répondraient pas à un intérêt public. Elles auraient plutôt des conséquences négatives pour les consommateurs; l'emprunteur serait en effet amené à demander par pure précaution un crédit plus élevé que strictement nécessaire, du fait que la conclusion ultérieure d'un deuxième crédit serait empêchée par la loi. En outre, ce ne serait pas le nombre des crédits mais le montant de l'endettement global qui serait déterminant pour l'existence d'un surendettement. Limiter la possibilité de renouveler un crédit ou d'octroyer un deuxième crédit au client d'une banque remplissant correctement ses obligations pour ses autres engagements en matière de crédit empiéterait de façon tout à fait inappropriée et par conséquent inadmissible sur la liberté contractuelle.
L'interdiction de contracter, pendant la durée d'un contrat de crédit à la consommation déjà conclu, d'autres engagements de ce genre en matière de crédit apparaît en principe comme un moyen propre à parer au
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surendettement. L'obligation de rembourser le crédit à la consommation existant avant de conclure un nouveau crédit empêche efficacement la conclusion téméraire de nouveaux engagements. Cette réglementation aide en outre à appliquer la limitation du montant du crédit figurant à l'art. 68 LPC, qui pose des problèmes en cas de coexistence de plusieurs contrats de crédit à la consommation se chevauchant dans le temps. Le fait que la réglementation contestée puisse parfois amener à demander par précaution un crédit plus élevé que strictement nécessaire, pour ne pas entrer en conflit avec l'interdiction du deuxième crédit, ne remet pas en question sa constitutionnalité. Même la relative indétermination de l'interdiction de solliciter "directement ou indirectement" le renouvellement du crédit ou l'octroi d'un nouveau crédit n'apparaît pas contraire à la Constitution.

4. a) D'après les art. 70 al. 2 et 28 lettre g LPC, le fait d'octroyer professionnellement des crédits à la consommation ou de s'entremettre en vue de la conclusion de tels contrats nécessite une autorisation cantonale qui n'est délivrée qu'à une personne physique (art. 29 LPC) et doit être périodiquement renouvelée (art. 30 LPC).
b) Les recourants voient là-dedans une mesure tracassière et inutile qu'aucun besoin de police ne justifierait et qui irait à l'encontre du principe de la proportionnalité et par là-même de l'art. 31 Cst.
En général, le législateur cantonal apprécie librement s'il convient de soumettre à autorisation des activités industrielles qui sont associées à certains risques pour le public, respectivement les cocontractants. La réglementation en question ici intervient dans le cadre des limites fixées par l'art. 31 Cst.
Le fait que les établissements de crédit recourants disposent d'une autorisation d'exploitation en vertu de l'art. 3 de la loi fédérale sur les banques et les caisses d'épargne du 8 novembre 1934 (LB; RS 952.0) ne s'oppose pas à ce qu'ils soient soumis à l'obligation d'obtenir une autorisation cantonale supplémentaire. Le contrôle fédéral exercé sur les banques vise avant tout à protéger les créanciers bancaires (CHRISTOPH MÜLLER, Die Bewilligung zum Geschäftsbetrieb einer nach schweizerischem Recht organisierten Bank, thèse Zurich 1977, p. 49). La réglementation cantonale ici en cause tend au contraire à protéger les intérêts des emprunteurs et à les préserver du surendettement.
Quand les cantons sont autorisés à édicter des normes autonomes de ce genre - poursuivant un autre but que les prescriptions fédérales -, ils doivent aussi pouvoir en principe prévoir les mesures de contrôle et de protection
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jugées nécessaires à leur exécution, comme l'obligation d'avoir une autorisation. En imposant une telle obligation, l'autorité cantonale compétente peut agir plus efficacement contre les établissements de crédit à la consommation (respectivement contre les personnes physiques juridiquement concernées par l'autorisation) qui ne respecteraient pas les limites fixées, qu'elle ne pourrait le faire grâce au seul recours aux organes de poursuite pénale. Par ailleurs, la réglementation attaquée du canton de Neuchâtel n'apparaît pas inconstitutionnelle du simple fait que d'autres cantons connaissent des régimes plus libéraux. Ce qui est déterminant, en fin de compte, pour juger du respect du principe de la proportionnalité, ce sont les conditions auxquelles l'autorisation nécessaire peut être accordée et retirée. A ce sujet, le recours de droit public ne contient pas d'arguments pertinents. Il n'est pas démontré en particulier que l'autorisation requise serait subordonnée à des conditions strictes dénuées de pertinence ou disproportionnées de toute autre manière. Le recours de droit public doit être rejeté à cet égard.

5. a) L'art. 12 al. 3 RLPC exige que la publicité faite pour le crédit à la consommation rappelle qu'un tel crédit est interdit lorsqu'il a pour effet de provoquer le surendettement de l'emprunteur.
b) Les recourants y voient une limitation, disproportionnée et discriminatoire pour leur branche, apportée à la liberté du commerce et de l'industrie. Dans leur premier mémoire complémentaire, ils font valoir en outre que la matière en cause serait réglée exclusivement par la loi fédérale contre la concurrence déloyale du 19 décembre 1986 (LCD; RS 241; modification du 18 juin 1993, RO 1994 p. 375).
c) D'après l'art. 3 lettre l LCD, agit de façon déloyale celui qui "omet, dans des annonces publiques en matière de crédit à la consommation, de désigner clairement sa raison de commerce ou de donner des indications claires sur le montant net du crédit, le coût total du crédit et le taux annuel effectif global". Cette réglementation institue, sur le plan fédéral, une obligation de déclaration minimum lors d'annonces publiques de petits crédits; elle n'exclut pas des exigences supérieures du droit cantonal ou concordataire (STREULI-YOUSSEF, Unlautere Werbe- und Verkaufsmethoden (Art. 3 UWG), in Schweizerisches Immaterialgüter- und Wettbewerbsrecht, publié sous la direction de Von Büren et David, Bâle 1994, vol. V/1, Lauterkeitsrecht, p. 77, p. 111/112). La révision de cette disposition, adoptée le 18 juin 1993 dans le cadre du projet Swisslex, a permis d'adapter ces normes minimums aux directives du droit européen
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(cf. Message I sur l'adaptation du droit fédéral au droit de l'EEE du 27 mai 1992 in FF 1992 V 1, 180), sans cependant supprimer la possibilité d'édicter des dispositions cantonales allant plus loin.
d) Dès lors, il faut seulement vérifier si la prescription cantonale contestée viole l'art. 31 Cst. Les recourants ne font pas valoir qu'elle manquerait de la base légale nécessaire. Reste à examiner si l'obligation de rappeler dans la publicité l'interdiction de surendettement du droit cantonal répond à un intérêt public et respecte le principe de la proportionnalité. Tel ne serait pas le cas si, même dans une publicité par voie d'affiches qui se réfère simplement par la raison sociale ou le logo à l'existence d'un établissement de crédit à la consommation déterminé, on devait faire une référence écrite à l'interdiction de surendettement en vigueur dans le canton de Neuchâtel. La réglementation entreprise peut cependant donner lieu à une interprétation défendable, à savoir que la référence litigieuse n'est obligatoire que si la publicité en cause contient une déclaration écrite détaillée sur le crédit à la consommation offert. Si tel est le cas, il ne semble pas déraisonnable ni disproportionné d'exiger des entreprises de crédit concernées qu'elles rappellent aux intéressés potentiels les limites du commerce du crédit à la consommation existant dans le canton de Neuchâtel.
L'exécution d'une telle obligation pourrait, il est vrai, se heurter à des difficultés, vu que la portée des médias utilisés pour la publicité peut dépasser les frontières cantonales. Mais cela ne suffit pas à remettre en question la constitutionnalité d'une telle disposition. Ce sont d'ailleurs des problèmes semblables que rencontre l'application de restrictions matérielles de droit public apportées au commerce du crédit à la consommation, que quelques cantons ont édictées en toute légalité et dont les possibilités d'exécution sont limitées en raison de l'exiguïté de leur territoire et de la mobilité des cocontractants (cf. au sujet du soi-disant "tourisme de l'emprunt" KÖNDGEN, Zur neuen Konsumkreditgesetzgebung, in Aktuelle Rechtsprobleme des Finanz- und Börsenplatzes Schweiz, publié sous la direction de Nobel, Berne 1994, p. 31, p. 36 et 46/47). On doit admettre le morcellement juridique (regrettable) existant aujourd'hui dans ce domaine, vu la législation fédérale en vigueur.
Ainsi, le recours de droit public n'apparaît pas non plus fondé dans la mesure où il s'en prend à l'art. 12 al. 3 RLPC.

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Etat de fait

Considérants 2 3 4 5

références

ATF: 119 IA 59, 120 IA 89, 118 IA 305, 119 IA 460 suite...

Article: art. 31 Cst., art. 68 al. 2 LPC, art. 6 CC, art. 64 Cst. suite...