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Chapeau

100 IV 43


12. Arrêt de la Cour de cassation pénale du 2 avril 1974 dans la cause Tharin et consorts contre Debrot et Ministère public du canton de Vaud.

Regeste

Art. 173 ss CP: L'attaque générale dirigée contre une vaste collectivité de personnes, prise dans son universalité, n'est pas propre à porter atteinte à chacun des individus, si aucune délimitation ne permet d'identifier un groupe plus restreint, se distinguant de l'ensemble.

Faits à partir de page 43

BGE 100 IV 43 S. 43

A.- Samuel Debrot est président de la Société vaudoise pour la protection des animaux et rédacteur responsable du "Courrier des bêtes" édité par cette association. Debrot est en opposition avec les milieux de chasseurs et a pris des positions
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publiques contre la chasse et les chasseurs. Le Courrier des bêtes tire à environ 16000 exemplaires.
Dans le no 167 du Courrier des bêtes, de septembre 1972, Debrot, répondant à un correspondant qui déplorait l'interdiction de la chasse le samedi, a écrit ce qui suit:
"Les travailleurs dignes de ce nom ont des loisirs sains; ce ne sont pas eux qui prennent comme amusement de tuer les animaux; ils ont d'autres distractions. Le nouveau règlement sur la chasse qui interdit la chasse le samedi ne les prive de rien; ils laissent volontiers ce sport criminel aux désoeuvrés, aux refoulés, aux complexés, aux maniaques, aux vicieux."
Dans le même numéro, sous le titre "Contester le droit de chasse", Debrot a publié des extraits d'un ouvrage d'un auteur français, R. Dextreit, comprenant notamment le passage suivant:
"N'est-il donc pas d'autres distractions que la satisfaction d'un incessant besoin de tuer en toute circonstance? Ils se défoulent de leurs instincts agressifs, dit-on des chasseurs. Alors, ils ne sont donc que des brutes sanguinaires, à qui on doit offrir des victimes en permanence?
On dit parfois que l'humanité est encore en enfance; mais, au spectacle de la chasse, on peut penser qu'il est des êtres humains qui n'en sont - mentalement et intellectuellement - qu'à l'état larvaire. Boire, fumer, se goinfrer, tuer, voilà l'idéal de tant de gens, dont beaucoup occupent des fonctions dites "de responsabilités", disposant ainsi des autres et de leur situation. Ils sont de ceux que l'on consulte, et dont on suit les avis, les directives. Ils sont aussi de ceux qui n'admettent pas la révolte d'une jeunesse à laquelle ils donnent pourtant un si lamentable exemple:"

B.- Se considérant atteints dans leur honneur, 37 chasseurs agissant à titre personnel, 19 sections locales vaudoises de la "Diana" et la Société des chasseurs à l'arrêt ont déposé plainte pénale contre Debrot.
Par jugement du 25 septembre 1973, le Tribunal de police du district de Lausanne a reconnu Debrot coupable de diffamation et l'a condamné à une amende de 400 fr.
Debrot ayant recouru au Tribunal cantonal, la Cour de cassation pénale de ce tribunal, par arrêt du 17 décembre 1973, a admis le recours et libéré Debrot de toute peine.
La cour cantonale a tout d'abord considéré que si un délit devait être retenu à la charge de Debrot, ce serait celui d'injures et non de diffamation; ensuite, elle a dénié aux associations plaignantes la qualité pour porter plainte au nom de
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leurs membres; et enfin, sur la plainte déposée par les 37 chasseurs en leur nom personnel, elle a considéré que l'examen des articles litigieux révélait qu'aucun des plaignants n'était visé directement et personnellement, que les articles visaient l'ensemble des chasseurs mondiaux, que certes il est possible de porter atteinte de manière collective à l'honneur et aux intérêts personnels des individus, mais que, pour cela, il faut que le cercle des individus visés soit nettement délimité et que leur nombre ne soit pas trop considérable, que, le nombre des chasseurs dans le monde étant incalculable, l'attaque sur chaque individu est à ce point dispersée qu'aucun chasseur ne peut réellement prétendre être lésé dans sa sphère personnelle par les articles incriminés et qu'en conséquence les plaintes des 37 chasseurs étaient irrecevables.

C.- Les 37 plaignants individuels et les 20 associations plaignantes, par l'entremise de leur conseil, ont interjeté en temps utile un pourvoi en nullité au Tribunal fédéral. Ils concluent à l'annulation de la décision attaquée et au renvoi de la cause aux autorités cantonales vaudoises pour nouveau jugement.
Ils font valoir en substance que la diffamation doit être retenue à la charge de Debrot, que les associations plaignantes ont la qualité pour déposer plainte, que les articles incriminés visent, dans l'esprit des lecteurs, uniquement les chasseurs vaudois, de telle sorte que chacun des recourants peut se sentir visé et blessé.
Le Ministère public du canton de Vaud propose l'admission du pourvoi.
L'intimé conclut au rejet du pourvoi.

Considérants

Considérant en droit:

1. La répression pénale des atteintes à l'honneur, fondée sur les art. 173 ss. CP, n'est possible que si l'honneur d'une personne physique ou morale est atteint. Il convient dès lors d'examiner avant toute chose si, dans le cas d'une attaque collective visant les chasseurs et dirigée contre eux, l'honneur individuel de chaque chasseur ou des sociétés ou associations groupant des chasseurs est atteint dans une mesure suffisamment nette pour justifier l'application des sanctions pénales.

2. On peut admettre que certains des termes employés
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par l'intimé Debrot dans l'article incriminé, ou publiés sous sa responsabilité, constitueraient des atteintes à l'honneur tombant sous le coup du code pénal, s'ils étaient dirigés contre une personne déterminée. Des termes comme "maniaques", "vicieux", "brutes sanguinaires", voire "êtres humains qui n'en sont - mentalement et intellectuellement - qu'à l'état larvaire" paraissent propres à blesser l'honneur personnel et la réputation d'être un homme honorable, en tout cas dans la mesure où ces termes sont détournés de leur sens médical ou purement scientifique pour être utilisés dans leur sens courant et déprécier le caractère de la personne visée (cf. RO 98 IV 90).
Cela n'implique cependant pas pour autant que l'emploi de tels termes à l'endroit de l'ensemble des chasseurs, c'est-à-dire d'une collectivité ou d'un ensemble de personnes ayant pour caractéristique commune l'exercice plus ou moins régulier d'une même activité, porte nécessairement atteinte à l'honneur de chacun des individus appartenant au groupe.
Si, dans le cadre d'une attaque dirigée contre un groupe bien délimité de personnes (par ex. 73 conseillers nationaux), la Cour de cassation a admis que chacune des personnes du groupe pouvait être lésée dans son honneur (RO 80 IV 159 consid. 4), elle ne s'est en revanche pas prononcée à propos d'attaques dirigées contre des communautés plus vastes. Avant l'entrée en vigueur du code pénal suisse cependant, et dans le cadre limité de son pouvoir d'examen en cas de recours de droit public, le Tribunal fédéral a déclaré qu'il n'y avait pas d'arbitraire à admettre que l'existence d'une atteinte à l'honneur d'une personne déterminée pouvait résulter d'une désignation collective, à la condition que les individus en soient l'objet d'une manière reconnaissable; il a considéré à cette occasion que c'est une question d'appréciation des faits concrets que de savoir s'il en est ainsi; se référant à la doctrine, il a cependant montré quelque réserve pour le cas où l'attaque serait dirigée contre une collectivité comprenant un très grand nombre d'individus (RO 50 I 216-218 consid. 3).
La doctrine s'est attachée à dégager des critères et des éléments d'appréciation plus précis, en cherchant à tracer les limites jusqu'auxquelles une attaque collective est encore propre à porter atteinte à l'honneur de l'individu. Refusant d'admettre que toute attaque collective, quelle que soit l'ampleur
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de la collectivité visée, a nécessairement un effet réflexe sur les individus qui la composent et porte dès lors atteinte à leur honneur personnel (BRUNSCHWIG, Die Kollektiv-Ehrverletzung, p. 20 ss., 27 ss.), la doctrine dominante se montre plus nuancée et plus restrictive. Suivant en cela les tendances de la jurisprudence allemande, elle considère qu'une offense collective ne portera atteinte à l'honneur d'individus que si la collectivité ou le groupe attaqué est suffisamment délimité pour se distinguer nettement de l'ensemble de la communauté; à défaut de cette délimitation, l'offense est dépourvue d'un pouvoir suffisamment déterminant pour atteindre les éléments de la collectivité visée dans leur honneur (STREHLE, Die Kollektivbeleidigung im schweizerischen und deutschen Recht, p. 52/53; KRUG, Ehre und Beleidigungsfähigkeit von Verbänden, p. 28 ss.; MAURACH, Deutsches Strafrecht, Bes. Teil, éd. 1961, § 17 III b, p. 137; Leipziger Kommentar, éd. 1958, p. 137 ch. 3; éd. 1970, vor § 185, n. 16 à 19). Si elle ne trace pas une limite claire, cette manière de voir permet de poser que toute atteinte à l'honneur individuel est en principe exclue, lorsque l'attaque est dirigée de manière générale contre toute une classe de personnes, pratiquant une religion ou exerçant par exemple une profession, prise dans son ensemble et sans aucune désignation plus précise (STREHLE, op.cit., p. 72 ss., 82; KRUG, op.cit., p. 28 ss.; STRATENWERTH, Schweizerisches Strafrecht, Bes. Teil I, p. 112).
En matière civile, dans le cadre de l'application de l'art. 28 CC, on peut observer la même tendance de la doctrine (cf. EGGER, Kommentar ZGB, n. 38 ad art. 28, p. 250).
Quant à la jurisprudence française, elle est encore plus restrictive, puisqu'elle considère que des attaques générales, aussi injustes ou excessives soient-elles, dirigées contre une collectivité indéterminée ou une classe sociale n'atteignent en réalité personne; il a été jugé que lorsqu'on attaque un vaste groupe de personnes, que rien n'unit entre elles, à l'exception d'une communauté d'origine ou d'intérêts, d'une identité de profession ou de traditions, d'une affinité de souvenirs ou d'idéal (p.ex. noblesse, clergé, magistrature, médecins, commerçants, membres d'un parti ou d'une classe, habitants d'une ville ou supporters d'un club sportif), les diffamations et les injures se dispersent et ne parviennent pas à blesser individuellement les personnes qui composent de tels groupes (Cour de cassation
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criminelle, 16 décembre 1954, Recueil Dalloz 1955, p. 287 ss.).

3. Sans aller jusqu'à adopter la position de la jurisprudence française, on doit admettre que l'attaque générale dirigée contre une vaste collectivité de personnes prise dans son ensemble ou son universalité n'est pas propre à porter atteinte à l'honneur de chacun des individus qui lui appartiennent, si aucune délimitation ne permet d'identifier un groupe plus restreint se distinguant de l'ensemble. Trop générale, l'attaque se dilue au point de s'atténuer considérablement et elle détourne le citoyen moyen d'envisager ou de croire qu'elle puisse réellement toucher sans aucune exception tous les individus de la collectivité visée.
L'existence d'une certaine précision dans la désignation du groupe ou des personnes visées correspond d'ailleurs au but de la répression pénale en matière d'atteinte à l'honneur, en ce sens que celle-ci doit rester l'ultima ratio (cf. LOGOZ, Partie spéciale ad art. 173-178, ch. 2, p. 238).

4. Les attaques formulées par l'intimé sont dirigées contre tous les chasseurs pris dans leur ensemble et dans toute leur universalité. C'est en vain que les recourants tentent de soutenir que ces attaques ne viseraient que les chasseurs vaudois ou que, dans l'esprit des lecteurs des articles incriminés, l'intimé ne parlerait que des chasseurs vaudois; ce n'est pas parce que les articles ont paru dans un périodique vaudois à l'occasion de discussions ou de polémiques brûlantes dans le canton de Vaud que l'on doit en arriver à une semblable conclusion. Rien dans les articles en cause ne permet de comprendre ou de déduire qu'ils établissent une distinction entre les chasseurs vaudois et les autres. Bien au contraire, le sens et le contexte des articles font ressortir que les attaques sont dirigées contre tous les chasseurs en général, de quelque origine ou de quelque provenance qu'ils soient. Rien ne permet d'inférer que ces attaques ne s'adressent qu'aux chasseurs vaudois, et ne concerneraient ni ne viseraient les chasseurs de cantons ou de pays voisins ou lointains. Aucune précision géographique, locale, ni aucune délimitation particulière quelconque ne permet de circonscrire l'attaque à un groupe plus restreint ou mieux défini par rapport à l'ensemble des chasseurs du monde.
Dans ces conditions, aucun chasseur individuel, ni aucun chasseur vaudois plus particulièrement qu'un autre, ne peut se
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sentir suffisamment atteint dans son honneur personnel pour qu'il puisse être fait application des art. 173 ss CP à l'endroit de l'intimé. Celui-ci a donc été libéré à juste titre par la cour cantonale.

5. Dès lors qu'il n'existe pas d'atteinte à l'honneur individuel justifiant une poursuite pénale, il n'y a pas à examiner si les associations plaignantes, agissant au nom des individus qui les composent, avaient ou non qualité pour déposer plainte. Il n'y a pas davantage lieu de décider si les faits devaient être examinés à la lumière des dispositions sur la diffamation plutôt que de celles sur les injures, puisque les considérations générales émises plus haut sont valables pour les deux infractions.

Dispositif

Par ces motifs, le Tribunal fédéral:
Rejette le pourvoi.

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Etat de fait

Considérants 1 2 3 4 5

Dispositif

références

Article: Art. 173 ss CP