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22015/05


Werz Anto gegen Schweiz
Urteil no. 22015/05, 17 décembre 2009

Regeste

SUISSE: Art. 6 par. 1 CEDH. Droit d'être jugé dans un délai raisonnable et droit d'être entendu équitablement.

La Cour suprême de Berne a notifié son jugement quinze mois après avoir prononcé le verdict oralement, alors que le code de procédure pénale du canton de Berne prévoit que la version motivée d'un jugement doit être rendue dans un délai de soixante jours. Tout en reconnaissant que la procédure pénale revêtait une certaine complexité, la Cour estime que la durée litigieuse a été excessive (ch. 42 - 47).
Conclusion: violation de l'art. 6 par. 1 CEDH.
En l'espèce, le requérant n'a pas reçu les dupliques du Ministère public et de la Cour suprême concernant son recours de droit public devant le Tribunal fédéral. Or, la faculté pour les parties au procès de prendre connaissance de toute pièce ou observation présentée au juge et de pouvoir en discuter revêt une importance particulière lorsqu'est en cause le volet pénal de l'art. 6 par. 1 CEDH. Par conséquent, le requérant n'a pas été entendu équitablement (ch. 52 - 55).
Conclusion: violation de l'art. 6 par. 1 CEDH.







Faits

En l'affaire Werz c. Suisse,
La Cour européenne des droits de l'homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :
Peer Lorenzen, président,
Renate Jaeger,
Rait Maruste,
Mark Villiger,
Giorgio Malinverni,
Isabelle Berro-Lefèvre,
Mirjana Lazarova Trajkovska, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 24 novembre 2009,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE

1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 22015/05) dirigée contre la Confédération suisse et dont un ressortissant bosniaque, M. Anto Werz (« le requérant »), a saisi la Cour le 26 mai 2005 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant, admis au bénéfice de l'assistance judiciaire, est représenté par Me S. Arquint, avocat à Zurich. Le gouvernement suisse (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. F. Schürmann, chef de la section des droits de l'homme et du Conseil de l'Europe à l'Office fédéral de la justice.

3. Invoquant l'article 6 § 1 de la Convention, le requérant allègue que la durée de la procédure devant les instances internes a été excessive ; il soutient également avoir été victime d'une atteinte au droit d'être entendu équitablement, certaines pièces ne lui ayant pas été notifiées. Invoquant l'article 6 § 3 d) de la Convention, il se plaint en outre de n'avoir pas été confronté directement à la personne ayant fourni des informations à sa charge, malgré sa demande en ce sens.

4. Le 15 février 2007, le président de la cinquième section a décidé de communiquer au Gouvernement les griefs fondés sur le droit d'être jugé dans un délai raisonnable et sur le droit d'être entendu équitablement. Comme le permet l'article 29 § 3 de la Convention, il a en outre été décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le fond de l'affaire. La partie requérante a demandé une audience devant la chambre, portant sur la recevabilité et le fond de l'affaire. Ne considérant pas la tenue d'une audience comme nécessaire, la Cour a rejeté cette demande, conformément à l'article 54 § 3 de son règlement.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1953 et est détenu dans l'établissement pénitentiaire de Bostadel (Menzingen), dans le canton de Zoug.

6. A partir d'une date non indiquée par les parties, le ministère public et la police du canton de Berne menèrent d'importantes investigations à l'égard du requérant et d'autres personnes. Le 1er juillet 1996 ces autorités l'accusèrent d'avoir tenté de commettre une escroquerie au détriment d'une tierce personne et de l'avoir ensuite tuée de deux coups de feu parce qu'elle avait refusé le marché fictif qu'il lui avait proposé.

7. Au cours des enquêtes, Interpol Bratislava informa la police du canton de Berne qu'une personne (ci-après « Z.M. »), originaire de Croatie, s'était déclarée disposée à fournir des informations sur l'accusé mais que, craignant pour sa sécurité et pour sa vie, elle ne témoignerait que sur territoire slovaque et avec la garantie du strict maintien de son anonymat.

8. Le 19 août 1999, deux agents de la police du canton de Berne se rendirent à Bratislava afin d'interroger Z.M. Celui-ci insista pour qu'aucun procès-verbal ne fût établi ; les informations fournies furent cependant résumées dans un rapport rédigé par l'un des deux agents en date du 30 août 1999 et destiné au juge d'instruction du canton de Berne.

9. Le 16 novembre 1999, un acte d'accusation portant sur les chefs d'homicide ( Tötung ) ou d'assassinat ( Mord ) fut dressé à l'encontre du requérant et de ses coaccusés.

10. Le 20 novembre 1999, le requérant fut arrêté et placé en détention à Karlsruhe (Allemagne).

11. Le domicile du requérant fit l'objet de perquisitions le 20 novembre, le 29 novembre et le 15 décembre 1999.

12. Une deuxième audition de Z.M. eut lieu à Berne, le 28 mars 2000, devant le juge d'instruction compétent.

13. Au cours des enquêtes menées par les autorités compétentes du canton de Berne, le requérant, qui avait deviné l'identité du témoin, demanda à plusieurs reprises de pouvoir l'interroger. Z.M. refusa néanmoins toute confrontation directe avec le requérant ou son avocat. Par ailleurs, l'avocat considéra la possibilité d'interroger Z.M. par écrit comme insuffisante et y renonça.

14. Le 21 décembre 2000, Z.M. refusa de témoigner lors d'un interrogatoire prévu à cette date.

15. Le 9 février et le 1er mars 2001, une décision de renvoi en jugement, portant sur les chefs d'accusation d'homicide ou d'assassinat ainsi que d'escroquerie et de faux dans les titres, fut prise.

16. Le 20 juin 2001, l'intéressé fut condamné pour assassinat par le tribunal d'arrondissement VIII Berne-Laupen à une peine d'emprisonnement de quinze ans et six mois. En outre, cette juridiction prononça une interdiction du territoire suisse pour quinze ans. En revanche, les chefs d'accusation de tentative d'escroquerie, de vol et de faux dans les titres furent abandonnés.

17. La juridiction bernoise prit en compte dans son jugement une série de preuves et d'indices, notamment des recherches et des analyses effectuées sur les lieux du crime, des conclusions tirées d'une mallette et de l'arme employée par l'auteur du crime, des analyses médicolégales, des analyses criminologiques, des résultats des perquisitions aux domiciles du requérant et de ses coaccusés, des recherches effectuées auprès de différentes banques en Allemagne, au Liechtenstein et en Suisse, des écoutes téléphoniques, des analyses ADN, des résultats provenant des appels à témoins lancés par les télévisions suisse, allemande et autrichienne, des recherches effectuées auprès d'hôtels à Fribourg (Allemagne), et des déclarations des coaccusés, de nombreuses autres personnes et d'informateurs, notamment de Z.M. et de la partenaire de la victime. Celle-ci alléguait avoir vu, le jour du crime, son compagnon entrer dans leur appartement en compagnie d'un homme, qu'elle avait identifié comme étant le requérant par le biais d'images vidéo présentées pendant les investigations.

18. Le requérant fit appel du jugement de première instance.

19. Par un jugement du 9 août 2002, la Cour suprême du canton de Berne confirma la condamnation du requérant. Le jugement fut prononcé oralement le même jour, mais la version motivée ne fut notifiée à l'avocat du requérant que le 20 novembre 2003. Dans l'appréciation des preuves, la Cour suprême tint compte des déclarations contenues dans le rapport du 30 août 1999, mais non de celles déposées par Z.M. le 28 mars 2000 devant le juge d'instruction. Par ailleurs, cette juridiction estima que les déclarations de Z.M., si elles avaient probablement été décisives pour l'arrestation du requérant, n'avaient joué qu'un rôle secondaire pour l'appréciation de sa culpabilité.

20. Agissant auprès du Tribunal fédéral par la voie du recours de droit public et du recours en nullité, le requérant contesta le verdict de la Cour suprême. Dans le cadre du recours de droit public, il dénonçait notamment des violations du droit d'être entendu, du droit d'être confronté aux témoins à charge découlant de l'article 6 § 3 d) de la Convention et du droit d'être jugé dans un délai raisonnable. Il se plaignait également d'une atteinte au principe de la présomption d'innocence. Il alléguait en outre que l'appréciation des preuves par les instances internes avait été arbitraire.

21. Par une décision du 12 mars 2004, le Tribunal fédéral déclara irrecevable le recours en nullité.

22. Le 22 mars 2004, le ministère public du canton de Berne soumit ses observations sur la recevabilité et le fond du recours de droit public du requérant. Le lendemain, la chambre pénale de la Cour suprême du canton de Berne soumit ses observations sur ce recours. L'intéressé ne nie pas que ces observations ont dûment été portées à sa connaissance.

23. Le 16 juillet et le 2 septembre 2004 respectivement, le ministère public et la Cour suprême déposèrent leurs dupliques concernant le recours de droit public.

24. Par un arrêt du 5 novembre 2004, envoyé au requérant le 29 novembre 2004, le Tribunal fédéral rejeta le recours de droit public. En même temps, il communiqua au requérant les dupliques de la Cour suprême et du ministère public, qui ne lui avaient pas été notifiées auparavant.

25. En ce qui concerne le grief tiré du refus, par les autorités cantonales, d'une confrontation du requérant avec Z.M., la haute juridiction nota que la Cour suprême avait pris en compte, dans l'appréciation des preuves, les déclarations contenues dans le rapport du 30 août 1999, mais non celles déposées par Z.M. le 28 mars 2000 devant le juge d'instruction. Elle estima aussi qu'une confrontation directe entre Z.M. et le requérant ou son avocat n'était pas possible pendant l'enquête préliminaire et la procédure judiciaire, étant donné que Z.M. non seulement avait insisté pour garder l'anonymat, mais avait aussi refusé d'être interrogé muni d'un masque couvrant son visage ou installé dans une pièce séparée de la salle d'audience. D'après la haute juridiction, une confrontation directe s'était aussi avérée impossible par la suite, dans la mesure où Z.M. n'avait pas donné suite à la convocation du 21 décembre 2000. Enfin, le Tribunal fédéral rappela que l'avocat avait renoncé à interroger Z.M. par écrit, ayant considéré cette possibilité comme insuffisante à la lumière de l'article 6 de la Convention.

26. Par conséquent, la haute juridiction estima admissible la prise en compte non seulement des déclarations déposées le 19 août 1999, mais aussi de celles déposées le 28 mars 2000, étant donné que les instances cantonales n'avaient pas fondé leurs jugements exclusivement sur les déclarations de Z.M., mais également sur toute une série de preuves et d'indices importants. Le Tribunal fédéral précisa également que le représentant du requérant n'avait fait aucunement valoir l'argument selon lequel la défense avait été empêchée de contester la crédibilité des déclarations litigieuses devant les juridictions internes.

27. Ensuite, le Tribunal fédéral rejeta les allégations portant sur l'appréciation prétendument arbitraire des preuves par les juridictions cantonales. Il rejeta également le grief portant sur le non-respect de la présomption d'innocence, estimant que les faits qui se trouvaient à la base du chef d'assassinat étaient suffisamment établis et étayés par des preuves et des indices, qui permettaient d'écarter tout doute sérieux par rapport à la perpétration du crime par le requérant.

28. En ce qui concerne le grief fondé sur le droit d'être jugé dans un délai raisonnable, le Tribunal fédéral rappela qu'en vertu de l'article 314, alinéa 1, du code cantonal bernois de procédure pénale (paragraphe 29 ci-dessous) les versions motivées des arrêts devaient être notifiées au plus tard dans les soixante jours. Il releva qu'en l'espèce la Cour suprême, ayant mis quinze mois pour notifier son arrêt, avait clairement dépassé ce délai. Il nota toutefois que, dans ses observations sur le recours de droit public, la Cour suprême avait justifié le retard dans la rédaction du jugement par une charge de travail excessive. Selon le Tribunal fédéral, il fallait aussi prendre en compte le degré de complexité de l'affaire en cause et le volume du jugement de la Cour suprême, comprenant 264 pages. Par ailleurs, le tribunal rappela également que le jugement avait été prononcé oralement le jour même de son adoption. Dès lors, il considéra que l'intéressé n'avait pas été laissé dans l'incertitude concernant le verdict et l'étendue de la sanction prononcée.
Le Tribunal fédéral estima de surcroît qu'au vu de la peine de quinze ans prononcée contre le requérant, le dépassement du délai n'était pas susceptible d'avoir provoqué un désavantage sérieux pour l'intéressé.
Il souligna également que le requérant n'avait aucunement fait valoir une durée excessive des procédures devant les autres instances. Il conclut ainsi que les quinze mois nécessaires à la rédaction du jugement constituaient, certes, un délai considérablement long, mais pas au point de justifier l'annulation du jugement. En tout état de cause, même s'il avait admis une violation du droit d'être jugé dans un délai raisonnable, le Tribunal fédéral n'aurait pas pu donner suite à la demande du requérant portant sur une réduction de la peine prononcée.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

29. L'article 314 du code de procédure pénale du canton de Berne est ainsi libellé :
« Article 314 : Considérants écrits du jugement
Le rédacteur ou la rédactrice du procès-verbal rédige dans un délai de soixante jours les considérants du jugement qui portent sur tous les points du dispositif.
Le rédacteur ou la rédactrice du procès-verbal est responsable de la rédaction des considérants ; le ou la juge qui a dirigé la procédure veille au respect du délai.
Lorsque le jugement est motivé par écrit, la personne inculpée et la partie plaignante ou civile ont droit à un exemplaire des considérants. Cet exemplaire leur est communiqué spontanément en cas de recours formé contre le jugement. »


Considérants

EN DROIT
I. SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE L'ARTICLE 6 DE LA CONVENTION
A. Sur le grief fondé sur le droit d'être jugé dans un délai raisonnable

30. Le requérant se plaint de la durée de la procédure devant les instances internes, notamment du fait que la Cour suprême du canton de Berne n'a rendu son jugement motivé que quinze mois après avoir prononcé le verdict oralement. Il invoque à cet égard l'article 6 § 1 de la Convention, libellé comme suit :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...) »

31. Le Gouvernement combat cette thèse.
1. Sur la recevabilité

32. La Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
2. Sur le fond
a. Les thèses des parties
i. Le requérant

33. Le requérant soutient que le retard pris par la Cour suprême dans la rédaction de la motivation écrite de son jugement, à savoir plus de quinze mois, a porté atteinte à l'article 6 § 1 de la Convention. Il ne partage pas l'avis du Gouvernement selon lequel l'affaire était particulièrement complexe.

34. Il estime par ailleurs que le but de l'article 314 du code de procédure pénale du canton de Berne est précisément d'exclure tout risque que les raisonnements du jugement écrit ne reflètent plus le verdict oral.

35. En outre, dans la mesure où le Gouvernement entend justifier le retard dans la rédaction du jugement par la surcharge de travail de la Cour suprême, le requérant estime opportun de se référer à la jurisprudence de la Cour, en vertu de laquelle il appartient aux Etats d'organiser leurs tribunaux de manière à ce qu'ils respectent les exigences de l'article 6 § 1 de la Convention ( Eckle c. Allemagne, 15 juillet 1982, § 92, série A no 51).

36. Enfin, le requérant combat la thèse du Gouvernement selon laquelle le retard dans la préparation du jugement écrit ne lui a pas causé un préjudice important. A cet égard, il allègue qu'il a de ce fait été empêché de saisir la dernière instance, à savoir le Tribunal fédéral, pendant plus de quinze mois.
ii. Le Gouvernement

37. Le Gouvernement estime que le délai à prendre en compte a commencé avec l'arrestation du requérant, le 20 novembre 1999, et s'est terminé par l'arrêt du Tribunal fédéral du 5 novembre 2004. La durée totale de la procédure compterait ainsi 4 ans, 11 mois et 17 jours. Le Gouvernement soutient qu'une durée totale de moins de cinq ans dans un procès complexe pour assassinat, où le prévenu a nié dès le début être l'auteur des faits, et qui a été mené devant trois instances, ne peut être considéré comme excessive.

38. Le Gouvernement estime que le requérant tire son grief uniquement du fait que la Cour suprême a mis plus de quinze mois pour motiver par écrit son jugement. Il considère à cet égard que la Cour suprême, dernière instance au niveau cantonal, était dans l'obligation d'examiner la cause du requérant avec un plein pouvoir d'examen, en fait et en droit, et qu'elle était dès lors tenue de procéder à un examen complet de l'affaire, en tenant compte des nombreuses objections du défenseur du requérant, soulevées en particulier contre l'établissement des faits dans le jugement de première instance. Selon le Gouvernement, cette charge de travail est avérée par la motivation du jugement, lequel comporte 264 pages et qui traite ces objections l'une après l'autre.

39. Le Gouvernement ne méconnaît pas que, en vertu de l'article 314 du code de procédure pénale du canton de Berne, les considérants d'un jugement pénal doivent être rédigés dans un délai de deux mois et que ce délai a été clairement dépassé en l'espèce. Il soutient cependant que ce retard, dû en partie à la complexité de l'affaire, est également dû au traitement prioritaire, par le greffier compétent, d'autres affaires qui, contrairement à celle du requérant, n'auraient pas encore été jugées et dont certaines se seraient trouvées à la limite de la prescription.

40. Le Gouvernement soutient également que, dès le prononcé du jugement de la Cour suprême, le 9 août 2002, le requérant n'ignorait ni le verdict ni la sanction pénale. A l'instar du Tribunal fédéral, le Gouvernement estime que, malgré le délai exceptionnellement long d'attente de la motivation du jugement, le requérant n'a pas subi, eu égard à la longue peine privative de liberté à laquelle il a été condamné, de préjudice sérieux, dans la mesure où ce retard n'aurait pas pu justifier une annulation du jugement par le Tribunal fédéral et où même la reconnaissance d'une violation du principe de la célérité n'aurait pu conduire à une réduction de la peine.

41. Dans ces circonstances et au regard du but de l'article 6 § 1 de la Convention, qui est d'épargner à un inculpé une durée excessive d'incertitude quant à l'issue de l'accusation dont il fait l'objet, le Gouvernement est d'avis que le droit à ce que la procédure soit conduite dans un délai raisonnable n'a pas été violé en l'espèce.
b. L'appréciation par la Cour

42. En l'espèce, la Cour estime que la procédure a commencé au plus tard soit le 16 novembre 1999, lorsqu'un acte d'accusation a été dressé contre le requérant, soit le 20 novembre 1999, lorsqu'il a été arrêté. Elle s'est terminée le 29 novembre 2004, date de la notification du jugement du Tribunal fédéral au requérant. Dès lors, elle a duré un peu plus de cinq ans. Compte tenu du fait que l'essentiel du grief du requérant porte sur le retard dans la notification de l'arrêt de la Cour suprême au requérant, la Cour peut laisser ouverte la question de savoir si la durée globale de la procédure était excessive.

43. Le requérant s'en prend plus particulièrement au fait que la Cour suprême lui a notifié son jugement seulement quinze mois après avoir prononcé le verdict oralement. La Cour observe à cet égard que l'article 314 du code de procédure pénale du canton de Berne (paragraphe 29 ci-dessus) prévoit que la version motivée d'un jugement doit être rendue dans un délai de soixante jours. Or, en l'espèce, la Cour suprême l'a rendue au bout de plus de sept fois ce délai. La Cour ne considère pas comme convaincantes les argumentations du Gouvernement, selon lesquelles le retard dans la rédaction du jugement était dû à la charge de travail excessive de la Cour suprême.

44. La Cour rappelle que l'article 6 § 1 de la Convention oblige les Etats contractants à organiser leurs juridictions de manière à leur permettre de répondre aux exigences de cette disposition, notamment quant au délai raisonnable (Salesi c. Italie, 26 février 1993, § 24, série A no 257-E, Bottazzi c. Italie [GC], no 34884/97, § 22, CEDH 1999-V, et Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, § 183, CEDH 2006-...). Elle tient à réaffirmer l'importance qui s'attache à ce que la justice ne soit pas administrée avec des retards propres à en compromettre l'efficacité et la crédibilité (Katte Klitsche de la Grange c. Italie, 27 octobre 1994, § 61, série A no 293-B).

45. Par ailleurs, la Cour ne partage pas non plus le point de vue selon lequel une constatation du dépassement du délai raisonnable par la Cour suprême n'aurait de toute façon pas eu pour conséquence une réduction de la peine prononcée. Elle rappelle sa jurisprudence selon laquelle une telle constatation devrait au contraire se traduire par un acquittement, une réduction de la peine, un versement d'indemnités ou une réduction des frais de procédure (voir, pour un exemple de réduction des frais, Normann c. Danemark (déc.), no 44704/98, 14 juin 2001, et, pour une violation à cet égard, McHugo c. Suisse, no 55705/00, § 30, 21 septembre 2006). Or, le requérant n'a en l'espèce pas bénéficié de l'une de ces options.

46. Compte tenu de ce qui précède, tout en reconnaissant qu'il s'agissait en l'espèce d'une procédure pénale d'une certaine complexité, la Cour n'est pas convaincue par la pertinence des arguments avancés par le Gouvernement pour justifier la durée de quinze mois en cause.

47. Elle estime que la durée litigieuse a été excessive. Partant, il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention.
B. Sur le grief fondé sur le droit d'être entendu équitablement

48. Le requérant allègue également n'avoir pas reçu les dupliques du ministère public et de la Cour suprême concernant son recours de droit public devant le Tribunal fédéral. Dès lors, il aurait été lésé dans son droit d'être entendu équitablement. Il s'appuie sur l'article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé dans sa partie pertinente en l'espèce :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »
1. Sur la recevabilité

49. La Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
2. Sur le fond
a. Les thèses des parties

50. Au regard de la jurisprudence pertinente de la Cour, le Gouvernement renonce à se prononcer sur ce grief.

51. Le requérant quant à lui estime que la renonciation du Gouvernement vaut en l'espèce reconnaissance de la violation de l'article 6 § 1 de la Convention.
b. L'appréciation de la Cour

52. La Cour rappelle que les garanties d'un procès équitable impliquent en principe le droit, pour les parties au procès, de prendre connaissance de toute pièce ou observation présentée au juge et de la discuter (Lobo Machado c. Portugal, 20 février 1996, § 31, Recueil des arrêts et décisions 1996-I). Elle rappelle également avoir, dans plusieurs affaires contre la Suisse, conclu à la violation de l'article 6 § 1 au motif que le requérant n'avait pas été invité à s'exprimer sur les observations d'une autorité judiciaire inférieure, d'une autorité administrative ou de la partie adverse (voir, dans l'ordre chronologique, Nideröst-Huber c. Suisse, 18 février 1997, § 24, Recueil 1997-I, F.R. c. Suisse, no 37292/97, § 36, 28 juin 2001, Ziegler c. Suisse, no 3499/96, § 33, 3 mai 1993, Contardi c. Suisse, no 7020/02, § 40, 12 juillet 2005, Spang c. Suisse, no 45228/99, § 28, 11 octobre 2005, Ressegatti c. Suisse, no 17671/02, § 30, 13 juillet 2006, et Kessler c. Suisse, no 10577/04, § 32, 26 juillet 2007).

53. Dans sa jurisprudence, la Cour a notamment affirmé que l'effet réel des observations d'une autorité importe peu, mais que les parties à un litige doivent avoir la possibilité d'indiquer si elles estiment qu'un document appelle des commentaires de leur part. Il y va notamment de la confiance des justiciables dans le fonctionnement de la justice : cette confiance se fonde, entre autres, sur l'assurance d'avoir pu s'exprimer sur toute pièce du dossier (voir, à titre d'exemple, l'arrêt Ziegler, précité, § 38).

54. La présente requête se distingue des affaires citées dans la mesure où elle ne porte pas sur la branche « civile » de l'article 6, mais sur une procédure pénale intentée contre le requérant. Or il ressort de la jurisprudence de la Cour que la faculté, pour les parties au procès, de prendre connaissance de toute pièce ou observation présentée et de pouvoir en discuter revêt une importance particulière lorsqu'est en cause le volet « pénal » de l'article 6, dans un Etat de droit soucieux d'un système judiciaire transparent.

55. A la lumière de cette jurisprudence bien établie, la Cour estime que le requérant n'a pas été entendu équitablement. Il y a donc eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention à cet égard.
C. Sur le grief fondé sur le droit d'interroger ou de faire interroger un témoin à charge

56. Le requérant reproche enfin aux autorités de ne pas avoir bénéficié du droit d'être confronté directement à la personne ayant fourni des informations à sa charge (Z.M.). A l'appui de son grief, il invoque l'article 6 § 3 d) de la Convention, libellé comme suit :
« Tout accusé a le droit notamment à (...)
d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge (...). »

57. La Cour réitère sa jurisprudence selon laquelle les paragraphes 1 et 3 d) de l'article 6 commandent d'accorder à l'accusé une occasion adéquate et suffisante de contester un témoignage à charge et d'en interroger l'auteur, au moment de sa déposition ou plus tard (voir, par exemple, Lüdi c. Suisse, 15 juin 1992, § 49, série A no 238, et Van Mechelen et autres c. Pays-Bas, 23 avril 1997, § 51, Recueil 1997-III). Elle rappelle en outre que les droits de la défense sont restreints de manière incompatible avec les garanties de l'article 6 lorsqu'une condamnation se fonde, uniquement ou dans une mesure déterminante, sur des dépositions faites par une personne que l'accusé n'a pu interroger ou faire interroger ni au stade de l'instruction ni pendant les débats ( Unterpertinger c. Autriche, 24 novembre 1986, §§ 31-33, série A no 110, Saïdi c. France, 20 septembre 1993, §§ 43 et suivants, et Van Mechelen et autres, précité, § 55).

58. En l'espèce, la Cour observe que ni le requérant ni son avocat n'ont eu l'opportunité d'interroger Z.M., témoin à charge dans la présente procédure. En revanche, les autorités internes compétentes ont donné à l'intéressé la possibilité d'interroger Z.M. par écrit, ce que l'avocat du requérant a explicitement refusé, ayant estimé cette manière de procéder insuffisante à la lumière de l'article 6.

59. Toutefois, la Cour note qu'il ressort, notamment de l'arrêt du tribunal d'arrondissement du canton de Berne, que la condamnation du requérant pour assassinat ne se fondait pas exclusivement ou dans une mesure déterminante sur les informations litigieuses fournies par Z.M. (voir, a contrario, Windisch c. Autriche, arrêt du 27 septembre 1990, § 31, série A no 186), mais sur tout un ensemble de preuves et d'indices susceptibles de renforcer la crédibilité des allégations de Z.M.

60. De surcroît, comme l'a rappelé le Tribunal fédéral à juste titre, le requérant n'a fait aucunement valoir qu'il aurait été empêché de contester la véracité des renseignements provenant de Z.M. devant les juridictions internes.

61. Enfin, celles-ci ont suffisamment motivé leur décision de ne pas confronter Z.M. au requérant, dans la mesure où Z.M., qui craignait pour sa sécurité et sa vie, a pratiquement rendu impossible, malgré les efforts considérables déployés par les autorités d'enquête et judiciaires du canton de Berne, une confrontation directe avec l'accusé ou son avocat.

62. Il s'ensuit que ce grief doit être rejeté comme étant manifestement mal fondé, en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
II. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

63. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage

64. Le requérant réclame pour dommage moral 15 000 euros (EUR) en cas de constat de violation de l'article 6 § 1 de la Convention pour dépassement du délai raisonnable et 5 000 EUR pour atteinte à son droit d'être entendu équitablement. En revanche, il ne demande pas de dommage matériel à propos de ces griefs.

65. Le Gouvernement estime que, si la Cour devait constater une violation de l'article 6 § 1 de la Convention pour dépassement du délai raisonnable, un montant de 3 000 francs suisses (CHF) (soit environ 2 000 EUR) constituerait une satisfaction équitable à cet égard. Quant aux prétentions liées à un éventuel constat de violation du droit d'être entendu équitablement, le Gouvernement estime qu'un tel constat suffirait à réparer l'éventuel préjudice moral subi par le requérant ( F.R., précité, § 46).

66. La Cour estime que le constat d'une violation de l'article 6 § 1 ne fournit pas une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral éventuellement subi par le requérant à cause de la violation de son droit d'être entendu équitablement et à raison du dépassement du délai raisonnable. Compte tenu des circonstances de l'espèce, la Cour, statuant en équité comme le veut l'article 41, alloue au requérant la somme de 2 000 EUR, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ladite somme.
B. Frais et dépens

67. Au titre des frais et dépens, le requérant réclame les montants de 16 956,25 CHF (environ 11 304 EUR) pour la procédure devant le Tribunal fédéral et 13 247 CHF (environ 8 831 EUR) pour la procédure devant la Cour. Par ailleurs, il demande les montants de 1 500 livres sterling (environ 1 707 EUR) pour une expertise du Professeur Jim Murdoch de l'Université de Glasgow portant sur le grief tiré de l'article 6 § 3 d) de la Convention, ainsi que 2 400 CHF (environ 1 600 EUR) pour la traduction de ce document en allemand.

68. Le Gouvernement expose que le requérant s'est vu accorder l'assistance judiciaire gratuite pour la procédure devant le Tribunal fédéral. Il n'a donc pas été perçu d'émoluments judiciaires, et le représentant du requérant a obtenu une indemnité de 2 500 CHF à titre d'honoraires. En outre, étant donné que le grief fondé sur le droit d'être entendu équitablement n'entrerait pas en ligne de compte ( F.R., précité, § 50), le Gouvernement estime qu'aucune indemnisation supplémentaire ne saurait être accordée au titre des dépens pour les procédures internes. Quant à la procédure devant la Cour, il considère que la somme de 3 000 CHF (environ 2 000 EUR) constituerait une indemnisation équitable. Il ajoute que le montant devrait être réduit de manière adéquate si la Cour parvenait au constat de violation du seul droit d'être entendu équitablement.

69. La Cour rappelle que, lorsqu'elle constate une violation de la Convention, elle peut accorder au requérant le remboursement des frais et dépens qu'il a engagés pour prévenir ou faire corriger ladite violation (Zimmermann et Steiner c. Suisse, arrêt du 13 juillet 1983, § 36, série A no 66; Hertel c. Suisse, arrêt du 25 août 1998, § 63, Recueil 1998-VI). Il faut toutefois que se trouvent établis la réalité de ces frais, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (Bottazzi, précité, § 30, Linnekogel c. Suisse, no 43874/98, § 49, 1er mars 2005). Le fait que les griefs soulevés par un requérant sur le plan interne et à Strasbourg n'ont abouti que partiellement est également pris en compte par la Cour.

70. En l'espèce, la Cour considère la demande portant sur les frais et dépens comme excessive. En ce qui concerne les frais exposés pour l'expertise du Professeur Murdoch ainsi que pour sa traduction, elle observe que ces deux factures portent sur le grief tiré du droit, garanti par l'article 6 § 3 d), d'interroger ou de faire interroger un témoin à charge ; ce grief ayant été déclaré irrecevable par la Cour, aucun montant n'est dû à ce titre. Compte tenu des éléments en sa possession et des critères dégagés par sa jurisprudence, et après déduction de la somme de 850 EUR que le requérant a déjà obtenue au titre de l'assistance judiciaire pour la procédure devant la Cour, elle octroie au requérant la somme de 2 150 EUR au titre des frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt par le requérant.
C. Intérêts moratoires

71. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.


Disposition

PAR CES MOTIFS, LA COUR, A L'UNANIMITÉ
1. Déclare recevables les griefs tirés du droit d'être jugé dans un délai raisonnable et du droit d'être entendu équitablement, et la requête irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention quant au droit d'être jugé dans un délai raisonnable ;
3. Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention quant au droit d'être entendu équitablement ;
4. Dit
a) que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif en vertu de l'article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l'Etat défendeur au taux applicable à la date du règlement :
i. 2 000 EUR (deux mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt, pour dommage moral ;
ii. 2 150 EUR (deux mille cent cinquante euros), plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre d'impôt, pour frais et dépens ;
b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 17 décembre 2009, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Claudia Westerdiek     Greffière
Peer Lorenzen     Président

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Article: Art. 6 par. 1 CEDH